‘Brumes’

Le 2 mars 1939, Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz s’effondrait mortellement, après s’être fâché contre son canari, qui ne voulait pas rentrer dans sa cage. Le médecin conclura à une embolie. Sur sa tombe, au cimetière de Fontainebleau, ses amis feront graver ces mots : «Poète et métaphysicien». Pour un petit cercle de lettrés, un grand écrivain disparaissait, sans avoir été reconnu comme il l’aurait dû, et qui aura souffert toute sa vie d’une «excommunication» décrétée par l’influent André Gide.

Frédérique Franchette – journal  « Libération » (3/04/2003)

BRUMES

Je suis un grand jardin de novembre, un jardin éploré
Où grelottent les abandonnés du vieux faubourg ;
Où la couleur misérable des brumes dit : Toujours !
Où le battement des fontaines est le mot : Jamais…
— Autour d’un buste ridicule qui médite,
(Marie, tu dors, ton moulin va trop vite),
Tourne la ronde des désespoirs du vieux faubourg.

Entendez-vous la ronde qui pleure, dans le jardin noyé
De brume aveugle, au fond du vieux faubourg ?
Pauvres amitiés mortes, burlesques amours oubliées,
O vous les mensonges d’un soir, ô vous les illusions d’un jour,
Autour du buste ridicule qui médite,
(Marie, tu dors, ton moulin va trop vite),
Venez danser la ronde noire du vieux faubourg.

La brume a tout mangé, rien n’est gai, rien n’irrite,
Le rêve est aussi creux que la réalité.
Mais dans le parc où vous avez connu l’été
La ronde, la ronde immense tourne, tourne toujours,
Amis que l’on remplace, amantes que l’on quitte…
(Marie, tu dors, ton moulin va trop vite…)
Je suis un grand jardin de novembre, au fond d’un vieux faubourg.

Oscar Venceslas de Lubicz-Milosz (1877-1939)

Femme avec désert

Pour s’éprendre d’une femme, il faut qu’il y ait en elle un désert, une absence, quelque chose qui appelle la tourmente, la jouissance.

Christian Bobin (« La part manquante »)

.

Dans le parc du musée Rodin, il y a un couple assis sur un banc, au bord d’une pièce d’eau. Lumière éternelle du petit matin. Fraîcheur de l’entretien sans phrase, ininterrompu depuis ‑ déjà ‑ trois ans.

Elle porte une robe plissée avec, sur ses genoux, un sac de grand magasin. Il porte, depuis le début du jour, une nouvelle trop grande pour lui, dont il ne sait comment se délivrer. Cette nouvelle se confond avec sa solitude. Cette solitude rajeunie, puissante, se confond avec un nouvel amour qui l’a soumis ‑ par le regard, puis par la pensée ‑ à l’attraction d’une autre présence : blonde quand sa voisine est brune, vive comme cerisier au printemps, quand sa voisine a les nuances d’un été finissant. Comment lui dire qu’un astre est apparu, dont le nom, peu usé encore par les lèvres, sonne plus fort et plus prometteur que le sien ? Il se penche sur le gravier, ramasse des cailloux, les jette dans le bassin. Il se penche en lui, une poignée de mots, jetés dans l’eau sereine des yeux de sa voisine.

Elle considère avec attention un point désert du parc, au-delà du bassin. Immobile, elle demande deux, trois choses : plus jamais ? Plus jamais. Dès demain ? Dès demain. Silence. Silence avec chute de lumière. Nous existons si peu, c’est miracle que cette larme dans les yeux, ce nom qu’elle écrit sur la joue, ce nom qu’elle efface. Le chemin salé d’une larme sur la joue, dans le temps. Nous existons si peu. Lorsque nous disons « moi », nous ne disons rien encore, un simple bruit, l’espérance d’une chose à venir. Nous n’existons qu’en dehors de nous, dans l’écho de si loin venu, et voici que l’écho se perd et qu’il ne revient plus.

L’homme se lève, sur une autre route, déjà. Elle ne bouge pas. Le soir vient par habitude. La nuit se perd dans toutes les nuits du monde. Un nouveau jour arrive, qu’il faut longtemps envisager, au réveil, pour voir ce qu’il a de nouveau. Il y a une nouvelle statue de Rodin, dans le parc. C’est une femme, avec une robe plissée, elle est assise sur un banc.

Christian Bobin

Extrait de LA PENSÉE ERRANTE
       in LA PART MANQUANTE

 

Mais vieillir…! – 4 – Borges – Le temps

Le temps est la substance dont je suis fait.
Le temps est un fleuve qui m’emporte, mais je suis le fleuve ;
c’est un tigre qui me déchire, mais je suis le tigre ;
c’est un feu qui me consume, mais je suis ce feu.

Jorge-Luis Borges – « Nouvelle réfutation du temps » (1947)

τ

Par indécision, par négligence ou pour d’autres raisons, je ne me suis pas marié et maintenant je vis seul. Je ne souffre pas de la solitude ; il est déjà suffisamment difficile de se supporter soi-même et ses manies. Je constate que je vieillis ; un signe qui ne trompe pas est le fait que les nouveautés ne m’intéressent pas ni ne me surprennent, peut-être parce que je me rends compte qu’il n’y a rien d’essentiellement nouveau en elles et qu’elles ne sont tout au plus que de timides variantes.

Jorge-Luis Borges – « Le livre de sable »

τ

Je vous propose une citation de Saint-Augustin. Elle me paraît très appropriée. Il a écrit :
…. — « Qu’est-ce que le temps ? Si l’on ne me pose pas la question, je sais ce qu’est le temps. Si l’on me pose la question, je ne le sais plus. »
J’éprouve un sentiment identique en ce qui concerne la poésie.

Jorge-Luis Borges (« L’Art de la poésie »)

Borges (1899-1986)
Photo by Ulf Andersen / Getty Images

Mais vieillir…! – 2 – DANCE

En vieillissant, je sens que tout s’en va… et j’aime tout plus passionnément. (Émile Zola)

ψ

Jean de La Fontaine
—  Je crois qu’on est vieux la première fois…

Le rossignol
—  Qu’on aime ?

Jean de La Fontaine
—  Ah ! Non. La première fois qu’on cesse d’aimer.

Sacha Guitry  – « Jean de La Fontaine » (1916)

ψ

Ils n’ont plus vingt ans depuis un moment déjà. Chacun chez soi. Seul. Convaincu, chacun, que c’est bien mieux comme ça. Mais avec un zeste de frustration inavouée et des kyrielles de souvenirs capricieux. Avec encore le désir d’aimer. Un autre désir, nouveau certes. Un autre amour, différent, évidemment.

Pourquoi ne se voient-ils plus ? Même pas un texto depuis la dernière fois. Et si avec l’âge l’idée même d’un bonheur partagé devenait effrayante ? Chacun ne peut s’en prendre qu’à lui-même, après tout, il y a deux bouts à une ligne téléphonique.
A propos c’était quand déjà, la dernière fois ? Oh, un bail ! C’était bien pourtant : tant de rêves en commun, tant d’œillades complices, tant de plaisirs échangés, tellement de légèreté sous autant de pudeur. Un étrange retour d’adolescence : le cœur en cavale, le souffle engoncé, l’émotion coincée dans la gorge. Et ce terrible effort pour dompter ce satané feu qui ne demande qu’à embraser les joues. Et les larmes, si proches…
Ils ont passé l’âge, tout de même ! Et pourtant…

DANCE :

∼     Elle : Susan Sarandon
(La Louise de « Thelma et Louise » de Ridley Scott en 1991)
∼     Lui : Danny Glover
(Albert dans « La couleur pourpre » de Spielberg, en 1986)
∼     La musique et la voix : Julia Stone
(… née en 1984 !)

Encore…! Mais Julia Stone chante en français, cette fois-ci :

Julia Stone (auteure-compositrice-interprète folk australienne et multi-instrumentiste)

L’ignorant

RembrandtPhilosophe en méditation – 1632 (Louvre)

L’ignorant

Plus je vieillis et plus je croîs en ignorance,
plus j’ai vécu, moins je possède et moins je règne.
Tout ce que j’ai, c’est un espace tour à tour
enneigé ou brillant, mais jamais habité.
Où est le donateur, le guide, le gardien ?
Je me tiens dans ma chambre et d’abord je me tais
(le silence entre en serviteur mettre un peu d’ordre),
et j’attends qu’un à un les mensonges s’écartent :
que reste-t-il ? que reste-t-il à ce mourant
qui l’empêche si bien de mourir ? Quelle force
le fait encor parler entre ses quatre murs ?
Pourrais-je le savoir, moi l’ignare et l’inquiet ?
Mais je l’entends vraiment qui parle, et sa parole
pénètre avec le jour, encore que bien vague :

« Comme le feu, l’amour n’établit sa clarté
que sur la faute et la beauté des bois en cendres… »

Philippe Jaccottet (1925-2021)

 

 

« L’ignorant » – Poèmes 1953-1956 – Gallimard

 

 

Commentaires du poème par Jean-Michel Maulpoix : 
https://www.maulpoix.net/ignorant.htm

Tristesse

Adieu tristesse,
Bonjour tristesse…

Tu n’es pas tout à fait la misère,
Car les lèvres les plus pauvres te dénoncent
Par un sourire.

Paul Eluard

Ψ

Triste é viver na solidão
Na dor cruel de uma paixão
Triste é saber que ninguém
Pode viver de ilusão
Que nunca vai ser, nunca vai dar
O sonhador tem que acordar

Sua beleza é um avião
Demais p’rum pobre coração
Que para pra te ver passar
Só pra me maltratar
Triste é viver na solidão.

Il est triste de vivre dans la solitude
Dans la douleur cruelle d’une passion
Il est triste de savoir que personne
Ne peut vivre d’illusions
Que cela ne sera jamais, ça ne marchera jamais
Le rêveur doit se réveiller

Ta beauté est un avion
Trop belle pour un pauvre cœur
Qui s’arrête pour te voir passer
Juste pour se flageller
Il est triste de vivre dans la solitude.

Oiseaux tristes

Koson Ohara – oiseaux (début XXème)

… des oiseaux perdus dans la torpeur d’une forêt très sombre pendant les heures les plus chaudes de l’été.    (Ravel – 1928)

N’y a-t-il pas dans cette magnifique interprétation, en kimono, des « Oiseaux tristes » de Ravel, ce petit supplément de justesse de ton et de méticulosité du regard, propre à l’approche extrême-orientale, qui, observé depuis les méandres de nos esprits occidentaux, semble toujours mieux éclairer les profondeurs de la méditation ?

Madoka Fukami interprète Miroirs (1904-1906) de Maurice Ravel :

II. Oiseaux tristes

Quelle satisfaction pour Maurice Ravel, âgé de 30 ans à peine, d'apprendre que son illustre aîné Claude Debussy vient d'exprimer son profond désir d'écrire une musique "improvisée, ... détachée d’un cahier d’esquisses" ! Et pour cause... il est lui-même tout à la transcription d'une impression sonore qu'il a ressentie lors d'une promenade en forêt de Fontainebleau, en entendant un merle chanter. Il compose "Oiseaux tristes".

Bien qu'il récuse régulièrement l'emploi de l'épithète "impressionniste" appliquée à la musique, préférant en abandonner l'usage à l'univers de la peinture, c'est  bien dans un registre impressionniste, représentant des ambiances et des images, que Ravel choisit de composer, en ces années 1904-1906, les cinq pièces de "Miroirs".
"Oiseaux tristes", qui portera le numéro 2, en est sans doute l'illustration la plus significative : d'abord un chant d'oiseau solitaire, comme un appel, dans la tiède et humide atmosphère d'un épais sous-bois, suivi d'autres chants peut-être, d'autres vols, courts, tout aussi solitaires, sans relation établie. La partie centrale du mouvement plus dynamique et plus riche harmoniquement voudrait aider quelques rayons de lumière à traverser la canopée, mais l'humeur mélancolique finit désespérément par épouser la sombritude du lieu, faisant dire à quelque critique musical que le jeune compositeur avait écrit là son œuvre la plus sombre et la plus dépressive.

Sanctuaire de Kamishikimi Kumanoimasu – forêt de Takamori Machi (île de Kyushu – Japon)

Touch’ pas…. ma solitude !

Billet initialement publié sur Perles d’Orphée le 10/08/2015

… Et légèrement complété ici en guise de réponse définitive – oserais-je l’espérer – à la sempiternelle question avec laquelle, malgré la superfluité que mes années lui confèrent, on me harcèle encore.

Naïveté ou perversion : demander à un vieil âne borgne et boiteux pourquoi il n’a pas gagné le Prix d’Amérique ?

Barbara

N’ayez crainte, Madame, je ne touche rien !  Je ne touche à rien !
J’écoute !  Je Vous écoute…
Et, comme au premier jour, tout simplement, je vous aime !

Mais dites-moi ! Rien n’interdit, je suppose, de convertir votre propos au masculin ? Il me va si bien !
Après tout pourquoi pas « Homme-piano-lunettes » ?
Vous ne pouvez me répondre depuis votre paradis…
Qui ne dit mot consent !

Alors…
(avec un large sourire… mais pas si fier que ça) :

Femme ! Touche pas mon piano,
Touche pas mes remparts,
Touche pas mes lunettes,
Touche pas mon regard,
Touche pas ma roulotte,
Touche pas mes bateaux,
Touche pas mes hasards,
Touche pas mes silences.
Touche pas mes théâtres.
Ne me touche à rien.
J’ai tout, j’veux rien.
Péccable !

Ont touché à rien, sont parties plus loin.
Rien à dire.
Faut savoir
C’que vouloir.

M’ont laissé tout seul,
Avec mes lunettes, avec mon piano
Avec ma bible à moi, avec ça, tout ça,
Avec ma vie, ma vie,
Ma vie comme j’ai su,
Comme j’ai pu, comme j’ai voulu,
Belle ma vie, belle,
Belle !
Rien à dire,
Je vis mes délires.
Je suis fou, je chante, j’m’envole.
Avec vous j’ai tout, j’ai tout.
Mais Si Mi La Ré Si,
Le soir,
J’suis seul
Dans mon lit
Parce que…
Touche pas mon piano,
Touche pas mes remparts… 

L’entends-tu ?

La voix

Qui chante là quand toute voix se tait ?
Qui chante avec cette voix sourde et pure un si beau chant ?
Serait-ce hors de la ville, à
Robinson, dans un jardin couvert de neige ?
Ou est-ce là tout près, quelqu’un qui ne se doutait pas qu’on l’écoutât ?
Ne soyons pas impatients de le savoir puisque le jour n’est pas autrement précédé par l’invisible oiseau.
Mais faisons seulement silence.
Une voix monte, et comme un vent de mars aux bois vieillis porte leur force, elle nous vient sans larmes, souriant plutôt devant la mort.
Qui chantait là quand notre lampe s’est éteinte ?
Nul ne le sait.
Mais seul peut entendre le cœur qui ne cherche la possession ni la victoire.

 Philippe Jaccottet – Extrait de « L’Ignorant » – Gallimard, 1958

Mon cœur, entends-tu la voix paisible de l’âme qui depuis les confins de sa solitude amie chante, dans la douceur du jour qui s’éteint, son prélude au Voyage « Ich bin der Welt abhanden gekommen » (Je me suis retiré du monde).

Loin des vanités du monde, elle berce dans sa transcendante apesanteur l’union intime du poème et de la mélodie. Souffle ultime sur le dernier feu.

Me voilà coupé du monde
dans lequel je n’ai que trop perdu mon temps ;
il n’a depuis longtemps plus rien entendu de moi,
il peut bien croire que je suis mort !

Et peu importe, à vrai dire,
si je passe pour mort à ses yeux.
Et je n’ai rien à y redire,
car il est vrai que je suis mort au monde.

Je suis mort au monde et à son tumulte
et je repose dans un coin tranquille.
Je vis solitaire dans mon ciel,
dans mon amour, dans mon chant.

ƒ

Ich bin der Welt abhangen gekommen,
mir der ich sonst viele Zeit verdorben,
sie hat so lange nichts von mir vernommen,
sie mag wohl glauben, ich sei gestorben !

Es ist mir auch gar nichts daran gelegen,
ob sie mich für gestorben hält,
ich kann auch gar nichts sagen dagegen,
denn wirklich bin ich gestorben der Welt.

Ich bin gestorben dem Weltgetümmel,
und ruh in einem stillen Gebiet.
Ich leb allein in meinem Himmel
in meinem Lieben, in meinem Lied.

Mon choix le plus doux !

Crois bien qu’il y aura toujours de la solitude sur la terre pour ceux qui en seront dignes.

Villiers de L’Isle-Adam

Disparaître dans la seule contemplation du monde…
Une minute, un jour, le reste d’une vie…
S’abreuver au pampre d’une goutte d’éternité,
Silencieux sombrer sous un linceul sidéral,
Ressusciter dans le présage prodigieux de l’aube.

Éblouissant vertige, naître enfin à soi-même…
………………………………….Seul, pour la première fois !

« Ô solitude, mon choix le plus doux ! »

Ô Solitude
Ô que j’aime la solitude !
Que ces lieux consacrés à la nuit.
Éloignés du monde et du bruit,
Plaisent à mon inquiétude !
Ô que j’aime la solitude !

Que je prends de plaisir à voir
Ces monts pendants en précipices.
Qui, pour les coups du désespoir.
Sont aux malheureux si propices.
Quand la cruauté de leur sort.
Les force à rechercher la mort.

Je l’aime pour l’amour de toi,
Connaissant que ton humeur l’aime ;
Mais quand je pense bien à moi.
Je la hais pour la raison même :
Car elle pourrait me ravir
L’heur de te voir et te servir.

Oh ! que j’aime la solitude !
C’est l’élément des bons esprits,
C’est par elle que j’ai compris
L’art d’Apollon sans nulle étude.

Ô que j’aime la solitude !

L’émotion exclurait-elle un brin d’histoire ?

Katherine Philips – « Orinda »
(1631-1664)

Malgré ses nombreuses amitiés littéraires londoniennes Katherine Philips, alias « Orinda », poétesse très en vogue dans l’Angleterre du jeune Henry Purcell, ne manque pas d’occasions pour éprouver sa solitude, et notamment lors de ses longs séjours au Pays de Galles.

Antoine Girard de Saint-Amant (1594-1661)

Aussi, pratiquant un excellent français, est-elle interpelée par les vers de circonstance de son aîné d’outre-Manche, Antoine Girard de Saint-Amant, et traduit-elle, aussitôt découvert, le poème « La solitude » qu’il écrivait en 1617.

Henry Purcell (1659-1695)

C’est à partir de trois versets de cette traduction de Katherine Philips que l’incontournable compositeur anglais compose vers 1684 ou 85 cette aria que la postérité consacrera, à juste titre, comme une de ses œuvres de référence.

Cette pièce repose sur vingt-huit répétitions régulières d’une basse hypnotique sur laquelle Purcell illustre les visions poétiques d’une âme solitaire à travers une mélodie envoûtante dans laquelle se superposent, multicolores, les variétés harmoniques de la voix qui en évoque les beautés.

Un avant goût d’infini…!  Isn’t it ?

Merci à Jeffrey Stivers, inconditionnel amoureux de la musique baroque, qui publie sur YouTube une superbe collection de montages, plus séduisants les uns que les autres, à la gloire de ces voix fascinantes dont la sensibilité, la virtuosité et le faste constituent un inégalable fleuron de notre musique occidentale.

Absence

Ausencia

Habré de levantar la vasta vida
que aún ahora es tu espejo:
cada mañana habré de reconstruirla.
Desde que te alejaste,
cuántos lugares se han tornado vanos
y sin sentido, iguales
a luces en el día.
Tardes que fueron nicho de tu imagen,
músicas en que siempre me aguardabas,
palabras de aquel tiempo,
yo tendré que quebrarlas con mis manos.
¿En qué hondonada esconderé mi alma
para que no vea tu ausencia
que como un sol terrible, sin ocaso,
brilla definitiva y despiadada?
Tu ausencia me rodea
como la cuerda a la garganta,
el mar al que se hunde.

Jorge Luis Borgès (1899-1986)

Edward Munch - Jappe sur la plage - Oslo
Edward Munch – Jappe sur la plage (1891) – Oslo

Absence

.

Il me faudra soulever la vaste vie

qui est encore ton miroir :

Il me faudra la reconstruire chaque matin.

Depuis que tu es partie

combien d’endroits sont-ils devenus vains

et dénués de sens, pareils

à des lumières dans le jour.

Soirs qui furent abri pour ton image,

musiques où toujours tu m’attendais,

paroles de ces temps-là,

il me faudra les briser avec mes mains.

Dans quel creux cacherai-je mon âme

pour ne pas voir ton absence

qui, comme un soleil terrible, sans couchant,

brille définitive et impitoyable ?

Ton absence m’entoure

comme la corde autour de la gorge.

La mer où elle se noie.

.

In « Ferveur de Buenos Aires » (1923)

traduit de l’espagnol par Silvia Baron Supervielle

Et maintenant nuit…

Henri Berssenbrugge (1873-1959) - Calèches dans la nuit 1910-1920
Henri Berssenbrugge (1873-1959) – Calèches dans la nuit 1910-1920

Et maintenant nuit
Qui vient étoilée,
Et lune qui luit
Dans le ciel montée,

C’est dans le sommeil
La vie qui se tait,
Lumières qui veillent
Aux maisons fermées,

Rideaux descendus
Et volets baissés,
Et pavés à nu
Lors tus et muets.

Or silence en l’ombre,
Finie la journée,
C’est le jour allé
Comme nef qui sombre,

Et le fleuve au loin
Là-bas et qui chante
En les heures lentes,
Puis dans l’air marin

Le vent lors aussi
Suivant sa coutume,
Sur les toits qui fument
Qui passe transi.

Or comme il en est
Lors des choses dites,
En l’oubli qui naît
Des heures allées,

Dans le temps donné
Que la vie nous quitte,
En la rue tacite,
C’est la nuit qui paît,

Dans ta rue Saint-Paul,
Celle où tu es né,
Un matin de Mai
À la marée haute,

Dans la rue Saint-Paul,
Blanche comme un pôle,
Et dont tu fus l’hôte,
Pendant des années.

Max Elskamp (1862-1931) - bronze par A-J Strymans
Max Elskamp (1862-1931) – bronze par A-J Strymans