En hommage au peuple ukrainien
La paix est un chant, la guerre est un long hurlement parmi des cris.
Robert Sabatier – Le livre de la déraison souriante (1991)
… Au milieu desquels, s’élevant des ruines encore fumantes, entre corps déchirés et âmes dévastées, la triste prière – qui se rêverait hymne – d’une humanité cherchant désespérément le chemin du ciel.

Dans un livre gnostique du deuxième siècle de notre ère, il est dit : « La prière de l’homme triste n’a jamais la force de monter jusqu’à Dieu »… Comme on ne prie que dans l’abattement, on en déduira qu’aucune prière jamais n’est parvenue à destination.
Cioran – De l’inconvénient d’être né (Gallimard)
Mais, aussi vaine soit-elle, quand la prière est portée par l’ineffable beauté de la musique, on pourrait bien se surprendre à croire…

L’univers sonore : onomatopée de l’indicible, énigme déployée, infini perçu, et insaisissable… Lorsqu’on vient d’en éprouver la séduction, on ne forme plus que le projet de se faire embaumer dans un soupir.
Cioran – Syllogismes de l’amertume (Gallimard)
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« Qui tollis peccata mundi »
« Missa in tempore belli » en Ut majeur de Joseph Haydn
Qui tollis peccata mundi, miserere nobis.
Qui tollis peccata mundi, suscipe deprecationem nostram.
Qui sedes ad dexteram Patris, miserere nobis.
Quoniam tu solus sanctus, tu solus Dominus,
Tu solus Altissimus, Jesu Christe.
Cum Sancto Spiritu, in gloria Dei Patris,
Toi qui effaces les péchés du monde, aie pitié de nous.
Toi qui effaces les péchés du monde, entends notre prière.
Toi qui sièges à la droite du Père, aie pitié de nous.
Car Toi seul es sacré, Toi seul es le Seigneur,
Toi seul es le Très-Haut Jésus-Christ.
Avec le Saint-Esprit, dans la gloire de Dieu le Père.
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Joseph Haydn, en cette fin d'année 1796, voit approcher à la fois son soixante-cinquième anniversaire et une possible invasion de l'Autriche par les troupes d'un impétueux général français, un certain Bonaparte. Aussi, exerçant sa mission de Maître de Chapelle des Esterhazy, va-t-il multiplier ses efforts pour exprimer dans la messe annuelle qui lui est commandée les tensions dominantes du moment. Dans cette messe "latine" qu'il nommera lui-même "Missa in tempore belli", il évoque tout autant le fracas des batailles - avec une puissance et une ardeur que seul Beethoven atteindra, vingt-cinq ans plus tard, dans sa "Missa solemnis" - , que la profondeur de sa foi chrétienne. Et si les premiers mouvements de cette "Messe en temps de guerre" affichent sobrement le classicisme de l'époque dans le respect de la tradition de musique sacrée autrichienne, Haydn, en maître de la composition, façonne avec simplicité la matière sonore de chacun d'eux afin que solistes et chœur nous ouvrent les chemins de l'extase.