Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Le véritable amour, toujours modeste, n’arrache pas ses faveurs avec audace, il les dérobe avec timidité. La décence et l’honnêteté l’accompagnent au sein de la volupté même, et lui seul sait tout accorder au désir sans rien ôter à la pudeur. Bien souvent l’erreur cruelle est de croire que l’amour heureux n’a plus de ménagements à garder avec la pudeur, et qu’on ne doit plus de respect à celle dont on n’a plus de rigueurs à craindre.
Jean-Jacques Rousseau – in « Julie ou La nouvelle Héloïse » – 1761
Picasso – L’Entretien
≅
Le vieux couple
Ce qui me plait dans ce duo
C’est que tu fais la voix du haut
C’est toi qui sais, c’est toi qui dis
C’est toi qui penses et moi je suis
Mais les grands soirs lorsque tu pleures
Quand tu as peur dans ta chaloupe
C’est moi qui parle pendant des heures
Nous sommes en somme un vieux couple
Je n’sais plus où je t’ai connue C’est à l’école ou au guignol Je me rappelle cette ingénue Qui avait perdu la boussole Depuis je t’empêche de boire Sauf les grands soirs dans ta chaloupe Quand tu me chantes tes déboires Nous sommes en somme un vieux couple
Avec ta tête d’épagneul Qui n’a pas appris à nager Avec ma gueule à rester seul Derrière des demis panachés Quand les grands soirs dans ta chaloupe Nous parlons de tes états d’´âme Et que tu diffames mes femmes Nous sommes en somme un vieux couple
Le seize août mil’ neuf cent soixante J’ai marié cette dame charmante Cinq jours après j’étais parti Et tu me bordais dans mon lit Alors a commencé la nuit Alors a commencé la nuit Dont on se croyait les étoiles Mais on n’était que les cigales
On s’est battu on s’est perdu Tu as souvent refait ta vie Et le plus beau, tu m’as trahi Mais tu ne m’en as pas voulu Et les grands soirs dans ta chaloupe Tu connais bien mes habitudes Je connais bien ta solitude Nous sommes en somme un vieux couple
Mon ami, mon copain, mon frère Ma vieille chance, ma galère Mon enfant, mon Judas, mon juge Ma rassurance, mon refuge Mon frère, mon faux-monnayeur Mon ami, mon valet de cœur Je ne voudrais pas que tu meures Je ne voudrais pas que tu meures
Paroles : Jean-Loup Dabadie – Musique : Jacques Datin 1972 « Serge Reggiani »
Oh ! vivre et vivre et vivre et se sentir meilleur
A mesure que bout plus fermement le cœur.
Émile Verhaeren Les visages de la vie – L’action
.
Vous m’avez dit, tel soir, des paroles si belles Que sans doute les fleurs, qui se penchaient vers nous, Soudain nous ont aimés et que l’une d’entre elles, Pour nous toucher tous deux, tomba sur nos genoux. Vous me parliez des temps prochains où nos années, Comme des fruits trop mûrs, se laisseraient cueillir ; Comment éclaterait le glas des destinées, Comment on s’aimerait, en se sentant vieillir. Votre voix m’enlaçait comme une chère étreinte, Et votre cœur brûlait si tranquillement beau Qu’en ce moment, j’aurais pu voir s’ouvrir sans crainte Les tortueux chemins qui vont vers le tombeau.
Elle est retrouvée.
Quoi ? – Mon Éternité.
C’est la voix allée
Avec le poème. *
Chanter Barbara après Barbara : terrible gageure !
Nombreuses s’y sont brûlé les ailes…
Alors revisiter « Ma plus belle histoire d’amour » longtemps après que la dame brune a abandonné à jamais sur le tabouret de son piano le fourreau noir qui épousait sa longue silhouette d’amoureuse… Folie ?
C’est l’apanage du talent, me semble-t-il, de minimiser l’influence de la comparaison, jusqu’à la faire oublier… Peut-être.
« Ma plus belle histoire d’amour »
Cécile McLorin Salvant accompagnée au piano par Sullivan Fortner
Nantes – mai 2019
* Pardon cher Arthur !
∞
Du plus loin, que me revienne L’ombre de mes amours anciennes Du plus loin, du premier rendez-vous Du temps des premières peines Lors, j’avais quinze ans, à peine Cœur tout blanc, et griffes aux genoux Que ce fut, j’étais précoce De tendres amours de gosse Les morsures d’un amour fou Du plus loin qu’il m’en souvienne Si depuis, j’ai dit « je t’aime » Ma plus belle histoire d’amour C’est vous
.
C’est vrai, je ne fus pas sage Et j’ai tourné bien des pages Sans les lire, blanches, et puis rien dessus, C’est vrai, je ne fus pas sage Et mes guerriers de passage À peine vus, déjà disparus
Mais à travers leur visage C’était déjà votre image C’était vous déjà et le cœur nu Je refaisais mes bagages Et je poursuivais mon mirage Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous
.
Sur la longue route
Qui menait vers vous Sur la longue route J’allais le cœur fou Le vent de décembre Me gelait au cou Qu’importait décembre Si c’était pour vous
Elle fut longue la route Mais je l’ai faite, la route Celle-là, qui menait jusqu’à vous Et je ne suis pas parjure Si ce soir, je vous jure Que, pour vous, je l’eus faite à genoux Il en eut fallu bien d’autres Que quelques mauvais apôtres Que l’hiver ou la neige à mon cou Pour que je perde patience Et j’ai calmé ma violence Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous
.
Mais tant d’hivers et d’automnes De nuit, de jour, et puis personne Vous n’étiez jamais au rendez-vous Et de vous, perdant courage, soudain Me prenait la rage Mon Dieu, que j’avais besoin de vous Que le Diable vous emporte D’autres m’ont ouvert leur porte Heureuse, je m’en allais loin de vous Oui, je vous fus infidèle Mais vous revenais quand même Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous
.
J’ai pleuré mes larmes Mais qu’il me fut doux Oh, qu’il me fut doux Ce premier sourire de vous Et pour une larme qui venait de vous J’ai pleuré d’amour Vous souvenez-vous ?
Ce fut, un soir, en septembre Vous étiez venus m’attendre Ici même, vous en souvenez-vous ?
À vous regarder sourire À vous aimer, sans rien dire C’est là que j’ai compris, tout à coup J’avais fini mon voyage Et j’ai posé mes bagages Vous étiez venus Au rendez-vous
. Qu’importe ce qu’on peut en dire Je tenais à vous le dire Ce soir je vous remercie de vous
. Qu’importe ce qu’on peut en dire Je suis venue pour vous dire Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous
.
Pour savoir qui est Cécile McLorin Salvant : Wikipedia
Je me laissais glisser vers l’hiver tout me semblait facile je n’étais qu’un mendiant dessous les porches verts jamais tu n’aurais dû t’asseoir si près de moi Je sais bien tu as froid je le savais déjà à regarder tes yeux à deviner ta vie que tu le veuilles ou non que je le veuille ou non tu danses dans mes nuits mes jours deviennent nuits pour rêver plus longtemps et je nage éveillé dans ton visage-pluie Je ne dirai plus rien et pas même ton nom mais ne va pas trop loin surtout ne dis pas non et reste donc pour moi comme un printemps fragile Sur ta poitrine douce des saisons impossibles jamais sur ton épaule ne s’useront mes lèvres jamais je ne prendrai ton regard dans mes mains Une feuille de neige cicatrise ton ventre je déchire les jours pour t’en faire un manteau
Tu donnes des rêves à mes nuits, des chansons à mes matins, des buts à mes jours et des désirs solaires à mes rouges crépuscules. Tu donnes sans fin… Je suis tout ce que tu veux. Et je serai esclave ou roi selon que tu t’irrites ou souris. Mais ce qui me fait exister c’est toi.
Rainer Maria Rilke (« Lettres à Lou Andreas-Salomé »)
Ah ! nos nuits d’amour, Lucienne ! L’union des corps et des cœurs. L’instant, l’instant unique où on ne sait plus si c’est la chair ou si c’est l’âme qui palpite…
Jean Anouilh (« Eurydice »)
∞
Il n’y a jamais que dans la tendre passion des chansons d’amour que les nuits refusent de finir. Quand l’heure vient de les chanter c’est le souvenir et son cortège d’émotions rétrospectives qui nous en soufflent les paroles. La nuit se rappelle alors qu’elle abrite le rêve. Et le rêve, la vie le dévore.
Il n’empêche que la caresse d’un moment de nostalgie amoureuse flatte toujours le frisson.
Imma Cuesta, accompagnée par le guitariste et compositeur Javier Limón, chante « Una de esas noches sin final » ainsi qu’ils l’interprètent dans la bande originale du film « Todos lo saben » (Tout le monde le sait) du talentueux réalisateur iranien Asghar Farhadi, en 2018.
Una de esas noches sin final Me trae tu voz cada mañana Y otra vez me vuelve a despertar suave rumor de tus palabras Son tus labios dulces como un mar de leche y miel, canela y cielo Y en tus ojos cada amanecer parecer arder mi piel de fuego
.
No puedo pensar vivir sin el ancho De tu espalda sobre mi sábana inquieta Mirándote sonreír cuando tu boca se escapa para que yo me la beba Cuando vuelva amanecer otra vez te escucharé decir mi nombre sin miedo Y otra vez te besaré como besa esta mujer antes de decir te quiero
.
Pasarán los siglos y quizá seremos más lentos amando Seguro tardaremos más en inventar nuevos abrazos Y el relieve sobre nuestra piel será cruel desobediente Pero al alba yo te cantaré la misma copla de amor valiente
.
No puedo pensar vivir sin el ancho De tus espalda sobre mi sábana inquieta Mirándote sonreír cuando tu boca se escapa para que yo me la beba Cuando vuelva amanecer otra vez te escucharé decir mi nombre sin miedo Y otra vez te besaré como besa esta mujer antes de decir te quiero.
La mélodie française va tout droit, sans convulsions et sans frénésie, au rare, à l’exquis, à l’inattendu.
Vladimir Jankélévitch
La mélodie française, sans doute la voie la plus suave et la plus raffinée pour accéder à la saveur des profondeurs de l’intime.
Voilà qui oblige l’interprète à posséder les talents du conteur, et son pianiste accompagnateur à se faire orchestre… à moins que le compositeur, dans son extrême élégance, n’ait déjà prévu d’y pourvoir.
Ernest Chausson 1855-1899
Ainsi en 1899, le grand mélodiste, Ernest Chausson, composant « La Chanson Perpétuelle » sur douze des seize tercets du poème « Nocturne » de son contemporain Charles Cros, choisit-il de faire accompagner par un piano et un quatuor à cordes les états d’âme d’une jeune femme abandonnée par son amant.
Au souvenir des brefs instants de bonheur, succèdent, dans une atmosphère où la douleur croît, l’attente, l’espoir, la mélancolie et, tel celui d’Ophélie, le désir de mort dans les eaux de « l’étang, parmi les fleurs sous le flot endormi ».
Connivence des mots et de la musique dans le désenchantement de l’heure crépusculaire où Éros rejoint Thanatos.
Le Quatuor Elmire, Sarah Ristorcelli (piano) et Victoire Bunel (mezzo-soprano) interprètent Chanson perpétuelle op. 37
Bois frissonnants, ciel étoilé Mon bien-aimé s’en est allé Emportant mon cœur désolé.
Vents, que vos plaintives rumeurs, Que vos chants, rossignols charmeurs, Aillent lui dire que je meurs.
Le premier soir qu’il vint ici, Mon âme fut à sa merci ; De fierté je n’eus plus souci.
Mes regards étaient pleins d’aveux. Il me prit dans ses bras nerveux Et me baisa près des cheveux.
J’en eus un grand frémissement. Et puis je ne sais plus comment Il est devenu mon amant.
Je lui disais: « Tu m’aimeras Aussi longtemps que tu pourras. » Je ne dormais bien qu’en ses bras.
Mais lui, sentant son cœur éteint, S’en est allé l’autre matin Sans moi, dans un pays lointain.
Puisque je n’ai plus mon ami, Je mourrai dans l’étang, parmi Les fleurs sous le flot endormi.
Sur le bord arrivée, au vent Je dirai son nom, en rêvant Que là je l’attendis souvent.
Et comme en un linceul doré, Dans mes cheveux défaits, au gré Du vent je m’abandonnerai.
Les bonheurs passés verseront Leur douce lueur sur mon front, Et les joncs verts m’enlaceront.
Et mon sein croira, frémissant Sous l’enlacement caressant, Subir l’étreinte de l’absent.
Charles Cros (‘Nocturne‘)
Et, pour le plaisir de quelques amateurs inconditionnels, comme moi, de Dame Felicity Lott dans le répertoire français :
Ne jamais oublier d’aimer exagérément… c’est la seule bonne mesure !
Christiane Singer 1943-2007
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"Les sept nuits de la reine" (Albin Michel- 2002) 4ème de couverture :
Une femme se raconte en sept nuits comme autant d'épreuves traversées qui touchent au plus intime et au plus profond de l'être humain : de la première nuit alors qu'elle a sept ans à Berlin en 1944 et qu'elle rencontre son père pour la première et unique fois aux nuits suivantes où elle découvre la passion amoureuse, l'amour maternel puis la perte intolérable de son enfant, ce sont des pages d'indicible densité où la souffrance, le désir, la passion et le bonheur, hors des ornières du jour creusent un lit souterrain inspiré et puissant.
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C’est par une « Lettre à un ami » que Christiane Singer débute ce roman.
Toute la richesse de son humanité passionnée y est rassemblée, et, bonheur en plus, elle la lit à haute voix…
Extraits choisis :
Les nuits sont trop immenses, trop redoutables pour les hommes. Non, bien sûr, que les femmes soient plus courageuses ; elles sont seulement plus à même de bercer sans poser de questions ce que la nuit leur donne à bercer : l’inconnaissable.
Je vais faire sourire, n’est-ce pas, par ma naïveté ? Oserais-je vous dire que cela me rassure. Accordez-moi, je vous prie, que c’est le propre même du versant secret du monde de n’être pas au goût du jour.
Quand je demande à ceux que je rencontre de me parler d’eux-mêmes, je suis souvent attristée par la pauvreté de ma moisson : On me répond : je suis médecin, je suis comptable… J’ajoute doucement… vous me comprenez mal : je ne veux pas savoir quel rôle vous est confié cette saison au théâtre mais qui vous êtes, ce qui vous habite, vous réjouit, vous saisit. Beaucoup persistent à ne pas me comprendre, habitués qu’ils sont à ne pas attribuer d’importance à la vie qui bouge doucement en eux.
On me dit : je suis médecin ou comptable mais rarement : ce matin, quand j’allais pour écarter le rideau, je n’ai plus reconnu ma main… ou encore : je suis redescendu tout à l’heure reprendre dans la poubelle les vieilles pantoufles que j’y avais jetées la veille ; je crois que je les aime encore… ou je ne sais quoi de saugrenu, d’insensé, de vrai, de chaud comme un pain chaud que les enfants rapportent en courant du boulanger.
Qui sait encore que la vie est une petite musique presque imperceptible qui va casser, se lasser, cesser si on ne se penche pas vers elle ? Les choses que nos contemporains semblent juger importantes délimitent l’exact périmètre de l’insignifiance : les actualités, les prix, les cours en Bourse, les modes, le bruit de la fureur, les vanités individuelles. Je ne veux savoir des êtres que je rencontre ni l’âge, ni le métier, ni la situation familiale : j’ose prétendre que tout cela m’est clair à la seule manière dont ils ont ôté leur manteau. Ce que je veux savoir, c’est de quelle façon ils ont survécu au désespoir d’être séparés de l’Un par la naissance, de quelle façon ils comblent le vide entre les grands rendez-vous de l’enfance, de la vieillesse et de la mort, et comment ils supportent de n’être pas tout sur cette terre.
Je ne veux pas les entendre parler de cette part convenue de la réalité, toujours la même, le petit monde interlope et maffieux : ce qu’une époque fait miroiter du ciel dans la flaque graisseuse de ses conventions ! Je veux savoir ce qu’ils perçoivent de l’immensité qui bruit autour d’eux. Et j’ai souvent peur du refus féroce qui règne aujourd’hui, à sortir du périmètre assigné, à honorer l’immensité du monde créé. Mais ce dont j’ai plus peur encore, c’est de ne pas assez aimer, de ne pas assez contaminer de ma passion de vivre tous ceux que je rencontre.
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"Les sept nuits de la reine" (Livre de Poche - Description)
Sept nuits, parce que c'est dans l'obscur, l'intime, l'inconnaissable que réside la vérité de ce que nous sommes, et non dans les rôles sociaux et les évidences quotidiennes. Sept nuits, parce que les moments qui tissent notre destin - l'amour, la perte d'un être cher, une révélation sur notre origine - ne sont peut-être pas plus nombreux. Sept nuits, comme un reflet inverse des sept jours de la Création. Et à travers ces sept nuits, la romancière de "La Mort viennoise" (prix des Libraires 1978) fait surgir un inoubliable visage de femme. Voilà comment parle Livia - Christiane Singer - dont nous savions à quelle hauteur elle vivait, mais jamais sans doute, malgré ses succès passés, elle n'avait écrit de si belles pages, si profondes et si chaleureuses dans ce livre que vous devez lire absolument et qui ne vous quittera jamais.
La Pierre du Soleil (Musée National d’Anthropologie – Mexico) – Crédit Wikimedia
Touchante histoire que celle de Teculihuatzin, princesse maya du Mexique du XVIème siècle, la Reine Indienne : par amour, mais sans doute aussi par calcul politique, elle se convertit au catholicisme et prend alors le nom de Doña Luisa en devenant l’épouse du chef militaire Don Pedro de Alvarado dont elle attend qu’il l’intègre à la culture espagnole qu’elle juge supérieure à la sienne.
Se rendant ainsi complice de l’œuvre de conquête des troupes commandées par son époux, elle espère pouvoir atténuer la barbarie impitoyable des traitements infligés à son peuple.
Mais aucune de ses sincères espérances, amoureuse ou politique, ne connaîtra mieux que la trahison.
There’s joy in my grief and there’s freedom in chains.
Henry Purcell (1659-1695)
Émouvante Reine Indienne !
Héroïne de l’opéra que Purcell laisse inachevé à sa mort en 1695 et que Peter Sellars, metteur en scène de génie, fait remonter sur les tréteaux 320 années plus tard, pour lui offrir une histoire bien moins sucrée que celle proposée par le livret initial, le revisitant profondément et le modernisant. Complétant la partition originale du Maître anglais par d’autres mélodies empruntées à d’autres œuvres de sa composition, et clairsemant l’opéra nouveau de larges citations d’une romancière nicaraguayenne de notre temps.
Il « automne » beau dans le cœur saturnien de cette Indian Queen qui prend les traits et la voix de Julia Bullock.
Acte III – Scène 8 (Teculihuatzin/Dona Luisa : chez le chaman) « I attempt from love’s sickness to fly in vain » (Je tente en vain d’échapper aux maux de l’amour…)
Acte IV – Scène 2 (Dona Luisa & Chœurs) « They tell us that your mighty powers above » (On nous dit que vous, puissants pouvoirs célestes…)
On nous dit que vous, puissants pouvoirs célestes, Savez rendre parfaits vos joies et vos plaisirs par l’amour. Ah ! Comment pouvez-vous accepter les délices d’en haut Et infliger au pauvre amoureux de tels tourments ici-bas ?
Et pourtant, bien que je souffre tant pour ma passion Mon amour restera, comme le vôtre, constant et pur. Souffrir pour lui apaise mes tourments ; Il y a de la joie dans mon chagrin, et de la liberté dans mes chaînes.
Même si j’étais d’essence divine, il ne pourrait m’aimer davantage, Et moi, en retour, j’adore mon adorateur. Ô, de sa chère vie, dieux cléments, prenez donc soin, Car je n’ai pas d’autre part à votre bénédiction.
They tell us that your mighty powers above
Make perfect your joys and your blessings by Love.
Ah! Why do you suffer the blessing that’s there
To give a poor lover such sad torments here?
.
Yet though for my passion such grief I endure,
My love shall like yours still be constant and pure.
To suffer for him gives an ease to my pains
There’s joy in my grief and there’s freedom in chains;
.
If I were divine he could love me no more
And I in return my adorer adore
O let his dear life the, kind Gods, be your care
For I in your blessings have no other share.
Cette Indian Queen singulière possède une indéniable puissance d'esprit et de manière, croisant les continents et les époques presque à la façon de Terra nostra de Fuentes. La partition inachevée de Purcell (1695), composée d'après la pièce de Sir Robert Howard et John Dryden (1664), se mêle à des extraits déclamés de "La Niña blanca y los pájaros sin pies" de la romancière nicaraguayenne Rosario Aguilar (1992).
La Restauration anglaise de 1660, qui ré-ouvrait les théâtres après leur interdiction par le Puritain Cromwell, rencontre ainsi le récit de la Conquista et interroge ces « Indes » dont les saveurs avaient pénétré Londres mais cachaient derrière leur exotisme la fin d'un monde. Sellars vous invite donc à une nouvelle histoire bien différente de l'aimable fantaisie imaginée par Dryden : une partition enrichie d'autres pages de Purcell, une expérience scénique où les souples chorégraphies de Christopher Williams habitent les fresques fauves de l'artiste de rue chicano Gronk, couleurs jaillissantes et totémiques qui semblent braver un demi-millénaire d'impérialisme politique, culturel et intellectuel, jusqu'à un finale rouge sang - auquel fera écho la chemise de Sellars lors de saluts joyeux.
Extrait de l'article de Chantal Cazaux publié le 11/03/2016 dans Avant Scène Opéra
Et quelques mots de Peter Sellars lui-même (en anglais) :
« Pour faire des poèmes On ne boit pas de l’eau… »
L’absinthe
(Barbara – F. Botton 1972)
Ils buvaient de l’absinthe, Comme on boirait de l’eau, L’ un s’appelait Verlaine, L’ autre, c’était Rimbaud, Pour faire des poèmes, On ne boit pas de l’eau, Toi, tu n’es pas Verlaine, Toi, tu n’es pas Rimbaud, Mais quand tu dis « je t’aime », Oh mon dieu, que c’est beau, Bien plus beau qu’un poème, De Verlaine ou Rimbaud,
Pourtant que j’aime entendre, Encore et puis encore, La chanson des amours, Quand il pleut sur la ville, La chanson des amours, Quand il pleut dans mon cœur, Et qu’on a l’âme grise, Et que les violons pleurent. Pourtant, je veux l’entendre, Encore et puis encore, Tu sais qu’elle m’enivre, La chanson de ceux-là, Qui s’ aiment et qui en meurent, Et si j’ai l’ âme grise, Tu sécheras mes pleurs.
Ils buvaient de l’absinthe, Comme l’on boit de l’eau, Mais l’un, c’était Verlaine, L’autre, c’était Rimbaud. Pour faire des poèmes, On ne boit pas de l’eau, Aujourd’hui, les « je t’aime », S’écrivent en deux mots, Finis, les longs poèmes, La musique des mots, Dont se grisait Verlaine, Dont se saoulait Rimbaud.
Car je voudrais connaître, Ces alcools blonds dorés,
Qui leur grisaient le cœur, Et qui saoulaient leur peine. Oh, fais-les-moi connaître, Ces alcools de pur or, Qui nous grisent le cœur, Et coulent dans nos veines, Et verse-m’en à boire, Encore et puis encore. Voilà que je m’ enivre, Je suis ton bateau ivre, Avec toi, je dérive.
Et j’aime et puis j’en meurs, Les vapeurs de l’ absinthe, Qui m’embrûlent le cœur ; Je vois des fleurs qui grimpent, Au velours des rideaux, Quelle est donc cette plainte, Lourde comme un sanglot ? Ce sont eux qui reviennent, Encore et puis encore ; Au vent glacé d’hiver, Entends-les qui se traînent, Les pendus de Verlaine, Les noyés de Rimbaud, Que la mort a figés, Aux eaux noires de la Seine. J’ai mal de les entendre, Encore et puis encore. Oh, que ce bateau ivre, Nous mène à la dérive, Qu’il sombre au fond des eaux, Et qu’avec toi, je meure !
On a bu de l’absinthe, Comme on boirait de l’ eau, Et je t’aime, je t’aime, Oh mon dieu, que c’est beau ! Bien plus beau qu’un poème, De Verlaine ou Rimbaud…
Ce billet est paru en version audio sur « Perles d’Orphée » le 9/02/2013
La passion amène la souffrance… Quelle puissance calmera le cœur oppressé qui a tout perdu ? Où sont les heures si vite envolées ? Vainement tu avais eu en partage le sort le plus beau : ton âme est troublée, ta résolution confuse. Ce monde sublime, comme il échappe à tes sens !
Soudain s’élève et se balance une musique aux ailes d’ange ; elle entremêle des mélodies sans nombre, pour pénétrer le cœur de l’homme, pour le remplir de l’éternelle beauté : les yeux se mouillent ; ils sentent, dans une plus haute aspiration, le mérite divin des chants comme des larmes.
Et le cœur, ainsi soulagé, s’aperçoit bientôt qu’il vit encore, qu’il bat, et voudrait battre, pour se donner lui-même, à son tour, avec joie, en pure reconnaissance de cette magnifique largesse. Alors se fit sentir – oh ! que ce fût pour jamais ! la double ivresse de la mélodie et de l’amour.
Goethe à l’âge de 78 ans – Aquarelle de Josef Karl Stieler
Johann Wolfgang Goethe (1749-1832)
In « Trilogie de la passion » – 1827
(Traduit de l’allemand par Jacques Porchiat)
C'est à Marienbad, en 1821, que Goethe, alors âgé de 72 ans, connaît sa dernière grande passion amoureuse. Il vient de faire la rencontre d'une jeune soprano de 17 ans, Ulrike von Levetzow, et en tombe éperdument amoureux.
Deux années plus tard, le refus des parents de la jeune fille de lui accorder sa main plonge le grand écrivain dans une profonde mélancolie qui lui inspirera de merveilleux poèmes, et en particulier l'un de ses plus beaux, l'"Élégie de Marienbad".
Pendant l'été 1823, alors qu'il se réfugie plus que jamais dans la musique, il est infiniment séduit par le jeu engagé et virtuose de la pianiste polonaise Maria Szymanowska (qui ne sera pas étrangère au style brillant de Chopin).
Quelques jours après le récital, il lui envoie ce poème, "Réconciliation", très empreint encore de ses ressentis amoureux, pour la remercier des vives émotions que sa musique a attisées en lui.
∑
Irina Lankova joue « Élégie » Opus 3 – N°1 de Sergueï Rachmaninov :
Sergueï Rachmaninov en 1892
Cette "Élégie" fait partie des cinq "Morceaux de fantaisie", opus 3, que Rachmaninov compose en 1892, à l'âge de 19 ans.Dès son ouverture, cette pièce exprime, une profonde et bouleversante mélancolie qui, en se développant, gagne en intensité et en beauté.
Chaleureuse, une réconfortante mélodie vient alors éclairer d'un bref trait d'espérance son ténébreux chemin.
Mais la musique retourne à la gravité de sa méditation et s'estompe jusqu'à s'éteindre presque, avant que ne réapparaisse, encore plus triste et plus émouvant, le premier thème.
Elle se cabre enfin dans une ultime convulsion puis se résigne à abandonner les harmonies des derniers accords aux ombres chères de la nuit qui marche.
Si l’on me donnait le choix entre la beauté et la douceur d’une femme, je préfèrerais la seconde, mais que j’aimerais tant avoir l’une et l’autre réunies !
Sylvain Maréchal – Le dictionnaire d’amour (1788)
∴
Oyez, oyez, braves gens,
tendres damoiselles et nobles damoiseaux,
dames de cour et preux chevaliers !
Dans cette modeste chapelle,
pas de chapelet, point de missel.
Des tréteaux pour les baladins,
les chanteurs et les comédiens.
Du rire, de l’amour et des larmes,
des passions et surtout du charme !
Venez entendre la triste histoire,
venez écouter les déboires,
de Cecilia, la soprano
tant éprise de Peppino
si injustement enfermé,
prête à tout pour sauver l’aimé.
Entrez, laissez-vous enchanter
par Francesca Aspromonte !
La Canzone di Cecilia Ensemble « Cappella Mediterranea » dirigé par Leonardo García Alarcón
Extrait de Amore Siciliano enregistré à Ambronay le 12 septembre 2014
Comment, sans une dose certaine d’exagération, une pincée d’outrance, et un zeste d’angélisme, mes vœux pour ce début d’année résisteraient-ils à l’inéluctable érosion que ne manqueront pas d’infliger à leur réalisation les onze mois qui les suivent ? Aucun excès, en tout cas, ne saurait retrancher la moindre fraction à la sincérité qui les inspire.
Alors :
Ψ – Puissions-nous entonner chaque jour de notre nouvelle année, avec le même enthousiasme et le même gracieux sourire que ceux qu’affiche ici la très british Carolyn Sampson interprétant Sémélé, ce chant réjoui :
« Oh extase du bonheur…! »
— Et avec la même voix peut-être, qui sait ?… « Exagération », disions-nous ?
Et si, ce faisant, nous menaçaient de trop près les vanités du Narcisse, qu’un trait d’humour, aussitôt, vienne en chasser l’écho, fussions-nous, comme Sémélé elle-même, fille d’Harmonie, mère de Dionysos, et amante de Jupiter. (Quel C.V. !)
Aimons-nous donc nous-mêmes, nous n’en aimerons que mieux ceux qui nous entourent ! Mais gardons-nous de laisser le tain de notre miroir occulter l’issue de notre prison !
Haendel – SÉMÉLÉ – Acte III – Scène 3
Recitative
Oh, ecstasy of happiness! Celestial graces I discover in each feature!
Air
Myself I shall adore, If I persist in gazing. No object sure before Was ever half so pleasing. Myself. . . da capo
• • •
Récitatif
Oh extase du bonheur, grâces célestes que je découvre dans chacun de mes traits !
Aria
Je m’adorerai moi-même si je continue à me regarder. Nul objet il est sûr à ce jour n’a atteint ne serait-ce que la moitié de cette beauté. Je m’adorerai… da Capo
§
Ψ – Puisse cette nouvelle année, Mesdames, accroître encore, selon vos souhaits légitimes, vos droits dans nos sociétés vieillissantes !
Puisse le Ciel — il n’y aura plus que lui pour cela — nous protéger, Messieurs les pauvres hommes, des éventuels abus auxquels elles pourraient, par vengeance, par sadisme ou tout simplement par plaisir, être tentées de nous exposer… !
Quelques cas sérieux ont déjà été recensés… et certains disent — mauvaises langues, évidemment — que nous y avons pris goût :
§
Ψ – Enfin, et surtout, puissions-nous tous, chacun à sa manière et avec ses moyens, propulser nos énergies personnelles dans la seule direction qui vaille : celle qui conduit à la PAIX ! Tenterons-nous la magique utopie d’utiliser tous la même boussole ?
Mais, convenons-en, les mots ne savent pas tout dire. Surtout si c’est au cœur que l’on s’adresse. Seule la musique connaît le langage subtil de l’intime, de l’immatériel, de l’éternel. Laissons-la donc, avec une suave élégance, offrir à nos âmes, pour les convaincre s’il en était besoin, un avant-goût du bonheur simple dont la paix est porteuse.
Bill Evans (piano) – « Peace piece » (enregistrée en concert en 1958)
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Merci à tous de venir fidèlement sur « Perles d’Orphée » et « De Braises et d’Ombre », depuis tant d’années maintenant, partager avec moi un regard, une larme ou un sourire. Quel bel honneur vous me faites, quel formidable plaisir vous m’offrez, en ajoutant chaque jour un maillon nouveau à cette chaîne de l’émotion dont je ne pouvais imaginer en la créant qu’elle grandirait ainsi.
Pour moi voici quel est mon mot
Et sur le mot et sur la chose :
J’avouerai que j’aime le mot
J’avouerai que j’aime la chose
Mais c’est la chose avec le mot
Mais c’est le mot avec la chose
Autrement la chose et le mot
A mes yeux seraient peu de chose.
Abbé de LATTAIGNANT (1697-1779)
« Le mot et la chose » (extrait)
— La chose, la bagatelle, la petite affaire, le plaisir partagé… comme qui dirait l’amour, quoi ! Tu comprends ?
— Oui, mais voilà, c’est pas toujours le nirvana, le septième ciel, le pied, le « panard », le paroxysme de la joie, l’extase, la sublimation des sens, la béatitude des sommets… On a beau être entre adultes consentants, y a des cas où…
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy
L'oreille du taureau à la fenêtre De la maison sauvage où le soleil blessé Un soleil intérieur de terre Tentures du réveil les parois de la chambre Ont vaincu le sommeil Paul Eluard