Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Vous m’avez aimée servante
M’avez voulue ignorante
Forte vous me combattiez
Faible vous me méprisiez
Vous m’avez aimée putain
Et couverte de satin
Vous m’avez faite statue
Et toujours je me suis tue
Aussi grande soit-elle, aussi juste, la cause ne trouve pas nécessairement le meilleur argument de sa défense sur le pic de la fourche. Les mots, en costume de poésie et en robe de musique, percent parfois, et sans violence, plus sûrement les cœurs les plus résistants.
En 1975, « Une sorcière comme les autres », la chanson de Anne Sylvestre, véritable charge lyrique en faveur d’un autre regard sur la femme, propose aux hommes de retourner le miroir.
Derrière la déférence apparente des formules convenues de politesse l’auteure les pousse en vérité, non sans empathie et avec élégance, à considérer l’éternelle histoire d’une indissociable communauté et les justes mutations qui pérenniseraient son futur.
Anne Sylvestre 1934-2020
Pour saluer comme il le mérite ce distingué mariage de la pensée et de l’émotion, deux jeunes femmes interprétant cette chanson, confèrent à ce texte une force saisissante qui transcende superbement les intentions de son inoubliable auteure.
Laetitia Isambert & Nathalie Doummar
Piano : Yves Morin
S’il vous plaît Soyez comme le duvet Soyez comme la plume d’oie des oreillers d’autrefois J’aimerais ne pas être portefaix S’il vous plaît faites-vous léger Moi je ne peux plus bouger
Je vous ai porté vivant Je vous ai porté enfant Dieu comme vous étiez lourd Pesant votre poids d’amour Je vous ai porté encore À l’heure de votre mort Je vous ai porté des fleurs Vous ai morcelé mon cœur
Quand vous jouiez à la guerre moi je gardais la maison J’ai usé de mes prières les barreaux de vos prisons Quand vous mouriez sous les bombes je vous cherchais en hurlant Me voilà comme une tombe et tout le malheur dedans
Ce n’est que moi C’est elle ou moi Celle qui parle ou qui se tait Celle qui pleure ou qui est gaie C’est Jeanne d’Arc ou bien Margot Fille de vague ou de ruisseau
Et c’est mon cœur ou bien le leur Et c’est la sœur ou l’inconnue Celle qui n’est jamais venue Celle qui est venue trop tard Fille de rêve ou de hasard
Et c’est ma mère ou la vôtre Une sorcière comme les autres
Il vous faut Être comme le ruisseau Comme l’eau claire de l’étang Qui reflète et qui attend S’il vous plaît Regardez-moi je suis vraie Je vous prie, ne m’inventez pas Vous l’avez tant fait déjà Vous m’avez aimée servante M’avez voulue ignorante Forte vous me combattiez Faible vous me méprisiez Vous m’avez aimée putain Et couverte de satin Vous m’avez faite statue Et toujours je me suis tue
Quand j’étais vieille et trop laide, vous me jetiez au rebut Vous me refusiez votre aide quand je ne vous servais plus Quand j’étais belle et soumise vous m’adoriez à genoux Me voilà comme une église toute la honte dessous
Ce n’est que moi C’est elle ou moi Celle qui aime ou n’aime pas Celle qui règne ou se débat C’est Joséphine ou la Dupont Fille de nacre ou de coton
Et c’est mon cœur Ou bien le leur Celle qui attend sur le port Celle des monuments aux morts Celle qui danse et qui en meurt Fille bitume ou fille fleur
Et c’est ma mère ou la vôtre Une sorcière comme les autres
S’il vous plaît, soyez comme je vous ai Vous ai rêvé depuis longtemps Libre et fort comme le vent Libre aussi, regardez je suis ainsi Apprenez-moi n’ayez pas peur Pour moi je vous sais par cœur
J’étais celle qui attend Mais je peux marcher devant J’étais la bûche et le feu L’incendie aussi je peux J’étais la déesse mère Mais je n’étais que poussière J’étais le sol sous vos pas Et je ne le savais pas
Mais un jour la terre s’ouvre Et le volcan n’en peux plus Le sol se rompt, on découvre des richesses inconnues La mer à son tour divague de violence inemployée Me voilà comme une vague vous ne serez pas noyé
Ce n’est que moi C’est elle ou moi Et c’est l’ancêtre ou c’est l’enfant Celle qui cède ou se défend C’est Gabrielle ou bien Eva Fille d’amour ou de combat
Et c’est mon cœur Ou bien le leur Celle qui est dans son printemps Celle que personne n’attend Et c’est la moche ou c’est la belle Fille de brume ou de plein ciel
Et c’est ma mère ou la vôtre Une sorcière comme les autres
S’il vous plaît, s’il vous plaît faites-vous léger Moi je ne peux plus bouger
Comme la voiture traversait le bois, il la fit arrêter dans le voisinage d’un tir, disant qu’il lui serait agréable de tirer quelques balles pour « tuer » le Temps. Tuer ce monstre-là, n’est-ce pas l’occupation la plus ordinaire et la plus légitime de chacun ? – Et il offrit galamment la main à sa chère, délicieuse et exécrable femme, à cette mystérieuse femme à laquelle il doit tant de plaisirs, tant de douleurs, et peut-être aussi une grande partie de son génie.
Plusieurs balles frappèrent loin du but proposé l’une d’elles s’enfonça même dans le plafond ; et comme la charmante créature riait follement, se moquant de la maladresse de son époux, celui-ci se tourna brusquement vers elle, et lui dit : « Observez cette poupée, là-bas, à droite, qui porte le nez en l’air et qui a la mine si hautaine. Eh bien ! cher ange, je me figure que c’est vous. » Et il ferma les yeux et il lâcha la détente. La poupée fut nettement décapitée.
Alors s’inclinant vers sa chère, sa délicieuse, son exécrable femme, son inévitable et impitoyable Muse, et lui baisant respectueusement la main, il ajouta : « Ah ! mon cher ange, combien je vous remercie de mon adresse ! »
Ton cher amour remémoré me rend si riche
Qu’à l’état d’un monarque je préfère le mien.
Shakespeare (1564-1616) – Sonnet 29 – traduction Robert Ellrodt
William-Shakespeare 1564-1616
Sonnet XXIX
Lorsqu’en disgrâce auprès du monde et du destin, Je suis seul à pleurer sur ce qui m’importune, Et crie en vain mon trouble au ciel sourd et hautain, Et me scrute moi-même, et maudit ma fortune, Je me voudrais celui qui connaît cette chance D’être entouré d’amis et qui semble parfait, Je jalouse son art et sa haute importance, Quand de mes moindres dons je reste insatisfait. Mais lorsqu’en ces dégoûts dont mon cœur se désole, Soudain je pense à toi, mon naturel soucieux Ainsi que l’alouette au point du jour s’envole Hors l’ombre et chante un hymne à la porte des cieux ; …..Car de ton tendre amour l’idée me rend si fort …..Que des rois que j’enviais je méprise le sort.
Traduction :J. F. Berroyer
.
Texte original dit par Paterson Joseph
When, in disgrace with fortune and men’s eyes,
I all alone beweep my outcast state,
And trouble deaf heaven with my bootless cries,
And look upon myself and curse my fate,
Wishing me like to one more rich in hope,
Featured like him, like him with friends possessed,
Desiring this man’s art and that man’s scope,
With what I most enjoy contented least;
Yet in these thoughts myself almost despising,
Haply I think on thee, and then my state,
(Like to the lark at break of day arising
From sullen earth) sings hymns at heaven’s gate;
For thy sweet love remembered such wealth brings
That then I scorn to change my state with kings.
¤
.
Traduire la poésie est une besogne ardue […].
Traduire Shakespeare, en général, est d’une difficulté supplémentaire.
Mais traduire les sonnets de Shakespeare ! Voilà qui touche à l’absurde.
Pierre-Jean Jouve Shakespeare’s sonnets, version française – Mercure de France, 1969
¤
Honni de la Fortune, autant des hommes, Je pleure, seul, mon destin de paria, Le Ciel est sourd, en vain je l’importune Je comprends qui je suis, je maudis mon sort
Et envie ceux qui ont quelque espérance J’en voudrais les amis ou l’entregent, J’en rêve le talent. Je ne dédaigne Que ce qui est déjà de mon pouvoir.
Et pourtant ! L’alouette au point du jour Dénie la terre sombre ; et même dans l’état Où je suis, ce mépris, presque, que j’ai de moi, Mon chant de toi monte aux portes du Ciel.
…..Si riche, à me savoir aimé de toi, …..Que j’en mépriserais le sort même des rois.
Aimer quelqu’un, c’est le lire. C’est savoir lire toutes les phrases qui sont dans le cœur de l’autre, et en lisant le délivrer. C’est déplier son cœur comme un parchemin et le lire à haute voix, comme si chacun était à lui-même un livre écrit dans une langue étrangère.
Christian Bobin (« La lumière du monde » – Folio / Gallimard – 2003)
♦
Improbable rencontre entre deux poètes sur la passerelle qu’ils ont construite sans le savoir, sans la vouloir, mot après mot, par-dessus le temps, l’espace, et leurs différences, pour parler d’amour !
Quand l’un affirme, l’autre interroge, et pourtant tous les deux, dans le même souffle d’une sensibilité partagée, donnent sa vraie dimension à ce silence, souvent inquiet, qui, de temps à autre, s’installe entre deux êtres qui s’aiment.
N’est-ce pas dans l’évidente lisibilité du secret de ces pauses que s’inscrit la sincérité du sentiment ?
Chaque interrogation ne sert-elle pas pudiquement de masque à l’aveu de cette évidence ?
♦
Théâtre des Champs Élysées – 1984
Tu penses à quoi ? A la langueur du soir dans les trains du tiers monde ? A la maladie louche ? Aux parfums de secours ? A cette femme informe et qui pourtant s’inonde ? Aux chagrins de la mer planqués au fond des cours ?
Tu penses à quoi ? A l’avion malheureux qui cherche un champ de blé ? A ce monde accroupi les yeux dans les étoiles ? A ce mètre inventé pour mesurer les plaies ? A ta joie démarrée quand je mets à la voile ?
Tu penses à quoi ? A cette rouge gorge accrochée à ton flanc ? Aux pierres de la mer lisses comme des cygnes ? Au coquillage heureux et sa perle dedans Qui n’attend que tes yeux pour leur faire des signes ?
Tu penses à quoi ? Aux seins exténués de la chienne maman ? Aux hommes muselés qui tirent sur la laisse ? Aux biches dans les bois ? Au lièvre dans le vent ? A l’aigle bienheureux ? A l’azur qu’il caresse ?
Tu penses à quoi ? A l’imagination qui part demain matin ? A la fille égrenant son rosaire à pilules ? A ses mains mappemonde où traîne son destin ? A l’horizon barré où ses rêves s’annulent ?
Tu penses à quoi ? A ma voix sur le fil quand je cherche ta voix ? A toi qui t’enfuyais quand j’allais te connaître ? A tout ce que je sais de toi et à ce que tu crois ? A ce que je connais de toi sans te connaître ?
Tu penses à quoi ? A ce temps relatif qui blanchit mes cheveux ? A ces larmes perdues qui s’inventent des rides ? A ces arbres datés où traînent des aveux ? A ton ventre rempli et à l’horreur du vide ?
Tu penses à quoi ? A la brume baissant son compteur sur ta vie ? A la mort qui sommeille au bord de l’autoroute ? A tes chagrins d’enfant dans les yeux des petits ? A ton cœur mesuré qui bat coûte que coûte ?
Tu penses à quoi ? A ta tête de mort qui pousse sous ta peau ? A tes dents déjà mortes et qui rient dans ta tombe ? A cette absurdité de vivre pour la peau ? A la peur qui te tient debout lorsque tout tombe ?
Tu penses à quoi ? Tu penses à quoi, dis ? A moi ? Des fois ?… Je t’aime !
N’oublie jamais ceci : jouer du jazz, c’est comme raconter une histoire. Une fois la musique envolée et le morceau terminé, il ne doit rester que du bonheur… Sinon ça ne sert à rien. Strictement à rien !
Maxence Fermine (romancier)
Alors ce billet – je l’affirme – va servir à quelque chose !
Si tu n’arrives pas à perdre ta mauvaise humeur… Écoute !
Tes oreilles ne suffiront pas : ……………le jazz, quand il swingue comme ça, il s’écoute avec les pieds.
Samara Joy « Can’t Get Out Of This Mood »
Ben Paterson (piano) David Wong (basse) Kenny Washington (batterie)
Allez ! Avoue ! Quand tu fermais les yeux, ostensiblement sous le charme, tu pensais un peu à Ella Fitzgerald ou à Sarah Vaughan ?
Tu n’es pas le seul à retrouver en Samara la grande classe des Divas du jazz qui chauffaient, à coups de 45 tours, l’ambiance de nos « boums » :
– En 2019, Samara remportait la « Sarah Vaughan International Jazz Vocal Competition » puis, en 2021, était nommée « Meilleure Nouvelle Artiste » par le magazine JazzTimes.
– Il y a une poignée de semaines, elle remportait le Grammy Award du meilleur nouvel artiste, – toutes catégories confondues – et celui du Meilleur album de jazz vocal.
Ah ! J’oubliais de te dire qu’elle ne chante le jazz que depuis cinq ans… et qu’elle a 23 ans !
Ella Fitzgerald 1917-1996
Depuis quand n’as-tu pas écouté « Lady be good », ce standard extrait de l’opéra éponyme des Gershwin, qui avait fait les premières gloires d’Ella dans ses interprétations uniques ?
Tiens, comme un cadeau, voici Samara, en dilettante, incarnant la First Lady of Swing, lors d’un « boeuf » avec Emmet Cohen et son trio (Russell Hall à la contrebasse et Kyle Poole à la batterie).
Alléluia ! Notre jazz est bien vivant !
.
∞
Je pourrais dire du jazz que c’est un mélange d’élégance et de souplesse, que c’est la magie de l’instant, comment dire ? un léger détachement, un équilibre fragile et émouvant…Quelque chose comme ça.
… Plus délicieux que mille baisers et plus doux que le vin des meilleurs muscats.
Balthasar Denner (1685-1749) – Jeune fille offrant le café
Le café a eu largement le temps de refroidir, me dira-t-on, depuis ce jour de septembre 2014 où « Perles d’Orphée » se proposait de le servir en billet musical à ses visiteurs
Il avait déjà pourtant quelques années de cafetière, ce café coulé depuis l’automne 1735, dans les instruments et les gorges de la plus célèbre phalange musicale de Leipzig, le Collegium Musicum, au temps où Jean-Sébastien Bach la dirigeait une fois par semaine, au Café Zimmermann.
C’est pour tous ces brillants musiciens et en hommage à ce breuvage qu’il appréciait tant que le Maître de chapelle s’était fait un instant Maître de café, composant – une fois n’est pas coutume – une cantate comique, la sémillante Cantate du Café (Kaffekantate – BWV 211).
Le temps, certes, a remplacé le personnel, sans pour autant en affecter la qualité…
Il n’aura rien altéré de la saveur enjouée du breuvage, ni de la tendre ironie de ses arômes.
Alors, encore une tasse ?
Holly Teague (Soprano)
accompagnée par l’Ensemble Échos
Gareth James (Flûte) Claire Horáček (Viole de Gambe) Róza Bene (Clavecin)
Ei! wie schmeckt der Coffee süße, Lieblicher als tausend Küsse, Milder als Muskatenwein.. Coffee, Coffee muss ich haben, Und wenn jemand mich will laben, Ach, so schenkt mir Coffee ein!
Ah ! comme le café a bon goût ! Plus agréable que mille baisers, Plus doux qu’un vin de muscat. Un café, il me faut un café, Et si quelqu’un veut me faire plaisir, Ah ! qu’il me donne juste un café !
« Tout misanthrope, si sincère soit-il, rappelle par moments ce vieux poète cloué au lit et complètement oublié, qui, furieux contre ses contemporains, avait décidé qu’il ne voulait plus en recevoir aucun. Sa femme, par charité, allait sonner de temps en temps à la porte. »
C’est une langue si délicate le Scat
vaut mieux défaire sa cravate
pour le Scat
c’est pas le Magnificat
c’est plus facile qu’une cantate
mais faut la langue acrobate
pour le Scat
Michel Jonasz – chanson « Le Scat »
Nul besoin de téléphone portable pour un « social call ». Croyons donc les traducteurs, c’est d’une visite dont il est question. Amicale au demeurant, amoureuse, pourquoi pas ? – On n’a pas trouver plus intime que le tête à tête pour communiquer dans ces cas-là…
Oh ! On échangera bien quelques reproches au milieu des heureux souvenirs…
Mais avec un sourire jazzy, à l’ancienne, un poil de swing, un zeste de scat et du groove plein la voix, autour d’un bon vieux standard des années 1950, les choses pourraient bien ressembler aux retrouvailles de Benny Benack et Veronica Swift devant leur micro.
Pas mal, non ? Jazz is back !
I’ll wait for you tonight ! 🎶Doo be doya bop dee dee !!! 🎶
Benny
Happened to pass your doorway Gave you a buzz, that’s all Lately, I’ve thought lots about you So I thought I’d pay a social call
Veronica
Do you recall the old days? We used to have a ball
Benny
Not that I’m lonesome without you I just thought I’d pay a social call
Veronica
I thought I’d say Things are just swell But to tell the truth I haven’t been so well
And if you should try to kiss me I promise that I won’t stall
Benny
Maybe we’ll get back together
Benny & Veronica
Starting from this incidental Elemental Simple social call
Benny
Do you remember all the good times that we had my baby girl? I’ll never forget you’ve got the greatest smile in the world Oh, my sugarplum fairy, don’t hold a grudge I simply had to say hello once more
And am I insane Or do I really see a world where you and I could be together, forever When, buttercup, don’t slam the door in my face Unless you really wanna spill my heart all over the place
Oh, I guess we’re going to spend a lot of time hanging out like this I’m tryna break my habit of you But, since we weren’t back together I suppose we should start anew Dear, what do you say?
Oh! I can’t take it My! Heart is breaking I’m laying it on the line
If you can find it in your mind that there just a little Itsy, bitsy, chance that you might miss me Let’s give it a whirl
Veronica
Baby, we’ve played this game a thousand million times I should throw your heart in jail for all of its crimes You say that you love me and I think that it’s true But why should I just sit at home awaiting for you
When we’re together, it’s always stormy weather And I really feel like sittin’ on a beach, with you out of reach Whenever you smirk, I get weak in the knees But if you’re a jerk, I’ll tune out all of your pleas
Well I suppose just one drink couldn’t hurt But just one, nothing more I’m onto all of your tricks But if you slip up, I’ll show you the door
I must be crazy, but I’m coming around But if you do me wrong, I’ll run you out of this town I guess that I could give you one more chance now To prove you’re the man who can love me everyday
And never leave my side ever again
Benny & Veronica
(Scatting)
Veronica
If you should try to kiss me baby I promise I won’t stall
Benny
Maybe we’ll get back together
Benny & Veronica
Starting from this incidental Elemental Simple social call
Reprise du billet : « S’évader du temps… par le haut » (29/08/2016)
La clé de la musique de Bach : le désir d’évasion du temps. [….]
Les évolutions de sa musique donnent la sensation grandiose d’une ascension en spirale vers les cieux. Avec Bach, nous nous sentons aux portes du paradis ; jamais à l’intérieur. Le poids du temps et la souffrance de l’homme tombé dans le temps accroissent la nostalgie pour des mondes purs, mais ne suffisent pas à nous y transporter. Le regret du paradis est si essentiel à la musique de Bach qu’on se demande s’il y a eu d’autres souvenirs que paradisiaques. Un appel immense et irrésistible y résonne comme une prophétie ; et quel en est le sens sinon qu’il ne nous tirera pas de ce monde ? Avec Bach, nous montons douloureusement vers les hauteurs. Qui, en extase devant cette musique, n’a pas senti sa condition naturellement passagère ; qui n’a pas imaginé la succession des mondes possibles qui s’interposent entre nous et le paradis ne comprendra jamais pourquoi les sonorités de Bach sont autant de baisers séraphiques.
Emil Cioran (1911-1995)
in « Le livre des leurres » – 1936
∴
Il n’est pas indispensable de se sentir pénétré par la foi pour être aspiré par la musique de Bach. Pas plus qu’il n’était nécessaire à Cioran de se prétendre théologien pour exprimer sa mystique du vide.
« Ruht wohl – Chœur final de la Passion selon Saint Jean ». Ainsi avais-je annoté, il y a bien longtemps, la marge de ce paragraphe du « Livre des leurres » d’où sont extraites les phrases citées en exergue de ce billet. Cette mention musicale pour illustrer ma découverte de ce texte, – je m’en souviens précisément – s’était spontanément imposée à la mine de mon crayon sans qu’à aucun instant, aucun autre des mille merveilleux « baisers séraphiques » que le Cantor de Leipzig aurait pu alors m’adresser ne tentât de contrarier mon commentaire pour moi-même.
J-S. Bach 1685-1750
Ni les années, ni les relectures et les ré-écoutes ne m’ont convaincu de changer mon choix. Nulle part ailleurs dans l’œuvre de Bach, me semble-t il, on ne saurait percevoir avec autant d’intensité cette « construction en spirale qui indique par ce schéma même l’insatisfaction devant le monde et ce qu’il nous offre, ainsi qu’une soif de reconquérir une pureté perdue ». Et, partant, notre irrépressible désir d’Autre et d’Ailleurs. Ainsi, résignés à l’impermanence de notre condition, accédons-nous, à travers les accents sereins de ce chant, au chemin du Paradis dont Bach ne nous ouvre pas les portes. Car ce chœur, à l’instar de toute l’œuvre du Cantor, est un chant du voyage.
Le plus beau peut-être, pour conduire notre évasion de ce monde et du temps, par le haut, en escaladant le Ciel – et quel que soit le commerce que l’on entretienne avec Dieu.
Se laisser aspirer par le souffle ascendant des anges !
Jean-Sébastien Bach
‘Ruht wohl, ihr heiligen Gebeine ‘ Passion selon Saint-Jean – BWV 245 – Netherlands Bach Society –
Chœur
Ruht wohl, ihr heiligen Gebeine, die ich nun weiter nicht beweine, ruht wohl, und bringt auch mich zur Ruh’.
Das Grab, so euch bestimmet ist, und ferner keine Not umschließt, macht mir den Himmel auf, und schließt die Hölle zu.
Ruht wohl…
Reposez en paix, saints ossements, que désormais je ne pleure plus ; reposez en paix, et emmenez-moi aussi vers le repos.
Le tombeau, tel qu’il vous est destiné, et qui, de plus, ne recèle aucune détresse, m’ouvre le ciel, et ferme les enfers.
Reposez en paix…
◊
Choral
Ach Herr, laß dein lieb’ Engelein Am letzten End’ die Seele mein Im Abrahams Schoß tragen ; Den Leib in sein’m Schlafkämmerlein Gar sanft, ohn’ ein’ge Qual und Pein, Ruhn bis am jüngsten Tage !
Alsdann vom Tod erwekke mich, Daß meine Augen sehen dich In aller Freud’, o Gottes Sohn, Mein Heiland und Genadenthron ! Herr Jesu Christ, erhöre mich, Ich will dich preisen ewiglich !
Ah, Seigneur, laisse tes chers angelots, à la dernière extrémité, mon âme porter (par eux) dans le sein d’Abraham ; mon corps, dans sa petite chambre de repos, bien doucement, sans aucun tourment ni peine, (laisse) reposer jusqu’au dernier jour !
Alors, de la mort éveille-moi, que mes yeux te voient en toute joie, ô fils de Dieu, mon Sauveur et Trône de grâce ! Seigneur Jésus Christ, exauce-moi ; je veux te louer éternellement !
On entre dans la poésie de Marie Uguay comme on marche sur une plage du Québec en novembre, la beauté du décor figée dans une saison à venir ou révolue selon l’œil qui l’observe.
maintenant nous sommes assis à la grande terrasse où paraît le soir et les voix parlent un langage inconnu de plus en plus s’efface la limite entre le ciel et la terre et surgissent du miroir de vigoureuses étoiles calmes et filantes
plus loin un long mur blanc et sa corolle de fenêtres noires
ton visage a la douceur de qui pense à autre chose ton front se pose sur mon front des portes claquent des pas surgissent dans l’écho un sable léger court sur l’asphalte comme une légère fontaine suffocante
en cette heure tardive et gisante les banlieues sont des braises d’orange
tu ne finis pas tes phrases comme s’il fallait comprendre de l’œil la solitude du verbe tu es assis au bord du lit et parfois un grand éclair de chaleur découvre les toits et ton corps
Marie Uguay 1955-1981
Marie Uguay est une poétesse québécoise emportée très tôt, à l'âge de 26 ans, par un cancer des os. Elle n'aura eu que le temps de publier deux recueils - 'Signe et rumeur' (1976) et 'L’outre-vie' (1979) ; le troisième, 'Autoportraits' (1982), ne sera publié qu'à titre posthume.
Pour en savoir plus sur cette attachante poétesse montréalaise, lire le bel article que lui a consacré le 30/08/2021 Sébastien Veilleux dans la revue littéraire québécoise 'Les libraires':
'Marie Uguay : L’immortelle'
Le temps passe par le trou de l’aiguille des heures.
Jules Renard – Journal
Le rêve est la vraie victoire sur le temps.
Jean-Claude Carrière – Entretiens sur la fin des temps
◊
Géo Norge – Du temps
Dans l’eau du temps qui coule à petit bruit, Dans l’air du temps qui souffle à petit vent, Dans l’eau du temps qui parle à petits mots Et sourdement touche l’herbe et le sable ; Dans l’eau du temps qui traverse les marbres, Usant au front le rêve des statues, Dans l’eau du temps qui muse au lourd jardin, Le vent du temps qui fuse au lourd feuillage Dans l’air du temps qui ruse aux quatre vents, Et qui jamais ne pose son envol, Dans l’air du temps qui pousse un hurlement Puis va baiser les flores de la vague, Dans l’eau du temps qui retourne à la mer, Dans l’air du temps qui n’a point de maison, Dans l’eau, dans l’air, dans la changeante humeur Du temps, du temps sans heure et sans visage, J’aurai vécu à profonde saveur, Cherchant un peu de terre sous mes pieds, J’aurai vécu à profondes gorgées, Buvant le temps, buvant tout l’air du temps Et tout le vin qui coule dans le temps.
Ce n’est que dans la musique et dans l’amour qu’on éprouve une joie à mourir, ce spasme de volupté à sentir qu’on meurt de ne plus pouvoir supporter nos vibrations intérieures. Et l’on se réjouit à l’idée d’une mort subite qui nous dispenserait de survivre à ces instants. La joie de mourir, sans rapport avec l’idée et la conscience obsédante de la mort, naît dans les grandes expériences de l’unicité, où l’on sent très bien que cet état ne reviendra plus.
Il n’y a de sensations uniques que dans la musique et dans l’amour ; de tout son être, on se rend compte qu’elles ne pourront plus revenir et l’on déplore de tout son cœur la vie quotidienne à laquelle on retournera. Quelle volupté admirable, à l’idée de pouvoir mourir dans de tels instants, et que, par-là, on n’a pas perdu l’instant. Car revenir à notre existence habituelle après cela est une perte infiniment plus grande que l’extinction définitive. Le regret de ne pas mourir aux sommets de l’état musical et érotique nous apprend combien nous avons à perdre en vivant.
Emil Cioran Le livre des leurres – 1936 / Extase musicale – Gallimard – Quarto P.115)
∞
« Ruhe sanft, mein holdes Leben »
Zaïde (Opéra inachevé de Mozart) – Acte I
Soprano : Mojca Erdmann
Repose calmement, mon tendre amour, dors jusqu’à ce que ta bonne fortune s’éveille. Tiens, je te donne mon portrait. Vois comme il te sourit avec bienveillance !
Doux rêves, bercez son sommeil et que ce qu’il imagine dans ses rêves d’amour devienne enfin réalité.
∞
Pour Mozart, comme pour toute musique angélique, porter ses regards vers le bas, vers nous, est une trahison. A moins que se sentir homme soit la pire des trahisons…
Emil Cioran Le livre des leurres / Mozart ou la mélancolie des anges – Gallimard – Quarto P.177
Reprise augmentée d’un billet publié sur Perles d’Orphée le 08/03/2014
Je suis séparé. Ce dont je suis séparé, je ne peux le nommer. Autrefois cela s’appelait Dieu. Maintenant il n’y a plus de nom.
Arthur Adamov 1908-1970
En 1946, alors âgé de 38 ans, l’écrivain et auteur dramatique Arthur Adamov publie « L’Aveu ». Entre autres outrances et impudeurs, il fait la confession publique du sentiment d’humiliation qui l’étouffe, conséquence conjuguée de son impuissance sexuelle et de ses obsessions qui l’enferment dans une tragique solitude. Isolement d’autant plus fort que ses engagements dans le marxisme-léninisme de l’époque radicalisent son œuvre et, partant, le marginalisent encore.
En 1969, moins d’un an avant qu’une overdose de barbituriques – volontaire ou pas ? – abrège sa longue agonie à travers hôpitaux et centres de désintoxication, Adamov, cet « empêché de vivre », reprend « L’Aveu », qu’il avait en un temps renié, pour publier « Je… Ils… ». Cet ouvrage lui donnera l’opportunité de dire sa désespérance face à l’irrémédiable perte du sacré.
Un extrait : « Ce qu’il y a… »
Ce qu’il y a ? Je sais d’abord qu’il y a moi. Mais qui est moi ? Mais qu’est-ce que moi ? Tout ce que je sais de moi, c’est que je souffre. Et si je souffre c’est qu’à l’origine de moi-même il y a mutilation, séparation.
Je suis séparé. Ce dont je suis séparé, je ne sais pas le nommer. Autrefois cela s’appelait Dieu, maintenant il n’y a plus de nom ; mais je suis séparé.
Si je n’étais pas séparé, je ne dormirais pas à chaque instant de ce lourd sommeil entrecoupé des râles du plus obscur remords. Je n’irais pas ainsi les yeux vides, le cœur lourd de désir.
Il faut voir clair. Tout ce qui en l’homme vaut la peine de vivre tend vers un seul but inéluctable et monotone : passer outre les frontières personnelles, crever l’opacité de sa peau qui le sépare du monde.
Dans l’amour, l’homme mutilé cherche à reconstruire son intégrité première. Il cherche un être hors de lui qui, se fondant en lui, ressusciterait l’androgyne primitif. Dans la contemplation il appelle cette lueur d’abîme qui soudain fait étrange tout spectacle familier, il attend ce regard unique qui dissipe les brumes sordides de l’habitude et rend à tout objet visible sa pureté essentielle. Dans la prière, il a recours à cet autre qui gît au cœur de son cœur, plus lui-même que lui, et pourtant inconnu.
Derrière tout ce qu’il a coutume de voir, l’homme cherche autre chose. Toujours il est altéré. Altéré : celui qui a soif, qui désire. Mais altéré aussi celui qui est lésé dans son intégrité, étranger à lui-même. « Alter », c‘est toujours l’autre, celui qui manque.
Et comment l’homme ne serait-il pas altéré dans les deux sens du mot, puisque tout vit en lui, puisqu’il résume la création dont il est le terme, qu’il va vers le tout, qu’il pourrait l’être mais qu’il ne l’est pas ?
Le précédent billet publié en 2014 intégrait une vidéo dans laquelle ce court extrait était dit par Laurent Terzieff avec la sensibilité et le talent incomparables qui le caractérisaient. Hélas, cette vidéo a disparu avec le compte Youtube qui l'avait publiée, et mes recherches pour en trouver trace ont été vaines.
Si, parmi les lecteurs et lectrices de ce blog, quelqu'un ou quelqu'une avait une piste pour faire réapparaître cet enregistrement, même en version audio, puisse-t-il ou elle avoir l'amabilité de me la communiquer ! Cette voix retrouvée, mon bonheur sera aussitôt partagé. Merci !
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy