‘Cette lenteur…’

L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente

Arthur Rimbaud – Le pont Mirabeau

C’est à pas lents et mesurés qu’il nous faut traverser les saisons de nos souvenirs pour ne surtout pas les déranger.
– Au rythme tendrement nostalgique du poème de Barbara Auzou :

Cette lenteur qu’on ne voit pas passer

parfois le souvenir s’étonne

d’avoir fait son temps

demain est arrivé avec cette lenteur

qu’on n’a pas vu passer

nous avons habité

cette géographie particulière

nous sentant blessés souvent en plein cœur

de ces envols dont nous n’étions pas

demeure dans la cour intérieure

la régulière scansion

de tout ce qui s’est blotti

demeure ce champ de luttes et de caresses

derrière les volets

le sel de la durée sur les pierres parentes

et l’amour n’était pas ce que nous en savions

vois comme il s’émerveille toujours

de la somme de nos résistances

vois comme il reste curieux de tous les voyages

épouse ensemble le vaste et le profond

l’artère qui remonte jusqu’à notre maison

laisse doucement se recomposer le rond

tremblant d’une totalité

s’y pose un jour un oiseau venu nous assurer

du parallèle de nos saisons

Barbara Auzou

 

 

 

‘En rade’

La poésie ne doit pas périr. Car alors, où serait l’espoir du monde ?

Léopold Sédar Senghor

Je ne puis voir la mer sans rêver de voyages.
Le soir se fait, un soir ami du paysage,
Où les bateaux, sur le sable du port,
En attendant le flux prochain, dorment encor.

Émile Verhaeren – Les Forces tumultueuses

En rade

J’ai longtemps cru que les bateaux voguaient par deux

mais il en est qui dorment seuls
dans le fond des estuaires

Ce n’est ni le froid ni la rouille qui les tourmentent
mais la peur d’être ensablé
sans pouvoir s’entendre dire
Ne t’inquiète pas je vais te tirer de là

Ce qui les tourmente
c’est le silence des marées quand le cœur démâte
le poids de leur propre corps cloué au sol
   quand l’eau se retire

Ce qui les effraie
c’est la nuit qui tombe
l’ombre qui boit la lumière jusqu’à la lie du jour
la crainte d’être mis au rebut pour le reste de la vie

J’ai longtemps cru que les bateaux voguaient par deux

Et je le crois encore
quand un sourire ouvre à marée haute
la longue route des promesses

Bruno Doucey       (écrivain, poète et éditeur)

 

Ceux qui se taisent – Éditions Bruno Doucey, 2016

Excès d’impressions

Les hommes doués d’une sensibilité excessive, jouissent plus et souffrent plus que les natures moyennes et modérées.
J’ai participé à ces excès d’impressions, dans la mesure de mon organisation.
Ceux qui sentent plus, expriment plus aussi. Ils sont éloquents, ou poètes.
Leurs organes paraissent faits d’une matière plus fragile mais plus sonore que le reste de l’argile humaine.
Les coups que la douleur y frappe y résonnent et propagent leurs vibrations dans l’âme des autres.
La vie du vulgaire est un vague et sourd murmure du cœur.
La vie des hommes sensibles est un cri.
La vie du poète est un chant.

A. De Lamartine 1790-1869

Tu verras, le jour se lève encore !

Quand tu n’y crois plus, que tout est perdu
Quand trompé, déçu, meurtri
Quand assis par terre, plus rien pouvoir faire…

Le jour se lève encore (1993)

Quand tu n’y crois plus, que tout est perdu
Quand trompé, déçu, meurtri
Quand assis par terre, plus rien pouvoir faire
Tout seul, dans ton désert
Quand mal, trop mal, on marche à genoux
Quand sourds les hommes n’entendent plus le cri des hommes

Tu verras, l’aube revient quand même
Tu verras, le jour se lève encore
Même si tu ne crois plus à l’aurore
Tu verras, le jour se lève encore

Quand la terre saigne ses blessures
Sous l’avion qui crache la mort
Quand l’homme chacal tire à bout portant
Sur l’enfant qui rêve, ou qui dort
Quand mal, trop mal, tu voudrais larguer
Larguer, tout larguer
Quand la folie des hommes nous mène à l’horreur
Nous mène au dégoût

N’oublie pas, l’aube revient quand même
Et même pâle, le jour se lève encore
Étonné, on reprend le corps à corps
Allons-y puisque le jour se lève encore

Suivons les rivières, gardons les torrents
Restons en colère, soyons vigilants
Même si tout semble fini
N’oublions jamais qu’au bout d’une nuit
Qu’au bout de la nuit, qu’au bout de la nuit

Doucement, l’aube revient quand même
Même pâle, le jour se lève encore

Tu verras
Étonné, on reprend le corps à corps
Continue, le soleil se lève encore
Tu verras, le jour se lève encore…
Tu verras…

Même si…

Encore…

Barbara 1930-1997

‘Le vent’

– C’était un rêve, hélas ! – Non, c’était moi, le vent !

LE VENT

Je suis le vent joyeux, le rapide fantôme
Au visage de sable, au manteau de soleil.
Quelquefois je m’ennuie en mon lointain royaume ;
Alors je vais frôler du bout de mon orteil
Le maussade océan plongé dans le sommeil.
Le vieillard aussitôt se réveille et s’étire
Et maudit sourdement le moqueur éternel
L’insoucieux passant qui lui souffle son rire
Dans ses yeux obscurcis par les larmes de sel.
À me voir si pressé, l’on me croirait mortel :
Je déchaîne les flots et je plonge ma tête
Chaude encor de soleil dans le sombre élément
Et j’enlace en riant ma fille la tempête ;
Puis je fuis. L’eau soupire avec étonnement :
— C’était un rêve, hélas ! — Non, c’était moi, le Vent !
Ici le golfe invite et cependant je passe ;
Là-bas la grotte implore et je fuis son repos ;
Mais, poète ! comment ne pas aimer l’espace,
L’inlassable fuyard qu’on ne voit que de dos
Et qui fait écumer nos sauvages chevaux !
Il n’est rien ici-bas qui vaille qu’on s’arrête
Et c’est pourquoi je suis le vent dans les déserts
Et le vent dans ton cœur et le vent dans ta tête ;
Sens-tu comme je cours dans le bruit de tes vers
Emportant tes désirs et tes regrets amers ?
Les amours, les devoirs, les lois, les habitudes
Sont autant de geôliers ! Avec moi viens errer
À travers les Saanas des chastes solitudes !
Viens, suis-moi sur la mer, car je te veux montrer
Des ciels si beaux, si beaux qu’ils te feront pleurer
Et des morts apaisés sur la mer caressante
Et des îles d’amour dont le rivage pur
Est comme le sommeil d’un corps d’adolescente
Et des filles qui sont comme le maïs mûr
Et de mystiques tours qui chantent dans l’azur.
Tu n’interrompras point cette course farouche ;
Tu fuiras avec moi sans t’arrêter jamais ;
La vie est une fleur qui meurt dès qu’on la touche
Et ceux-là seuls, hélas, sont les vrais bien-aimés
Qui se fanent trop tôt sous nos regards charmés.
Ici j’éteins le ciel, plus loin je le rallume ;
Quand ce monde d’une heure a perdu son attrait
Je souffle : le réel s’envole avec la brume
Et voici qu’à tes yeux éblouis apparaît
L’arc-en-ciel frais éclos sur la jeune forêt !
— Un jour tu me crieras : « Je suis las de ce monde
Qui meurt et qui renaît ; je voudrais sur le sein
De quelque noble vierge apaisante et féconde
Endormir pour longtemps le stérile chagrin
De ce cœur enivré de tempête et de vin ! »
Alors je soufflerai, rieur, sur ton visage
Du pur soleil d’automne et sur l’esquif errant
Le frisson vaporeux des pourpres du naufrage ;
Et l’aube te verra dormir profondément
Sur le sein de la mer illuminé de vent !

Oscar Milosz 1877-1939

‘A une muse folle’

Apprenons à nous deux comme il est bon de vivre,
Faisons nos plus doux chants et notre plus beau livre,
Le livre que l’on n’écrit pas.

A une muse folle

Allons, insoucieuse, ô ma folle compagne,
Voici que l’hiver sombre attriste la campagne,
Rentrons fouler tous deux les splendides coussins ;
C’est le moment de voir le feu briller dans l’âtre ;
La bise vient ; j’ai peur de son baiser bleuâtre
Pour la peau blanche de tes seins.

Allons chercher tous deux la caresse frileuse.
Notre lit est couvert d’une étoffe moelleuse ;
Enroule ma pensée à tes muscles nerveux ;
Ma chère âme ! trésor de la race d’Hélène,
Verse autour de mon corps l’ambre de ton haleine
Et le manteau de tes cheveux.

Que me fait cette glace aux brillantes arêtes,
Cette neige éternelle utile à maints poètes
Et ce vieil ouragan au blasphème hagard ?
Moi, j’aurai l’ouragan dans l’onde où tu te joues,
La glace dans ton cœur, la neige sur tes joues,
Et l’arc-en-ciel dans ton regard.

Il faudrait n’avoir pas de bonnes chambres closes,
Pour chercher en janvier des strophes et des roses.
Les vers en ce temps-là sont de méchants fardeaux.
Si nous ne trouvons plus les roses que tu sèmes,
Au lieu d’user nos voix à chanter des poèmes,
Nous en ferons sous les rideaux.

Tandis que la Naïade interrompt son murmure
Et que ses tristes flots lui prêtent pour armure
Leurs glaçons transparents faits de cristal ouvré,
Échevelés tous deux sur la couche défaite,
Nous puiserons les vins, pleurs du soleil en fête,
Dans un grand cratère doré.

À nous les arbres morts luttant avec la flamme,
Les tapis variés qui réjouissent l’âme,
Et les divans, profonds à nous anéantir !
Nous nous préserverons de toute rude atteinte
Sous des voiles épais de pourpre trois fois teinte
Que signerait l’ancienne Tyr.

À nous les lambris d’or illuminant les salles,
À nous les contes bleus des nuits orientales,
Caprices pailletés que l’on brode en fumant,
Et le loisir sans fin des molles cigarettes
Que le feu caressant pare de collerettes
Où brille un rouge diamant !

Ainsi pour de longs jours suspendons notre lyre ;
Aimons-nous ; oublions que nous avons su lire !
Que le vieux goût romain préside à nos repas !
Apprenons à nous deux comme il est bon de vivre,
Faisons nos plus doux chants et notre plus beau livre,
Le livre que l’on n’écrit pas.

Tressaille mollement sous la main qui te flatte.
Quand le tendre lilas, le vert et l’écarlate,
L’azur délicieux, l’ivoire aux fiers dédains,
Le jaune fleur de soufre aimé de Véronèse
Et le rose du feu qui rougit la fournaise
Éclateront sur les jardins,

Nous irons découvrir aussi notre Amérique !
L’Eldorado rêvé, le pays chimérique
Où l’Ondine aux yeux bleus sort du lac en songeant,
Où pour Titania la perle noire abonde,
Où près d’Hérodiade avec la fée Habonde
Chasse Diane au front d’argent !

Mais pour l’heure qu’il est, sur nos vitres gothiques
Brillent des fleurs de givre et des lys fantastiques ;
Tu soupires des mots qui ne sont pas des chants,
Et tes beaux seins polis, plus blancs que deux étoiles,
Ont l’air, à la façon dont ils tordent leurs voiles,
De vouloir s’en aller aux champs.

Donc, fais la révérence au lecteur qui savoure
Peut-être avec plaisir, mais non pas sans bravoure,
Tes délires de Muse et mes rêves de fou,
Et, comme en te courbant dans un adieu suprême,
Jette-lui, si tu veux, pour ton meilleur poème,
Tes bras de femme autour du cou !

Théodore de Banville 1823-1891

 

In Les Cariatides (1842)

« Le désir de peindre »

L’amour est comme un peintre qui oublierait – chaque matin, dans son atelier – la vieille histoire du monde, pour saisir une fleur éternelle dans le tremblé de l’air.

Christian Bobin
in ‘Lettres d’or’ 

« Le désir de peindre »

Illustrations : Portraits du Fayoum

Malheureux peut-être l’homme, mais heureux l’artiste que le désir déchire!

   Je brûle de peindre celle qui m’est apparue si rarement et qui a fui si vite, comme une belle chose regrettable derrière le voyageur emporté dans la nuit. Comme il y a longtemps déjà qu’elle a disparu !

   Elle est belle, et plus que belle ; elle est surprenante. En elle le noir abonde : et tout ce qu’elle inspire est nocturne et profond. Ses yeux sont deux antres où scintille vaguement le mystère, et son regard illumine comme l’éclair: c’est une explosion dans les ténèbres.

   Je la comparerais à un soleil noir, si l’on pouvait concevoir un astre noir versant la lumière et le bonheur. Mais elle fait plus volontiers penser à la lune, qui sans doute l’a marquée de sa redoutable influence ; non pas la lune blanche des idylles, qui ressemble à une froide mariée, mais la lune sinistre et enivrante, suspendue au fond d’une nuit orageuse et bousculée par les nuées qui courent ; non pas la lune paisible et discrète visitant le sommeil des hommes purs, mais la lune arrachée du ciel, vaincue et révoltée, que les Sorcières thessaliennes contraignent durement à danser sur l’herbe terrifiée !

   Dans son petit front habitent la volonté tenace et l’amour de la proie. Cependant, au bas de ce visage inquiétant, où des narines mobiles aspirent l’inconnu et l’impossible, éclate, avec une grâce inexprimable, le rire d’une grande bouche, rouge et blanche, et délicieuse, qui fait rêver au miracle d’une superbe fleur éclose dans un terrain volcanique.

   Il y a des femmes qui inspirent l’envie de les vaincre et de jouir d’elles ; mais celle-ci donne le désir de mourir lentement sous son regard.

Charles Baudelaire 1821-1867

 

 « Petits poèmes en prose » – XXXVI

‘Tes mots…’

Tout est bien !

Tes mots sont ma maison, j’y entre. Tu as posé le café sur la table et le pain pour ma bouche. Je vois des fleurs dans la lumière bleue, ou verte. C’est exactement le paysage que j’aime, il a le visage de ta voix.

La pluie rince finement une joie tranquille. Aucune barrière, aucune pièce vide. Désormais tout s’écrit en silence habité. De cette plénitude, je parcours la détermination des choses.

L’arbre porte fièrement ses cerises comme une belle ouvrage. Il installe une trêve dans l’interstice des branches. Pas de passion tapageuse mais la rondeur du rouge. Un éclat. Des fleurs, encore lasses d’hiver, se sont maquillées depuis peu. Le soleil astique le cuivre des terres. Peut-on apprendre à reconnaitre l’existence ?

La rivière miraculeusement pleine, inonde son layon. La carriole du plaisir est de passage. Des oiseaux aux poissons, les rêves quotidiens font bonne mesure. Tout est bien.

 

« Un cahier ordinaire » – Éditions Chemin de plume

‘Le Clown’

Bobèche, adieu ! bonsoir, Paillasse ! arrière, Gille !
Place, bouffons vieillis, au parfait plaisantin,
Place ! très grave, très discret et très hautain,
Voici venir le maître à tous, le clown agile.

Plus souple qu’Arlequin et plus brave qu’Achille,
C’est bien lui, dans sa blanche armure de satin ;
Vides et clairs ainsi que des miroirs sans tain,
Ses yeux ne vivent pas dans son masque d’argile.

Ils luisent bleus parmi le fard et les onguents,
Cependant que la tête et le buste, élégants,
Se balancent sur l’arc paradoxal des jambes.

Puis il sourit. Autour le peuple bête et laid,
La canaille puante et sainte des Iambes,
Acclame l’histrion sinistre qui la hait.

Paul Verlaine 1844-1896

 

 

in « Jadis et Naguère » (1884)

‘L’alphabet de la mort’

Oui la fraternité au cœur.
Celui qui nous a quittés à trente-et-un ans est notre frère pour l’éternité. Sa poésie est une source pure ; elle est à la source de nos propres chants. C’est bien en nous abreuvant à ces vers inimitables qu’un jour nous avons osé faire entendre ce qui jaillissait de nos entrailles.

François Cheng
(En écho au livre de Jean Lavoué : « René Guy Cadou, La fraternité au cœur » – Éditions L’enfance des arbres, 2019)

L’alphabet de la mort

O mort parle plus bas on pourrait nous entendre
Approche-toi encore et parle avec les doigts
Le geste que tu fais dénoue les liens de cendres
Et ces larmes qui font la force de ma voix

Je te reconnais bien. C’est ton même langage
Les mains que tu croisais sur le front de mon père
Pour toi j’ai délaissé les riches équipages
Et les grands chemins bleus sur le versant des mers.

Nous allons enlacés dans les brumes d’automne
Au fond des rues éteintes où tourne le poignard
Et jusqu’aux étangs noirs où ne viendra personne
O mort pressons le pas le ciel est en retard

C’est à tous les amis que j’offre ma poitrine
A tous ceux qui font l’air et la bonne chaleur
Après ça laissez-moi rouler sous les collines
L’ombre des animaux ne m’a jamais fait peur.

Flamme qui me retiens je souffle ta lumière
Et ces joues colorées qui rallument ma faim
Je glisse lentement. c’est assez douces pierres
Soulevez mes poumons que je respire enfin.

René-Guy Cadou – 1920-1951

 

 

in « Bruits du cœur » (1941)

La Paix

Sabine Sicaud 1913-1928

Elle n’est encore qu’un petit poupon dans son berceau quand éclate la Grande Guerre. Elle ne connaîtra pas longtemps la période de paix qui succèdera aux horreurs des boucheries humaines : la maladie et les affres de la souffrance qu’elle engendre auront raison de sa propre lutte pour la vie dans sa quinzième année.
Sabine Sicaud nous aura légué, il y a près de cent ans, un capital de poésies – petit par le nombre, certes, et pour cause… –, mais immense par l’humanité et la sensibilité qu’elle y exprime avec tant d’élégance et de courage.

Je dédie la publication de cette vidéo très personnelle à tous ceux qui frémissent de bonheur immédiat, d’angoisse rétrospective et d’effroi par anticipation, quand ils entendent le mot

« PAIX »

Musique : Bill Evans (piano) – « Peace piece »

La paix

Comment je l’imagine ?
Eh bien, je ne sais pas…
Peut-être enfant, très blonde, et tenant dans ses bras
Des branches de glycine ?

Peut-être plus petite encore, ne sachant
Que sourire et jaser dans un berceau penchant
Sous les doigts d’une vieille femme qui fredonne…

Parfois, je la crois vieille aussi… Belle, pourtant,
De la beauté de ces Madones
Qu’on voit dans les vitraux anciens. Longtemps –
Bien avant les vitraux – elle fut ce visage
Incliné sur la source, en un bleu paysage
Où les dieux grecs jouaient de la lyre, le soir.

Mais à peine un moment venait-elle s’asseoir
Au pied des oliviers, parmi les violettes.
Bellone avait tendu son arc… Il fallait fuir.
Elle a tant fui, la douce forme qu’on n’arrête
Que pour la menacer encore et la trahir !

Depuis que la terre est la terre
Elle fuit… Je la crois donc vieille et n’ose plus
Toucher au voile qui lui prête son mystère.
Est-elle humaine ? J’ai voulu
Voir un enfant aux prunelles si tendres !

Où ? Quand ? Sur quel chemin faut-il l’attendre
Et sous quels traits la reconnaîtront-ils
Ceux qui, depuis toujours, l’habillent de leur rêve ?
Est-elle dans le bleu de ce jour qui s’achève
Ou dans l’aube du rose avril ?

Écartant les blés mûrs, paysanne aux mains brunes
Sourit-elle au soldat blessé ?
Comment la voyez-vous, pauvres gens harassés,
Vous, mères qui pleurez, et vous, pêcheurs de lune ?

Est-elle retournée aux Bois sacrés,
Aux missels fleuris de légendes ?
Dort-elle, vieux Corot, dans les brouillards dorés ?
Dans les tiens, couleur de lavande,
Doux Puvis de Chavannes ? dans les tiens,
Peintre des Songes gris, mystérieux Carrière ?
Ou s’épanouit-elle, Henri Martin, dans ta lumière ?

Et puis, je me souviens…
Un son de flûte pur, si frais, aérien,
Parmi les accords lents et graves ; la sourdine
De bourdonnants violoncelles vous berçant
Comme un océan calme ; une cloche passant,
Un chant d’oiseau, la Musique divine,
Cette musique d’une flotte qui jouait,
Une nuit, dans le chaud silence d’une ville ;
Mozart te donnant sa grande âme, paix fragile…

Je me souviens… Mais c’est peut-être, au fond, qui sait ?
Bien plus simple… Et c’est toi qui la connais,
Sans t’en douter, vieil homme en houppelande,
Vieux berger des sentiers blonds de genêts,
Cette paix des monts solitaires et des landes,
La paix qui n’a besoin que d’un grillon pour s’exprimer.

Au loin, la lueur d’une lampe ou d’une étoile ;
Devant la porte, un peu d’air embaumé…
Comme c’est simple, vois ! Qui parlait de tes voiles
Et pourquoi tant de mots pour te décrire ? Vois,
Qu’importent les images : maison blanche,
Oasis, arc-en-ciel, angélus, bleus dimanches !
Qu’importe la façon dont chacun porte en soi,
Même sans le savoir, ton reflet qui l’apaise,
Douceur promise aux cœurs de bonne volonté…

Ah ! tant de verbes, d’adjectifs, de périphrases !
– Moi qui la sens parfois, dans le jardin, l’été,
Si près de se laisser convaincre et de rester
Quand les hommes se taisent…

Sabine Sicaud, Poème d’enfant, 1926

Mais vieillir… ! – 9 – ‘Hier c’est la jeunesse…’

Vieillir c’est organiser sa jeunesse au cours des ans.

Paul Eluard – Poésie ininterrompue

Poésie ininterrompue – extrait –

Hier c’est la jeunesse hier c’est la promesse

Pour qu’un seul baiser la retienne
Pour que l’entoure le plaisir
Comme un été blanc bleu et blanc
Pour qu’il lui soit règle d’or pur
Pour que sa gorge bouge douce
Sous la chaleur tirant la chair
Vers une caresse infinie
Pour qu’elle soit comme une plaine
Nue et visible de partout
Pour qu’elle soit comme une pluie
Miraculeuse sans nuage
Comme une pluie entre deux feux
Comme une larme entre deux rires
Pour qu’elle soit neige bénie
Sous l’aile tiède d’un oiseau
Lorsque le sang coule plus vite
Dans les veines du vent nouveau
Pour que ses paupières ouvertes
Approfondissent la lumière
Parfum total à son image
Pour que sa bouche et le silence
Intelligibles se comprennent
Pour que ses mains posent leur paume
Sur chaque tête qui s’éveille
Pour que les lignes de ses mains
Se continuent dans d’autres mains
Distances à passer le temps

Je fortifierai mon délire

Paul Eluard – recueil paru en 1946 et 1949

Quand Orphée chantait…

« Il n’est Orphée que dans le chant. » *

Jacquesson de la Chevreuse – Orphée aux enfers (1863)
Musée des Augustins – Toulouse

Tandis qu’il unit ainsi, sa lyre aux accents de sa voix, les pâles ombres versent des larmes. Tantale cesse de poursuivre l’onde fugitive, la roue d’Ixion demeure immobile, les vautours ne déchirent plus les entrailles de Tityus, les filles de Bélus déposent leurs urnes, et toi, Sisyphe, tu t’assieds sur ton rocher. Alors, pour la première fois, des pleurs mouillèrent, dit-on, les joues des Euménides attendries par ses chants. Proserpine et le Dieu du sombre royaume ne peuvent résister à ses prières. Ils appellent Eurydice. Elle était parmi les ombres récemment descendues chez Pluton…

Ovide – « Les Métamorphoses »  Livre X
(Traduction française de Gros, refondue par M. Cabaret-Dupaty – 1866)

§

IVeme siecle – Peinture murale – Catacombes de Domitille, Rome

Quand cet homme fameux dont la Lyre et la voix
Attiraient après lui les Rochers et les Bois,
Suspendaient pour un temps le cours de la Nature,
Arrêtaient les Ruisseaux, empêchaient leur murmure,
Domptaient les Animaux d’un air impérieux,
Assuraient les craintifs, calmaient les furieux,
Et par une merveille inconnue à la Terre
Faisaient naître la paix où fut toujours la guerre.

[…]

Voilà comme en ce lieu de sauvages sujets
Se laissent captiver à d’aimables objets,
Et conservent entre eux un respect incroyable,
Ployant également sous un chant pitoyable
Et voilà comme Orphée allège un peu ses maux
Durant qu’il les partage à tous ces Animaux.

Tristan l’Hermite – « La Lyre » (1641) – Orphée
A Monsieur Berthod Ordinaire de la Musique du Roi

§

« When Orpheus sang » –  Henry Purcell
Lucile Richardot (mezzo-soprano) & Ensemble « Correspondances  »

Quand Orphée chantait, toute la Nature
se réjouissait, les collines et les chênes
se prosternaient au son de sa voix.
Au pied de leur musicien les lions se vautraient,
Et, charmés par l’écoute, les tigres en oubliaient leur proie.
Sa douce lyre savait attendrir l’impitoyable Pluton.
Le pouvoir de sa musique surpassait la puissance de Jupiter.

§

Franz von Stuck – 1891

Or, un arbre monta, pur élan, de lui-même.
Orphée chante ! Quel arbre dans l’oreille !
Et tout se tut. Mais ce silence était
lui-même un renouveau : signes, métamorphose…

Faits de silence, des animaux surgirent
des gîtes et des nids de la claire forêt.
Il apparut que ni la ruse ni la peur
ne les rendaient silencieux ; c’était

à force d’écouter. Bramer, hurler, rugir,
pour leur cœur c’eût été trop peu. Où tout à l’heure
une hutte offrait à peine un pauvre abri,

— refuge fait du plus obscur désir,
avec un seuil où tremblaient les portants, —
tu leur dressas des temples dans l’ouïe.

Rainer-Maria Rilke  – « Sonnets à Orphée » 1922
Traduction Maurice Betz (1942) – très proche ami  du poète

§

« J’ai perdu mon Eurydice » (Orphée et Eurydice – Gluck)
Juan Diego Florez (ténor) – The Royal Opera – automne 2015

§

* Il n’est Orphée que dans le chant, il ne peut avoir de rapport avec Eurydice qu’au sein de l’hymne, il n’a de vie et de vérité qu’après le poème et par lui, et Eurydice ne représente rien d’autre que cette dépendance magique qui hors du chant fait de lui une ombre et ne le rend libre, vivant et souverain que dans l’espace de la mesure orphique. Oui, cela est vrai : dans le chant seulement, Orphée a pouvoir sur Eurydice, mais, dans le chant aussi, Eurydice est déjà perdue et Orphée lui-même est dispersé, l’« infiniment mort » que la force du chant fait dès maintenant de lui.

Maurice Blanchot
in « L’espace littéraire » – V. L’inspiration – II. Le regard d’Orphée
(Gallimard – Folio essais – 1988)

Les eaux de mon été -9/ Hymne à la Mer

 Le spectacle de la mer fait toujours une impression profonde ; elle est l’image de cet infini qui attire sans cesse la pensée, et dans lequel sans cesse elle va se perdre.

Madame de Staël

[…]
Apaisé, je médite au bord du gouffre amer ;
J’aime ce bruit sauvage où l’infini commence ;
La nuit, j’entends les flots, les vents, les cieux, la mer ;
Je songe, évanoui dans cette plainte immense.

Victor Hugo – « Les quatre vents de l’esprit » XXXIII

Uehara KonenVague 1910

A tout seigneur tout honneur ! C’est donc à toi, Mer, et à toi seule, source originelle unique de toutes les eaux, que ce dernier billet de la série « Les eaux de mon été » se devait de rendre hommage.

Cette révérence, je la souhaitais d’abord littéraire et poétique, mais quels mots, parmi ceux de « quelques marins qui se sont mis à écrire et de quelques écrivains qui surent naviguer »*, aurais-je dû choisir pour dresser ton portrait que chaque instant métamorphose ? Ceux de Melville embarqué sur le Pequod… de Stevenson depuis le pont de l’Hispaniola… d’Hemingway aux prises avec son héroïque marlin… ? Peut-être les mots de Chateaubriand né sous le signe des tempêtes… de Joseph Conrad, éternel « exilé en plein océan »… de Pierre Loti, « pêcheur d’Islande »… ? Peut-être encore les vers d’Homère, ceux de Verhaeren, de Victor Hugo… ou enfin ceux, inoubliables, de ce « bateau ivre » qui « suivi[t], des mois pleins, pareille aux vacheries / Hystériques, la houle à l’assaut des récifs, / Sans songer que les pieds lumineux des Maries / Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs » ?

Les propositions étaient innombrables, Mer, – à la mesure de l’immense fascination que tu exerces. Alors j’ai simplement choisi d’emprunter à un jeune poète argentin, inconnu mais prometteur, ses premiers vers. Il te les avait dédiés dans un poème au titre sans équivoque : « Hymne à la Mer ». Quand il les écrit, en 1918, il a 19 ans, l’âge des enthousiasmes et des exaltations, un esprit envahi par le goût immodéré des mots, et la tête remplie d’une inépuisable imagination. Lire est pour lui une infinie passion. La poésie lui pend au cœur, et il déclame à loisir les « Feuilles d’herbe » de Walt Whitman. Forte est la tentation d’imiter le maître… Son nom ? Jorge-Luis Borges !

Et toi mer ! à toi aussi je m’abandonne, je devine tes intentions,

Je repère du rivage l’appel de tes doigts anguleux,

J’imagine que tu ne te résignes pas à repartir sans m’avoir touché,

Il faut que nous ayons une explication tous les deux, j’ôte mes

vêtements, vite ! j’échappe aux regards de la terre,

Coussine-moi doucement, balance-moi dans la torpeur de ton ressac,

Mouille-moi d’humidité amoureuse, je te paierai en retour.

Walt Whitman – « Feuilles d’Herbe » 22 – (Grasset – Les Cahiers Rouges — P. 55) Traduction : Jacques Darras

Couverture de la partition de La Mer– Claude Debussy – 1905

Je voulais également que cet hommage fût musical. Quelle musique alors pour accompagner ce poème enfiévré du jeune Borges, pour représenter les amplitudes de tes variations et mimer le souffle des vents qui te meuvent ? Les généreuses évocations de tes tempêtes par Vivaldi… ? Les allégories symphoniques qu’ont brossées de toi les grands compositeurs tels que Sibélius, Glazunov, Bax, Mendelssohn… ? Ou l’une des mille autres merveilleuses partitions, connues ou confidentielles, mais toutes imprégnées des frais bonheurs que tu sais nous offrir autant que des angoisses et des drames que tes flots nous infligent ? – J’ai même imaginé chanter cet Hymne depuis le fond d’une « Barque sur l’Océan » dont Ravel aurait tenu les rames. J’aurais décidément écouté, cet été comme jamais, mille et une représentations musicales des humeurs de tes eaux, ô Mer ensorcelante !

Aucune œuvre, cependant, autre que l’inégalable esquisse symphonique que te dédia Claude Debussy – « La Mer » -, en 1905, ne m’a semblé rentrer en aussi parfaite harmonie avec la houle lyrique et passionnée de ce poème de jeunesse. Et quel plaisir de confondre dans une même écume ces génies si différents venus d’horizons si divers…

Émile Nolde

Enfin fallait-il, pour que fût complète mon admirative évocation, que la couleur et les formes vinssent encore se mêler aux délices métaphoriques des mots et aux caresses polychromes des sons. Tes turbulences et tes éclats, à l’évidence, ont également inspiré des légions de peintres, et parmi eux les plus grands.

Alors, une fois encore, Mer infinie, me suis-je trouvé confronté à l’affreux plaisir du choix. Lequel de ces tableaux brossait-il de toi le profil que je choisirais pour répondre à ce vers ? Quel coloriste avait-il trouvé le ton juste à mes yeux qui me ferait décider de la concordance de telle toile avec le moment du poème ? La qualité d’un hommage, je le sais, est intimement liée aux choix ingrats de son auteur ; par chance, pas sa sincérité.

* Simon Leys – « La mer dans la littérature française » (Anthologie de Rabelais à Pierre Loti)

Voici donc, Mer obsédante, « Mer toujours recommencée », par ce très libre (et très imparfait) collage vidéo, mon hommage d’un été.

Hymne à la Mer

Pour Adriano del Valle

J’ai désiré un hymne à la Mer avec des rythmes amples comme les vagues qui crient ;
A la Mer quand le soleil tel un étendard écarlate dans ses eaux flamboie ;
A la Mer quand elle embrasse les seins dorés des plages vierges qui assoiffées attendent ;
A la Mer quand ses hordes hurlent, quand les vents lancent leurs blasphèmes,
Quand brillent dans ses eaux d’acier la lune brunie et sanglante ;
A la Mer quand sur elle verse sa tristesse sans fond
la coupe d’étoiles.

Aujourd’hui je suis descendu de la montagne à la vallée
et de la vallée jusqu’à la Mer.
Le chemin fut long comme un baiser.
Les amandiers lançaient des fuseaux bleutés d’ombre sur la
route et, à la fin de la vallée, le soleil
Cria des Golcondes vermeils sur ta glauque forêt : Abîme !
Frère, Père, Bien-aimé…!
J’entre dans le jardin énorme de tes eaux et je nage loin de la
terre.
Les vagues viennent, avec leurs fragiles cimiers d’écume
En fugue vers la catastrophe. Vers la côte,
avec leurs crêtes rouges,
avec leurs maisons géométriques,
avec leurs palmiers nains,
qui sont devenus absurdes et livides comme des souvenirs
figés !
Je suis avec toi, Mer ! Et mon corps tendu comme un arc
lutte contre tes muscles impétueux. Toi seule existes.
Mon âme rejette tout son passé
Comme un ciel arctique qui s’effeuille en flocons
errants !
Oh instant de plénitude magnifique ;
Avant de te connaître, Mer fraternelle,
j’ai longuement vagué dans d’errantes rues bleues aux
oriflammes de lanternes
Et dans la mi-nuit sacrée j’ai tissé des guirlandes
De baisers sur des chairs et des lèvres qui s’offraient,
Solennelles de silence,
Dans une floraison
Sanglante…

Mais aujourd’hui je fais don aux vents
de toutes ces choses révolues,
révolues… Toi seule existes.
Athlétique et nue. Seul ce souffle frais et ces vagues,
et les coupes d’azur, et le miracle des coupes d’azur.
( J’ai rêvé d’un hymne à la Mer avec des rythmes amples
comme les vagues haletantes.)
Je désire encor te créer un poème
Avec la cadence adamique de ta houle,
Avec ton souffle salin originel,
Avec le tonnerre des ancres sonores des Thulés ivres
de lumière et de lèpre,
Avec des cris de marins, des lumières et des échos
De crevasses abyssales
Où tes vives mains monacales constamment caressent les
morts…

Un hymne
Constellé d’images rouges luminescentes.
O Mer ! ô mythe ! ô soleil ! ô lit profond !
Et je ne sais pourquoi je t’aime. Je sais que nous sommes très vieux,
Que nous nous connaissons depuis des siècles tous les deux.
Je sais que dans tes eaux vénérables et riantes s’est embrasée
l’aurore de la vie.
(Dans la cendre d’un soir de fièvre j’ai dans ton sein vibré
pour la première fois.)
O Mer protéenne, je suis sorti de toi.
Tous les deux enchaînés et nomades ;
Tous les deux avec une soif intense d’étoiles ;
Tous les deux avec espoir et désillusions ;
Tous les deux air, lumière, force, ténèbres ;
Tous les deux avec notre vaste désir et tous les deux avec
notre grande misère .

Jorge-Luis Borges (1899-1986)

Premier poème, écrit « maladroitement » [sic] dans le style de Walt Whitman, et publié en Espagne en 1921

Rythmes rouges – La Pléiade – Tome I – p 53

Traduction : Jean-Pierre Bernès

Les eaux de mon été -1/ Prologue

[…] Ne joue pas avec l’eau,
ne l’enferme pas, ne la freine pas, c’est elle qui joue
dans les gouttières, turbines, ponts, rizières,
moulins et bassins de salines.
C’est l’alliée du ciel et du sous-sol,
elle a des catapultes, des machines d’assaut, elle a la patience
et le temps :
tu passeras toi aussi, espèce de vice-roi du monde,
bipède sans ailes, épouvanté à mort par la mort
jusqu’à la hâter.

Erri De Luca
« Digue » in « Œuvre sur l’eau » (traduction Danièle Valin)

Et nous avons fait de l’eau toute chose vivante. 

Coran (21-30)

Ah ! L’inégalable délice d’un verre d’eau fraîche quand l’herbe cuit sous le puissant soleil d’été ! L’exquise caresse d’une vague venue du bout de l’océan offrir à nos chevilles sa dernière seconde d’écume. La vivifiante grâce pour nos pommettes saumonées d’un nuage d’embruns né, dans le lit défait d’un torrent, des tumultes de l’impossible amour de l’onde et du rocher.

Ah l’incommensurable bonheur de l’eau !…

Peder Severin Krøyer – 1899 – « Soir d’été sur la plage de Skagen » (le peintre et son épouse)

Pour ma part, cet été, calfeutré derrière mes persiennes closes, ces douces sensations je les aurais ressenties au travers d’un incessant voyage entre le goulot d’une bouteille d’eau minérale et le pommeau de ma douche bienfaisante. Mais pas que…

Loin — autant que Gaston Bachelard me le permit — de la méditation philosophique sur la force et les formes du symbole, loin des considérations interminables sur le génie et le pouvoir de l’élément, loin des réflexions écologiques modernes sur les problématiques de la raréfaction programmée d’un aussi fondamental constituant de la vie, j’ai choisi, pendant la canicule, de faire le voyage sensuel de l’eau avec les rêveurs, les contemplatifs, j’ai nommé — la précision est-elle nécessaire ? — les artistes : peintres, musiciens, cinéastes, danseurs et autres poètes, si nombreux à avoir trempé leur sensibilité dans l’onde inspirante… Sans eux, mon âme, cet été, aurait vraiment souffert de sécheresse.

C’est le plaisir des moments d’intense et fraîche rêverie qu’ils m’ont offerts que j’ai souhaité ici partager, fidèle, comme toujours, à l’esprit de cet espace, recueil intime de mes émotions esthétiques.

Viendrez-vous vous baigner dans les eaux de mon été ?

Une flaque contient un univers.
Un instant de rêve contient une âme entière.
Gaston Bachelard 
« L’eau et les rêves – Essai sur l’imagination de la matière » (1942) – Partie 3 – Chap. 2
.