Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
« Demain » Le mot Allait, délié, vacant, Sans poids dans le vent, Si dénué d’âme et de corps, De couleur, de baiser, Que je l’ai laissé passer Près de moi aujourd’hui. Mais soudain toi Tu as dit : « Moi, demain… » Et tout s’est peuplé De chair et de drapeaux. Sur moi se précipitaient Les promesses Aux six cents couleurs, Avec des robes à la mode, Nues, mais toutes Chargées de caresses. En train ou en gazelles M’arrivaient – aigus, Sons de violons – Des espoirs ténus De bouches virginales. Ou rapides et grandes Comme des navires, de loin, Comme des baleines Depuis des mers distantes, D’immenses espérances D’un amour sans final. Demain ! Quel mot vibrant, tendu D’âme et de chair rose, Corde de l’arc Où tu posas, si effilée, Arme de vingt années, La flèche la plus sûre Quand tu as dis : « Moi… »
Pedro Salinas 1891-1951
in La voz a ti debida, 1933
« La voix qui t’est due » Traduit de l’espagnol par Bernard Sesé
(Le Calligraphe -1982)
«Mañana». La palabra iba suelta, vacante, ingrávida, en el aire, tan sin alma y sin cuerpo, tan sin color ni beso, que la dejé pasar por mi lado, en mi hoy. Pero de pronto tú dijiste: «Yo, mañana…» Y todo se pobló de carne y de banderas. Se me precipitaban encima las promesas de seiscientos colores, con vestidos de moda, desnudas, pero todas cargadas de caricias. En trenes o en gacelas me llegaban —agudas, sones de violines— esperanzas delgadas de bocas virginales. O veloces y grandes como buques, de lejos, como ballenas desde mares distantes, inmensas esperanzas de un amor sin final. ¡Mañana! Qué palabra toda vibrante, tensa de alma y carne rosada, cuerda del arco donde tú pusiste, agudísima, arma de veinte años, la flecha más segura cuando dijiste: «Yo…»
Reprise épurée d’un billet publié sur « Perles d’Orphée » le 17/10/2014
Guidé par la lune un couple d’amants marche entre les arbres d’une forêt. La jeune femme avoue à son nouveau compagnon qu’elle porte l’enfant d’un autre à qui elle s’est abandonnée un soir de désespoir. Le jeune homme comprend, accepte, pardonne et demande enfin à être le père de cet enfant comme s’il en avait été lui-même le géniteur. La chaleur de la nuit transfigure l’enfant étranger. Le couple fusionne dans la pénombre.
Du wirst es mir, von mir gebären;
Du hast den Glanz in mich gebracht,
Du hast mich selbst zum Kind gemacht.*
*Tu le feras naître pour moi, de moi, Tu as mis la lumière en moi, Tu as refait de moi un enfant
Arnold Schoenberg – portrait par Egon Schiele 1917
C’est ce thème, romantique – ô combien ! – mis en vers par un poète symboliste de ses amis, que le jeune Arnold Schoenberg – il vient d’avoir 25 ans – illustre dans le sextuor « La Nuit transfigurée » (« Verklärte Nacht »).
Avec ce chef d’œuvre de la musique de chambre, Schoenberg, trop jeune encore pour s’en prendre ouvertement à notre vieil attachement à l’harmonie et à la mélodie, nous enveloppe dans le voluptueux et le soyeux des cordes que nous aimons, caressées dans le sens de la tonalité et toutes dédiées à l’évocation des images qu’elles sous-tendent.
« Verklärte Nacht » resplendit de toute la puissance de l’expressivité romantique.
Edvard Munch – Les yeux dans les yeux
Quelques années après la composition du sextuor, Schoenberg écrit un arrangement pour orchestre à cordes. Cette nouvelle mise en forme magnifie la dramaturgie musicale de cette « nuit » lunaire au coeur de laquelle s’épousent et se repoussent les manifestations paroxystiques de la passion.
« La nuit transfigurée », n’a jamais cessé de conquérir le public, même si l’apparition de la dissonance affirme déjà la volonté naissante du compositeur de prendre ses distances avec la tradition romantique allemande du XIXème siècle. Mais le jeune Schoenberg, à l’heure où le XXème siècle frappe déjà à la porte, est encore très admiratif des maîtres qui l’ont précédé, Johannes Brahms et Richard Wagner, aussi n’est-il pas surprenant que sa « nuit » laisse transparaître quelques similitudes avec « Tristan und Isolde » – autant par le langage musical utilisé que par les choix thématiques – nonobstant les destinées diamétralement opposées des deux couples.
David Hockney – Tristan und Isolde-VI – 1987
Dans la lente introduction en mi mineur, le couple marche au clair de lune. Avec l’aveu de la femme, la musique s’anime, exposant le thème principal empreint de drame et d’émotion ; la réaction de l’homme se fait attendre. Sa réponse s’exprime enfin : l’amour triomphe, le premier thème revient, en mode majeur désormais : actée la « transfiguration ». En forme d’hymne à la rédemption par l’amour, une longue coda termine l’œuvre.
Un bien beau voyage romantique dans l’amour et dans la nuit, auquel nous invitent ces merveilleux musiciens du Norwegian Chamber Orchestra, qui – il faut relever la performance – jouent sans partition, pour mieux appréhender sans doute le moindre frémissement des métamorphoses de cette envoutante « nuit ».
Norwegian Chamber Orchestra
conduit du violon par Terje Tønnesen
L’état de danse : une sorte d’ivresse, qui va de la lenteur au délire, d’une sorte d’abandon mystique à une sorte de fureur.
Paul Valéry
Pas plus Chopin que Scriabine composant leurs plus belles valses n’avaient eu l’intention de les destiner au talent du chorégraphe. Et pourtant, qui, à leur écoute, prétendrait échapper à « l’état de danse » dans lequel les unes comme les autres ne manquent jamais de nous entraîner ?
Alexandre Scriabine – 1872-1915
Si l’écriture romantique de Chopin demeure plus attachée aux spécificités rythmiques et mélodiques de la danse, la ‘valse’ du jeune Scriabine, sans renier l’inspiration du maître polonais. veut en explorer la dimension symbolique voire mystique, comme le confirmeront ses compositions ultérieures.
Avec la Valse en La bémol majeur, Opus 38, qu’il compose en 1903, plus de cinquante ans après la disparition de Frédéric Chopin, Alexandre Scriabine exprime déjà ses intentions de s’éloigner de l’orthodoxie du rythme.
Certes c’est une valse. 1,2,3 / 1,2,3… Dès les premières mesures se dessine élégante et délicate la silhouette du couple tournoyant timidement entre les scintillations musicales et le glissé des pas. Mais la passion ne tarde pas à laisser s’échapper du clavier devenu orchestre ses couleurs chatoyantes, avant de s’apaiser un instant guettant le retour gracieux de la confidence. Et comme un papillon reprenant son essor, la musique à nouveau s’exalte en volutes mélodiques invitant la main droite à faire fi de la rigueur rythmique des trois temps que la main gauche consciencieusement rend à la mesure.
Olga Scheps (piano) Alexandre Scriabine Valse en La bémol majeur Op.38
Ni dans les temps anciens, ni de nos jours on ne trouve une perfection plus grande chez un maître aussi jeune.
Robert Schumann (à propos de l’Octuor de son ami Félix Mendelssohn)
Bouillonnement de fraîcheur, houle musicale de jeunesse passionnée, miraculeuse illumination de la musique de chambre, l’Octuor en mi bémol majeur– Opus 20 – de Félix Mendelssohn s’impose comme une indispensable contrepartie à notre été de misères.
Felix-Mendelssohn (1809-1847) – portrait par Wilhelm-Hensel
Les plus grands musiciens de l’histoire ont unanimement considéré la composition pour quatuor à cordes comme l’exercice le plus exigeant et le plus difficile de l’écriture musicale. Et c’est pourtant à seize ans, en 1825, que Félix Mendelssohn, écrit, sans modèle particulier d’un précédent maître, l’une des pages les plus proches de la perfection que connaît cet art délicat de la musique de chambre.
Comble du génie précoce, le jeune Félix convoquera pour l’occasion, non pas un, mais deux quatuors à cordes, pour donner naissance à son incomparable
Octuor en mi bémol majeur – Opus 20
Écriture souple, fluide, allègre, élégante, empreinte de juvénile passion et cependant étayée par une incroyable maturité.
Mariage musical intemporel de la jeunesse et de la beauté…
Notre été mérite bien d’y être invité !
…
Janine Jansen (violon) et la fine fleur mondiale des jeunes chambristes :
Aux violons : Ludvig Gudim – Johan Dalene – Sonoko Miriam Welde
Aux altos : Amihai Grosz – Eivind Holtsmark Ringstad
Aux violoncelles : Jens Peter Maintz, – Alexander Warenberg
Reprise du billet : « S’évader du temps… par le haut » (29/08/2016)
La clé de la musique de Bach : le désir d’évasion du temps. [….]
Les évolutions de sa musique donnent la sensation grandiose d’une ascension en spirale vers les cieux. Avec Bach, nous nous sentons aux portes du paradis ; jamais à l’intérieur. Le poids du temps et la souffrance de l’homme tombé dans le temps accroissent la nostalgie pour des mondes purs, mais ne suffisent pas à nous y transporter. Le regret du paradis est si essentiel à la musique de Bach qu’on se demande s’il y a eu d’autres souvenirs que paradisiaques. Un appel immense et irrésistible y résonne comme une prophétie ; et quel en est le sens sinon qu’il ne nous tirera pas de ce monde ? Avec Bach, nous montons douloureusement vers les hauteurs. Qui, en extase devant cette musique, n’a pas senti sa condition naturellement passagère ; qui n’a pas imaginé la succession des mondes possibles qui s’interposent entre nous et le paradis ne comprendra jamais pourquoi les sonorités de Bach sont autant de baisers séraphiques.
Emil Cioran (1911-1995)
in « Le livre des leurres » – 1936
∴
Il n’est pas indispensable de se sentir pénétré par la foi pour être aspiré par la musique de Bach. Pas plus qu’il n’était nécessaire à Cioran de se prétendre théologien pour exprimer sa mystique du vide.
« Ruht wohl – Chœur final de la Passion selon Saint Jean ». Ainsi avais-je annoté, il y a bien longtemps, la marge de ce paragraphe du « Livre des leurres » d’où sont extraites les phrases citées en exergue de ce billet. Cette mention musicale pour illustrer ma découverte de ce texte, – je m’en souviens précisément – s’était spontanément imposée à la mine de mon crayon sans qu’à aucun instant, aucun autre des mille merveilleux « baisers séraphiques » que le Cantor de Leipzig aurait pu alors m’adresser ne tentât de contrarier mon commentaire pour moi-même.
J-S. Bach 1685-1750
Ni les années, ni les relectures et les ré-écoutes ne m’ont convaincu de changer mon choix. Nulle part ailleurs dans l’œuvre de Bach, me semble-t il, on ne saurait percevoir avec autant d’intensité cette « construction en spirale qui indique par ce schéma même l’insatisfaction devant le monde et ce qu’il nous offre, ainsi qu’une soif de reconquérir une pureté perdue ». Et, partant, notre irrépressible désir d’Autre et d’Ailleurs. Ainsi, résignés à l’impermanence de notre condition, accédons-nous, à travers les accents sereins de ce chant, au chemin du Paradis dont Bach ne nous ouvre pas les portes. Car ce chœur, à l’instar de toute l’œuvre du Cantor, est un chant du voyage.
Le plus beau peut-être, pour conduire notre évasion de ce monde et du temps, par le haut, en escaladant le Ciel – et quel que soit le commerce que l’on entretienne avec Dieu.
Se laisser aspirer par le souffle ascendant des anges !
Jean-Sébastien Bach
‘Ruht wohl, ihr heiligen Gebeine ‘ Passion selon Saint-Jean – BWV 245 – Netherlands Bach Society –
Chœur
Ruht wohl, ihr heiligen Gebeine, die ich nun weiter nicht beweine, ruht wohl, und bringt auch mich zur Ruh’.
Das Grab, so euch bestimmet ist, und ferner keine Not umschließt, macht mir den Himmel auf, und schließt die Hölle zu.
Ruht wohl…
Reposez en paix, saints ossements, que désormais je ne pleure plus ; reposez en paix, et emmenez-moi aussi vers le repos.
Le tombeau, tel qu’il vous est destiné, et qui, de plus, ne recèle aucune détresse, m’ouvre le ciel, et ferme les enfers.
Reposez en paix…
◊
Choral
Ach Herr, laß dein lieb’ Engelein Am letzten End’ die Seele mein Im Abrahams Schoß tragen ; Den Leib in sein’m Schlafkämmerlein Gar sanft, ohn’ ein’ge Qual und Pein, Ruhn bis am jüngsten Tage !
Alsdann vom Tod erwekke mich, Daß meine Augen sehen dich In aller Freud’, o Gottes Sohn, Mein Heiland und Genadenthron ! Herr Jesu Christ, erhöre mich, Ich will dich preisen ewiglich !
Ah, Seigneur, laisse tes chers angelots, à la dernière extrémité, mon âme porter (par eux) dans le sein d’Abraham ; mon corps, dans sa petite chambre de repos, bien doucement, sans aucun tourment ni peine, (laisse) reposer jusqu’au dernier jour !
Alors, de la mort éveille-moi, que mes yeux te voient en toute joie, ô fils de Dieu, mon Sauveur et Trône de grâce ! Seigneur Jésus Christ, exauce-moi ; je veux te louer éternellement !
Si l’on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce serait la salle d’attente.
Jules Renard
Ma maison
Je m’invente un pays où vivent les soleils Qui incendient les mers et consument les nuits, Les grands soleils de feu, de bronze ou de vermeil, Les grandes fleurs soleils, les grands soleils soucis, Ce pays est un rêve où rêvent mes saisons, Et dans ce pays-là, j’ai bâti ma maison,
Ma maison est un bois, mais c’est presque un jardin, Qui danse au crépuscule, autour d’un feu qui chante, Où les fleurs bleues se mirent dans un grand lac sans tain, Et leurs images embaument les brises frissonnantes, Aussi folles que l’aube, aussi belles que l’ambre, Dans cette maison-là, j’ai installé ma chambre ;
Ma chambre est une église où je suis à la fois, Si je hante un instant, ce monument étrange, Et le prêtre et le Dieu, et le doute, et la foi, Et l’amour et la femme, et le démon et l’ange. Au ciel de mon église, brûle un soleil de nuit, Dans cette chambre-là, j’y ai couché mon lit ;
Mon lit est une arène ou se mène un combat, Sans merci, sans repos, je repars, tu reviens, Une arène où l’on meurt aussi souvent que ça, Mais où l’on vit, pourtant, sans penser à demain, Où mes grandes fatigues chantent quand je m’endors, Je sais que, dans ce lit, j’ai ma vie, j’ai ma mort.
Je m’invente un pays où vivent les soleils, Qui incendient les mers et consument les nuits, Les grands soleils de feu, de bronze ou de vermeil, Les grandes fleurs soleils, les grands soleils soucis. Ce pays est un rêve où rêvent mes saisons, Et moi dans ce pays, j’ai bâti ta maison…
Comme j’aimerais ne pas trop me tromper en suivant aveuglément ma naïveté première qui s’acharne à me convaincre que le long et minutieux travail préparatoire de ces merveilleux danseurs ne prive en rien leur tango de la part d’inventivité immédiate et d’émotion spontanée qui confère à l’âme de cet art secret et délicat sa véritable substance, l’empreinte intime de son humanité.
Si l’évidence de leur passion pour l’art du tango m’est un gage précieux, l’inévitable tragédie, sévère et triste, qui transparaît derrière la troublante sensualité émanant de leur étreinte, contribuerait volontiers à me rassurer.
Qu’une belle et mélancolique milonga au titre shakespearien, « Ariel et Caliban » – esclaves antithétiques, ô combien ! de « La Tempête », et pourtant si semblables, si dramatiquement humains – accompagne le glissé léger d’un talon, flatte le galbe envoûtant d’un mollet… et l’illusion est parfaite.
Clara a écrit un certain nombre de petites pièces qui montrent une invention musicale et tendre qu’elle n’a jamais atteinte auparavant.Mais avoir des enfants et un mari qui vit toujours dans les domaines de l’imagination ne va pas de pair avec la composition.Elle ne peut pas y travailler régulièrement et je suis souvent troublée de penser combien d’idées profondes sont perdues parce qu’elle ne peut pas les développer.Mais Clara elle-même sait que sa principale occupation est celle d’une mère et je crois qu’elle est heureuse dans ces circonstances et ne voudrait pas qu’elles changent.
Robert Schumann (cité par Nancy Reich, in « Clara Schumann : The Artist and the Woman » – Cornell University Press)
Robert Schumann 1810-1856
Ce constat que Robert Schumann concédait à l’évidence dans les pages de son journal, quelques années à peine après son mariage avec sa chère Clara, n’était pourtant pas pour lui le fruit d’une découverte récente.
L’admirateur inconditionnel de la virtuose précoce qu’elle était déjà à leur première rencontre, autant que de la compositrice brillante qu’elle promettait de devenir, ne pouvait avoir oublié ce billet de novembre 1837, trois ans avant leur union tant désirée, dans lequel Clara, jeune fille de 18 ans, très amoureuse mais lucide, lui avait écrit :
J’ai besoin d’une vie sans soucis afin d’exercer mon art en toute tranquillité. […] Vois si tu penses pouvoir m’offrir une existence telle que je la souhaite.
Et pourtant, l’époque aidant, Clara, très éprise de son Robert, avait très tôt consenti à laisser sa vie d’épouse et de mère prendre le pas sur la vie d’artiste à laquelle elle pouvait, elle plus que tout autre femme du siècle, objectivement prétendre. N’écrivait-elle pas déjà sa résignation, en 1839, dans son journal intime :
Il fut un temps où je croyais posséder un talent créateur, mais je suis revenue de cette idée ; une femme ne doit pas prétendre composer, aucune n’a encore été capable de le faire et pourquoi serais-je une exception ? Il serait arrogant de croire cela, c’est une impression que seul mon père m’a autrefois donnée.
Et alors même que cette humble abnégation prenait racine dans son esprit, tout son être demeurait attaché au plaisir de composer, ainsi qu’elle le confiait à Fanny Mendelssohn :
Il n’y a rien de plus grand que la joie de composer soi-même quelque chose, puis de l’écouter. […] Bien sûr, ce n’est qu’un travail de femme, qui manque toujours de force, et ici ou là d’inventivité.
Clara et Robert Schumann
Les merveilles – désormais, fort heureusement, totalement sorties de l’ombre – qu’elle a composées, ne laissent cependant aucun doute sur son immense talent que tant de musiciens, et pas des moindres, lui ont envié.
Son Scherzo en Ut mineur opus 14 écrit en 1841 en utilisant le thème d’un des lieder sur des poèmes de Friedrich Rückert, dont Robert lui confia la réalisation (« Er ist gekommen in Sturm und Regen » – Il est venu dans la tempête, sous la pluie / il a bravement saisi mon cœur), est un modèle du genre.
Dès le début de la pièce, la passion éclate à travers une figure d’orage arpégée, « con fuoco », qui résonne des turbulences de l’Étude, en Ut mineur également, opus 10 N°12, dite « Révolutionnaire », de Frédéric Chopin.
Effet de contraste, la deuxième partie, « un poco piu tranquillo », est toute imprégnée des expressions romantiques de cette époque, et la douce texture des accords choisis hésite entre les influences du Maître et celles de son génial mari.
Isata Kanneh-Mason, jeune virtuose britannique, pas plus âgée que Clara composant ce Scherzo, se saisit avec un même bonheur des exigences de virtuosité et des subtilités mélancoliques que propose la partition. Sa technique, certes, mais aussi, indubitablement, son évidente proximité avec Clara, confèrent à la sensibilité de son interprétation une juste mesure des tempi et des dynamiques que la pianiste sert avec une remarquable articulation.
Il régnera chez nous une obscurité de rêve, il y aura des fleurs aux fenêtres, des murs bleu pâle, des gravures, un piano à queue et, là, nous nous aimerons unis dans une profonde fidélité.
Robert Schumann à sa fiancée, Clara Wieck, en janvier 1838
Pendant ce temps-là, notre mauvais génie travaillait à nous perdre. Nous étions dans le délire du plaisir, et le glaive était suspendu sur nos têtes.
Abbé Prévost – Manon Lescaut
Pendant les quelques semaines qui suivent leur première rencontre foudroyante dans cette sordide auberge où ni l’une ni l’autre n’auraient dû se trouver, les deux jeunes amants choisissent de se cloîtrer dans l’appartement parisien que loue Des Grieux pour abriter la passion naissante qu’il partage avec la charmante et volage Manon. Le jeune couple, qui vient d’abandonner le fou projet d’un mariage, s’active à « frauder les droits de l’Église » de la plus belle des manières…
De la plus belle des manières chorégraphiques, ainsi qu’en 1974 Kenneth MacMillan, alors directeur artistique du Royal Ballet de Londres, avait écrit et monté pour la première fois ce joyau emblématique de la danse classique :
Marianela Nuñez (Manon) et Federico Bonelli (Des Grieux) partagent ce confinement aussi passionné qu’aérien sur la scène du Royal Opera House :
Est-il instant plus pathétique que celui qui enferme dans la furtive extase d’un baiser d’amour le sourire de la grâce et la noblesse des corps ?
La passion amène la souffrance… Quelle puissance calmera le cœur oppressé qui a tout perdu ? Où sont les heures si vite envolées ? Vainement tu avais eu en partage le sort le plus beau : ton âme est troublée, ta résolution confuse. Ce monde sublime, comme il échappe à tes sens !
Soudain s’élève et se balance une musique aux ailes d’ange ; elle entremêle des mélodies sans nombre, pour pénétrer le cœur de l’homme, pour le remplir de l’éternelle beauté : les yeux se mouillent ; ils sentent, dans une plus haute aspiration, le mérite divin des chants comme des larmes.
Et le cœur, ainsi soulagé, s’aperçoit bientôt qu’il vit encore, qu’il bat, et voudrait battre, pour se donner lui-même, à son tour, avec joie, en pure reconnaissance de cette magnifique largesse. Alors se fit sentir – oh ! que ce fût pour jamais ! la double ivresse de la mélodie et de l’amour.
Goethe à l’âge de 78 ans – Aquarelle de Josef Karl Stieler
Johann Wolfgang Goethe (1749-1832)
In « Trilogie de la passion » – 1827
(Traduit de l’allemand par Jacques Porchiat)
C'est à Marienbad, en 1821, que Goethe, alors âgé de 72 ans, connaît sa dernière grande passion amoureuse. Il vient de faire la rencontre d'une jeune soprano de 17 ans, Ulrike von Levetzow, et en tombe éperdument amoureux.
Deux années plus tard, le refus des parents de la jeune fille de lui accorder sa main plonge le grand écrivain dans une profonde mélancolie qui lui inspirera de merveilleux poèmes, et en particulier l'un de ses plus beaux, l'"Élégie de Marienbad".
Pendant l'été 1823, alors qu'il se réfugie plus que jamais dans la musique, il est infiniment séduit par le jeu engagé et virtuose de la pianiste polonaise Maria Szymanowska (qui ne sera pas étrangère au style brillant de Chopin).
Quelques jours après le récital, il lui envoie ce poème, "Réconciliation", très empreint encore de ses ressentis amoureux, pour la remercier des vives émotions que sa musique a attisées en lui.
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Irina Lankova joue « Élégie » Opus 3 – N°1 de Sergueï Rachmaninov :
Sergueï Rachmaninov en 1892
Cette "Élégie" fait partie des cinq "Morceaux de fantaisie", opus 3, que Rachmaninov compose en 1892, à l'âge de 19 ans.Dès son ouverture, cette pièce exprime, une profonde et bouleversante mélancolie qui, en se développant, gagne en intensité et en beauté.
Chaleureuse, une réconfortante mélodie vient alors éclairer d'un bref trait d'espérance son ténébreux chemin.
Mais la musique retourne à la gravité de sa méditation et s'estompe jusqu'à s'éteindre presque, avant que ne réapparaisse, encore plus triste et plus émouvant, le premier thème.
Elle se cabre enfin dans une ultime convulsion puis se résigne à abandonner les harmonies des derniers accords aux ombres chères de la nuit qui marche.
Représentez-vous une femme grande et sèche, le teint échauffé, le visage aigu, le nez pointu, voilà la figure de la belle Émilie, figure dont elle est si contente qu’elle n’épargne rien pour la faire valoir, frisures, pompons, pierreries, verreries, tout est à profusion, mais, comme elle veut être belle en dépit de la nature, et qu’elle veut être magnifique en dépit de sa fortune, elle est obligée pour se donner le superflu de se passer du nécessaire, comme chemises et autres bagatelles. Madame travaille avec tant de soin à paraître ce qu’elle n’est pas qu’on ne sait plus ce qu’elle est en effet ; ses défauts mêmes ne lui sont peut-être pas naturels, ils pourraient tenir à ses prétentions.
Madame du Deffand à propos de Madame du Châtelet citée par Jean Haechler in « Le Règne des Femmes – 1715-1793 » – Éditions Bernard Grasset P.130-131
Et, dans sa grande amabilité, Madame du Deffand de rajouter :
Elle est née avec assez d’esprit ; le désir d’en paraître davantage lui a fait préférer l’étude des sciences les plus abstraites aux connaissances les plus agréables : elle croit par cette singularité parvenir à une plus grande réputation et à une supériorité décidée sur toutes les femmes.
Émilie le Tonnelier de Breteuil,Marquise Du Châtelet-Lomont (1706-1749) – par Marianne Loir (Musée des B.A. Bordeaux)
Ses contemporains, et surtout ses contemporaines, ne l’ont pas ménagée. Leurs plumes, trempées dans le même acide que celui qui servit à la perfide Madame du Deffand pour rédiger les lignes qui précèdent, ont écharpé à l’envi cette pauvre Madame du Châtelet.
La jalousie à son égard trouvait aisément son socle : femme d’esprit, brillante en bien des domaines, issue d’une famille aisée, Émilie avait coutume de choisir les nombreux amants de sa jeunesse — avant sa rencontre avec Voltaire — parmi les personnalités les plus notables de l’époque. On ne prétendra pas, sur ce dernier point, qu’elle faisait véritablement figure d’exception. En revanche — et ses concurrentes ici se raréfiaient jusqu’à n’exister point — ses incontestables talents de physicienne et mathématicienne qui lui permirent, entre autres, de faire connaître Leibnitz et de traduire Newton, la plaçaient au rang des personnalités remarquables du monde scientifique de son temps ; il n’est pas rare que nos savants d’aujourd’hui la citent encore.
Tolérée par la bienveillance d’un mari souvent absent, sa longue et intense liaison avec Voltaire dont elle était à la fois la compagne, la maîtresse, la complice, et plus encore, a fait dire de leur histoire d’amour qu’elle était « la plus folle romance des Lumières ».
Portrait de Voltaire (1694-1778) – Musée Carnavalet – Atelier de Nicolas de Largillière
Tout en elle est noblesse, son attitude, ses goûts, le style de ses lettres, sa manière de parler, sa politesse… Sa conversation est agréable et intéressante.
Je n’ai pas perdu une maîtresse, mais la moitié de moi-même. Un esprit pour lequel le mien semblait avoir été fait.
Ces phrases extraites des correspondances de Voltaire à ses amis, la première, en 1734, au début de sa liaison avec Émilie du Châtelet, la seconde, en 1749, au décès de celle-ci, résument, de manière très lapidaire certes, mais significative, la teneur des quinze années de la très étroite relation, « studieuse et tendre », bien que parfois agitée, qu’ont entretenue au château de Cirey ces deux beaux esprits. Sur tous les plans, amoureux évidemment, mais aussi intellectuel, scientifique, philosophique ou spirituel, leur proximité atteignait à son comble.
Émilie du Châtelet par Quentin de La Tour
Avec le temps les sentiments se transforment. Les infirmités avaient fait de Voltaire un vieillard avant l’âge, et l’ancienneté de sa liaison avec « sa divine Émilie » avait érodé les ardeurs de son désir. Pareil changement n’échappe pas à la perspicacité d’une femme amoureuse. Pour Madame du Châtelet ce fut aussi une occasion de consigner ses analyses pertinentes sur l’évolution des sentiments, très inspirées par sa propre histoire, dans un petit essai intitulé « Discours sur le bonheur ». Quand la passion se mue en tendre amitié…
Et c’est par ce poème désormais célèbre, à la fois tendre envers Émilie et ironique à son propre égard, que Voltaire, en réponse à ses pages, avoua sa faiblesse… À moins que, complice clin d’oeil au malicieux sourire dont Houdon l’affubla à jamais, notre habile philosophe — qui polissonnait encore… — n’ait voulu offrir à celle dont il se disait modestement le « scribe », un élégant prétexte au crépuscule de sa passion.
À Madame du Châtelet
Si vous voulez que j’aime encore, Rendez-moi l’âge des amours ; Au crépuscule de mes jours Rejoignez, s’il se peut, l’aurore.
Des beaux lieux où le dieu du vin Avec l’Amour tient son empire, Le Temps, qui me prend par la main, M’avertit que je me retire.
De son inflexible rigueur Tirons au moins quelque avantage. Qui n’a pas l’esprit de son âge De son âge a tout le malheur.
Laissons à la belle jeunesse Ses folâtres emportements : Nous ne vivons que deux moments ; Qu’il en soit un pour la sagesse.
Quoi ! pour toujours vous me fuyez, Tendresse, illusion, folie, Dons du ciel, qui me consoliez Des amertumes de la vie !
On meurt deux fois, je le vois bien : Cesser d’aimer et d’être aimable, C’est une mort insupportable ; Cesser de vivre, ce n’est rien.
Ainsi je déplorais la perte Des erreurs de mes premiers ans ; Et mon âme, aux désirs ouverte, Regrettait ses égarements.
Du ciel alors daignant descendre, L’Amitié vint à mon secours ; Elle était peut-être aussi tendre, Mais moins vive que les Amours.
Touché de sa beauté nouvelle, Et de sa lumière éclairé, Je la suivis ; mais je pleurai De ne pouvoir plus suivre qu’elle.
Voltaire – buste par Houdon
in Michel Delon, Anthologie de la poésie française du XVIIIe siècle, Paris, Poésie/Gallimard
Antonello de Messine – Christ à la colonne – vers 1478
Qu’elle pénètre en nous par la voie religieuse qu’ouvre notre quête spirituelle ou qu’elle s’impose à la sensibilité de notre âme profane par la seule force de son humanité, l’émotion née de la musique sacrée de Jean Sébastien Bach trouve et trouvera toujours, inéluctablement, le chemin de notre cœur.
Il y a 290 ans, le vendredi saint, 7 avril 1727, dans l’église Saint-Thomas de Leipzig, dont il est le Kappelmeister, Jean Sébastien Bach donne son tout dernier oratorio, la Passion selon Saint-Matthieu (Matthäus-Passion).
Le Cantor, à travers ce chef d’œuvre absolu, accompagne et illustre la parole de Matthieu, l’évangéliste, relatant le drame à la fois intime et collectif, et théâtral tout autant, du sort réservé à Jésus, trahi et condamné aux plus atroces souffrances.
Roméo Castellucci, brillant homme de théâtre, parfois contesté — mais, n’est-ce pas le sort des grands créatifs et des avant-gardistes ? —, et le très apprécié chef d’orchestre Kent Nagano ont proposé, l’année dernière, à l’Opéra de Hambourg une version de la Matthäus-Passion particulièrement inspirée. Et dans une mise en scène pour le moins originale. La chaîne Arte l’a diffusée il y a quelques jours.
A la musique de Bach, hautement servie par des interprètes d’une remarquable qualité conduits par le chef Kent Nagano, font écho, visuel et symbolique, des illustrations scéniques empruntées à notre vie quotidienne ou au monde scientifique. Le tout dans un univers blanc pur, intemporel, pouvant évoquer, selon la sensibilité de chacun, la froideur d’un centre hospitalier de film fantastique aussi bien qu’un imaginaire paradis séraphique.
La Passion selon Saint-Matthieu ne manque jamais, à chaque écoute et quelles qu’en soient les conditions, de nous transporter, mon incroyance et moi, vers le plus beau des cieux. Cette version, théâtralisée par Castellucci, nous aura fait faire le voyage vers la Lumière dans une Larme infiniment spirituelle nourrie de beauté, mais aussi, étrangement, de surprise et d’actualité.
La clé de la musique de Bach : le désir d’évasion du temps. [….]
Les évolutions de sa musique donnent la sensation grandiose d’une ascension en spirale vers les cieux. Avec Bach, nous nous sentons aux portes du paradis ; jamais à l’intérieur. Le poids du temps et la souffrance de l’homme tombé dans le temps accroissent la nostalgie pour des mondes purs, mais ne suffisent pas à nous y transporter. Le regret du paradis est si essentiel à la musique de Bach qu’on se demande s’il y a eu d’autres souvenirs que paradisiaques. Un appel immense et irrésistible y résonne comme une prophétie ; et quel en est le sens sinon qu’il ne nous tirera pas de ce monde ? Avec Bach, nous montons douloureusement vers les hauteurs. Qui, en extase devant cette musique, n’a pas senti sa condition naturellement passagère ; qui n’a pas imaginé la succession des mondes possibles qui s’interposent entre nous et le paradis ne comprendra jamais pourquoi les sonorités de Bach sont autant de baisers séraphiques.
Emil Cioran (1911-1995)
(in « Le livre des leurres » – 1936)
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Toute prétention mise à part, évidemment, je dirais volontiers que fréquenter Cioran m’est une manière de dialogue avec moi-même au bout duquel le miroir finit toujours par l’emporter.
« Ruht wohl – Chœur final de la Passion selon Saint Jean ». Ainsi avais-je annoté, il y a bien longtemps, la marge de ce paragraphe du « Livre des leurres » d’où sont extraites les phrases citées en exergue de ce billet. Cette mention musicale pour illustrer ma découverte de ce texte, – je m’en souviens précisément – s’était spontanément imposée à la mine de mon crayon sans qu’à aucun instant, aucun autre des mille merveilleux « baisers séraphiques » que le Cantor de Leipzig aurait pu alors m’adresser ne tentât de contrarier mon commentaire pour moi-même.
Ni les années, ni les relectures et les écoutes ne m’ont convaincu de changer mon choix. Nulle part ailleurs dans l’œuvre de Bach, me semble-t il, on ne saurait percevoir avec autant d’intensité cette « construction en spirale qui indique par ce schéma même l’insatisfaction devant le monde et ce qu’il nous offre, ainsi qu’une soif de reconquérir une pureté perdue ». Et, partant, notre irrépressible désir d’Autre et d’Ailleurs. Ainsi, résigné à l’impermanence de notre condition, accédons-nous, à travers les accents sereins de ce chant, au chemin du Paradis dont Bach ne nous ouvre pas les portes. Car ce chœur, à l’instar de toute l’œuvre de Bach, est un chant du voyage.
Le plus beau peut-être, pour conduire notre évasion de ce monde et du temps, par le haut, en escaladant le Ciel – et quel que soit le commerce que l’on entretienne avec Dieu.
Se laisser aspirer par le souffle ascendant des anges !
Jean-Sébastien Bach
Ruht wohl, ihr heiligen Gebeine / Passion selon Saint-Jean BWV 245 Netherlands Bach Society
Chœur
Ruht wohl, ihr heiligen Gebeine, die ich nun weiter nicht beweine, ruht wohl, und bringt auch mich zur Ruh’.
Das Grab, so euch bestimmet ist, und ferner keine Not umschließt, macht mir den Himmel auf, und schließt die Hölle zu.
Ruht wohl…
Reposez en paix, saints ossements, que désormais je ne pleure plus ; reposez en paix, et emmenez-moi aussi vers le repos.
Le tombeau, tel qu’il vous est destiné,
et qui, de plus, ne recèle aucune détresse,
m’ouvre le ciel,
et ferme les enfers.
Reposez en paix…
Choral
Ach Herr, laß dein lieb’ Engelein Am letzten End’ die Seele mein Im Abrahams Schoß tragen ; Den Leib in sein’m Schlafkämmerlein Gar sanft, ohn’ ein’ge Qual und Pein, Ruhn bis am jüngsten Tage !
Alsdann vom Tod erwekke mich, Daß meine Augen sehen dich In aller Freud’, o Gottes Sohn, Mein Heiland und Genadenthron ! Herr Jesu Christ, erhöre mich, Ich will dich preisen ewiglich !
Ah, Seigneur, laisse tes chers angelots, à la dernière extrémité, mon âme porter (par eux) dans le sein d’Abraham ; mon corps, dans sa petite chambre de repos, bien doucement, sans aucun tourment ni peine, (laisse) reposer jusqu’au dernier jour !
Alors, de la mort éveille-moi, que mes yeux te voient en toute joie, ô fils de Dieu, mon Sauveur et Trône de grâce ! Seigneur Jésus Christ, exauce-moi ; je veux te louer éternellement !
L’été respire au bout de ce récif de toits, L’été de ton amour plein de mélancolie, L’été qu’on voit mourir un peu dans chaque jour Qui roule jusqu’ici ses falaises de suie. Églogue fatiguée, l’on entend la chanson Très pure d’un oiseau au milieu du silence. Regarde s’enfuir le plus beau temps de la vie, Le plus beau temps du cœur, la mortelle saison De la jeunesse aux noirs poisons. Voici la route, Ce saut de feu dans le délire des cigales Et de bons parapets pour reposer tes bras. Dans le ciel campagnard meurt le maigre charroi, S’envolent les décors barbares des passions : Petits balcons de fer écumant d’églantines, Escalades des murs titubants, dérision Des dorures, outremer houleux des orages. Tu ne reconnais plus ces folles mousselines Dans tout ce bleu que fait resplendir sans raison Chaque matin, parmi plusieurs enfantillages, L’été de ton amour, la saison du bonheur.