Une sorcière comme les autres

Vous m’avez aimée servante
M’avez voulue ignorante
Forte vous me combattiez
Faible vous me méprisiez
Vous m’avez aimée putain
Et couverte de satin
Vous m’avez faite statue
Et toujours je me suis tue

Aussi grande soit-elle, aussi juste, la cause ne trouve pas nécessairement le meilleur argument de sa défense sur le pic de la fourche. Les mots, en costume de poésie et en robe de musique, percent parfois, et sans violence, plus sûrement les cœurs les plus résistants.

En 1975, « Une sorcière comme les autres », la chanson de Anne Sylvestre, véritable charge lyrique en faveur d’un autre regard sur la femme, propose aux hommes de retourner le miroir.
Derrière la déférence apparente des formules convenues de politesse l’auteure les pousse en vérité, non sans empathie et avec élégance, à considérer l’éternelle histoire d’une indissociable communauté et les justes mutations qui pérenniseraient son futur.

Anne Sylvestre 1934-2020

Pour saluer comme il le mérite ce distingué mariage de la pensée et de l’émotion, deux jeunes femmes interprétant cette chanson, confèrent à ce texte une force saisissante qui transcende superbement les intentions de son inoubliable auteure.

Laetitia Isambert & Nathalie Doummar 
Piano : Yves Morin

S’il vous plaît
Soyez comme le duvet
Soyez comme la plume d’oie des oreillers d’autrefois
J’aimerais ne pas être portefaix
S’il vous plaît faites-vous léger
Moi je ne peux plus bouger

Je vous ai porté vivant
Je vous ai porté enfant
Dieu comme vous étiez lourd
Pesant votre poids d’amour
Je vous ai porté encore
À l’heure de votre mort
Je vous ai porté des fleurs
Vous ai morcelé mon cœur

Quand vous jouiez à la guerre moi je gardais la maison
J’ai usé de mes prières les barreaux de vos prisons
Quand vous mouriez sous les bombes je vous cherchais en hurlant
Me voilà comme une tombe et tout le malheur dedans

Ce n’est que moi
C’est elle ou moi
Celle qui parle ou qui se tait
Celle qui pleure ou qui est gaie
C’est Jeanne d’Arc ou bien Margot
Fille de vague ou de ruisseau

Et c’est mon cœur ou bien le leur
Et c’est la sœur ou l’inconnue
Celle qui n’est jamais venue
Celle qui est venue trop tard
Fille de rêve ou de hasard

Et c’est ma mère ou la vôtre
Une sorcière comme les autres

Il vous faut
Être comme le ruisseau
Comme l’eau claire de l’étang
Qui reflète et qui attend
S’il vous plaît
Regardez-moi je suis vraie
Je vous prie, ne m’inventez pas
Vous l’avez tant fait déjà
Vous m’avez aimée servante
M’avez voulue ignorante
Forte vous me combattiez
Faible vous me méprisiez
Vous m’avez aimée putain
Et couverte de satin
Vous m’avez faite statue
Et toujours je me suis tue

Quand j’étais vieille et trop laide, vous me jetiez au rebut
Vous me refusiez votre aide quand je ne vous servais plus
Quand j’étais belle et soumise vous m’adoriez à genoux
Me voilà comme une église toute la honte dessous

Ce n’est que moi
C’est elle ou moi
Celle qui aime ou n’aime pas
Celle qui règne ou se débat
C’est Joséphine ou la Dupont
Fille de nacre ou de coton

Et c’est mon cœur
Ou bien le leur
Celle qui attend sur le port
Celle des monuments aux morts
Celle qui danse et qui en meurt
Fille bitume ou fille fleur

Et c’est ma mère ou la vôtre
Une sorcière comme les autres

S’il vous plaît, soyez comme je vous ai
Vous ai rêvé depuis longtemps
Libre et fort comme le vent
Libre aussi, regardez je suis ainsi
Apprenez-moi n’ayez pas peur
Pour moi je vous sais par cœur

J’étais celle qui attend
Mais je peux marcher devant
J’étais la bûche et le feu
L’incendie aussi je peux
J’étais la déesse mère
Mais je n’étais que poussière
J’étais le sol sous vos pas
Et je ne le savais pas

Mais un jour la terre s’ouvre
Et le volcan n’en peux plus
Le sol se rompt, on découvre des richesses inconnues
La mer à son tour divague de violence inemployée
Me voilà comme une vague vous ne serez pas noyé

Ce n’est que moi
C’est elle ou moi
Et c’est l’ancêtre ou c’est l’enfant
Celle qui cède ou se défend
C’est Gabrielle ou bien Eva
Fille d’amour ou de combat

Et c’est mon cœur
Ou bien le leur
Celle qui est dans son printemps
Celle que personne n’attend
Et c’est la moche ou c’est la belle
Fille de brume ou de plein ciel

Et c’est ma mère ou la vôtre
Une sorcière comme les autres

S’il vous plaît, s’il vous plaît faites-vous léger
Moi je ne peux plus bouger

‘Tu penses à quoi ?’

Reprise d’un billet publié le 2/08/2016

Aimer quelqu’un, c’est le lire. C’est savoir lire toutes les phrases qui sont dans le cœur de l’autre, et en lisant le délivrer. C’est déplier son cœur comme un parchemin et le lire à haute voix, comme si chacun était à lui-même un livre écrit dans une langue étrangère.

Christian Bobin (« La lumière du monde » – Folio / Gallimard – 2003)

Improbable rencontre entre deux poètes sur la passerelle qu’ils ont construite sans le savoir, sans la vouloir, mot après mot, par-dessus le temps, l’espace, et leurs différences, pour parler d’amour !

Quand l’un affirme, l’autre interroge, et pourtant tous les deux, dans le même souffle d’une sensibilité partagée, donnent sa vraie dimension à ce silence, souvent inquiet, qui, de temps à autre, s’installe entre deux êtres qui s’aiment.

N’est-ce pas dans l’évidente lisibilité du secret de ces pauses que s’inscrit la sincérité du sentiment ?
Chaque interrogation ne sert-elle pas pudiquement de masque à l’aveu de cette évidence ?

Théâtre des Champs Élysées – 1984

Tu penses à quoi ?
A la langueur du soir dans les trains du tiers monde ?
A la maladie louche ? Aux parfums de secours ?
A cette femme informe et qui pourtant s’inonde ?
Aux chagrins de la mer planqués au fond des cours ?

Tu penses à quoi ?
A l’avion malheureux qui cherche un champ de blé ?
A ce monde accroupi les yeux dans les étoiles ?
A ce mètre inventé pour mesurer les plaies ?
A ta joie démarrée quand je mets à la voile ?

Tu penses à quoi ?
A cette rouge gorge accrochée à ton flanc ?
Aux pierres de la mer lisses comme des cygnes ?
Au coquillage heureux et sa perle dedans
Qui n’attend que tes yeux pour leur faire des signes ?

Tu penses à quoi ?
Aux seins exténués de la chienne maman ?
Aux hommes muselés qui tirent sur la laisse ?
Aux biches dans les bois ? Au lièvre dans le vent ?
A l’aigle bienheureux ? A l’azur qu’il caresse ?

Tu penses à quoi ?
A l’imagination qui part demain matin ?
A la fille égrenant son rosaire à pilules ?
A ses mains mappemonde où traîne son destin ?
A l’horizon barré où ses rêves s’annulent ?

Tu penses à quoi ?
A ma voix sur le fil quand je cherche ta voix ?
A toi qui t’enfuyais quand j’allais te connaître ?
A tout ce que je sais de toi et à ce que tu crois ?
A ce que je connais de toi sans te connaître ?

Tu penses à quoi ?
A ce temps relatif qui blanchit mes cheveux ?
A ces larmes perdues qui s’inventent des rides ?
A ces arbres datés où traînent des aveux ?
A ton ventre rempli et à l’horreur du vide ?

Tu penses à quoi ?
A la brume baissant son compteur sur ta vie ?
A la mort qui sommeille au bord de l’autoroute ?
A tes chagrins d’enfant dans les yeux des petits ?
A ton cœur mesuré qui bat coûte que coûte ?

Tu penses à quoi ?
A ta tête de mort qui pousse sous ta peau ?
A tes dents déjà mortes et qui rient dans ta tombe ?
A cette absurdité de vivre pour la peau ?
A la peur qui te tient debout lorsque tout tombe ?

Tu penses à quoi ? Tu penses à quoi, dis ?
A moi ? Des fois ?…
Je t’aime !

Elle viendra – 4 – La chanter ?

Leben wir denn, wir Menschen, um den Tod abzuschaffen? Nein, wir leben, um ihn zu fürchten und dann wieder zu lieben, und gerade seinetwegen glüht das bißchen Leben manchmal eine Stunde lang so schön.

Hermann Hesse – Der Steppenwolf

Vivons-nous donc, nous autres, pour nous débarrasser de la mort ? Non, nous vivons pour la craindre et aussi pour l’aimer, et c’est grâce à elle que ce petit bout de vie, quelquefois, l’espace d’une heure, brûle d’une flamme si belle.

Hermann Hesse – Le loup des steppes

Θ

Je la chante et, dès lors, miracle des voyelles
Il semble que la Mort est la sœur de l’amour

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Jean Roger Caussimon (paroles) & Léo Ferré (musique et voix)

« Ne chantez pas la mort ! » 

Ne chantez pas la Mort, c’est un sujet morbide
Le mot seul jette un froid, aussitôt qu’il est dit
Les gens du show-business vous prédiront le bide
C’est un sujet tabou pour poète maudit
La Mort… La Mort

Je la chante et, dès lors, miracle des voyelles
Il semble que la Mort est la sœur de l’amour
La Mort qui nous attend et l’amour qu’on appelle
Et si lui ne vient pas, elle viendra toujours
La Mort… La Mort

La mienne n’aura pas, comme dans le Larousse
Un squelette, un linceul ; dans la main, une faux,
Mais fille de vingt ans à chevelure rousse
En voile de mariée, elle aura ce qu’il faut
La Mort… La Mort

De grands yeux d’océan, la voix d’une ingénue,
Un sourire d’enfant sur des lèvres carmin,
Douce, elle apaisera sur sa poitrine nue
Mes paupières brûlées, ma gueule en parchemin,
La Mort… La Mort

Requiem de Mozart et non Danse Macabre,
Pauvre valse musette au musée de Saint-Saëns,
La Mort c’est la beauté, c’est l’éclair vif du sabre,
C’est le doux penthotal, de l’esprit et des sens,
La Mort… La Mort

Et n’allez pas confondre et l’effet et la cause,
La Mort est délivrance, elle sait que le Temps
Quotidiennement nous vole quelque chose,
La poignée de cheveux et l’ivoire des dents
La Mort… La Mort

Elle est euthanasie, la suprême infirmière,
Elle survient à temps, pour arrêter ce jeu,
Près du soldat blessé dans la boue des rizières,
Chez le vieillard glacé dans la chambre sans feu
La Mort… La Mort

Le Temps c’est le tic-tac monstrueux de la montre,
La Mort, c’est l’infini dans son éternité.
Mais qu’advient-il de ceux qui vont à sa rencontre ?
Comme on gagne sa vie, nous faut-il mériter
La Mort… La Mort… La Mort ?

Charles Allan Gilbert All is vanity -1892

Elle viendra ! – 1 – ‘Qui est-elle ?’

Qui ne voit pas la mort en rose est affecté d’un daltonisme du cœur.

Émile Cioran

L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie.

Spinoza – ‘Éthique’

Gustav Klimt Mort et Vie (vers 1910) – Leopold Museum, Vienne, Autriche 

Barbara chante

« La Mort »

La Mort

Qui est cette femme qui marche dans les rues,
Où va-t-elle ?
Dans la nuit brouillard où souffle un hiver glacé,
Que fait-elle ?
Cachée par un grand foulard de soie,
A peine si l’on aperçoit la forme de son visage,
La ville est un désert blanc,
Qu’elle traverse comme une ombre,
Irréelle,

Qui est cette femme qui marche dans les rues,
Qui est-elle ?
A quel rendez-vous d’amour mystérieux,
Se rend-elle ?
Elle vient d’entrer dessous un porche,
Et lentement, prend l’escalier,
Où va-t-elle ?
Une porte s’est ouverte,
Elle est entrée sans frapper,
Devant elle,

Sur un grand lit, un homme est couché,
Il lui dit : « je t’attendais,
Ma cruelle »,
Dans la chambre où rien ne bouge,
Elle a tiré les rideaux,
Sur un coussin de soie rouge,
Elle a posé son manteau,
Et belle comme une épousée,
Dans sa longue robe blanche,
En dentelle,
Elle s’est penchée sur lui, qui semblait émerveillé,
Que dit-elle ?

Elle a reprit l’escalier, elle est ressortit dans les rues,
Où va cette femme, en dentelles ?
Qui est cette femme ?
Elle est belle,
C’est la dernière épousée,
Celle qui vient sans qu’on l’appelle,
La fidèle,
C’est l’épouse de la dernière heure,
Celle qui vient lorsque l’on pleure,
La cruelle,

C’est la mort, la mort qui marche dans les rues,
Méfie-toi,
Referme bien tes fenêtres,
Que jamais elle ne pénètre chez toi,
Cette femme, c’est la mort,
La mort, la mort…

Barbara 1930-1997

 

‘Ma maison’

Si l’on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce serait la salle d’attente.

Jules Renard

Ma maison

Je m’invente un pays où vivent les soleils
Qui incendient les mers et consument les nuits,
Les grands soleils de feu, de bronze ou de vermeil,
Les grandes fleurs soleils, les grands soleils soucis,
Ce pays est un rêve où rêvent mes saisons,
Et dans ce pays-là, j’ai bâti ma maison,

Ma maison est un bois, mais c’est presque un jardin,
Qui danse au crépuscule, autour d’un feu qui chante,
Où les fleurs bleues se mirent dans un grand lac sans tain,
Et leurs images embaument les brises frissonnantes,
Aussi folles que l’aube, aussi belles que l’ambre,
Dans cette maison-là, j’ai installé ma chambre ;

Ma chambre est une église où je suis à la fois,
Si je hante un instant, ce monument étrange,
Et le prêtre et le Dieu, et le doute, et la foi,
Et l’amour et la femme, et le démon et l’ange.
Au ciel de mon église, brûle un soleil de nuit,
Dans cette chambre-là, j’y ai couché mon lit ;

Mon lit est une arène ou se mène un combat,
Sans merci, sans repos, je repars, tu reviens,
Une arène où l’on meurt aussi souvent que ça,
Mais où l’on vit, pourtant, sans penser à demain,
Où mes grandes fatigues chantent quand je m’endors,
Je sais que, dans ce lit, j’ai ma vie, j’ai ma mort.

Je m’invente un pays où vivent les soleils,
Qui incendient les mers et consument les nuits,
Les grands soleils de feu, de bronze ou de vermeil,
Les grandes fleurs soleils, les grands soleils soucis.
Ce pays est un rêve où rêvent mes saisons,
Et moi dans ce pays, j’ai bâti ta maison…

Barbara 1930-1997

 

Paroles de François Wertheimer (1973)

Mais vieillir… ! – 19 – ‘Un été 42’

Dieu, ton plaisir jaloux est de briser les cœurs !
Tu bats de tes autans le flot où tu te mires !
Oh ! pour faire, Seigneur, un seul de tes sourires,
Combien faut-il donc de nos pleurs ?

Stéphane Mallarmé – ‘Élégies‘ II-3

In everyone’s life there is a summer of ’42

Pour la musique de Michel Legrand

Pour le charme lumineux de Jennifer O’Neil

Pour le juste reflet de l’adolescent qu’incarne Gary Grimes

Pour le film de Robert Mulligan, « Summer of ’42 » (1971)

Pour sentir encore le parfum nostalgique du premier amour… et

Pour, une dernière fois, de ses larmes en goûter le sel

L’adolescence, comme le prétendait François Truffaut, ne laisse-t-elle un bon souvenir qu’aux adultes ayant mauvaise mémoire ?

‘La maison sous les arbres’

– Pour les images du générique du film de René Clément…

– Pour Faye Dunaway qui m’a tant fait rêver…

– Pour la musique romantique de Gilbert Bécaud…

– Pour caresser un vieux souvenir… ou deux…

… Et pour Gilbert Bécaud que l’on oublie trop !

La maison sous les arbres
Est en pierres de lune,
Posées une à une
Comme des brindilles
Sur un nid d’oiseaux,
Des diamants qui brillent
Sur de l’eau.
.
La maison sous les arbres
Est en pierres de lune,
Posées une à une
Comme des brindilles
Pour te faire un nid.
Ce sera ton nid,
Ton abri.
.
La maison sous les arbres
N’aura que des fenêtres
Et un toit peut-être
Où les hirondelles
Et leurs hirondeaux
Rangeront leurs ailes
En duo.
.
Reviens, je l’ai faite pour toi
De mes mains.
Elle a besoin de toi,
Tu vois bien !
Elle est sans raison
Et n’a pas de nom
Sans toi.
.
La maison sous les arbres
Est en pierres de lune,
Posées une à une.
Mais pour l’habiter,
C’est bien entendu,
Tu devras marcher
Les pieds nus,
Les pieds nus.
.
Paroles: Pierre Delanoë. Musique: Gilbert Bécaud – 1971

Mais vieillir… ! – 17 – Ce soir, je bois

Cette nuit, je vais écrire mon livre.
Il est temps, depuis l’temps.
C’est mon roman, c’est mon histoire !
Il y a des choses qu’on n’écrit
Que lorsqu’il est très tard,
Que lorsqu’il fait bien nuit…

Serge Reggiani

‘La chanson de Paul’

Ce soir, je bois !
Tu peux toujours éteindre la lampe
Et ta main blanche glissant sur la rampe
Monter jusqu’à ta chambre
Pour y chercher ton sommeil noir…
Moi, je reste en bas ce soir
Et je bois !
Oui, j’ai promis !
Oui, mais je bois quand même !
Va, je t’aime.
Va dans ta nuit…

Je bois…
Aux femmes qui ne m’ont pas aimé
Aux enfants que je n’ai pas eus
Mais à toi qui m’a bien voulu…
Je bois…
A ces maisons que j’ai quittées
Aux amis qui m’ont fait tomber
Mais à toi qui m’as embrassé…
Mais à toi qui m’as embrassé…

Ce soir-là
On sortait d’un cinéma
Il faisait mauvais temps
Dans la rue Vivienne
J’étais très élégant
J’avais ma canadienne
Toi tu avais ton manteau rouge
Et je revois ta bouche
Comme un fruit sous la pluie…
Comme un fruit sous la pluie…

Ce soir, je bois !
Heureusement, je ne suis jamais ivre.
Dors… Cette nuit, je vais écrire mon livre.
Il est temps, depuis l’temps.
C’est mon roman, c’est mon histoire !
Il y a des choses qu’on n’écrit
Que lorsqu’il est très tard,
Que lorsqu’il fait bien nuit…
Dors, je t’aime.
Dors dans ma vie…

Je bois…
Aux lettres que je n’ai pas écrites,
A des salauds qui les méritent
Mais je n’sais plus où ils habitent…
Je bois…
A toutes les idées que j’ai eues.
Je bois aussi dès qu’ils m’ont eu
Mais à toi qui m’a défendu,
Mais à toi qui m’a défendu…

Ce jour-là,
Dans un café du quinzième,
Tu m’avais dit: «je t’aime»
Je n’écoutais pas.
Y avait toute une équipe.
On parlait politique.
Je m’suis battu avec un type
Et tu m’as emmené
Comme un enfant blessé,
Comme un enfant blessé…

Je bois…
Au combat que tu as mené
Pour m’emmener loin de la fête.
Ce soir, je bois à ta défaite.
Je bois…
Au temps passé à te maudire,
A te faire rire, à te chérir,
Au temps passé à te vieillir.
Je bois…
Aux femmes qui ne m’ont pas aimé,
Aux enfants que je n’ai pas eus
Mais à toi qui m’a bien voulu,
Mais à toi qui m’a bien voulu.

Producteur : Claude Dejacques
Compositeur : Alain Goraguer
Auteur : Jean-Loup Dabadie

La dame à la rose

Reprise et adaptation d'un billet publié le 23/10/2014 sur
"Perles d'Orphée" : 
"La dame à la rose - Écouter"

Moi, j’aime les roses épistolaires.

Rainer Maria Rilke – « Les roses » XVIII

Edmond Jaloux 1878-1949

En décembre 1927, l’écrivain et critique littéraire Edmond Jaloux, loin encore de son fauteuil d’académicien français, mais si proche des poètes scandinaves et des romantiques allemands, publie une biographie particulière de Rainer Maria Rilke, composée en forme de recueil de divers articles et essais. Un portrait très « interprété », comme l’écrira alors le commentateur de l’ouvrage dans un article de La Revue de Genève.

Jaloux y dévoile la lettre d’une femme anonyme, amie et admiratrice de l’auteur des inoubliables « Cahiers de Malte Laurids Brigge », désireuse sans doute de fixer la mémoire d’heureux instants passés en la compagnie du poète.

Rainer Maria Rilke 1875-1926

Bien des années plus tard, passionnée par Rainer Maria Rilke, Fabienne Marsaudon découvre cette lettre à partir de laquelle elle compose une très émouvante chanson. Sa voix chaude et sensuelle soutenue par une superbe orchestration rehausse le sépia des vieilles photos de toutes les couleurs de l’âme romantique.

‘Lorsque tu me liras’

Le Bonheur c’est pas grand chose, c’est juste du chagrin qui se repose.    Léo Ferré

Lorsque tu me liras…

Lorsque tu me liras, je te regarderai dans le pare-brise,
Tu viendras à moi, tout entière, comme la route,
Lorsque tu me liras, la maison sera silencieuse,
Et mon silence à moi te remplira tout entière aussi.

Avec toi, dans toi, je ne suis jamais silencieux,
C’est une musique très douce que je t’apporte…
Quant à toi, tu verses au plus profond de ma solitude, cette joie triste d’être,
Cet amour que, jour après jour, nous bâtissons, en dépit des autres,
En dépit de cette prison où nous nous sommes mis,
En dépit des larmes que nous pleurons chacun dans notre coin,
Mais présents l’un à l’autre…

Je te voyais, ces jours ci, dans la lande, là-bas, où tu sais…
Je t’y voyais bouger, à peine te pencher vers cette terre que nous aimons bien tous les deux,
Et tu te prosternais à demi, comme une madone,
Et je n’étais pas là… ni toi…
Ce que je voyais c’était mon rêve…

Ne pas te voir plus que je ne te vois…
Je me demande la dette qu’on me fait ainsi payer.
Pourquoi ?

L’amour est triste, bien sûr, mais c’est difficile,
Au bout du compte, difficile…

Dans mes bras, quand tu t’en vas longtemps vers les étoiles et que tu me demandes de t’y laisser encore… encore…
Je suis bien ; c’est le printemps, tout recommence, tout fleurit,
Et tu fleuriras aussi de moi, je te le promets.

La patience, c’est notre grande vertu, c’est notre drame aussi.
Un jour nous ne serons plus patients.
Alors, tout s’éclairera, et nous dormirons longtemps,
Et nous jouirons comme  des enfants.

Tu m’as refait enfant ; j’ai devant moi des tas de projets de bonheur…
Mais maintenant, tout est arrêté dans ma prison.
J’attends que l’heure sonne…
Je me perds dans toi, tout à fait.

Je t’aime, Christie,
Je t’aime

Léo Ferré (1986)

Mais vieillir… ! – 14 – Ensemble

Le véritable amour, toujours modeste, n’arrache pas ses faveurs avec audace, il les dérobe avec timidité. La décence et l’honnêteté l’accompagnent au sein de la volupté même, et lui seul sait tout accorder au désir sans rien ôter à la pudeur. Bien souvent l’erreur cruelle est de croire que l’amour heureux n’a plus de ménagements à garder avec la pudeur, et qu’on ne doit plus de respect à celle dont on n’a plus de rigueurs à craindre.

Jean-Jacques Rousseau – in « Julie ou La nouvelle Héloïse » – 1761

Picasso – L’Entretien

Le vieux couple

Ce qui me plait dans ce duo
C’est que tu fais la voix du haut
C’est toi qui sais, c’est toi qui dis
C’est toi qui penses et moi je suis
Mais les grands soirs lorsque tu pleures
Quand tu as peur dans ta chaloupe
C’est moi qui parle pendant des heures
Nous sommes en somme un vieux couple

Je n’sais plus où je t’ai connue
C’est à l’école ou au guignol
Je me rappelle cette ingénue
Qui avait perdu la boussole
Depuis je t’empêche de boire
Sauf les grands soirs dans ta chaloupe
Quand tu me chantes tes déboires
Nous sommes en somme un vieux couple

Avec ta tête d’épagneul
Qui n’a pas appris à nager
Avec ma gueule à rester seul
Derrière des demis panachés
Quand les grands soirs dans ta chaloupe
Nous parlons de tes états d’´âme
Et que tu diffames mes femmes
Nous sommes en somme un vieux couple

Le seize août mil’ neuf cent soixante
J’ai marié cette dame charmante
Cinq jours après j’étais parti
Et tu me bordais dans mon lit
Alors a commencé la nuit
Alors a commencé la nuit
Dont on se croyait les étoiles
Mais on n’était que les cigales

On s’est battu on s’est perdu
Tu as souvent refait ta vie
Et le plus beau, tu m’as trahi
Mais tu ne m’en as pas voulu
Et les grands soirs dans ta chaloupe
Tu connais bien mes habitudes
Je connais bien ta solitude
Nous sommes en somme un vieux couple

Mon ami, mon copain, mon frère
Ma vieille chance, ma galère
Mon enfant, mon Judas, mon juge
Ma rassurance, mon refuge
Mon frère, mon faux-monnayeur
Mon ami, mon valet de cœur
Je ne voudrais pas que tu meures
Je ne voudrais pas que tu meures

Paroles : Jean-Loup Dabadie – Musique : Jacques Datin
1972 « Serge Reggiani »

Retrouvée, mon éternité ! 2/2 – Aragon

Elle est retrouvée.
Quoi ? – Mon Éternité.
C’est la voix allée

Avec le poème. *

Chanter Aragon après Léo Ferré et Catherine Sauvage : dangereuse aventure pour l’interprète d’aujourd’hui ! Quelques-uns, quelques-unes essayent encore, mais…

Rares, désormais, sont les tentatives. Plus rares encore les réussites. Mais le miracle n’est pas exclu :

« Est-ce ainsi que les hommes vivent ? »

Cécile McLorin Salvant accompagnée au piano par Sullivan Fortner

Nantes – mai 2019

* Pardon cher Arthur !

Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c’est encore
Moi qui moi–même me trahis
Moi qui me traîne et m’éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j’ai cru trouver un pays.

Cœur léger, cœur changeant, cœur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut–il faire de mes nuits
Que faut–il faire de mes jours
Je n’avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m’endormais comme le bruit.

Est–ce ainsi que les hommes vivent ?
Et leurs baisers au loin les suivent

C’était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d’épaule
La pièce était–elle ou non drôle
Moi si j’y tenais mal mon rôle
C’était de n’y comprendre rien

Dans le quartier Hohenzollern
Entre La Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un cœur d’hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m’allonger près d’elle
Dans les hoquets du pianola.

Est–ce ainsi que les hommes vivent ?
Et leurs baisers au loin les suivent

Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au–dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke.

Elle était brune elle était blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faïence
Elle travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n’en est jamais revenu.

Est–ce ainsi que les hommes vivent ?
Et leurs baisers au loin les suivent.

Il est d’autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t’en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton cœur
Un dragon plongea son couteau

C’est ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.

Pour savoir qui est Cécile McLorin Salvant : Wikipedia

Retrouvée, mon éternité ! 1/2 – Barbara

Elle est retrouvée.
Quoi ? – Mon Éternité.
C’est la voix allée
Avec le poème. *

Chanter Barbara après Barbara : terrible gageure !
Nombreuses s’y sont brûlé les ailes…

Alors revisiter « Ma plus belle histoire d’amour » longtemps après que la dame brune a abandonné à jamais sur le tabouret de son piano le fourreau noir qui épousait sa longue silhouette d’amoureuse… Folie ?

C’est l’apanage du talent, me semble-t-il, de minimiser l’influence de la comparaison, jusqu’à la faire oublier… Peut-être.

« Ma plus belle histoire d’amour »

Cécile McLorin Salvant accompagnée au piano par Sullivan Fortner

Nantes – mai 2019

* Pardon cher Arthur !

Du plus loin, que me revienne
L’ombre de mes amours anciennes
Du plus loin, du premier rendez-vous
Du temps des premières peines
Lors, j’avais quinze ans, à peine
Cœur tout blanc, et griffes aux genoux
Que ce fut, j’étais précoce
De tendres amours de gosse
Les morsures d’un amour fou
Du plus loin qu’il m’en souvienne
Si depuis, j’ai dit « je t’aime »
Ma plus belle histoire d’amour
C’est vous
.
C’est vrai, je ne fus pas sage
Et j’ai tourné bien des pages
Sans les lire, blanches, et puis rien dessus,
C’est vrai, je ne fus pas sage
Et mes guerriers de passage
À peine vus, déjà disparus
Mais à travers leur visage
C’était déjà votre image
C’était vous déjà et le cœur nu
Je refaisais mes bagages
Et je poursuivais mon mirage
Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous
.
Sur la longue route
Qui menait vers vous
Sur la longue route
J’allais le cœur fou
Le vent de décembre
Me gelait au cou
Qu’importait décembre
Si c’était pour vous
Elle fut longue la route
Mais je l’ai faite, la route
Celle-là, qui menait jusqu’à vous
Et je ne suis pas parjure
Si ce soir, je vous jure
Que, pour vous, je l’eus faite à genoux
Il en eut fallu bien d’autres
Que quelques mauvais apôtres
Que l’hiver ou la neige à mon cou
Pour que je perde patience
Et j’ai calmé ma violence
Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous
.
Mais tant d’hivers et d’automnes
De nuit, de jour, et puis personne
Vous n’étiez jamais au rendez-vous
Et de vous, perdant courage, soudain
Me prenait la rage
Mon Dieu, que j’avais besoin de vous
Que le Diable vous emporte
D’autres m’ont ouvert leur porte
Heureuse, je m’en allais loin de vous
Oui, je vous fus infidèle
Mais vous revenais quand même
Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous
.
J’ai pleuré mes larmes
Mais qu’il me fut doux
Oh, qu’il me fut doux
Ce premier sourire de vous
Et pour une larme qui venait de vous
J’ai pleuré d’amour
Vous souvenez-vous ?
Ce fut, un soir, en septembre
Vous étiez venus m’attendre
Ici même, vous en souvenez-vous ?
À vous regarder sourire
À vous aimer, sans rien dire
C’est là que j’ai compris, tout à coup
J’avais fini mon voyage
Et j’ai posé mes bagages
Vous étiez venus
Au rendez-vous
.
Qu’importe ce qu’on peut en dire
Je tenais à vous le dire
Ce soir je vous remercie de vous
.
Qu’importe ce qu’on peut en dire
Je suis venue pour vous dire
Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous
.
Pour savoir qui est Cécile McLorin Salvant : Wikipedia

Ménilmontant – Ménil’manouche

On y cause en argomuche
Et Pantin se dit Pant’ruche
Ménilmontant, Ménil’muche
Et le temps n’y change rien.

Jean-Roger Caussimon – « Paris jadis », 1977

Je suis pas poète
Mais je suis ému
Et dans ma tête
Y a des souvenirs jamais perdus

Charles Trénet (1913-2001)
« Ménilmontant » – 1938

§
.
Voix et guitare : Marion Lenfant-Preus
Guitare : Joscho Stephan
Basse : Volker Kamp

§

Mais l’éternelle version originale par « le fou chantant » :

Ménilmontant est un ancien faubourg de Paris. Il est un des hameaux annexés par la capitale en 1860 sous l’impulsion du baron Haussmann dans le cadre des grands travaux de transformation de la ville.
Sa position géographique élevée en fit longtemps un point d'alimentation en eau de la ville de Paris.
Le quartier demeuré très populaire est aujourd'hui l'un des plus cosmopolites de la capitale. Associé inséparablement avec le quartier voisin, Belleville, il en constitue le 20ème arrondissement.

‘Le temps perdu’

J’aimerais assez cette critique de la poésie : la poésie est inutile comme la pluie.

René-Guy Cadou – Usage interne (1951)

Le temps perdu

Si tu traverses les forêts de mon visage
Et les ronds-points de ma poitrine après minuit
Si tu es pris d’un grand courage
Et t’égares dans mes pays
Au bercement des oies sauvages
N’espère plus trouver ce qui t’avait conquis

Tous ceux que j’abritais tendrement sous mes lèvres
Et qui me répondaient lorsque j’avais trop faim
Les boisseaux de soleil qui coulaient de mes mains
Les vents alcoolisés qui me donnaient la fièvre

Tous les arbres venus s’appuyer à mon cou
Et les rouges cerviers du soir dans mes genoux
L’odeur de mes vingt ans emportés par les lièvres
Tout cela n’était rien puisque je vis encore

Il fallait me jeter sur le plancher du bord
Dépouillé de mes biens terrestres de mes armes
Peut-être aurais-je pu répondre de mes larmes

J’ai trop couru le monde à la suite des mers
Et lorsque je reviens m’accouder à la table
C’est pour trouver la même vague au fond du verre

 

René-Guy Cadou (1920-1951)

 

 

Musique Voix Guitare : Martine Caplanne
Guitare : Philippe Ferrière

CD Aller simple – MSI 2000