Confinés… passionnément

Plus je la connaissais, plus je découvrais en elle de nouvelles qualités aimables. Son esprit, son cœur, sa douceur et sa beauté formaient une chaîne si forte et si charmante, que j’aurais mis tout mon bonheur à n’en sortir jamais.

Pendant ce temps-là, notre mauvais génie travaillait à nous perdre. Nous étions dans le délire du plaisir, et le glaive était suspendu sur nos têtes.

Abbé Prévost – Manon Lescaut

Pendant les quelques semaines qui suivent leur première rencontre foudroyante dans cette sordide auberge où ni l’une ni l’autre n’auraient dû se trouver, les deux jeunes amants choisissent de se cloîtrer dans l’appartement parisien que loue Des Grieux pour abriter la passion naissante qu’il partage avec la charmante et volage Manon.
 Le jeune couple, qui vient d’abandonner le fou projet d’un mariage, s’active à « frauder les droits de l’Église » de la plus belle des manières…

De la plus belle des manières chorégraphiques, ainsi qu’en 1974 Kenneth MacMillan, alors directeur artistique du Royal Ballet de Londres, avait écrit et monté pour la première fois ce joyau emblématique de la danse classique :

Marianela Nuñez (Manon) et Federico Bonelli (Des Grieux) partagent ce confinement aussi passionné qu’aérien sur la scène du Royal Opera House :

Est-il instant plus pathétique que celui qui enferme dans la furtive extase d’un baiser d’amour le sourire de la grâce et la noblesse des corps ?

Un cœur en automne /7 : Séparation à deux voix

Rien n’est plus amer que la séparation lorsque l’amour n’a pas diminué de force, et la peine semble bien plus grande que le plaisir qui n’existe plus et dont l’impression est effacée.

Giacomo Casanova – « L’histoire de ma vie »

— ¤ —

L’une reste, l’autre part…
De son amour
chacune un jour
se sépare.

L’une chante, l’autre si peu !
La plus triste des deux
ne chante pas le mieux
son adieu.

Deux voix.
Une même tendresse.
Les grands émois
n’ont pas d’adresse.

Charlotte Gainsbourg : Elle reste et chante… si peu :

— ¤ —

Julia Lezhneva : Elle chante… mais ne reste pas :

MANON

Allons !… il le faut !
Pour lui-même !
Mon pauvre chevalier !
Oh ! Oui, c’est lui que j’aime !
Et pourtant, j’hésite aujourd’hui !
Non ! Non, je ne suis plus digne de lui !
J’entends cette voix qui m’entraîne
Contre ma volonté :
    « Manon, tu seras reine,
    « Reine par la beauté ! »

Je ne suis que faiblesse et que fragilité !
Ah ! malgré moi je sens couler mes larmes.

Devant ces rêves effacés !
L’avenir aura-t-il les charmes
De ces beaux jours déjà passés ?
Adieu, notre petite table
Qui nous réunit si souvent !
Adieu, notre petite table
Si grande pour nous cependant !
On tient, c’est inimaginable,
Si peu de place… en se serrant…
Adieu, notre petite table !
Un même verre était le nôtre,
Chacun de nous, quand il buvait,
Y cherchait les lèvres de l’autre…
Ah ! Pauvre ami, comme il m’aimait !
Adieu, notre petite table ! Adieu !