Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Un livre, qu’on le lise ou qu’on l’écrive, doit être soluble dans la vie. On doit pouvoir à chaque page lever les yeux sur le monde ou se pencher sur un souvenir pour vérifier le texte.
Jean Grosjean 1912-2006
(cité par Patrick Kéchichian dans un article du journal Le Monde du 13/04/2006, à l’occasion de la mort du poète.)
La Liseuse, Charles von Steuben – Musée des Beaux Arts, Nantes
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Hier
Assis sur mes talons entre les murs je suis livré à la nuit anonyme et je me tais, mais je l’entends m’entendre. Il faut, dis-tu, marcher d’un mur à l’autre.
Rien, des essors d’oiseaux, l’herbe au soleil, l’odeur du sol, l’azur dans l’abreuvoir et l’envol des instants. Hier n’est plus, ne te retourne pas sur un abîme.
Je vous propose une citation de Saint-Augustin. Elle me paraît très appropriée.
Il a écrit :
— … Qu’est-ce que le temps ? Si l’on ne me pose pas la question, je sais ce qu’est le temps. Si l’on me pose la question, je ne le sais plus.
J’éprouve un sentiment identique en ce qui concerne la poésie.
Jorge-Luis Borges (1899-1986)
in « L’Art de la poésie » (Six conférences à Harvard -1967)
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Art poétique
Voir que le fleuve est fait de temps et d’eau, Penser du temps qu’il est un autre fleuve, Savoir que nous nous perdons comme un fleuve Et que les destins s’effacent comme l’eau.
Voir que la veille est un autre sommeil Qui se croit veille, et savoir que la mort Que notre chair redoute est cette mort De chaque nuit, que nous nommons sommeil.
Voir dans le jour, dans l’année, un symbole De l’homme, avec ses jours et ses années ; Et transmuer l’outrage des années En musique, en rumeur, en symbole.
Faire de mort sommeil, du crépuscule Un or plaintif, voilà la poésie Pauvre et sans fin. Revient la poésie Comme chaque aube et chaque crépuscule.
Parfois le soir, il émerge un visage Qui nous épie de l’ombre d’un miroir ; J’imagine que l’art ressemble à ce miroir Qui nous révèle notre propre visage.
On nous dit qu’Ulysse, fatigué de merveilles, Sanglota de tendresse en voyant son Ithaque Modeste et verte. L’art est cette Ithaque, Verte d’éternité et non pas de merveilles.
Il est aussi le fleuve sans fin Qui passe et demeure, et reflète le même Inconstant Héraclite, le même Mais autre, tel le fleuve sans fin.
Jorge Luis Borges – 1960 – traduit par Nestor Ibarra
Arte poética
Mirar el río hecho de tiempo y agua y recordar que el tiempo es otro río, saber que nos perdemos como el río y que los rostros pasan como el agua.
Sentir que la vigilia es otro sueño que sueña no soñar y que la muerte que teme nuestra carne es esa muerte de cada noche, que se llama sueño.
Ver en el día o en el año un símbolo de los días del hombre y de sus años, convertir el ultraje de los años en una música, un rumor y un símbolo,
Ver en la muerte el sueño, en el ocaso un triste oro, tal es la poesía que es inmortal y pobre. La poesía vuelve como la aurora y el ocaso.
A veces en las tardes una cara nos mira desde el fondo de un espejo; el arte debe ser como ese espejo que nos revela nuestra propia cara.
Cuentan que Ulises, harto de prodigios, lloró de amor al divisar su Itaca verde y humilde. El arte es esa Itaca de verde eternidad, no de prodigios.
También es como el río interminable que pasa y queda y es cristal de un mismo Heráclito inconstante, que es el mismo y es otro, como el río interminable.
Intemporel dialogue entre François Perrier et Charles Dumont au milieu des années 1970…
Hors du temps, n’est-ce pas ?
— Mais toi, tu n’auras rien parce que tu te veux libre.
— Je cherche l’or du temps, et tu ne comprends pas.
— Je t’écoute parler et te trouve curieux, Ta façon de penser me semble un peu bizarre. Moi, j’épouse la vie, je l’accepte et c’est mieux. Toi, tu cherches toujours des sentiments trop rares. Mais tu ne peux nier que notre société Est ainsi bien conçue et que l’argent fait vivre, Tout s’achète et se vend, le monde est ainsi fait, Mais toi, tu n’auras rien parce que tu te veux libre.
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— Je cherche l’or du temps et tu ne comprends pas. Je cherche l’or du temps et la beauté des choses : Une pierre de lune, un été qui s’en va, Le printemps qui revient dans les plis d’une rose. Je cherche l’or du temps et tu ne comprends pas.
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— Moi, j’ai de bons amis, un chemin tout tracé, Une femme, un enfant et malgré quelques traites J’ai un budget réglé, ma maison est payée Et dans quelques années, je serai en retraite. Quand nous étions enfants, tu étais tout pareil ; Je me souviens de toi, de tes idées étranges, Tu jouais, sous la pluie à faire du soleil,
Tu disais sans arrêt qu’il fallait que tout change.
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— Je cherche l’or du temps et tu ne comprends pas. Je cherche l’or du temps et la beauté des choses : Une ville dorée qui se dresserait là, Une grande amitié pour une noble cause. Je cherche l’or du temps et tu ne comprends pas.
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— Tu improvises trop et fais de l’existence Une course au trésor qui ne finira pas. Tu n’es qu’un marginal, un homme en transhumance, Un poète un peu fou qui méprise les lois. Le temps, lui, te battra et quand tu seras vieux Tu seras sans recours, toute amitié cessante, Il ne restera rien de tout ce merveilleux Dont tu pares ta vie et qui parfois me hante.
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— Je cherche l’or du temps et tu ne comprends pas. Je cherche où est la vie et en quoi il faut croire : Les hommes magiciens, les voix de l’au-delà, Les raisons de l’amour, les ombres de l’Histoire. Je cherche l’or du temps et tu ne comprends pas. Je cherche l’or du temps, lui seul compte pour moi.
Il trouvait ouvert sur son piano quelques-uns des morceaux qu’elle préférait : la Valse des Roses ou Pauvre Fou de Tagliafico (qu’on devait, selon sa volonté écrite, faire exécuter à son enterrement), il lui demandait de jouer à la place la petite phrase de la sonate de Vinteuil, bien qu’Odette jouât fort mal, mais la vision la plus belle d’une œuvre est souvent celle qui s’élève au-dessus des sons faux tirés par des doigts malhabiles, d’un piano désaccordé. La petite phrase continuait de s’associer pour Swann à l’amour qu’il avait pour Odette.
Marcel Proust « Du côté de chez Swann »
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Sibélius – Étude pour piano N°2 – Opus 76 par Denis Matsuev
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On ne revient pas d’un dîner chez les Verdurin, d’une visite à Guermantes ou d’une après-midi d’amour chez Odette de Crécy, sans avoir « entendu » et « réentendu » jouer, entre les mots des longues périodes de Marcel Proust, l’énigmatique « petite phrase de Vinteuil » qui, bien que tout aussi imaginaire que son compositeur, trouve ses résonances plurielles dans les partitions de quelques musiciens célèbres, contemporains de « LaRecherche ».
Cette petite mélodie de cinq notes constitue dans l’œuvre de Marcel Proust ce trait d’union heureux entre actualité et souvenir, qui, par cette « brusque conjonctionentre une sensation du passé et un fragment du présent, nous sort du temps », comme le disait Roland Barthes à propos de « La Recherche… » elle-même, considérée dans sa totalité.
Cette « félicité », ajoutait-t-il sur le ton résolu de l’observateur littéraire attentif qu’il était, qui « réside dans la collusion du souvenir et du présent » devait être ressentie par Proust comme une « victoire sur la mort ».
William Arthur Chase – The Keynote (1915) – Tate Gallery
Mais, toute réminiscence, victoire sur l’oubli, n’est-elle pas, par l’émotion même qu’elle réveille dans notre actualité, victoire sur la mort ? Chaque œuvre, en vérité, scelle le constat de cette évidence dès lors qu’agit à travers elle la mécanique magique de ces « épiphanies » de la mémoire, mécanique dont les rouages sont d’autant plus fluides et efficients qu’ils doivent leur déclenchement à la part musicale qui la constitue.
Chacun de nous possède sa — ou plutôt ses — petite(s) phrase(s) de Vinteuil qui se rattache(nt) très intimement à sa propre culture musicale certes, mais qui, plus modestement et plus sûrement sans doute, trouve(nt) racine dans les singularités de sa sensibilité personnelle.
Lilla Cabot Perry (1848-1933) – Violoncelliste
James Carroll Beckwith (1852 – 1917) – Mélodie
Devenue mouvement de sonate pour violoncelle et guitare sous la plume de l’arrangeur Börje Sandquist, cette charmante pièce pour piano Opus 76-N°2 de Sibélius a trouvé sa juste place dans la liste, longue il est vrai, de mes petites phrases musicales « commémoratives ».
C’est un bonheur toujours renouvelé que de l’écouter, tant pour la douceur romantique et surannée de la mélodie qu’elle délivre que pour les images anciennes et touchantes qu’elle ne manque jamais de convoquer dans mon vieux boudoir aux souvenirs.
Métamorphose passagère de l’instant. Un temps retrouvé !
Cette fois il avait distingué nettement une phrase s’élevant pendant quelques instants au-dessus des ondes sonores. Elle lui avait proposé aussitôt des voluptés particulières, dont il n’avait jamais eu l’idée avant de l’entendre, dont il sentait que rien autre qu’elle ne pourrait les lui faire connaître, et il avait éprouvé pour elle comme un amour inconnu.
D’un rythme lent elle le dirigeait ici d’abord, puis là, puis ailleurs, vers un bonheur noble, inintelligible et précis.
L’homme croit que le Temps se repose Alors qu’il déploie secrètement ses ailes. Mais si ses coups sont cachés, Ses outrages sont ensuite évidents.
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Aria de la Désillusion – Trionfo del Tempo e del Disinganno (Haendel)
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Bellezza (Beauté) prend conscience qu’elle a trop laissé Plaisir conduire sa vie. Elle peste sur son fauteuil, furieuse, contre elle-même sans doute. Alors que Temps (impassible, sûr de lui et un rien dédaigneux derrière son cigare et ses lunettes à la mode) réunit dans cette salle de cinéma les fantômes, bien jeunes, de celles qui hier encore, étaient elles-même alors « Beauté », toutes inconditionnelles accros aux conseils de Plaisir, avant que la mort ne les emporte. Disinganno (Désillusion, mais autant dire Vérité) rappelle, sourire narquois au coin des lèvres, l’évidence dévastatrice : même depuis l’ombre où l’on veut parfois le tenir caché, le temps assène ses coups, inévitablement. Le velouté du contralto de Sara Mingardo est si caressant que la tragédie qu’il annonce n’en apparaît que plus effrayante encore.
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Cinq ans ! Cinq années déjà depuis la naïve publication de mon premier billet sur « Perles d’Orphée ». Cinq ans de partage avec vous — toujours plus nombreux, généreux et fidèles — des émotions, le plus souvent poétiques ou musicales, que j’ai pris, depuis, l’habitude de confier à ce journal intime ouvert à tous…
N’eût été le rappel rigoureux des horloges électroniques de l’hébergeur de ce blog et de son double puiné, « De braises etd’ombre « , j’aurais, moi aussi, continué de croire que le temps se reposait derrière leurs pages.
Mais illusion ! Il ne connaît pas de répit, le bougre. Il triomphe toujours. Et force est de reprendre ici pour mon propre compte la sagesse sarcastique de Disinganno raillant l’inconséquence de Bellezza désemparée.
Faut-il considérer mon oubli du temps comme l’effet du plaisir que j’ai ressenti, pendant toutes ces années, à composer chacun de ces modestes billets ? Assurément oui !
Benedetto Pamphili (1653-1730)
G.F. Haendel (1685-1759)
Le Cardinal Pamphili ne se trompait donc pas en affirmant par le livret très moralisateur qui devait donner naissance en 1707 au premier oratorio (étonnamment sans chœur) d’un jeune musicien prodige de 22 ans, Georg Friedrich Haendel — IlTrionfo del Tempo et del Disinganno —, que Plaisir, ce frère rebelle, était maître en l’art de faire oublier Temps, l’intraitable tyran.
Mais maître pourtant bien spécieux, au pouvoir illusoire…!
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En un mot donc, c’est le cinquième anniversaire de ce « glorieux » moment de novembre 2012 qui a vu ma prétention l’emporter sur ma réserve. — Il est vrai que s’agissant de quinquennat, en politique du moins, l’attitude n’est pas des plus rares… Mais qui alors aurait parié sur une telle longévité qu’aucune institution, pour le coup, ne garantissait ?
Belle occasion en tout cas pour nous réunir autour d’un verre, autour d’une table. Et quelle table ! Allégories en scène et à la cène, mes extraordinaires invités du jour sont déjà installés : Beauté, Plaisir, Temps et Désillusion (que je préfère tellement appeler Vérité).
Étonnant quatuor ! N’est-ce pas ?
A peine réunis les voilà, enfants turbulents, qui se chamaillent à loisir. Un vrai repas de famille ! Beauté fait sa capricieuse, Plaisir l’invite à la suave délectation de l’instant, Temps brandit la menace de la mort tandis que, avertie et discrète, Désillusion tempère ardeurs et outrances sans perdre de sa convaincante lucidité.
Bellezza : C’est la magnifique Sabine Devieihle. Elle veut du temps pour réfléchir, et n’en veut pas. Se laisser séduire par les illusoires caprices du présent ou s’astreindre à la sagesse de penser au lendemain, la question l’irrite, la contrarie. Mais tant mieux ! Quelles sont belles les colères d’une soprano d’une telle qualité ! Surtout quand c’est le Maestro Haendel qui les dicte. La Beauté ainsi incarnée est si terriblement, mais si merveilleusement, humaine.
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Piacere : Ah, Plaisir ! D’une voix inégalable, le contre-ténor argentin Franco Fagioli, ne cesse de prodiguer à Bellezza ses conseils hédonistes et l’encourage avec insistance à céder aux caprices de l’instant. Tant de musicalité et de virtuosité pour séduire… On succomberait à moins.
Tempo : Fallait-il moins qu’un ténor doté d’une voix longue de plus de trois octaves pour incarner Temps ? Avec rondeur et puissance le ténor américain Michael Spyres, s’acharne à rappeler à Beauté l’implacable finitude de l’existence et l’exhorte à plus de raison. La tentation du bien en majesté.
Disinganno : Désillusion, enfin, qui sait le danger de céder aux leurres autant qu’elle connaît la fulgurance du temps, met en garde Beauté contre le risque des lendemains désenchantés. La soumission au plaisir ne saurait faire oublier combien sont illusoires et éphémères l’apparence, la jeunesse, les plaisirs stériles, la vie. Quand elle prend la voix de Sara Mingardo, la Vérité triomphe une seconde fois.
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Cinq ans !
Voilà un anniversaire qui mérite bien un aussi rare enchantement :
Le Quatuor vocal de « Il Trionfo del Tempo et del Disinganno » de Haendel.
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— Tous les repas de famille devraient être réglés par Haendel !
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L'oratorio a été métamorphosé en opéra par Krzysztof Warlikowski en 2016 (les vidéos insérées dans ce billet en sont extraites)Dans la fosse d'orchestre : Le Concert d'Astrée dirigé par Emmanuelle Haïm
Information en guise d’épilogue :
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A la fin de l’oratorio original, la Bellezza du Cardinal Pamphili, ralliant les arguments de Tempo et de Disinganno, décide de confier son destin à Dieu et prend le voile.
Dans la version éminemment moderne de Warlikowski, Beauté finit par céder au désespoir de la jeunesse actuelle. Comme beaucoup de jeunes gens de sa génération elle se laisse étourdir par les ivresses multiformes et les plaisirs à haut risque jusqu’au moment où, assaillie par la mort de son jeune ami à la suite d’une soirée chargée en produits divers, elle ne trouvera aucune autre issue à son mal être que le suicide.
La clé de la musique de Bach : le désir d’évasion du temps. [….]
Les évolutions de sa musique donnent la sensation grandiose d’une ascension en spirale vers les cieux. Avec Bach, nous nous sentons aux portes du paradis ; jamais à l’intérieur. Le poids du temps et la souffrance de l’homme tombé dans le temps accroissent la nostalgie pour des mondes purs, mais ne suffisent pas à nous y transporter. Le regret du paradis est si essentiel à la musique de Bach qu’on se demande s’il y a eu d’autres souvenirs que paradisiaques. Un appel immense et irrésistible y résonne comme une prophétie ; et quel en est le sens sinon qu’il ne nous tirera pas de ce monde ? Avec Bach, nous montons douloureusement vers les hauteurs. Qui, en extase devant cette musique, n’a pas senti sa condition naturellement passagère ; qui n’a pas imaginé la succession des mondes possibles qui s’interposent entre nous et le paradis ne comprendra jamais pourquoi les sonorités de Bach sont autant de baisers séraphiques.
Emil Cioran (1911-1995)
(in « Le livre des leurres » – 1936)
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Toute prétention mise à part, évidemment, je dirais volontiers que fréquenter Cioran m’est une manière de dialogue avec moi-même au bout duquel le miroir finit toujours par l’emporter.
« Ruht wohl – Chœur final de la Passion selon Saint Jean ». Ainsi avais-je annoté, il y a bien longtemps, la marge de ce paragraphe du « Livre des leurres » d’où sont extraites les phrases citées en exergue de ce billet. Cette mention musicale pour illustrer ma découverte de ce texte, – je m’en souviens précisément – s’était spontanément imposée à la mine de mon crayon sans qu’à aucun instant, aucun autre des mille merveilleux « baisers séraphiques » que le Cantor de Leipzig aurait pu alors m’adresser ne tentât de contrarier mon écriture.
Ni les années, ni les relectures et les écoutes ne m’ont convaincu de changer mon choix. Nulle part ailleurs dans l’œuvre de Bach, me semble-t il, on ne saurait percevoir avec autant d’intensité cette « construction en spirale qui indique par ce schéma même l’insatisfaction devant le monde et ce qu’il nous offre, ainsi qu’une soif de reconquérir une pureté perdue ». Et, partant, notre irrépressible désir d’Autre et d’Ailleurs. Ainsi, résigné à l’impermanence de notre condition, accédons-nous, à travers les accents sereins de ce chant, au chemin du Paradis dont Bach ne nous ouvre pas les portes. Car ce chœur, à l’instar de toute l’œuvre de Bach, est un chant du voyage.
Le plus beau peut-être, pour conduire notre évasion de ce monde et du temps, par le haut, en escaladant le Ciel – et quel que soit le commerce que l’on entretienne avec Dieu.
Se laisser aspirer par le souffle ascendant des anges !
Chœur
Ruht wohl, ihr heiligen Gebeine, die ich nun weiter nicht beweine, ruht wohl, und bringt auch mich zur Ruh’.
Das Grab, so euch bestimmet ist, und ferner keine Not umschließt, macht mir den Himmel auf, und schließt die Hölle zu.
Ruht wohl…
Reposez en paix, saints ossements, que désormais je ne pleure plus ; reposez en paix, et emmenez-moi aussi vers le repos.
Le tombeau, tel qu’il vous est destiné,
et qui, de plus, ne recèle aucune détresse,
m’ouvre le ciel,
et ferme les enfers.
Reposez en paix…
Choral
Ach Herr, laß dein lieb’ Engelein Am letzten End’ die Seele mein Im Abrahams Schoß tragen ; Den Leib in sein’m Schlafkämmerlein Gar sanft, ohn’ ein’ge Qual und Pein, Ruhn bis am jüngsten Tage !
Alsdann vom Tod erwekke mich, Daß meine Augen sehen dich In aller Freud’, o Gottes Sohn, Mein Heiland und Genadenthron ! Herr Jesu Christ, erhöre mich, Ich will dich preisen ewiglich !
Ah, Seigneur, laisse tes chers angelots, à la dernière extrémité, mon âme porter (par eux) dans le sein d’Abraham ; mon corps, dans sa petite chambre de repos, bien doucement, sans aucun tourment ni peine, (laisse) reposer jusqu’au dernier jour !
Alors, de la mort éveille-moi, que mes yeux te voient en toute joie, ô fils de Dieu, mon Sauveur et Trône de grâce ! Seigneur Jésus Christ, exauce-moi ; je veux te louer éternellement !
L’été respire au bout de ce récif de toits, L’été de ton amour plein de mélancolie, L’été qu’on voit mourir un peu dans chaque jour Qui roule jusqu’ici ses falaises de suie. Églogue fatiguée, l’on entend la chanson Très pure d’un oiseau au milieu du silence. Regarde s’enfuir le plus beau temps de la vie, Le plus beau temps du cœur, la mortelle saison De la jeunesse aux noirs poisons. Voici la route, Ce saut de feu dans le délire des cigales Et de bons parapets pour reposer tes bras. Dans le ciel campagnard meurt le maigre charroi, S’envolent les décors barbares des passions : Petits balcons de fer écumant d’églantines, Escalades des murs titubants, dérision Des dorures, outremer houleux des orages. Tu ne reconnais plus ces folles mousselines Dans tout ce bleu que fait resplendir sans raison Chaque matin, parmi plusieurs enfantillages, L’été de ton amour, la saison du bonheur.
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy
L'oreille du taureau à la fenêtre De la maison sauvage où le soleil blessé Un soleil intérieur de terre Tentures du réveil les parois de la chambre Ont vaincu le sommeil Paul Eluard