‘Ma maison’

Si l’on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce serait la salle d’attente.

Jules Renard

Ma maison

Je m’invente un pays où vivent les soleils
Qui incendient les mers et consument les nuits,
Les grands soleils de feu, de bronze ou de vermeil,
Les grandes fleurs soleils, les grands soleils soucis,
Ce pays est un rêve où rêvent mes saisons,
Et dans ce pays-là, j’ai bâti ma maison,

Ma maison est un bois, mais c’est presque un jardin,
Qui danse au crépuscule, autour d’un feu qui chante,
Où les fleurs bleues se mirent dans un grand lac sans tain,
Et leurs images embaument les brises frissonnantes,
Aussi folles que l’aube, aussi belles que l’ambre,
Dans cette maison-là, j’ai installé ma chambre ;

Ma chambre est une église où je suis à la fois,
Si je hante un instant, ce monument étrange,
Et le prêtre et le Dieu, et le doute, et la foi,
Et l’amour et la femme, et le démon et l’ange.
Au ciel de mon église, brûle un soleil de nuit,
Dans cette chambre-là, j’y ai couché mon lit ;

Mon lit est une arène ou se mène un combat,
Sans merci, sans repos, je repars, tu reviens,
Une arène où l’on meurt aussi souvent que ça,
Mais où l’on vit, pourtant, sans penser à demain,
Où mes grandes fatigues chantent quand je m’endors,
Je sais que, dans ce lit, j’ai ma vie, j’ai ma mort.

Je m’invente un pays où vivent les soleils,
Qui incendient les mers et consument les nuits,
Les grands soleils de feu, de bronze ou de vermeil,
Les grandes fleurs soleils, les grands soleils soucis.
Ce pays est un rêve où rêvent mes saisons,
Et moi dans ce pays, j’ai bâti ta maison…

Barbara 1930-1997

 

Paroles de François Wertheimer (1973)

Une fleur dans la tête…

Fleurs et couronnes

Homme
Tu as regardé la plus triste la plus morne de toutes les fleurs de la terre
Et comme aux autres fleurs tu lui as donné un nom
Tu l’as appelée Pensée.
Pensée
C’était comme on dit bien observé
Bien pensé.

Et ces sales fleurs qui ne vivent ni ne se fanent jamais
Tu les as appelées immortelles…
C’était bien fait pour elles…
Mais le lilas tu l’as appelé lilas
Lilas c’était tout à fait ça
Lilas… Lilas…

Aux marguerites tu as donné un nom de femme
Ou bien aux femmes tu as donné un nom de fleur
C’est pareil.
L’essentiel c’était que ce soit joli
Que ça fasse plaisir…

Enfin tu as donné les noms simples à toutes les fleurs simples
Et la plus grande la plus belle
Celle qui pousse toute droite sur le fumier de la misère
Celle qui se dresse à côté des vieux ressorts rouillés
A côté des vieux chiens mouillés
A côte des vieux matelas éventrés
A côté des baraques de planches où vivent les sous-alimentés
Cette fleur tellement vivante
Toute jaune toute brillante
Celle que les savants appellent Hélianthe
Toi tu l’as appelée soleil
… Soleil…

Hélas ! hélas ! hélas et beaucoup de fois hélas !
Qui regarde le soleil hein ?
Qui regarde le soleil ?
Personne ne regarde plus le soleil
Les hommes sont devenus ce qu’ils sont devenus
Des hommes intelligents…
Une fleur cancéreuse tubéreuse et méticuleuse à leur boutonnière
Ils se promènent en regardant par terre
Et ils pensent au ciel.

Ils pensent… Ils pensent… ils n’arrêtent pas de penser…
Ils ne peuvent plus aimer les véritables fleurs vivantes
Ils aiment les fleurs fanées les fleurs séchées
Les immortelles et les pensées.
Et ils marchent dans la boue des souvenirs dans la boue des regrets.
Ils se traînent
A grand-peine
Dans les marécages du passé
Et ils traînent… ils traînent leurs chaînes
Et ils traînent les pieds au pas cadencé…
Ils avancent à grand-peine
Enlisés dans leurs Champs-Élysées
Et ils chantent à tue-tête la chanson mortuaire
Oui ils chantent
A tue-tête.

Mais tout ce qui est mort dans leur tête
Pour rien au monde ils ne voudraient l’enlever
Parce que
Dans leur tête
Pousse la fleur sacrée
La sale maigre petite fleur
La fleur malade
La fleur aigre
La fleur toujours fanée
La fleur personnelle…
… La pensée…  

Jacques Prévert

« Les baisers du soleil » : Butineurs d’ivoire…

[…] Les insectes sont nés du soleil qui les nourrit. Ils sont les baisers du soleil, comme ma dixième Sonate qui est une sonate d’insectes. […] Je les éparpille aujourd’hui comme j’éparpille mes caresses. […] Si nous percevons les choses ainsi, le monde nous apparait comme un être vivant.

Alexandre Scriabine
(Extrait d’une lettre adressée au musicologue russe Sabaneïev)

Alexander Scriabine (1872-1915)

Les génies sont toujours un peu fous, ou, pour le moins jugés tels. Surtout si, comme le pianiste et compositeur russe Alexandre Scriabine, ils ont très précocement nourri à partir d’une imagination d’une rare fécondité, une nette tendance à l’illumination mystique, une certaine excentricité créative, souvent visionnaire, et parfois mégalomane.

Alexandre Scriabine, qui partagea avec son ami Sergeï Rachmaninov –  son antithèse musicale – les cours de composition d’Anton Arenski au conservatoire de Moscou à la fin du XIXème siècle, a toujours, par conséquent, été tenu à la marge de la musique russe…
Ses profondes affinités avec les univers respectifs de Chopin, de Liszt ou de Wagner n’ont pas contribué à faire entrer Scriabine dans un quelconque courant musical ; il est demeuré, sa vie durant, une personnalité musicale à part, atypique et inclassable.

Il a entretenu sans cesse son ambition suprême, et utopique, d’atteindre par sa musique à une œuvre d’ « Art Total » qui réunirait ses auditeurs dans une « extase collective », où se répondraient sons, couleurs, parfums et sensations tactiles.

« Toute la vie de Scriabine semble ainsi comme une tentative de vaste prélude à un dépassement et un au-delà de la musique par la musique elle-même. » (Jean-Yves Clément – Alexandre Scriabine – Actes Sud Classica – P. 34)

C’est surtout au piano, par la composition de pièces courtes, de miniatures, de poèmes, qu’il aura sans doute le mieux exprimé ses visions prométhéennes. Partie centrale de son œuvre : les sonates, au travers desquelles Scriabine souhaitait à la fois poursuivre et surpasser la tradition dont Beethoven demeurait le garant ultime.

Sa dernière sonate, N°10 – Opus 70, composée à l’été 2013, apparaît comme une des plus remarquables illustrations de cet élan vers la lumière qui a toujours animé la puissance créatrice et visionnaire de ce génie de la musique, trop longtemps laissé dans l’ombre ?

La Sonate n° 10 est placée sous le signe de la luminosité. […] Toute en frémissements scintillants, d’une sensualité aussi subtile qu’ardente, la partition abonde en éclaboussures sonores, trilles et trémolos, et sa partie conclusive s’apparente à une véritable toile pointilliste, en touches rapides, précises et acérées.

André Lischke
(Docteur en musicologie, spécialiste de la musique russe – Faculté d’Evry)

Yuja Wang interprète la Sonate N°10 – Opus 70 d’Alexandre Scriabine

Sonate N°10 - Opus 70

"L'œuvre débute par une grande introduction faite d'une phrase énigmatique et tendre ("très doux et pur"), chant de nuit qui s'anime peu à peu vers une aube naissante ("avec une ardeur profonde et voilée"); aube bientôt totalement passée au jour avec l'apparition du premier trille, sous forme d'appel, répété à plusieurs registres, les trilles ensuite se multipliant, célébrant le lever du jour et avec lui le bonheur et la plénitude de vivre ("lumineux, vibrant").

S'enchaîne l'Allegro qui portera toute la sonate et qui chante "avec émotion" cette joie d'exister. Elle s'exprime par une multitude de trilles qui surgissent comme autant de pousses impromptues (avec une "joyeuse exaltation") chantant cette béatitude de l'existence ("avec ravissement et tendresse").

Au tiers de l'œuvre, le motif d'introduction revient, puis tout s'anime progressivement pour parvenir à de nouvelles séries de trilles de plus en plus exultants ("avec une joie subite", "de plus en plus radieux"), atteignant un premier sommet avant le retour de l'Allegro et à nouveau du motif initial ("avec une douce ivresse"). La musique devient alors plus lyrique et passionnée, jusqu'à l'ivresse avant l'apogée de l'œuvre ("Puissant, radieux"), longue série de trilles en accords de plus en plus extravagants et fournis jusqu'à atteindre un sommet paroxystique et délirant. 

L'exultation a connu son apogée et peut-être celle de l'œuvre pianistique de Scriabine. Sur les rappels des trilles de départ s'élance à nouveau l'Allegro suivi à nouveau d'une série de trilles ("avec élan, lumineux"). Après une nouvelle progression, la musique brusquement débouche sur un Piu vivo "frémissant, ailé", danse légère et pointilliste faite de battements d'ailes et de cris d'oiseaux. Puis elle s'éloigne "avec une douce langueur de plus en plus éteinte" jusqu'à l'ultime retour du motif initial. La partition s'éteint sur un do grave en octave laissant grande ouverte la porte du silence des sphères."      (Pages 149 & 150)

On ne joue pas du piano avec deux mains : on joue avec dix doigts. Chaque doigt doit être une voix qui chante.

Samson François

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Destin

Nature-Sunset-Wallpaper-

Le soleil qui se lève chaque matin à l’est
et plonge tous les soirs à l’ouest
sous le drap bien tiré de l’horizon
poursuit son destin circulaire
cadre doré enchâssant le miroir où tremblent les reflets
d’hommes et de femmes jetés sur une ombre de terre
par l’ombre d’une main qui singe la puissance

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« Ne nie pas le soleil… »

Vladimir Kush (né à Moscou en 1965) - Lever de soleil vu de l'océan
Vladimir Kush (né à Moscou – 1965) – Lever de soleil sur l’océan

N’oublie pas…

N’oublie pas la chanson du soleil, Vassili.
Elle est dans les chemins craquelés de l’été,
dans la paille des meules,
dans le bois sec de ton armoire,
… si tu sais bien l’entendre.
Elle est aussi dans le cœur du criquet.
Vassili, Vassili, parce que tu as froid, ce soir,
Ne nie pas le soleil.

Sabine SICAUD – Les poèmes de Sabine Sicaud (Stock, 1964)

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Quelques mots (peut-être nécessaires ?) sur Sabine Sicaud :

Sabine Sicaud (1913-1928)
Sabine Sicaud (1913-1928)

Cette très jeune poétesse, originaire du Sud-Ouest de la France, morte à quinze ans dans les souffrances d’une grave maladie des os, a laissé deux recueils de poèmes qui, s’ils ne sont pas ré-édités, mériteraient grandement de l’être.

Au delà de l’« espiègle vision de l’univers »* qui transparaît naturellement dans l’œuvre de cette jeune fille, le lecteur ne peut pas ne pas percevoir l’exceptionnelle maturité d’un esprit très tôt construit, lucide, sensible jusqu’à pouvoir exprimer à 15 ans avec simplicité et dans une langue pure, les affres de la douleur et la profonde sagesse qui leur répond. Un juste regard humain et une sensibilité poétique souvent à la mesure de certains vers inoubliables qui peuplent nos anthologies.

Nombreux, et pas des moindres, avec juste raison ont crié au génie. L’un d’eux, Alain Bosquet, écrivait, entre autres éloges à la jeune prodige, 30 ans après le décès de celle-ci, lorsque furent enfin édités ses poèmes : « Sans avoir connu la vie, Sabine Sicaud va mourir. Ses poèmes, illuminés d’une tristesse où tout est à la fois résignation et grandeur, disent un drame haussé au niveau de l’universel. La langue est d’une simplicité qui convient aux œuvres que le temps ne peut entamer : là tout est clair, rigoureux, irremplaçable. » **

Mais, enfin, qu’on veuille bien ne pas faire de comparaison trop hâtive avec une autre jeune prodige éphémère des années 1960, Minou Drouet. Rejoignons en confiance cette édifiante remarque à propos de notre contemporaine, émise par un poète incontestablement épris de beauté : « Pour moi la fraîcheur du délire enfantin a bien vieilli. Lisez plutôt Sabine Sicaud ».***

*Anna de Noailles in la préface du recueil « Poèmes d’enfant » publié en 1926

**Article dans la « Revue de Paris » – 1er trimestre 1959

*** « Une enfant de génie dont nous ne fîmes pas un phénomène » – Article de René Lacôte (1913-1971) paru dans « Les lettres françaises » (04/12/1958)

Le site consacré à Sabine Sicaud : https://www.sabine-sicaud.com/