Marta et les sorcières

William Edward Frost (1810-1877) – Les trois sorcières de Macbeth

Écailles de dragon et dents de loup,
Momie de sorcière, estomac et gosier
Du vorace requin des mers salées,
Racine de ciguë arrachée dans la nuit,
Foie de juif blasphémateur,
Fiel de bouc, branches d’if
Coupées pendant une éclipse de lune,
Nez de Turc et lèvres de Tartare,
Doigt de l’enfant d’une fille de joie
Mis au monde dans un fossé et étranglé en naissant…

Shakespeare – Macbeth – Acte IV-Scène 1 – Troisième sorcière

Mais, faudra-t-il encore, jeune pianiste, ajouter dans ton chaudron bouillant crapaud macéré trente-et-un jours, fils de serpent des marais, œil de lézard, pied de grenouille, duvet de chauve-souris et langue de chien – j’en passe, et des meilleurs -, si tu veux que ton philtre, bouillon d’enfer, infuse jusque dans tes doigts la virtuosité indispensable à l’expression des débordements lyriques échevelés et de la luxuriance sonore dont l’autre sourd de la musique, Bedrich Smetana, fervent admirateur du grand Franz Liszt, para jadis sa fantaisie concertante :

« Macbeth et les sorcières ».

smetana
Bedrich Smetana 1824-1884

Redoublons, redoublons de travail et de soins :
Feu, brûle ; et chaudron, bouillonne.

Shakespeare – Macbeth – Acte IV-Scène 1 – Trois sorcières

Redoublant de travail, à l’instar des sorcières que Shakespeare mit, au début de l’acte IV, sur le chemin de Macbeth, tu n’oublieras pas, ô scrupuleuse pianiste, ni le trouble intérieur du héros dramatique, ni la perversité de ses actions, ni la fragilité de son pouvoir. Et toujours devras-tu percevoir, vaporeux inquiétant filigrane, l’impalpable mystère des mondes surnaturels.
Car c’est bien la représentation musicale de cette scène de l’illustre pièce du plus admiré des dramaturges que, fidèle au choix inspiré du compositeur, tu devras offrir à notre écoute imaginative.

Affute ta technique sur les dents d’un requin, égruge tes doigts sur l’ivoire du clavier, et que soufflent les puissances occultes à travers tes cadences ! Fais trembler le théâtre, et fais rugir Macbeth !

Marta Czech

jeune pianiste polonaise, 
lauréate en 2019 du Concours des Jeunesses Musicales de Belgrade 

« Macbeth et les sorcières »
– op. posthume (composée en 1859)

Remarque à l’attention des pianistes : sorcellerie de compositeur, Smetana n’a pas joint la recette complète du chaudron magique à sa partition.

ƒƒƒ​

Bedrich Smetana, compositeur Bohémien, né en 1824, est surtout connu aujourd'hui par la plus célèbre de ses oeuvres : La Moldau, poème symphonique écrit à la gloire de la rivière qui traverse Prague.

Son admiration pour Franz Liszt et sa rencontre avec l'immense pianiste apparaissent comme un évènement central dans  son évolution musicale, particulièrement depuis l'intensification de leur relation au cours de la période 1856-1861.

À partir de 1857, Smetana répond aux poèmes symphoniques de Liszt par ses propres compositions telles que Richard IIIWallenstein's Camp ou Haakon Jarl.  Ce travail aura un effet significatif sur son écriture pour le piano, ainsi que le démontrent, entre 1858 et 1861, ces Etudes de concert et le poème Macbeth et les sorcières. S'éloignant des critères habituels du piano tchèque, Smetana, sous l'influence de Liszt, innove, donne plus d'importance à la variété des textures musicales et aux éléments de virtuosité. Une manière d'annoncer la décennie musicale suivante...

Elle viendra – 3 – Diabolique

Reprise d’un billet du 24/03/2018 : ‘Le Diable est dans… la voix

A Satan reviennent toujours les chants les plus beaux. (Dicton)

§

D’Œdipe à Hamlet et à Don Quichotte, tous les grands mythes littéraires connurent certes des avatars musicaux. Mais Faust est un cas particulier. Pas simplement par le grand nombre des œuvres qu’il a suscitées. Il est l’une des rares figures, parmi les plus prisées des compositeurs, que rien ne prédestinait à priori à un devenir musical.

[…]

Et pourtant, il n’y eut qu’un Don Giovanni alors que les grands Faust furent pléthore.

Emmanuel Reibel
« Faust – La musique au défi du mythe » (Fayard 2008)

Sont-elles nombreuses, et polymorphes souvent, les silhouettes du Docteur Faust qui ont depuis le XVIème siècle, traversé la culture populaire, la littérature et, étonnamment, la musique, jusqu’à apparaître dans nos miroirs d’aujourd’hui comme notre propre reflet, peut-être le plus incontestable et le plus vrai.

Depuis qu’en 1593 le dramaturge élisabéthain, Christopher Marlowe,  — « The Tragical History of Doctor Faustus » — s’est emparé de la traduction anglaise d’un texte anonyme, — « Volksbuch » —  publié en 1587 à Francfort-sur-le-Main, inspiré, peu ou prou, de la vie de cet astrologue et alchimiste allemand de la Renaissance, Johann Georg Faust, dont on disait qu’il possédait d’étranges pouvoirs magiques, le mythe du quêteur de la connaissance universelle et du plaisir absolu, épris d’un inextinguible désir d’infini, prêt à tout pour atteindre ses buts, jusqu’à offrir son âme à Méphistophélès, l’envoyé du Diable, n’a cessé de nourrir les créations des plus illustres écrivains et des plus fameux compositeurs.

Si dans la deuxième moitié du XXème siècle le mythe de Faust s’évapore quelque peu au-dessus des encriers des écrivains, il continue d’enfiévrer sur les portées les plumes des compositeurs.

Faust et Mephistoimage extraite du film de F. W. Murnau – 1926

A l’instar de leurs illustres prédécesseurs du XIXème, tels que Berlioz, Schumann, Liszt, Gounod et tant d’autres, et dans le sillage de Busoni en 1925, les musiciens contemporains comme Georges Aperghis, John Adams ou Pascal Dusapin, pour ne citer qu’eux — trop proches de nous sans doute pour que leurs noms nous soient familiers — vont encore chercher leur inspiration dans la complexité des relations croisées du trio mythique, Faust – Méphistophélès – Marguerite.

Le catalyseur de ce regain d’intérêt moderne est assurément le passionnant et magistral roman que publie Thomas Mann en 1947, « Doktor Faustus ». D’une part en raison de la question philosophico-historique qu’il soulève à l’heure où plus personne au monde ne peut ignorer ou prétendre ignorer l’horreur des camps nazis, et d’autre part parce que le Faust qu’il décrit en son temps n’est autre qu’un musicien moderne hanté par le désir de devenir le génie de cette novation radicale du langage musical, le sérialisme, au point d’atteindre la folie et d’en mourir.

« Faust est le thème de toute ma vie, et j’en ai déjà peur. Je ne pense pas que je l’achèverai jamais. »

Alfred Schnittke (1934-1998)

Figure notable de la musique en cette fin de XXème siècle, par l’étendue et la multiplicité de son œuvre autant que par son « polystylisme », comme il définit lui-même son écriture musicale, le compositeur russe Alfred Schnittke, fasciné par le personnage de Faust, décide dès 1980 de lui consacrer un opéra, « Historia von D. Johan Fausten ».

L’opéra est donné à Hambourg en 1995, quelques années avant la disparition de Schnittke. Les soucis de santé du compositeur, aggravés par un accident vasculaire cérébral, ainsi que la complexité des voyages à l’époque entre la Russie et le reste de l’Europe ont pénalisé le projet d’une dizaine d’années. Mais déjà en 1983 Schnittke en avait esquissé les grandes lignes dans sa « Faust Cantata » (« Seid nüchtern und wachet » – Sois sobre et veille).

Rencontre entre le Diable et Docteur Faustus – 1825
Crédit : Wellcome Library, London. Wellcome Images

Bien que très imprégné, comme ses confrères, de l’œuvre de Thomas Mann, c’est dans le « Volksbuch » original de 1587 que Schnittke va puiser toute l’énergie dramatique qui anime cette pièce. Voilà, sans doute, ce qui en fait l’une des œuvres les plus palpitantes du compositeur laissant, plus qu’ailleurs peut-être, apparaître la face la plus noire de son inconditionnel pessimisme.

Point culminant de cette cantate, l’évocation de la mort épouvantable du Docteur Faust, son contrat avec Méphistophélès expiré. C’est par la voix d’un diable gouailleur, exprimant son cynisme depuis les profondeurs d’une tessiture de contralto sur les rythmes dédaigneux d’un tango ironique et arrogant que nous apprenons l’effroyable horreur de la tragédie, avec les mots mêmes, ou presque, du « Volksbuch ».

Quand il fut jour/ les étudiants/ qui n’avaient pas dormi de toute la nuit/ entrèrent dans la salle/ où avait été le docteur Faustus/ et ils ne virent pas Faustus/ rien que la pièce éclaboussée de sang/ la cervelle collée aux murs/ car le diable l’avait lancé d’un mur à l’autre. Ils trouvèrent des yeux et quelques dents/ spectacle affreux et épouvantable. Alors les étudiants se prirent à pleurer et lamenter/ et toujours ils le cherchaient/ Enfin ils trouvèrent son corps à l’extérieur près du fumier/ horrible à voir/ tête ballante et membres roués.

L’Histoire de Faustus suivie de La Tragédie de Faustus par Christopher Marlowe, édition de Jean-Louis Backès, Imprimerie Nationale Éditions - 2001 (Cité par Dominique Hoizey in "Petite histoire littéraire et musicale de Faust" - Le Chat Murr 2016)
Ψ
.
Deux interprétations diaboliquement fascinantes !
Et choisir n’est certes pas vertu du diable qui écoute en chacun de nous !
.

Iva Bittova (voix) – Hradec Kràlové Philharmonic
Peter Vrabel (direction)

 .

* * *

Inger Blom (mezzo-soprano) – Malmö Symph. Orch. –
James DePreist (Direction)

Ψ

« Seid nüchtern und wachet… »

Sois sobre et veille : ton adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer.

Résiste-lui avec la force de la foi, car tu sais que tous tes frères, de par le monde, sont en butte aux mêmes souffrances.

Première Épitre de Pierre – Chap. 5 (8 & 9)

Adagio aux portraits ou ‘Mozart et la pluie’

La beauté est l’antichambre de l’amour, la beauté est la lisière d’un amour dont je ne désespérerai jamais.

Christian Bobin – Mozart et la pluie

Les moments les plus lumineux de ma vie sont ceux où je me contente de voir le monde apparaître. Ces moments sont faits de solitude et de silence. Je suis allongé sur un lit, assis à un bureau ou marchant dans la rue. Je ne pense plus à hier et demain n’existe pas. Je n’ai plus aucun lien avec personne et personne ne m’est étranger. Cette expérience est simple. Il n’y a pas à la vouloir. Il suffit de l’accueillir, quand elle vient.
Un jour tu t’allonges, tu t’assieds ou tu marches, et tout vient sans peine à ta rencontre, il n’y a plus à choisir, tout ce qui vient porte la marque de l’amour. Peut-être même la solitude et le silence ne sont-ils pas indispensables à la venue de ces instants extrêmement purs. L’amour seul suffirait. Je ne décris là qu’une expérience pauvre que chacun peut connaître, par exemple dans ces moments où, sans penser à rien, oubliant même que l’on existe, on appuie sa joue contre une vitre froide pour regarder tomber la pluie.
(extrait)

Elle viendra – 2 – « Missa in tempore belli »

En hommage au peuple ukrainien

La paix est un chant, la guerre est un long hurlement parmi des cris.

Robert Sabatier – Le livre de la déraison souriante (1991)

… Au milieu desquels, s’élevant des ruines encore fumantes, entre corps déchirés et âmes dévastées, la triste prière – qui se rêverait hymne –  d’une humanité cherchant désespérément le chemin du ciel.

Léa Grundig – « Mères, la guerre est imminente ! » 1936

Dans un livre gnostique du deuxième siècle de notre ère, il est dit : « La prière de l’homme triste n’a jamais la force de monter jusqu’à Dieu »… Comme on ne prie que dans l’abattement, on en déduira qu’aucune prière jamais n’est parvenue à destination.

Cioran – De l’inconvénient d’être né (Gallimard)

Mais, aussi vaine soit-elle, quand la prière est portée par l’ineffable beauté de la musique, on pourrait bien se surprendre à croire…

Claude VignonLes larmes de Saint-Pierre

L’univers sonore : onomatopée de l’indicible, énigme déployée, infini perçu, et insaisissable… Lorsqu’on vient d’en éprouver la séduction, on ne forme plus que le projet de se faire embaumer dans un soupir.

Cioran – Syllogismes de l’amertume (Gallimard)

§

« Qui tollis peccata mundi »
 « Missa in tempore belli » en Ut majeur de Joseph Haydn

Qui tollis peccata mundi, miserere nobis.
Qui tollis peccata mundi, suscipe deprecationem nostram.
Qui sedes ad dexteram Patris, miserere nobis.
Quoniam tu solus sanctus, tu solus Dominus,
Tu solus Altissimus, Jesu Christe.
Cum Sancto Spiritu, in gloria Dei Patris,

Toi qui effaces les péchés du monde, aie pitié de nous.
Toi qui effaces les péchés du monde, entends notre prière.
Toi qui sièges à la droite du Père, aie pitié de nous.
Car Toi seul es sacré, Toi seul es le Seigneur,
Toi seul es le Très-Haut Jésus-Christ.
Avec le Saint-Esprit, dans la gloire de Dieu le Père.

§

Joseph Haydn, en cette fin d'année 1796, voit approcher à la fois son soixante-cinquième anniversaire et une possible invasion de l'Autriche par les troupes d'un impétueux général français, un certain Bonaparte. Aussi, exerçant sa mission de Maître de Chapelle des Esterhazy, va-t-il multiplier ses efforts pour exprimer dans la messe annuelle qui lui est commandée les tensions dominantes du moment.

Dans cette messe "latine" qu'il nommera lui-même "Missa in tempore belli", il évoque tout autant le fracas des batailles - avec une puissance et une ardeur que seul Beethoven atteindra, vingt-cinq ans plus tard, dans sa "Missa solemnis" - , que la profondeur de sa foi chrétienne. 

Et si les premiers mouvements de cette "Messe en temps de guerre" affichent sobrement le classicisme de l'époque dans le respect de la tradition de musique sacrée autrichienne, Haydn, en maître de la composition, façonne avec simplicité la matière sonore de chacun d'eux afin que solistes et chœur nous ouvrent les chemins de l'extase.     

Mais vieillir… ! – 20 – ‘Yesterday’

Oh, yesterday came suddenly

Oh, I believe in yesterday  

Paul McCartney

« Yesterday »

Madame Shirley Horn

Why he had to go I don’t know he wouldn’t say
I said something wrong, now I long for yesterday

Yesterday
All my troubles seemed so far away
Now it looks as though they’re here to stay
Oh, I believe in yesterday

Suddenly
I’m not half the girl I used to be
There’s a shadow hanging over me
Oh, yesterday came suddenly

Why he had to go I don’t know he wouldn’t say
I said something wrong, now I long for yesterday

Yesterday
Love was such an easy game to play
Now I need a place to hide away
Oh, I believe in yesterday

Why he had to go I don’t know he wouldn’t say
I said something wrong, now I long for yesterday

Yesterday
Love was such an easy game to play
Now I need a place to hide away
Oh, I believe in yesterday

Too many musicians rush through everything with too many notes. A ballad should be a ballad. It’s important to understand what the song is saying, and learn how to tell the story. It takes time. I can’t rush it. I really can’t rush it.

Shirley Horn

Trop de musiciens se précipitent à travers tout avec trop de notes. Une ballade doit être une ballade. Il est important de comprendre ce que dit la chanson et d'apprendre à raconter l'histoire. Ça prend du temps. Je ne peux pas me précipiter. Je ne peux vraiment pas me précipiter.

Cloches de l’aube

Pourquoi le son des cloches semble-t-il plus alerte au jour levant et plus lourd à la nuit tombante ? J’aime cette heure froide et légère du matin, lorsque l’homme dort encore et que s’éveille la terre. L’air est plein de frissons mystérieux que ne connaissent point les attardés du lit. On aspire, on boit la vie qui renaît, la vie matérielle du monde, la vie qui parcourt les astres et dont le secret est notre immense tourment.

Guy de Maupassant – Sur l’eau

Drew Henderson joue

« Campanas del alba »

de Eduardo Sainz de la Maza (1903-1982)

Qu’il serait doux le son des cloches s’il n’y avait parmi les hommes tant de mal !

Bertolt Brecht – La résistible ascension d’Arturo Ui

Mais vieillir… ! – 19 – ‘Un été 42’

Dieu, ton plaisir jaloux est de briser les cœurs !
Tu bats de tes autans le flot où tu te mires !
Oh ! pour faire, Seigneur, un seul de tes sourires,
Combien faut-il donc de nos pleurs ?

Stéphane Mallarmé – ‘Élégies‘ II-3

In everyone’s life there is a summer of ’42

Pour la musique de Michel Legrand

Pour le charme lumineux de Jennifer O’Neil

Pour le juste reflet de l’adolescent qu’incarne Gary Grimes

Pour le film de Robert Mulligan, « Summer of ’42 » (1971)

Pour sentir encore le parfum nostalgique du premier amour… et

Pour, une dernière fois, de ses larmes en goûter le sel

L’adolescence, comme le prétendait François Truffaut, ne laisse-t-elle un bon souvenir qu’aux adultes ayant mauvaise mémoire ?

‘Calling me home’

— It’s a good day to die !

Old Lodge Skins (Chef Cheyenne)
In « Little Big Man » (film de Arthur Penn – 1970)

Certaines personnes savent si bien puiser dans une tradition et une émotion, et si profondément, que leurs compositions qui en sont inspirées semblent avoir existé de toute éternité.

Rhiannon Giddens à propos d’Alice Gerrard, légende de la « folk music » et compositrice (en 2002) de « Calling me home » 

« … Mais toute âme a un chant », affirme le poète.

Qui en douterait frissonnant encore aux accents d’éternité de cette complainte du dernier voyage venue du folklore américain à travers la voix envoûtante de Rhiannon Giddens ?

Un vieil ami était allongé sur son lit de mort
J’ai posé ma main sur sa maigre poitrine
Et, pendant que je me penchais, dans un souffle il murmura :
Oh, ils m’appellent à la maison,
Ils m’appellent à la maison.

Mon temps est venu de partir.
Je sais que tu aimerais me voir rester,
Mais mes amis d’hier me manquent.
Oh, ils m’appellent à la maison,
Ils m’appellent à la maison.

Je sais que tu te souviendras de moi quand je serai parti.
Souviens-toi de mes histoires, chante encor mes chansons,
Je les laisserai sur Terre, douces empreintes d’or.
Oh, ils m’appellent à la maison,
Ils m’appellent à la maison.

Alors, amis, rassemblez-vous et dites-moi adieu.
Mon corps est enchainé mais mon âme peut voler.
Ma petite lumière brille déjà dans le ciel.
Oh, ils m’appellent à la maison,
Ils m’appellent à la maison.

Mon temps est venu d’embarquer.
Je sais que tu voudrais me voir rester.
Mais mes amis d’hier me manquent.
Oh, ils m’appellent à la maison,
Ils m’appellent à la maison.

Bis ! Pour faire durer le plaisir du voyage…
Pour rester encore un peu en vol !

Mais en « live » !

Hallelujah ! Joyeux Noël !

 Jean Baylor accompagnée au piano par Emmet Cohen :

‘Hallelujah !’

Et aussi sur ‘Perles d’Orphée

avec
Laurence Equilbey et l’ensemble Accentus :

Dietrich Buxtehude :

Alleluia ! Joyeux Noël

‘La maison sous les arbres’

– Pour les images du générique du film de René Clément…

– Pour Faye Dunaway qui m’a tant fait rêver…

– Pour la musique romantique de Gilbert Bécaud…

– Pour caresser un vieux souvenir… ou deux…

… Et pour Gilbert Bécaud que l’on oublie trop !

La maison sous les arbres
Est en pierres de lune,
Posées une à une
Comme des brindilles
Sur un nid d’oiseaux,
Des diamants qui brillent
Sur de l’eau.
.
La maison sous les arbres
Est en pierres de lune,
Posées une à une
Comme des brindilles
Pour te faire un nid.
Ce sera ton nid,
Ton abri.
.
La maison sous les arbres
N’aura que des fenêtres
Et un toit peut-être
Où les hirondelles
Et leurs hirondeaux
Rangeront leurs ailes
En duo.
.
Reviens, je l’ai faite pour toi
De mes mains.
Elle a besoin de toi,
Tu vois bien !
Elle est sans raison
Et n’a pas de nom
Sans toi.
.
La maison sous les arbres
Est en pierres de lune,
Posées une à une.
Mais pour l’habiter,
C’est bien entendu,
Tu devras marcher
Les pieds nus,
Les pieds nus.
.
Paroles: Pierre Delanoë. Musique: Gilbert Bécaud – 1971

De l’amour le doux tourment

Suis-je amoureux ? – Oui, puisque j’attends.

Roland Barthes – ‘Fragments d’un discours amoureux’ (Seuil – 1977)

E benedetto il primo dolce affanno
Ch’i’ ebbi ad esser con Amor congiunto,
E l’arco e la saette ond’ i’ fui punto,
E le piaghe, ch’infino al cor mi vanno.

Et bénis soient aussi le premier doux tourment
Que je sentis à être avec Amour lié,
Et son arc et ses traits, dont je fus transpercé,
Et la plaie qui pénètre au-dedans de mon cœur.
Pétrarque, Canzoniere (1374), sonnet LXI – trad. A. Rochon
(Gallimard 1994)

Claudio Monteverdi
(Cremona 15 mai 1567 – Venezia 29 novembre 1643)

Ah ! le doux tourment de l’amour !

Témoignage irrécusable de la contradiction constitutive de notre psyché, cet oxymore, que le temps n’a affecté d’aucune ride, aura parcouru les âges, jusqu’à notre propre cœur, à travers les soupirs des amants, certes, entre les lignes des romanciers et les répliques des dramaturges, sur les vers des poètes, et, naturellement, à travers les refrains et les ritournelles d’amour aux accents métissés de rires et de larmes.

En est-il un plus séduisant exemple musical que ce madrigal désormais célèbre, ‘Si dolce è’l tormento’, que composa en 1624 le génial Claudio Monteverdi sur les vers de Carlo Milanuzzi, son contemporain ?

— Aussi nous réjouissons-nous toujours à son écoute dans la tradition ‘baroque’, surtout quand est aussi belle son interprétation :

Mariana Florès (soprano)

Ensemble ‘Cappella Mediterranea’
Direction Leonardo García Alarcón

— Mais n’adorerions-nous pas nous laisser emporter, par une adaptation inattendue, dans les profondeurs de la voix d’une formidable chanteuse de ‘folk’ & ‘blues’ qu’escorteraient, bienveillants et graves, les arpèges d’un banjo ténor ?

Rhiannon Giddens

Francesco Turrisi (banjo)

Si doux est le tourment
dans ma poitrine
que je vis heureusement
pour une beauté cruelle.
Au paradis de la beauté,
que la cruauté grandisse
et que la miséricorde manque :
car ma foi sera toujours
comme un roc,
face à l’orgueil.
.
Que l’espoir trompeur
se détourne de moi,
que ni la joie ni la paix
ne descendent sur moi.
Et que la méchante fille
que j’adore
me prive du réconfort
de la douce miséricorde :
au milieu d’une douleur infinie,
au milieu d’un espoir trahi,
ma foi survivra.
.
Le cœur dur
qui m’a volé le mien
n’a jamais ressenti la flamme de l’amour.
La beauté cruelle
qui a charmé mon âme
refuse la miséricorde,
qu’il souffre donc,
repentant et languissant, et
qu’il soupire un jour pour moi.

C’est le désir d’être aimé, quand on aime, qui fait les grands tourments. Une âme qui serait assez pure et assez dévouée pour ne rien demander, que d’aimer, serait heureuse ; car aimer, c’est déjà le bonheur.

Duchesse Permon Junot d’Abrantès (1784-1838)

‘Idylle pour Ida’

… Ida Presti, dont le legato sublime – jamais égalé – et le savoureux vibrato porté par un sens lyrique inné, pouvaient s’exprimer en toute plénitude.

Danielle Ribouillault
Musicologue, fondatrice et rédactrice en chef des ‘Cahiers de
la guitare‘ (2006)

§

— Oui, c’est ASTURIAS d’Isaac Albeniz, mille fois jouée par les plus grands guitaristes qui, mille fois, nous ont étourdis par leur talent, leur sonorité et leur virtuosité.

— Non, il n’existe pas d’interprétation enregistrée (malgré la piètre qualité technique de cet enregistrement-là) aussi pure, aussi virtuose et aussi belle – pardon Maître Segovia ! – que celle de la « Reine » Ida Presti.

§

Sensible, sensible, passionnée, d’un extrême sérieux, c’était un génie. Aucun guitariste de toute ma vie ne m’a jamais ému comme elle l’a fait. Elle était la musique in persona. Je crois qu’elle était le meilleur guitariste de notre siècle. Elle était quelque chose d’inexplicable.

Alexandre Lagoya (1929-1999)
Guitariste exceptionnel, son mari depuis1953

Pendant une courte période, nous avons eu un génie parmi nous et il est presque impossible d’en rencontrer un autre de ce genre au cours de notre vie.

John W. Duarte (1919-2004)
Guitariste, compositeur

§

Au décès soudain, en pleine fleur de l’âge, d’Ida Presti, en avril 1967, John Duarte, à travers sa tristesse, composa, en mémoire de son amie qu’il admirait tant, « Idylle pour Ida ».

C’est en reine, elle-même, de l’instrument que Berta Rojas donne à ce bel hommage musical en l’honneur de sa prodigieuse aînée, l’écho qu’il mérite.

Ingenuo, ma non troppo !*

* Naïf, mais pas trop !

Si, comme moi, vous preniez pour vraies ces quelques affirmations qui ne laissent évidemment planer aucun doute :

Organiste classique : Vieux monsieur solitaire coincé dans son costume sombre trop serré, juché, devant sa console, au dessus de la nef d’une église, occupé à remplir l’espace et les âmes de musique céleste.

Jean-Sébastien Bach : Organiste et inventeur allemand d’un célèbre clavier d’ordinateur avec « clim » intégrée pour dactylo virtuose : « le clavier bien tempéré ».
La passion qu’il entretenait pour les évangélistes aurait incité Dieu à lui confier sa campagne de communication : sans doute la meilleure décision du Seigneur.
Trop occupé par cette mission Bach n’aurait pas eu une minute à accorder aux musiciens de son temps.

Jean-Sébastien Bach (1685-1750)

Vivaldi : Météorologue distingué qui a posé pour l’éternité la définition sonore des « quatre saisons ». On lui doit, entre autres, une participation essentielle à l’élaboration et au développement de la messagerie téléphonique, module « mise en attente ».

Antonio Vivaldi 1678-1741

Maastricht : Ville des Pays-Bas construite spécialement pour accueillir les signataires du traité fondateur de l’Union Européenne, le 7 février 1992.

Cette vidéo va, d’un coup, et avec bonheur, anéantir notre naïveté :

La toute jeune et toute blonde étudiante en Sciences Biomédicales, Joske Siebelink, interprète brillamment à la console de l’orgue de l’Église luthérienne de la ville historique de Maastricht la transcription par Jean-Sébastien Bach du concerto pour deux violons en La mineur de son contemporain Antonio Vivaldi.
… Et en jupe courte, socquettes et baskets, s’il vous plaît… pour que la réponse soit complète et implacable !…  Mais heureuse !

Le Concerto pour deux violons de Vivaldi
Ensemble de Chambre de la Scala de Milan

88 touches… seulement !

Appuyer sur la bonne touche au bon moment… l’instrument fera le reste !

Jean-Sébastien Bach

Dussé-je toute ma vie ne rien produire de bon et de beau, je n’en sentirais pas moins une joie réelle et profonde à goûter ce que je reconnais et ce que j’admire de beau et de grand chez autrui.

Franz Liszt (Lettre à Wagner – Décembre 1853)

Bach / Liszt

Prélude et fugue en la mineur pour orgue – BWV 543

Ida Pelliccioli – piano

Liszt, considérant que Jean-Sébastien Bach était le 'Saint-Thomas d'Aquin de la musique', confia à sa classe de piano, trente années après sa transcription, qu'il aurait été un 'péché' de sa part d'ajouter des indications à la partition de la fugue en la mineur, alors que le Cantor lui-même ne l'avait pas fait.

Café 1930

Nous pouvons discuter le tango et nous le discutons, mais il renferme, comme tout ce qui est authentique, un secret.

Jorge Luis Borges

Pour moi, le domaine d’élection du tango a toujours été l’oreille plutôt que les pieds.

Astor Piazzolla

Chloe Chua (violon) & Kevin Loh (guitare)

Astor Piazzolla – « Café 1930 » (« Histoire du Tango –  II »)

« Le tango nous offre à tous un passé imaginaire » disait encore Borges que le sujet passionnait. (« Que les sujets » devrais-je écrire : le tango… et l’imaginaire !).

A n’en pas douter, eu égard à leur très jeune âge, ce n’est qu’à travers les récits, les documents historiques et les partitions que ces deux très jeunes musiciens d’exception ont découvert le tango et son époque. Peut-être même n’avaient-ils jamais entendu le mot « bordel » auparavant… ?
Mais cette connaissance, aussi développée soit-elle, même associée à l’excellence de la technique instrumentale, saurait-elle seule suffire à insuffler à une interprétation musicale autant de profondeur et d’authenticité expressive ?

Je veux croire que c’est dans ce « passé » qui, à l’évidence, n’appartient ni à leur génération ni à leur culture, – « imaginaire » donc – qu’ils puisent, au-delà d’eux mêmes, la justesse de leur captivante interprétation.
Quelle plus belle manière de transmettre « L’Histoire du Tango » racontée en musique par l’un de ses plus fervents admirateurs et serviteurs, Astor Piazzolla.