Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Cette fête du corps, devant nos âmes, offre lumière et joie.
Paul Valéry (à propos de la danse)
Marianela Nuñez (Kitri) et Vadim Muntagirov (Basilio) dansent le pas de deux de l’Acte III du ballet « DON QUICHOTTE »* sur la scène du « Royal Ballet » :
Grâce à l’habile intervention de Don Quichotte, auprès du père de Kitri et auprès de l’époux que celui-ci voulait lui imposer, ces deux jeunes amants ont enfin pu s’unir ainsi qu’ils le souhaitaient. Ils ne boudent pas leur joie…
Partagée au travers d’un aussi grand talent fait d’autant de grâce que de maîtrise, leur exultation ne tarde pas à porter notre bonheur de les admirer aux confins de l’extase.
Puissions-nous ne jamais perdre conscience de l'immense privilège qui nous est donné de pouvoir côtoyer la beauté d'aussi près !
Puissent ceux qui nous succèdent en mesurer la juste valeur, l'entretenir et le transmettre !
* Chorégraphie de Marius Petipa – Musique de Ludwig Minkus – 1869
Puissiez-vous tous, dans 366 jours, à l’heure du bilan, puiser dans les reflets de ce petit joyau extrait du film de Vincente Minnelli, « Un américain à Paris » (1951), les épithètes qui qualifieront votre année 2020 alors finissante !
Ainsi aura-t-elle été telle que je vous la souhaite :
Trouvez le rythme,
Chantez la musique,
Partagez l’amour !
Que demander de plus ?
« I got rythm » (composition de George Gershwin) – Gene Kelly
I got rhythm, I got music I got my gal, who can ask for anything more?
Happy New Year !
May you all, in 366 days, at the time of the review, draw on the reflections of this little jewel taken from Vincente Minnelli’s film, « An American in Paris » (1951), the epithets that will qualify your 2020 year coming to an end!
Thus it will have been as I wish it to you:
smiling…. flowering… cheerful…. talented…. friendly… luminous…. full of energy… harmonious… tonifying…. cheerful… light…. optimistic… generous…
… Simply happy!
Get rhythm…
Get music…
Get love!
Who could ask for anything more?
Représentez-vous une femme grande et sèche, le teint échauffé, le visage aigu, le nez pointu, voilà la figure de la belle Émilie, figure dont elle est si contente qu’elle n’épargne rien pour la faire valoir, frisures, pompons, pierreries, verreries, tout est à profusion, mais, comme elle veut être belle en dépit de la nature, et qu’elle veut être magnifique en dépit de sa fortune, elle est obligée pour se donner le superflu de se passer du nécessaire, comme chemises et autres bagatelles. Madame travaille avec tant de soin à paraître ce qu’elle n’est pas qu’on ne sait plus ce qu’elle est en effet ; ses défauts mêmes ne lui sont peut-être pas naturels, ils pourraient tenir à ses prétentions.
Madame du Deffand à propos de Madame du Châtelet citée par Jean Haechler in « Le Règne des Femmes – 1715-1793 » – Éditions Bernard Grasset P.130-131
Et, dans sa grande amabilité, Madame du Deffand de rajouter :
Elle est née avec assez d’esprit ; le désir d’en paraître davantage lui a fait préférer l’étude des sciences les plus abstraites aux connaissances les plus agréables : elle croit par cette singularité parvenir à une plus grande réputation et à une supériorité décidée sur toutes les femmes.
Émilie le Tonnelier de Breteuil,Marquise Du Châtelet-Lomont (1706-1749) – par Marianne Loir (Musée des B.A. Bordeaux)
Ses contemporains, et surtout ses contemporaines, ne l’ont pas ménagée. Leurs plumes, trempées dans le même acide que celui qui servit à la perfide Madame du Deffand pour rédiger les lignes qui précèdent, ont écharpé à l’envi cette pauvre Madame du Châtelet.
La jalousie à son égard trouvait aisément son socle : femme d’esprit, brillante en bien des domaines, issue d’une famille aisée, Émilie avait coutume de choisir les nombreux amants de sa jeunesse — avant sa rencontre avec Voltaire — parmi les personnalités les plus notables de l’époque. On ne prétendra pas, sur ce dernier point, qu’elle faisait véritablement figure d’exception. En revanche — et ses concurrentes ici se raréfiaient jusqu’à n’exister point — ses incontestables talents de physicienne et mathématicienne qui lui permirent, entre autres, de faire connaître Leibnitz et de traduire Newton, la plaçaient au rang des personnalités remarquables du monde scientifique de son temps ; il n’est pas rare que nos savants d’aujourd’hui la citent encore.
Tolérée par la bienveillance d’un mari souvent absent, sa longue et intense liaison avec Voltaire dont elle était à la fois la compagne, la maîtresse, la complice, et plus encore, a fait dire de leur histoire d’amour qu’elle était « la plus folle romance des Lumières ».
Portrait de Voltaire (1694-1778) – Musée Carnavalet – Atelier de Nicolas de Largillière
Tout en elle est noblesse, son attitude, ses goûts, le style de ses lettres, sa manière de parler, sa politesse… Sa conversation est agréable et intéressante.
Je n’ai pas perdu une maîtresse, mais la moitié de moi-même. Un esprit pour lequel le mien semblait avoir été fait.
Ces phrases extraites des correspondances de Voltaire à ses amis, la première, en 1734, au début de sa liaison avec Émilie du Châtelet, la seconde, en 1749, au décès de celle-ci, résument, de manière très lapidaire certes, mais significative, la teneur des quinze années de la très étroite relation, « studieuse et tendre », bien que parfois agitée, qu’ont entretenue au château de Cirey ces deux beaux esprits. Sur tous les plans, amoureux évidemment, mais aussi intellectuel, scientifique, philosophique ou spirituel, leur proximité atteignait à son comble.
Émilie du Châtelet par Quentin de La Tour
Avec le temps les sentiments se transforment. Les infirmités avaient fait de Voltaire un vieillard avant l’âge, et l’ancienneté de sa liaison avec « sa divine Émilie » avait érodé les ardeurs de son désir. Pareil changement n’échappe pas à la perspicacité d’une femme amoureuse. Pour Madame du Châtelet ce fut aussi une occasion de consigner ses analyses pertinentes sur l’évolution des sentiments, très inspirées par sa propre histoire, dans un petit essai intitulé « Discours sur le bonheur ». Quand la passion se mue en tendre amitié…
Et c’est par ce poème désormais célèbre, à la fois tendre envers Émilie et ironique à son propre égard, que Voltaire, en réponse à ses pages, avoua sa faiblesse… À moins que, complice clin d’oeil au malicieux sourire dont Houdon l’affubla à jamais, notre habile philosophe — qui polissonnait encore… — n’ait voulu offrir à celle dont il se disait modestement le « scribe », un élégant prétexte au crépuscule de sa passion.
À Madame du Châtelet
Si vous voulez que j’aime encore, Rendez-moi l’âge des amours ; Au crépuscule de mes jours Rejoignez, s’il se peut, l’aurore.
Des beaux lieux où le dieu du vin Avec l’Amour tient son empire, Le Temps, qui me prend par la main, M’avertit que je me retire.
De son inflexible rigueur Tirons au moins quelque avantage. Qui n’a pas l’esprit de son âge De son âge a tout le malheur.
Laissons à la belle jeunesse Ses folâtres emportements : Nous ne vivons que deux moments ; Qu’il en soit un pour la sagesse.
Quoi ! pour toujours vous me fuyez, Tendresse, illusion, folie, Dons du ciel, qui me consoliez Des amertumes de la vie !
On meurt deux fois, je le vois bien : Cesser d’aimer et d’être aimable, C’est une mort insupportable ; Cesser de vivre, ce n’est rien.
Ainsi je déplorais la perte Des erreurs de mes premiers ans ; Et mon âme, aux désirs ouverte, Regrettait ses égarements.
Du ciel alors daignant descendre, L’Amitié vint à mon secours ; Elle était peut-être aussi tendre, Mais moins vive que les Amours.
Touché de sa beauté nouvelle, Et de sa lumière éclairé, Je la suivis ; mais je pleurai De ne pouvoir plus suivre qu’elle.
Voltaire – buste par Houdon
in Michel Delon, Anthologie de la poésie française du XVIIIe siècle, Paris, Poésie/Gallimard
L’été respire au bout de ce récif de toits, L’été de ton amour plein de mélancolie, L’été qu’on voit mourir un peu dans chaque jour Qui roule jusqu’ici ses falaises de suie. Églogue fatiguée, l’on entend la chanson Très pure d’un oiseau au milieu du silence. Regarde s’enfuir le plus beau temps de la vie, Le plus beau temps du cœur, la mortelle saison De la jeunesse aux noirs poisons. Voici la route, Ce saut de feu dans le délire des cigales Et de bons parapets pour reposer tes bras. Dans le ciel campagnard meurt le maigre charroi, S’envolent les décors barbares des passions : Petits balcons de fer écumant d’églantines, Escalades des murs titubants, dérision Des dorures, outremer houleux des orages. Tu ne reconnais plus ces folles mousselines Dans tout ce bleu que fait resplendir sans raison Chaque matin, parmi plusieurs enfantillages, L’été de ton amour, la saison du bonheur.
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy