Réconciliation
La passion amène la souffrance… Quelle puissance calmera
le cœur oppressé qui a tout perdu ?
Où sont les heures si vite envolées ?
Vainement tu avais eu en partage le sort le plus beau :
ton âme est troublée, ta résolution confuse.
Ce monde sublime, comme il échappe à tes sens !
Soudain s’élève et se balance une musique aux ailes d’ange ;
elle entremêle des mélodies sans nombre,
pour pénétrer le cœur de l’homme,
pour le remplir de l’éternelle beauté :
les yeux se mouillent ; ils sentent, dans une plus haute aspiration,
le mérite divin des chants comme des larmes.
Et le cœur, ainsi soulagé, s’aperçoit bientôt qu’il vit encore,
qu’il bat, et voudrait battre, pour se donner lui-même,
à son tour, avec joie, en pure reconnaissance
de cette magnifique largesse.
Alors se fit sentir – oh ! que ce fût pour jamais !
la double ivresse de la mélodie et de l’amour.

Johann Wolfgang Goethe (1749-1832)
In « Trilogie de la passion » – 1827
(Traduit de l’allemand par Jacques Porchiat)
C'est à Marienbad, en 1821, que Goethe, alors âgé de 72 ans, connaît sa dernière grande passion amoureuse. Il vient de faire la rencontre d'une jeune soprano de 17 ans, Ulrike von Levetzow, et en tombe éperdument amoureux.
Deux années plus tard, le refus des parents de la jeune fille de lui accorder sa main plonge le grand écrivain dans une profonde mélancolie qui lui inspirera de merveilleux poèmes, et en particulier l'un de ses plus beaux, l'"Élégie de Marienbad".
Pendant l'été 1823, alors qu'il se réfugie plus que jamais dans la musique, il est infiniment séduit par le jeu engagé et virtuose de la pianiste polonaise Maria Szymanowska (qui ne sera pas étrangère au style brillant de Chopin).
Quelques jours après le récital, il lui envoie ce poème, "Réconciliation", très empreint encore de ses ressentis amoureux, pour la remercier des vives émotions que sa musique a attisées en lui.
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Irina Lankova joue « Élégie » Opus 3 – N°1 de Sergueï Rachmaninov :

Cette "Élégie" fait partie des cinq "Morceaux de fantaisie", opus 3, que Rachmaninov compose en 1892, à l'âge de 19 ans. Dès son ouverture, cette pièce exprime, une profonde et bouleversante mélancolie qui, en se développant, gagne en intensité et en beauté. Chaleureuse, une réconfortante mélodie vient alors éclairer d'un bref trait d'espérance son ténébreux chemin. Mais la musique retourne à la gravité de sa méditation et s'estompe jusqu'à s'éteindre presque, avant que ne réapparaisse, encore plus triste et plus émouvant, le premier thème. Elle se cabre enfin dans une ultime convulsion puis se résigne à abandonner les harmonies des derniers accords aux ombres chères de la nuit qui marche.
Une réflexion sur “Un cœur en automne /6 : Mélange élégiaque”