Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Tu n’es pas tout à fait la misère,
Car les lèvres les plus pauvres te dénoncent
Par un sourire.
Paul Eluard
Ψ
Triste é viver na solidão Na dor cruel de uma paixão Triste é saber que ninguém Pode viver de ilusão Que nunca vai ser, nunca vai dar O sonhador tem que acordar
Sua beleza é um avião Demais p’rum pobre coração Que para pra te ver passar Só pra me maltratar Triste é viver na solidão.
Il est triste de vivre dans la solitude Dans la douleur cruelle d’une passion Il est triste de savoir que personne Ne peut vivre d’illusions Que cela ne sera jamais, ça ne marchera jamais Le rêveur doit se réveiller
Ta beauté est un avion Trop belle pour un pauvre cœur Qui s’arrête pour te voir passer Juste pour se flageller Il est triste de vivre dans la solitude.
… des oiseaux perdus dans la torpeur d’une forêt très sombre pendant les heures les plus chaudes de l’été. (Ravel – 1928)
N’y a-t-il pas dans cette magnifique interprétation, en kimono, des « Oiseaux tristes » de Ravel, ce petit supplément de justesse de ton et de méticulosité du regard, propre à l’approche extrême-orientale, qui, observé depuis les méandres de nos esprits occidentaux, semble toujours mieux éclairer les profondeurs de la méditation ?
Madoka Fukami interprète Miroirs(1904-1906) de Maurice Ravel :
II. Oiseaux tristes
Quelle satisfaction pour Maurice Ravel, âgé de 30 ans à peine, d'apprendre que son illustre aîné Claude Debussy vient d'exprimer son profond désir d'écrire une musique "improvisée, ... détachée d’un cahier d’esquisses" ! Et pour cause... il est lui-même tout à la transcription d'une impression sonore qu'il a ressentie lors d'une promenade en forêt de Fontainebleau, en entendant un merle chanter. Il compose "Oiseaux tristes".
Bien qu'il récuse régulièrement l'emploi de l'épithète "impressionniste" appliquée à la musique, préférant en abandonner l'usage à l'univers de la peinture, c'est bien dans un registre impressionniste, représentant des ambiances et des images, que Ravel choisit de composer, en ces années 1904-1906, les cinq pièces de "Miroirs".
"Oiseaux tristes", qui portera le numéro 2, en est sans doute l'illustration la plus significative : d'abord un chant d'oiseau solitaire, comme un appel, dans la tiède et humide atmosphère d'un épais sous-bois, suivi d'autres chants peut-être, d'autres vols, courts, tout aussi solitaires, sans relation établie. La partie centrale du mouvement plus dynamique et plus riche harmoniquement voudrait aider quelques rayons de lumière à traverser la canopée, mais l'humeur mélancolique finit désespérément par épouser la sombritude du lieu, faisant dire à quelque critique musical que le jeune compositeur avait écrit là son œuvre la plus sombre et la plus dépressive.
Sanctuaire de Kamishikimi Kumanoimasu – forêt de Takamori Machi (île de Kyushu – Japon)
… Et légèrement complété ici en guise de réponse définitive – oserais-je l’espérer – à la sempiternelle question avec laquelle, malgré la superfluité que mes années lui confèrent, on me harcèle encore.
Naïveté ou perversion : demander à un vieil âne borgne et boiteux pourquoi il n’a pas gagné le Prix d’Amérique ?
∞
Barbara
N’ayez crainte, Madame, je ne touche rien ! Je ne touche à rien !
J’écoute ! Je Vous écoute…
Et, comme au premier jour, tout simplement, je vous aime !
Mais dites-moi ! Rien n’interdit, je suppose, de convertir votre propos au masculin ? Il me va si bien !
Après tout pourquoi pas « Homme-piano-lunettes » ?
Vous ne pouvez me répondre depuis votre paradis…
Qui ne dit mot consent !
Alors… (avec un large sourire… mais pas si fier que ça) :
Femme ! Touche pas mon piano, Touche pas mes remparts, Touche pas mes lunettes, Touche pas mon regard, Touche pas ma roulotte, Touche pas mes bateaux, Touche pas mes hasards, Touche pas mes silences. Touche pas mes théâtres. Ne me touche à rien. J’ai tout, j’veux rien. Péccable !
Ont touché à rien, sont parties plus loin. Rien à dire. Faut savoir C’que vouloir.
M’ont laissé tout seul, Avec mes lunettes, avec mon piano Avec ma bible à moi, avec ça, tout ça, Avec ma vie, ma vie, Ma vie comme j’ai su, Comme j’ai pu, comme j’ai voulu, Belle ma vie, belle, Belle ! Rien à dire, Je vis mes délires. Je suis fou, je chante, j’m’envole. Avec vous j’ai tout, j’ai tout. Mais Si Mi La Ré Si, Le soir, J’suis seul Dans mon lit Parce que… Touche pas mon piano, Touche pas mes remparts…
Qui chante là quand toute voix se tait ? Qui chante avec cette voix sourde et pure un si beau chant ? Serait-ce hors de la ville, à Robinson, dans un jardin couvert de neige ? Ou est-ce là tout près, quelqu’un qui ne se doutait pas qu’on l’écoutât ? Ne soyons pas impatients de le savoir puisque le jour n’est pas autrement précédé par l’invisible oiseau. Mais faisons seulement silence. Une voix monte, et comme un vent de mars aux bois vieillis porte leur force, elle nous vient sans larmes, souriant plutôt devant la mort. Qui chantait là quand notre lampe s’est éteinte ? Nul ne le sait. Mais seul peut entendre le cœur qui ne cherche la possession ni la victoire.
Philippe Jaccottet – Extrait de « L’Ignorant » – Gallimard, 1958
Philippe Jaccottet (né le 30-06-1925)
Friedrich Rückert (1788-1866)
Gustav Mahler (1860-1911)
José van Dam (né le 25-08-1940)
Mon cœur, entends-tu la voix paisible de l’âme qui depuis les confins de sa solitude amie chante, dans la douceur du jour qui s’éteint, son prélude au Voyage ? « Ich bin der Welt abhanden gekommen » (Je me suis retiré du monde).
Loin des vanités du monde, elle berce dans sa transcendante apesanteur l’union intime du poème et de la mélodie. Souffle ultime sur le dernier feu.
Me voilà coupé du monde dans lequel je n’ai que trop perdu mon temps ; il n’a depuis longtemps plus rien entendu de moi, il peut bien croire que je suis mort !
Et peu importe, à vrai dire, si je passe pour mort à ses yeux. Et je n’ai rien à y redire, car il est vrai que je suis mort au monde.
Je suis mort au monde et à son tumulte et je repose dans un coin tranquille. Je vis solitaire dans mon ciel, dans mon amour, dans mon chant.
ƒ
Ich bin der Welt abhangen gekommen, mir der ich sonst viele Zeit verdorben, sie hat so lange nichts von mir vernommen, sie mag wohl glauben, ich sei gestorben !
Es ist mir auch gar nichts daran gelegen, ob sie mich für gestorben hält, ich kann auch gar nichts sagen dagegen, denn wirklich bin ich gestorben der Welt.
Ich bin gestorben dem Weltgetümmel, und ruh in einem stillen Gebiet. Ich leb allein in meinem Himmel in meinem Lieben, in meinem Lied.
Crois bien qu’il y aura toujours de la solitude sur la terre pour ceux qui en seront dignes.
Villiers de L’Isle-Adam
∞
Disparaître dans la seule contemplation du monde…
Une minute, un jour, le reste d’une vie… S’abreuver au pampre d’une goutte d’éternité, Silencieux sombrer sous un linceul sidéral, Ressusciter dans le présage prodigieux de l’aube.
Éblouissant vertige, naître enfin à soi-même… ………………………………….Seul, pour la première fois !
∞
« Ô solitude, mon choix le plus doux ! »
Ô Solitude Ô que j’aime la solitude ! Que ces lieux consacrés à la nuit. Éloignés du monde et du bruit, Plaisent à mon inquiétude ! Ô que j’aime la solitude !
Que je prends de plaisir à voir Ces monts pendants en précipices. Qui, pour les coups du désespoir. Sont aux malheureux si propices. Quand la cruauté de leur sort. Les force à rechercher la mort.
Je l’aime pour l’amour de toi, Connaissant que ton humeur l’aime ; Mais quand je pense bien à moi. Je la hais pour la raison même : Car elle pourrait me ravir L’heur de te voir et te servir.
Oh ! que j’aime la solitude ! C’est l’élément des bons esprits, C’est par elle que j’ai compris L’art d’Apollon sans nulle étude.
Ô que j’aime la solitude !
∞
L’émotion exclurait-elle un brin d’histoire ?
Katherine Philips – « Orinda » (1631-1664)
Malgré ses nombreuses amitiés littéraires londoniennes Katherine Philips, alias « Orinda », poétesse très en vogue dans l’Angleterre du jeune Henry Purcell, ne manque pas d’occasions pour éprouver sa solitude, et notamment lors de ses longs séjours au Pays de Galles.
Antoine Girard de Saint-Amant (1594-1661)
Aussi, pratiquant un excellent français, est-elle interpelée par les vers de circonstance de son aîné d’outre-Manche, Antoine Girard de Saint-Amant, et traduit-elle, aussitôt découvert, le poème « La solitude » qu’il écrivait en 1617.
Henry Purcell (1659-1695)
C’est à partir de trois versets de cette traduction de Katherine Philips que l’incontournable compositeur anglais compose vers 1684 ou 85 cette aria que la postérité consacrera, à juste titre, comme une de ses œuvres de référence.
Cette pièce repose sur vingt-huit répétitions régulières d’une basse hypnotique sur laquelle Purcell illustre les visions poétiques d’une âme solitaire à travers une mélodie envoûtante dans laquelle se superposent, multicolores, les variétés harmoniques de la voix qui en évoque les beautés.
Un avant goût d’infini…! Isn’t it ?
Merci à Jeffrey Stivers, inconditionnel amoureux de la musique baroque, qui publie sur YouTube une superbe collection de montages, plus séduisants les uns que les autres, à la gloire de ces voix fascinantes dont la sensibilité, la virtuosité et le faste constituent un inégalable fleuron de notre musique occidentale.
Habré de levantar la vasta vida que aún ahora es tu espejo: cada mañana habré de reconstruirla. Desde que te alejaste, cuántos lugares se han tornado vanos y sin sentido, iguales a luces en el día. Tardes que fueron nicho de tu imagen, músicas en que siempre me aguardabas, palabras de aquel tiempo, yo tendré que quebrarlas con mis manos. ¿En qué hondonada esconderé mi alma para que no vea tu ausencia que como un sol terrible, sin ocaso, brilla definitiva y despiadada? Tu ausencia me rodea como la cuerda a la garganta, el mar al que se hunde.
Jorge Luis Borgès (1899-1986)
Edward Munch – Jappe sur la plage (1891) – Oslo
Absence
.
Il me faudra soulever la vaste vie
qui est encore ton miroir :
Il me faudra la reconstruire chaque matin.
Depuis que tu es partie
combien d’endroits sont-ils devenus vains
et dénués de sens, pareils
à des lumières dans le jour.
Soirs qui furent abri pour ton image,
musiques où toujours tu m’attendais,
paroles de ces temps-là,
il me faudra les briser avec mes mains.
Dans quel creux cacherai-je mon âme
pour ne pas voir ton absence
qui, comme un soleil terrible, sans couchant,
brille définitive et impitoyable ?
Ton absence m’entoure
comme la corde autour de la gorge.
La mer où elle se noie.
.
In « Ferveur de Buenos Aires » (1923)
traduit de l’espagnol par Silvia Baron Supervielle
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy
L'oreille du taureau à la fenêtre De la maison sauvage où le soleil blessé Un soleil intérieur de terre Tentures du réveil les parois de la chambre Ont vaincu le sommeil Paul Eluard