Clara : ‘Con fuoco’

Clara Wieck-Schumann 1819-1896

Clara a écrit un certain nombre de petites pièces qui montrent une invention musicale et tendre qu’elle n’a jamais atteinte auparavant. Mais avoir des enfants et un mari qui vit toujours dans les domaines de l’imagination ne va pas de pair avec la composition. Elle ne peut pas y travailler régulièrement et je suis souvent troublée de penser combien d’idées profondes sont perdues parce qu’elle ne peut pas les développer. Mais Clara elle-même sait que sa principale occupation est celle d’une mère et je crois qu’elle est heureuse dans ces circonstances et ne voudrait pas qu’elles changent.

Robert Schumann
(cité par Nancy Reich, in « Clara Schumann : The Artist and the Woman » – Cornell University Press)

Robert Schumann 1810-1856

Ce constat que Robert Schumann concédait à l’évidence dans les pages de son journal, quelques années à peine après son mariage avec sa chère Clara, n’était pourtant pas pour lui le fruit d’une découverte récente.
L’admirateur inconditionnel de la virtuose précoce qu’elle était déjà à leur première rencontre, autant que de la compositrice brillante qu’elle promettait de devenir, ne pouvait avoir oublié ce billet de novembre 1837, trois ans avant leur union tant désirée, dans lequel Clara, jeune fille de 18 ans, très amoureuse mais lucide, lui avait écrit :

J’ai besoin d’une vie sans soucis afin d’exercer mon art en toute tranquillité. […] Vois si tu penses pouvoir m’offrir une existence telle que je la souhaite.

Et pourtant, l’époque aidant, Clara, très éprise de son Robert, avait très tôt consenti à laisser sa vie d’épouse et de mère prendre le pas sur la vie d’artiste à laquelle elle pouvait, elle plus que tout autre femme du siècle, objectivement prétendre. N’écrivait-elle pas déjà sa résignation, en 1839, dans son journal intime :

Il fut un temps où je croyais posséder un talent créateur, mais je suis revenue de cette idée ; une femme ne doit pas prétendre composer, aucune n’a encore été capable de le faire et pourquoi serais-je une exception ? Il serait arrogant de croire cela, c’est une impression que seul mon père m’a autrefois donnée.

Et alors même que cette humble abnégation prenait racine dans son esprit, tout son être demeurait attaché au plaisir de composer, ainsi qu’elle le confiait à Fanny Mendelssohn :

Il n’y a rien de plus grand que la joie de composer soi-même quelque chose, puis de l’écouter. […] Bien sûr, ce n’est qu’un travail de femme, qui manque toujours de force, et ici ou là d’inventivité.

Clara et Robert Schumann

Les merveilles – désormais, fort heureusement, totalement sorties de l’ombre – qu’elle a composées, ne laissent cependant aucun doute sur son immense talent que tant de musiciens, et pas des moindres, lui ont envié.
Son Scherzo en Ut mineur opus 14 écrit en 1841 en utilisant le thème d’un des lieder sur des poèmes de Friedrich Rückert, dont Robert lui confia la réalisation (« Er ist gekommen in Sturm und Regen » – Il est venu dans la tempête, sous la pluie / il a bravement saisi mon cœur), est un modèle du genre.

Dès le début de la pièce, la passion éclate  à travers une figure d’orage arpégée, « con fuoco », qui résonne des turbulences de l’Étude, en Ut mineur également, opus 10 N°12, dite « Révolutionnaire », de Frédéric Chopin.
Effet de contraste, la deuxième partie, « un poco piu tranquillo », est toute imprégnée des expressions romantiques de cette époque, et la douce texture des accords choisis hésite entre les influences du Maître et celles de son génial mari.

Isata Kanneh-Mason, jeune virtuose britannique, pas plus âgée que Clara composant ce Scherzo, se saisit avec un même bonheur des exigences de virtuosité et des subtilités mélancoliques que propose la partition. Sa technique, certes, mais aussi, indubitablement, son évidente proximité avec Clara, confèrent à la sensibilité de son interprétation une juste mesure des tempi et des dynamiques que la pianiste sert avec une remarquable articulation.

Il régnera chez nous une obscurité de rêve, il y aura des fleurs aux fenêtres, des murs bleu pâle, des gravures, un piano à queue et, là, nous nous aimerons unis dans une profonde fidélité.

Robert Schumann à sa fiancée, Clara Wieck, en janvier 1838

¤ –

« Mon meilleur moi ! »

Mein guter Geist, mein bess’res Ich!

Clara et Robert Schumann

Widmung

Du meine Seele, du mein Herz,
Du meine Wonn’, o du mein Schmerz,
Du meine Welt, in der ich lebe,
Mein Himmel du, darein ich schwebe,
O du mein Grab, in das hinab
Ich ewig meinen Kummer gab!

Du bist die Ruh, du bist der Frieden,
Du bist vom Himmel mir beschieden.
Dass du mich liebst, macht mich mir wert,
Dein Blick hat mich vor mir verklärt,
Du hebst mich liebend über mich,
Mein guter Geist, mein bess’res Ich!

Friedrich Rückert (1788-1866)

Amy Broadbent (soprano) – Schumann : Widmung (Myrthen op.25)

Dédicace

Toi mon âme, toi mon cœur,
Toi ma joie de vivre, ô toi ma douleur,
Toi mon monde, dans lequel je vis,
Mon ciel c’est toi, auquel je suis suspendu
Ô toi mon tombeau, dans lequel
Je déposerai pour toujours mon chagrin.

Tu es la tranquillité, tu es la paix,
Tu es le ciel qui m’est échu.
Que tu m’aimes me rend digne de moi,
Ton regard est la lumière de mes yeux,
Ton amour m’élève au-dessus de moi-même,
Mon bon esprit, mon meilleur moi !

Tant d’amour !
Procès gagné contre Friedrich Wieck, le père de Clara, terriblement réfractaire à l’union de sa fille prodige avec Robert Schumann, ces deux jeunes musiciens d’exception, profondément épris l’un de l’autre, peuvent enfin célébrer leur mariage.

A quelques heures de ce moment tant désiré, ce 12 septembre 1840, Robert dépose dans la corbeille de sa future épouse, le plus précieux cadeau qu’il pouvait lui offrir en témoignage de son inextinguible amour, un exemplaire finement relié de « Myrthen », 26 lieder qu’il a composés pour deux voix sur des poèmes de Rückert, Goethe, Heine, Lord Byron, Thomas Moore et quelques autres poètes.

Clara Wieck-Schumann 1819-1896

Autant par le choix des poèmes que par les infinies nuances des compositions musicales qui les accompagnent, Schumann, « poète du piano », qui vient de découvrir combien « il est merveilleux d’écrire pour la voix », s’y dévoile totalement : fragile mais brave ; tendre, inquiet, mais déterminé et lucide. Tantôt Florestan, vif et confiant, tantôt Eusebius, contemplatif et tourmenté. Mais toujours, malgré cette dualité qui agite sans cesse ses émotions entre douceur, doute et désespoir, infiniment constant dans sa dévotion à la femme qu’il aime, son « meilleur moi ».

Widmung (dédicace) introduit ce florilège de lieder. Composé sur un poème que Friedrich Rückert avait écrit vingt ans plus tôt en hommage à sa propre épouse, ce lied contient assurément l’expression musicale la plus passionnée et les sentiments les plus sincères du futur époux.
Après leur répétition anaphorique les mots se taisent, « la voix poétique démissionne ; au piano de se faire chant de l’inexprimable »*, à l’instar de l’évidente citation de l’Ave Maria de Schubert que Robert insère dans le postlude, fervente révérence à Clara.

Franz Liszt (1858)

La sensibilité exacerbée de Liszt pouvait-elle rester indifférente au souffle exalté de ce chant d’amour ? Non, bien sûr ! Aussi, fidèle à son goût immodéré pour la transcription, le grand pianiste virtuose s’attacha-t-il dans l’arrangement qu’il en fit en 1848 à sublimer cette mélodie intimiste en une ardente confession, passionnée, partagée entre tendresse et déchirement.

C’est sans doute pour que son écriture musicale exprime fidèlement sa propre perception de l’essor dramatique du poème, que Liszt avait pris soin, dans sa partition autographe, d’en écrire le texte au-dessus de la mélodie. Ainsi pouvait-il s’assurer en particulier d’une parfaite coïncidence entre le point paroxystique de son arrangement pour piano et le dernier vers emblématique du lied, «Mein guter Geist, mein bess’res Ich» (mon bon esprit, mon meilleur moi).

*M. Beaufils, Le Lied romantique allemand – Gallimard, 1956

Evgeny Kissin : Schumann/Liszt – Widmung

Oiseaux prophètes

Les oiseaux sont nos maîtres. (Olivier Messiaen)

Un maître spirituel d’un autre temps avait coutume de réunir tôt chaque matin pendant une heure quelques-uns de ses plus fidèles disciples pour évoquer avec eux les grandes valeurs universelles, comme la beauté, la bonté, l’amour et quelques autres vertus encore.

Ce matin-là, alors qu’il s’apprêtait à annoncer le thème choisi pour son entretien, le maître fut soudainement interrompu par le chant d’un chardonneret venu se poser effrontément sur le rebord de la fenêtre voisine. Le ramage de l’oiseau, un long moment durant, captiva cet auditoire inattendu. La dernière note se perdit dans le subtil bruissement d’une aile…

Alors, à travers un imperceptible sourire, le maître annonça :
La causerie du jour est terminée !

Si je lisais aujourd’hui pour la première fois cette délicate et juste parabole dans le texte de Krishnamurti qui me la fit découvrir jadis, je ne pourrais pas m’empêcher de noter spontanément en marge avec trois points d’exclamation – comme je le fais toujours pour exprimer dans mes annotations mon enthousiasme du moment – :
« l’Oiseau prophète » / Robert Schumann / « Scènes de la forêt » !!!

A l’époque, cependant, bien que séduit par le récit et son évocation, je ne m’étais contenté que d’un soulignement appuyé.
Étrange jeu des associations que l’esprit manœuvre à sa guise. Schumann m’avait pourtant mille fois déjà ouvert les sentiers de la forêt jusqu’à son oiseau prophète lorsque je fis la découverte du maître chanteur de Krishnamurti… Paradoxalement, ce n’est qu’aujourd’hui, bien des années plus tard, que se révèle à mes sens, telle une puissante évidence, l’étonnante gémellité de ces deux virtuoses qui trouvent leur éloquence et leur justesse par delà le verbe.

Et après tout tant mieux ! Avec le temps, les plaisirs ne s’ajoutent pas les uns aux autres… en se combinant autour du souvenir ils se multiplient ! Quelle chance !

Martin Helmchen interprète au piano « Vogel als Prophet » (L’Oiseau prophète) extrait des « Waldszenen » (Scènes de la forêt) – composées par Robert Schumann en 1849

Ξ

Oiseau prophète romantique parmi les siens, inspirateur assurément d’une mythique descendance qui ne saurait trouver sa vérité – puissions-nous nous en inspirer ! – nulle part ailleurs que dans le chant.

En entendez-vous l’écho ?

Depuis les ombres de la forêt wagnérienne, à travers les prophéties qu’adressent à Siegfried les mésanges, les merles, les alouettes et les geais, avertissant le héros du dénouement de sa quête et de la tragédie de sa propre mort ?

Depuis le salut exalté que lance Zarathoustra, en clôture de la troisième partie de son discours, à l’éternelle sagesse du chant de cet oiseau nietzschéen…

Mais la sagesse de l’oiseau, c’est celle qui dit : « Voici, il n’y a ni haut ni bas ! Élance-toi en tout sens, en avant, en arrière, créature légère ! Chante, et ne parle pas !

Toutes les paroles ne sont-elles pas faites pour ceux qui sont lourds ? Les paroles ne mentent-elles pas toutes à ceux qui sont légers ? Chante ! Ne parle plus !

Ainsi parlait Zarathoustra (1885), Friedrich Nietzsche (trad. Geneviève Bianquis), éd. Flammarion – Partie 3 / « Le Septième Sceau »

Toqué de toccata /6 – Schumann

Robert Schumann 1810-1856

On ne peut pas dire que la musique pour piano de Robert Schumann ait été spécialement motivée par la recherche de la prouesse technique. À la différence de ses contemporains, Chopin, Czerny, Liszt et quelques nombreux autres, il n’aura cédé ni à la mode de l’époque, ni à la tentation narcissique de la performance, ni à la nécessité économique, et n’aura donc pas écrit d’ « études » pour le piano – au sens d’exercices destinés au développement de l’habileté pianistique et de la maîtrise du clavier.

Bien qu’il partageât avec eux une immense admiration pour les bouquets de virtuosité contenus dans les « caprices » pour violon de Niccolò Paganini, au point d’ailleurs d’en transcrire certains pour le piano, Schumann ne fit pas pour autant le choix de ce type de composition.
Avait-il conservé une trop grande frustration de s’être interdit lui-même toute opportunité de devenir concertiste en infligeant une irréversible tendinite à l’annulaire de sa main droite par une stupide gymnastique d’assouplissement ? Ne ressentait-il pas, tout simplement, un profond besoin de demeurer fidèle à sa nature de « pur » musicien, de musicien-poète, pour qui la part du « chant » mérite toute priorité ? Qui sait ?

Salon chez les Schumann à Zwickau

Une fois, cependant, Schumann motiva une de ses compositions par des considérations d’ordre technique. En 1830, le jeune compositeur de 20 ans, inspiré par l’esprit baroque, mit en chantier une toccata qu’il ne termina qu’en 1836 : la Toccata en Ut Majeur – Opus 7.

Robert Schumann

Il déclara aussitôt, non sans fierté : « ceci est la pièce la plus difficile jamais écrite ». Et sans doute avait-il raison pour l’époque, car les monumentales « Études d’exécution transcendante » de Liszt n’étaient encore qu’aux prémisses de leur gestation, et les « Études Opus 10 » de Chopin, parues quelques années auparavant, étaient tellement « pianistiques » que leurs difficultés d’exécution ne se laissaient pas percevoir au premier abord.

La « Toccata » de Robert Schumann, rare, sinon unique, vestige, au XIXème siècle, des toccatas baroques, n’en demeure pas moins, encore aujourd’hui, une des pièces les plus difficiles du répertoire pour piano. Son appellation initiale laissait déjà peu de place à l’équivoque : « Étude fantastique en double-sons »…

Clara Wieck 1819-1896

Mais, ne faudrait-il pas plutôt percevoir, derrière le brio de la technique et la frénésie des doubles octaves, la passion d’un jeune compositeur amoureux imaginant sa bienaimée, déjà virtuose bien qu’encore une enfant, s’exerçant sur le piano de son père dans la maison familiale des Wieck ?

Clara, qui deviendrait bientôt Madame Schumann, s’accommodait sans peine des partitions les plus complexes. On raconte qu’un jour, voulant tendrement railler Robert sur l’extrême difficulté de sa composition, elle lui adressa cette plaisanterie pleine d’admiration : « Cher Robert, ta toccata serait tellement, tellement, tellement plus facile à quatre mains... »

Certes, la toccata opus 7 de Schumann demande nécessairement au pianiste qui l’aborde une technique des plus éprouvées. Mais plus encore que tout autre pièce du genre, elle exige surtout de lui qu’il ait la sagesse de résister au dangereux attrait que la virtuosité exerce, « mortel pour l’art et pour l’âme », selon le mot de Romain Rolland. Schumann est musicien plus que pianiste et jamais l’interprète désireux de servir l’œuvre plus que lui-même ne laisserait le chant se perdre dans l’ivresse de la performance.

Entre mille et une écoutes, un choix très subjectif :

  Evgeny Kissin : pour l’articulation et le souffle.

Vladimir Horowitz : pour la fluidité légère, l’équilibre et le chant.

Ada Gorbunova (jeune pianiste nouvellement découverte) : pour la fraîcheur et l’impression de facilité.

Scènes d’enfants

Petite fille dans une rue de Paris – photographe inconnu

J’envie cet enfant qui se penche sur l’écriture du soleil, puis s’enfuit vers l’école, balayant de son coquelicot pensums et récompenses.
René Char – « Fureur et mystère » (1948) –
partie « Feuillets d’Hypnos » (1943-1944)

Gallimard / Poésie – 1962 
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20 novembre :
Journée Internationale de l’Enfance

(… Puisque nous sommes devenus débiles au point que nos générations, à travers le monde, ont ressenti le besoin d’en créer une. Tant de siècles d’âpres combats et de lumineux progrès, et, pauvres de nous, ne pas avoir encore unanimement compris que l’enfance est le seul et unique trésor qu’il nous faille protéger, absolument et spontanément, chaque jour de notre vie ; parce qu’elle est sans conteste le seul et unique trésor que notre espèce ait jamais reçu.
Il est évidemment plus facile de faire éclore une forêt de roses qu’une seule conscience.)

Au fond, seuls les enfants savent parler de l’enfance. Voilà qui explique sans doute que personne mieux que le poète ou le musicien, qui jamais ne la quittent, ne sait l’évoquer avec autant de pertinence, et autant de beauté.

Robert Schumann 1810-1856

Ce n’est certes pas un hasard si c’est au plus « enfant » des compositeurs de la musique classique, Robert Schumann, que revient le mérite d’avoir écrit les plus émouvantes partitions sur le thème de l’enfance : « Kinderszenen » (Scènes d’enfants).

Treize miniatures, treize tableaux sonores représentant les émotions et les bonheurs simples des jeunes années. Pour méditer, se souvenir, rêver et, peut-être, transmettre.
Une merveilleuse poignée de minutes en lévitation sur les touches d’un piano, le temps d’un prodigieux voyage dans les contrées imaginaires de l’enfance, entre les frayeurs factices, les rêveries, les jeux animés, les rires et les tendres émois de cet insurpassable « âge d’or ».

Mes « Scènes d’enfants » sont douces, tendres et heureuses, comme notre avenir.

Robert, dans une correspondance adressée à Clara (1938)

Écoutons les, comme un hymne délicat aux joies insouciantes de nos jeunesses perdues, interprétées en janvier 2018 à Barcelone par la grande Martha Argerich. — Ce jour-là plus que jamais, l’immense pianiste avait pris à son compte la recommandation que Robert adressait à Clara, la virtuose et son aimée :

Tu prendras sans doute plaisir à jouer ces petites pièces, mais il te faudra oublier que tu es une virtuose. Il faudra te garder des effets, mais te laisser aller à leur grâce toute simple, naturelle et sans apprêt.

Robert, dans une correspondance adressée à Clara (1938)

1 – Gens et pays étrangers (Von fremden Ländern und Menschen)

Méditation légèrement nostalgique. Questionnement naïf et sincère sur ces histoires et ces récits de gens venus d’ailleurs inconnus.

2 – Curieuse histoire (Kuriose Geschichte)

Malgré l’apparente gravité de sa partie centrale l’histoire que l’enfant découvre le fait sautiller de joie.

3 – Colin-maillard (Hasche-Mann)

Tous les enfants se déchaînent autour de leur camarade aux yeux bandés, pour lui faire perdre totalement ses repères.

4 – L’enfant suppliant (Bittendes Kind)

L’enfant impatient qu’on satisfasse son désir, d’une histoire, d’un jouet, quémande et implore. Écho à son attente, la dernière note reste en suspens !

5 – Bonheur parfait (Glückes genug)

Quelle joie, quel bonheur ! Le désir est exaucé…

6 – Un évènement important (Wichtige Begebenheit)

Qui sait de quel évènement il s’agit ? Mais à l’évidence il est d’une grande importance à en juger par le caractère solennel et l’énergie de la musique.

7 – Rêverie (Träumerei)

Tout ici est sensibilité, poésie, abandon de soi. Mille fois écoutée cette rêverie fait toujours autant rêver. Mais qui rêve ? L’enfant ? Schumann ? Nous-même ?

8 – Au coin du feu (Am Kamin)

Réunion autour de l’âtre. Le feu crépite et les histoires ou les légendes que l’on se raconte attisent les passions…

9 – Cavalier sur le cheval de bois (Ritter vom Steckenpferd)

Le fier chevalier a enfourché le bâton qui lui sert de destrier et cavale à perdre haleine vers son noble destin…

10 – Presque trop sérieusement (Fast zu ernst)

Un souffle de sagesse ou de raison, une intuition d’adulte peut-être, et s’installe, inquiet, un instant de mélancolie.

11 – Croquemitaine (Fürchtenmachen)

On joue à se faire peur : tout est calme et tranquille quand, tout à coup, surgit le croquemitaine. Fuite soudaine de l’enfant… Et comme c’est trop bon de faire semblant d’avoir peur, on recommence.

12 – L’enfant s’endort (Kind im Einschlummern)

Longue et riche journée. Le sommeil gagne inéluctablement la partie. La berceuse emporte doucement l’enfant au pays des songes. Le dernier accord reste accroché à un nuage.

13 – Le poète parle (Der Dichter spricht)

Le dernier mot appartient au poète. Tendrement exprimé comme l’imperceptible caresse d’une maman sur la joue de son enfant endormi.

— ¤ —

Puisse l'apaisante beauté de ces évocations ne faire oublier à personne que toutes les scènes d'enfants ne connaissent pas, hélas, la douceur, la tendresse et le bonheur que Schumann avait souhaité réunir dans ses pages.

24 Préludes… à la méditation

Frédéric Chopin par Henri Lehmann – Paris avril 1847

J’ai qualifié les Préludes de remarquables. J’avoue que je me les figurais autres et traités comme ses Études, dans le grand style. C’est presque le contraire : ce sont des esquisses, des commencements d’études ou, si l’on veut, des ruines, des plumes d’aigle détachées de toutes les couleurs sauvagement agencées. Mais chaque morceau présente la carte de visite d’une fine écriture perlée : « de Frédéric Chopin » ; on le reconnaît à sa respiration haletante. Il est et demeure le plus pur esprit poétique du temps. Ce cahier contient aussi du morbide, du fiévreux, du repoussant. Que chacun y cherche ce qui lui convient et que le Philistin se tienne à l’écart.

Robert Schumann (1839)

Yuja Wang en récital à La Fenice de Venise le 3 avril 2017

—  Sur YouTube il est possible de faire une écoute sélective  —

Chaque note décisive n’est atteinte qu’on ne l’ait d’abord circonvenue, par une approche exquise qui la fait espérer et qui la laisse attendre. J’aime que ces premières mesures de découverte soient quelque peu hésitantes encore, et comme de qui n’ose oser, puis s’abandonne à cette effusion charmante où la surabondante joie se mêle à la mélancolie ; puis tout se fond dans la caresse pour un amoureux abandon.

André Gide – « Notes sur Chopin » (Prélude en sol bémol majeur) – L’Arche éditeur. Page 110 – [vidéo : 15’05]

Chacun d’eux prélude à une méditation ; ce ne sont rien moins que des morceaux de concert ; nulle part Chopin ne s’est montré plus intime. Chacun d’eux, ou presque (et certains sont extrêmement courts), crée une atmosphère particulière, pose un décor sentimental, puis,

s’éteint comme un oiseau se pose. Tout se tait.

Ibid – Pages 28-29

Décidément, le piano ne devrait pas quitter la chambre !

Une semaine plus tôt, le 27 mars 2017, Yuja donnait ce même récital dans la grande salle Pierre Boulez (2400 places)* de « La Philharmonie » à Paris. J’y étais, et installé à une place de premier choix (à en croire sa catégorie et son prix), réservée longtemps à l’avance. — Quand on aime...

Mais mon bonheur, hélas, ce soir-là, n’atteignit pas les sommets qui lui étaient promis : jamais, même du temps où, étudiant, les salles de concert ne m'ouvraient que leurs étages supérieurs, le piano ne m’était apparu aussi peu impressionnant, l'interprète aussi minuscule, ses doigts, pour ce que je pouvais en apercevoir, aussi petits ; quant aux expressions de son visage et aux mouvements de son corps... L'imagination n'est jamais aussi féconde que lorsque nous fermons les yeux. 
Jamais le son du piano, bien que l'acoustique ne manquât pas de qualité, ne m'avait semblé parvenir d’aussi loin jusqu’à mon fauteuil. Par chance, la salle était recueillie.
 
Le piano seul, nolens volens, est fait pour la « chambre », comme ses complices, le violon et le violoncelle d’ailleurs, quand ils choisissent d'être solitaires ; pas pour le « stade », fût-il construit à prix d’or par les plus qualifiés des architectes-acousticiens.
 
Et si les Préludes de Chopin sont au programme...! 
Confidents et intimes, ils appellent l'auditeur à une telle proximité avec le couple instrument/interprète que sortir ce tandem de son salon pourrait bien passer déjà pour une forme d'hérésie.
  
Pourquoi donc ne pas réserver plutôt ces grandes salles modernes aux tonitruances magnifiques des Carmina Burana, à la générosité mystique des chœurs brucknériens, ou encore aux infinités symphoniques d'un Beethoven emporté, l'espace leur convient si bien ? 

Alors merci au Teatro La Fenice qui a partagé cette vidéo sur la toile.

— "Musique restituée n'est pas musique vivante !" me dira alors, avec raison, une moue un rien dédaigneuse. 
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— "Certes ! Mais... Plaisir restitué vaut autrement plus qu'attente déçue ou trompée !", lui répondra mon large sourire ému et satisfait !

* La Fenice : 1000 places