
Clara a écrit un certain nombre de petites pièces qui montrent une invention musicale et tendre qu’elle n’a jamais atteinte auparavant. Mais avoir des enfants et un mari qui vit toujours dans les domaines de l’imagination ne va pas de pair avec la composition. Elle ne peut pas y travailler régulièrement et je suis souvent troublée de penser combien d’idées profondes sont perdues parce qu’elle ne peut pas les développer. Mais Clara elle-même sait que sa principale occupation est celle d’une mère et je crois qu’elle est heureuse dans ces circonstances et ne voudrait pas qu’elles changent.
Robert Schumann
(cité par Nancy Reich, in « Clara Schumann : The Artist and the Woman » – Cornell University Press)

Ce constat que Robert Schumann concédait à l’évidence dans les pages de son journal, quelques années à peine après son mariage avec sa chère Clara, n’était pourtant pas pour lui le fruit d’une découverte récente.
L’admirateur inconditionnel de la virtuose précoce qu’elle était déjà à leur première rencontre, autant que de la compositrice brillante qu’elle promettait de devenir, ne pouvait avoir oublié ce billet de novembre 1837, trois ans avant leur union tant désirée, dans lequel Clara, jeune fille de 18 ans, très amoureuse mais lucide, lui avait écrit :
J’ai besoin d’une vie sans soucis afin d’exercer mon art en toute tranquillité. […] Vois si tu penses pouvoir m’offrir une existence telle que je la souhaite.
Et pourtant, l’époque aidant, Clara, très éprise de son Robert, avait très tôt consenti à laisser sa vie d’épouse et de mère prendre le pas sur la vie d’artiste à laquelle elle pouvait, elle plus que tout autre femme du siècle, objectivement prétendre. N’écrivait-elle pas déjà sa résignation, en 1839, dans son journal intime :
Il fut un temps où je croyais posséder un talent créateur, mais je suis revenue de cette idée ; une femme ne doit pas prétendre composer, aucune n’a encore été capable de le faire et pourquoi serais-je une exception ? Il serait arrogant de croire cela, c’est une impression que seul mon père m’a autrefois donnée.
Et alors même que cette humble abnégation prenait racine dans son esprit, tout son être demeurait attaché au plaisir de composer, ainsi qu’elle le confiait à Fanny Mendelssohn :
Il n’y a rien de plus grand que la joie de composer soi-même quelque chose, puis de l’écouter. […] Bien sûr, ce n’est qu’un travail de femme, qui manque toujours de force, et ici ou là d’inventivité.

Les merveilles – désormais, fort heureusement, totalement sorties de l’ombre – qu’elle a composées, ne laissent cependant aucun doute sur son immense talent que tant de musiciens, et pas des moindres, lui ont envié.
Son Scherzo en Ut mineur opus 14 écrit en 1841 en utilisant le thème d’un des lieder sur des poèmes de Friedrich Rückert, dont Robert lui confia la réalisation (« Er ist gekommen in Sturm und Regen » – Il est venu dans la tempête, sous la pluie / il a bravement saisi mon cœur), est un modèle du genre.
Dès le début de la pièce, la passion éclate à travers une figure d’orage arpégée, « con fuoco », qui résonne des turbulences de l’Étude, en Ut mineur également, opus 10 N°12, dite « Révolutionnaire », de Frédéric Chopin.
Effet de contraste, la deuxième partie, « un poco piu tranquillo », est toute imprégnée des expressions romantiques de cette époque, et la douce texture des accords choisis hésite entre les influences du Maître et celles de son génial mari.
Isata Kanneh-Mason, jeune virtuose britannique, pas plus âgée que Clara composant ce Scherzo, se saisit avec un même bonheur des exigences de virtuosité et des subtilités mélancoliques que propose la partition. Sa technique, certes, mais aussi, indubitablement, son évidente proximité avec Clara, confèrent à la sensibilité de son interprétation une juste mesure des tempi et des dynamiques que la pianiste sert avec une remarquable articulation.
Il régnera chez nous une obscurité de rêve, il y aura des fleurs aux fenêtres, des murs bleu pâle, des gravures, un piano à queue et, là, nous nous aimerons unis dans une profonde fidélité.
Robert Schumann à sa fiancée, Clara Wieck, en janvier 1838
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Merci pour cette délicieuse rencontre cher Lelius !
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Chère Marie-Christine, chaque instant passé avec Clara – à la lecture de sa biographie ou de sa correspondance qui révèlent la sincérité de l’amante, le dévouement de l’épouse, le courage de la mère et la fidélité de l’amie, ou à l’écoute de sa musique – est un moment délicieux.
La femme est aussi aimable que l’artiste…
Paganini disait d’elle : « Elle a la vocation de l’art parce qu’elle en a le sentiment. »
Merci d’avoir perçu à travers ce billet la tendre admiration qu’elle m’inspire.
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