Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
En dehors de l’enfance et de l’oubli, il n’y a que la grâce qui puisse vous consoler d’exister ou qui puisse vous donner la plénitude, le ciel sur la terre et dans le cœur.
Eugène Ionesco – Journal en miettes (1967)
Facétieuse sagesse de l'âge :
Un vieux monsieur, ostensiblement agacé de ne pouvoir retrouver son chemin dans les quartiers de sa jeunesse transformés par les reconstructions récentes, avise un passant, au moins aussi âgé que lui, mais qui semble parfaitement à l'aise dans ce décor moderne, et lui demande sa route :– Pourriez-vous m'indiquer, je vous prie, la "Place de l'Enfance"?– Bien sûr ! répond gracieusement le passant. Là ! dit-il dans un généreux sourire en pointant son index sur le sein gauche de son interlocuteur.
‘Young at heart’
Ballade composée en 1953 par Johnny Richards Paroles de Carolyn Leigh
Répertoire de Frank Sinatra
Emmet Cohen – Piano
Lucy Yeghiazaryan – Vocals
Benny Benack III – Trumpet
Mark Lewandowski – Bass
Joe Farnsworth – Drums
Les contes de fées peuvent devenir réalité
Et cela pourrait aussi t’arriver
Si tu gardes ton âme d’enfant.
Tu trouveras bien difficile
De garder l’esprit étroit
Avec le cœur d’un d’enfant.
Ainsi tu peux toujours viser la lune
Avoir d’impossibles projets,
Tu peux même rire quand tes rêves
En poussière sont balayés.
La vie est plus passionnante chaque jour qui s’enfuit,
L’amour est dans ton cœur, ou il est sur le chemin.
Ne sais-tu pas que ça vaut
Tous les trésors de la terre
De garder son âme d’enfant ?
Pour aussi riche que tu sois
Il est bien meilleur, et de loin
De rester jeune dans ton cœur !
Et si tu vis jusqu’à cent ans
Regarde tous les cadeaux de la vie,
Et surtout le plus beau d’entre eux :
Avoir reçu le privilège
De préserver ton cœur d’enfant !
On y cause en argomuche
Et Pantin se dit Pant’ruche
Ménilmontant, Ménil’muche
Et le temps n’y change rien.
Jean-Roger Caussimon – « Paris jadis », 1977
Willy Ronis – Ménilmontant-Belleville – 1959
Ménilmontant par Edouard Boubat (1956)
Je suis pas poète
Mais je suis ému
Et dans ma tête
Y a des souvenirs jamais perdus
Charles Trénet (1913-2001) « Ménilmontant » – 1938
§
.
Voix et guitare : Marion Lenfant-Preus
Guitare : Joscho Stephan
Basse : Volker Kamp
–
§
Mais l’éternelle version originale par « le fou chantant » :
Ménilmontant est un ancien faubourg de Paris. Il est un des hameaux annexés par la capitale en 1860 sous l’impulsion du baron Haussmann dans le cadre des grands travaux de transformation de la ville.
Sa position géographique élevée en fit longtemps un point d'alimentation en eau de la ville de Paris.
Le quartier demeuré très populaire est aujourd'hui l'un des plus cosmopolites de la capitale. Associé inséparablement avec le quartier voisin, Belleville, il en constitue le 20ème arrondissement.
Nous terminions à peine l’une des dernières mini bouteilles du non moins mini réfrigérateur quand, sans se départir de son charmant sourire qui m’aurait fait me damner, Nicki m’annonça qu’elle devait rentrer.
Aux fallacieux arguments qu’elle invoquait – la colère de son père, l’inquiétude de sa sa mère, les soupçons de sa sœur, les cancans des voisins… – je ne trouvais, pour la retenir, qu’un seul argument, bien banal : « Chérie, il fait froid dehors ! »
Et, alors qu’à mon grand désespoir j’étais prêt à abdiquer, je décidais, stratégie ultime, de dire, à mon tour, que je devais partir…
Elle n’a pas voulu que j’attrape froid.
Et comme je m’apprêtais à lui servir un verre de Limoncello, pour mieux encore continuer ce doux tête-à-tête qu’aucun de nous deux, au vrai, ne souhaitait interrompre, je reçus violemment en plein visage le bouchon d’une bouteille de champagne ouverte avec trop d’enthousiasme par un maladroit Père Noël qui s’agitait au milieu d’une publicité télévisée.
Ma journée avait été épuisante. Cavaler depuis le matin à travers New-York, la veille de Noël, sous la neige, au milieu d’une foule plus affairée que jamais se pressant en tous sens entre les flashs aguicheurs des enseignes, les explosions lumineuses des publicités, et les clignotements incessants des guirlandes enroulées autour des sapins, avait usé mon énergie jusqu’à la corde.
Quel bonheur, lorsque de retour dans le calme de ma luxueuse chambre d’hôtel, à deux pas du Whitney Museum, je me suis jeté dans les bras de la bien accueillante bergère en velours rouge qui n’attendait que mon corps éreinté.
Le temps d’un clic sur la télécommande et déjà d’autres bras m’emportaient…
Vers dix-neuf heures trente, comme je descendais du « yellow cab » qui, après une vingtaine de minutes de trajet, venait de me déposer à Madison, devant le « Shangaï Jazz Restaurant », je perçus les premiers échos de la voix de Nicki Parrot, bassiste de grand talent et chanteuse de jazz à la voix si enjôleuse. Rossano Sportiello l’accompagnait au piano. A l’évidence ma soirée new-yorkaise commençait sous les meilleurs auspices.
A peine avais-je passé la commande de mon dîner chinois que je sentis se poser sur moi un regard doux et gracieux. Nicki, embrassant sa contrebasse, venait d’entonner à mon intention, par quelques scats rythmés « East of the sun, West of the moon », une chanson composée dans les années 1930 par un jeune étudiant de l’Université de Princeton, et devenue depuis un standard du jazz vocal.
D’un coup, la salle s’était vidée. Nicki ne chantait que pour moi. Folle déclaration d’amour, invite au bonheur partagé, loin du monde.
Just you and I, forever and a day
Love will never die because we’ll keep it that way
Up among the stars we’ll find a harmony of life to a lovely tune
East of the sun and west of the moon *
M’étais-je jamais senti aussi léger ?
Incapable de choisir entre les expressions de son regard tant il se partageait entre charme et humour, amabilité et passion, je m’y noyais. Ses paroles coulaient en moi comme le miel le plus doux. Nous embarquions heureux, et en rythme, vers l’Est du soleil, vers l’Ouest de la lune, pour toujours et un jour…
Non sans passer prendre un dernier verre à l’hôtel, dans ma chambre…
* Juste toi et moi pour toujours et un jour.Notre amour ne mourra jamais car c'est ainsi que nous le construisons,cachés dans un chant harmonieux au milieu des étoiles,à l'est du soleil, à l'ouest de la lune.
Mike Davis – trompette …Ricky Alexander – clarinette ……Jim Fryer – trombone ………Jay Lepley – batterie …………Nick Russo – guitare ……………Terry Waldo – piano (Maître incontesté du Ragtime)
« Take a picture of the moon »
Ω
La mode se démode, le style jamais.(Coco Chanel)
Do you ever get a disappointment Just because the moon don’t shine Do you ever sit around and mope Groan a little bit and give up hope There’s a way to keep a love appointment Even though the moon don’t shine Should yours be a case like this Try this plan of mine: Take a picture of the moon above In May or June Then you could make love Morning night or noon By the light of the same old moon
Take a picture of the moon in high When it’s inside Then you could be dry on the rainy night When you feel like you are to spoon You have the proper atmosphere When you’re cuddlin someone Take up little photograph You can love and laugh At the blazing sun Take a picture of the moon above In May or June Then you could make love Morning night or noon By the light of the same old moon
Le jazz est selon moi une expression des idéaux les plus élevés. Par conséquent, il contient de la fraternité. Et je crois qu’avec de la fraternité, il n’y aurait pas de pauvreté, il n’y aurait pas de guerres.
John Coltrane (saxophoniste – 1926-1967) (Entretien avec Jean Clouzet et Michel Delorme, 1963)
Hé ! Les amis ! Un bœuf chez Emmet, ça vous dit ?
Oui, un « bœuf » quoi ! Une « jam session », si vous préférez : chacun vient avec son instrument, sa voix et son talent et ensemble on fait de la musique. La musique qu’on aime… à condition que ce soit du jazz.
Inutiles vos partitions ! On improvise, on se devine, on se comprend, on joue. Ensemble !
Votre passeport, l’amour de la musique : venez comme vous êtes, soyez qui vous êtes. Votre couleur de peau, et alors ? Vos origines, votre religion, et alors ? Faire le bœuf c’est partager la musique, le plaisir d’être ensemble, la complicité d’un instant, le bonheur d’être, tout simplement.
Faire le bœuf c’est croire avec la naïveté d’un enfant que la vie ensemble, chaque jour, pourrait si facilement être meilleure…
… même quand on a le cœur « bluesy » et… des « cailloux dans son lit » !
« Rocks in my bed »
Emmet Cohen – Piano Lucy Yeghiazaryan – Voix Grant Stewart – Saxophone Ténor Kyle Poole – Batterie Yasushi Nakamura – Contrebasse
Des cailloux dans mon lit
Mon cœur est lourd comme du plomb Parce que le blues m’a envahie J’ai des cailloux dans mon lit.
Toutes les personnes que je vois Pourquoi s’en prennent-elles à moi, pauvre de moi Et mettent des pierres dans mon lit ? Toute la nuit je pleure ! Mais comment peut-on dormir Avec des cailloux plein son lit ?
Il n’y a que deux types de personnes Que je ne comprends vraiment pas C’est une femme hypocrite C’est un homme au visage fermé.
Elle a emmené mon homme Et je ne vais pas le ramener Elle est plus fourbe qu’un serpent Le long des rails sous un wagon. J’ai des cailloux plein mon lit !
Sous aimé, suralimenté Mon homme s’en est allé et à sa place Plein de cailloux dans mon lit.
Tu n’es pas tout à fait la misère,
Car les lèvres les plus pauvres te dénoncent
Par un sourire.
Paul Eluard
Ψ
Triste é viver na solidão Na dor cruel de uma paixão Triste é saber que ninguém Pode viver de ilusão Que nunca vai ser, nunca vai dar O sonhador tem que acordar
Sua beleza é um avião Demais p’rum pobre coração Que para pra te ver passar Só pra me maltratar Triste é viver na solidão.
Il est triste de vivre dans la solitude Dans la douleur cruelle d’une passion Il est triste de savoir que personne Ne peut vivre d’illusions Que cela ne sera jamais, ça ne marchera jamais Le rêveur doit se réveiller
Ta beauté est un avion Trop belle pour un pauvre cœur Qui s’arrête pour te voir passer Juste pour se flageller Il est triste de vivre dans la solitude.
I have learned that all you give is all you get
So give it all you’ve got
Shirley Horn (1934-2005) – Photo 1991
Pour la voix « pleine de force et de majesté » de Shirley Horn
Pour les paroles empreintes de sage nostalgie ébauchées par Artie Butler qui dit avoir composé cette ballade à travers le regard mélancolique d’un vieil homme penché sur son passé, et qui aurait conservé intact son optimisme envers le temps qui reste.
Pour l’arrangement musical de Johnny Mandel qui a sans doute réalisé là le dernier grand standard du jazz américain, et le titre signature de Shirley Horn dont l’interprétation profonde et suave représente un legs majeur à l’histoire du jazz vocal déjà si bien représenté par ailleurs.
Pour la qualité de l’enregistrement de 1992, avec orchestre, en studio.
POUR LE PLAISIR ! POUR LE PLAISIR ! POUR LE PLAISIR !
Aucune plainte et aucun regret Je crois toujours à la poursuite des rêves et aux paris Mais j’ai appris que tout ce qu’on donne est tout ce qu’on obtient Alors donne tout ce que tu as reçu
J’ai eu ma part, j’ai bu ma dose Et même si je m’en satisfais Je veux encore voir ce qu’il y a sur d’autres routes Là-bas, au-delà de la colline Et tout recommencer
Alors voilà, à la vie et à toutes les joies qu’elle procure À la vie, pour les rêveurs et leurs rêves
C’est drôle comme le temps passe vite Comment l’amour peut-il passer De la chaleur de l’enfer à la tristesse des adieux Et nous laisser avec nos souvenirs qu’on appelle Pour réchauffer nos hivers
Car hier est passé et qui sait ce que demain apporte Ou emporte Tant que je suis encore dans le jeu je veux jouer Pour rire, pour vivre, pour aimer
Alors à la vie et à toutes les joies qu’elle apporte À la vie, aux rêveurs et à leurs rêves
Puisses-tu surmonter tes tempêtes Et embellir tes bonheurs À la vie, à l’amour, à toi (bis)
Traduction personnelle
La reconnaissance, pour Shirley Horn, a été tardive mais à la différence de bien des musiciens qui attendent longtemps que leur heure survienne, la raison de ce retard est liée dans son cas à des choix personnels. Aussi, son retour au devant de la scène à l’âge mûr a-t-il révélé au grand public une chanteuse d’une rare authenticité, chez qui l’émotion la plus pure se conjuguait à une musicalité sans pareille dont témoignait son aura auprès des musiciens. Comme les grandes chanteuses de jazz, Shirley Horn possédait non seulement un timbre de voix inimitable mais surtout un art d’interpréter les chansons avec un sens consommé de la mise en scène, chanteuse du clair-obscur et de la note feutrée.
Vincent Bessières - Directeur de la revue "Jazz & People"
(Introduction d'un portrait de Shirley Horn publié sur le site de la Philharmonie de Paris)
Je me suis appuyée à la beauté du monde
Et j’ai tenu l’odeur des saisons dans mes mains.
Anna de Noailles (‘L’offrande à la Nature’)
Entre les doigts virtuoses – ô combien ! – de cette gracieuse et formidable jeune guitariste australienne, Stephanie Jones, un bouquet de senteurs sonores, baptisé ‘Cielo Abierto‘ (Ciel Ouvert), par son compositeur, le guitariste argentin contemporain Quique Sinesi.
Les parfums du monde s’y donnent un vibrant rendez-vous : remugles des anciens bordels des quais du Rio de la Plata où rivalisaient jadis les danseurs de tango chers à Borges, effluences syncopées des vapeurs de fumée et d’alcool tout droit venues du Blue Note ou du Village Vanguard, senteurs d’amande ou de vanille des partitions vieillies de nos maîtres anciens…
Dans le blues, dans le jazz, l’obscurité est toujours déjà présente, tout comme le chagrin. La catastrophe est un éternel compagnon. Mais jamais vous ne laissez l’obscurité et le chagrin avoir le dernier mot. Jamais.
Cornel West (Philosophe américain)
in « Philosophie Magazine » (11/2012)
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Oh ! Oui ! Même si l’on n’est pas un(e) grand(e) aficionad(a) d’opéra, on a tous un jour croisé le chemin de cette attendrissante Madame Butterflydont Maître Puccini raconte l’histoire dans une de ses plus belles œuvres, l’opéra éponyme de 1904, l’un des plus joués dans le monde.
Qui n’a pas un jour senti son cœur se serrer devant le triste désarroi de cette jeune et jolie japonaise, naïve, séduite, abandonnée et trahie par un officier américain ?
Qui n’a pas essuyé une larme lorsque fière et courageuse au sommet de son désespoir elle fait en scène ses adieux à son enfant chéri avant de se donner le seppuku ?
Qui aurait pu imaginer que ce thème inspirerait, en 1916, deux compositeurs de Broadway, Raymond Hubbel et John L. Golden qui écriraient la chanson « Poor Butterfly » ?
Qui, alors, aurait pu prédire que son succès du moment ferait d’elle, dans les années 1950, un « standard » du jazz, au programme des musiciens et des voix les plus emblématiques du genre, et au point de figurer dans le répertoire de la grande Sarah Vaughan comme titre signature ?
Questions sans réponse… Qu’importe !
Le flambeau continue de se transmettre. Alléluia !
A cappella ou en formation avec Andrea Motis et son quintet, Cécile McLorin Salvant en témoigne superbement :
Poor Butterfly
There’s a story told of a little Japanese. Sitting demurely ‘neath the cherry blossom trees. Miss Butterfly’s her name. A sweet little innocent child was she ‘Till a fine young American from the sea To her garden came.
They met ‘neath the cherry blossoms everyday. And he taught her how to love the American way. To love with her soul t’was easy to learn. Then he sailed away with a promise to return.
Poor Butterfly ‘Neath the blossoms waiting. Poor Butterfly For she loved him so.
The moments pass into hours. The hours pass into years. And while she smiles through her tears, She murmurs low:
The moon and I know that he’ll be faithful I’m sure he’ll come to me by and by. But if he won’t come back I won’t I’ll never sigh or cry, I just must die. Poor Butterfly!
Pauvre Butterfly !
Voici l’histoire que l’on raconte à propos d’une petite japonaise assise délicatement sous les cerisiers en fleurs. Son nom : Miss Butterfly.
C’était une douce petite enfant, innocente, jusqu’à ce qu’un beau jeune homme venu de la mer apparaisse dans son jardin.
Chaque jour ils se sont vus sous les fleurs des cerisiers. Il lui a appris à aimer la vie à l’américaine. – Apprend vite l’âme qui aime. Puis il est parti, promettant de revenir.
Pauvre Butterfly patiente sous les fleurs. Pauvre Butterfly qui l’aimait tellement.
Les instants devinrent des heures, et les heures des années. Tandis qu’elle souriait à travers ses larmes, elle murmurait tout bas :
‘Nous savons, la Lune et moi qu’il me restera fidèle. Je suis sûre qu’il reviendra me voir de temps en temps. Mais s’il ne revenait pas, sans un pleur, sans un soupir, je devrai juste mourir.’ Pauvre Butterfly !
Ce qui attire les musiciens classiques, c’est la la liberté du jazzman, sa capacité d’improviser, de composer, tout en poussant très loin sa dextérité digitale.*
Shan-shan Sun joue la Toccatina de Kapustin, Op.40, N°3, qui incorpore le swing-jazz et les progressions harmoniques dans un plan formel traditionnel et un mouvement perpétuel et répété typique de la toccata.
Nikolaï Kapustin, compositeur russe, est décédé il y a peu, le 2 juillet dernier. Il avait 82 ans. Il est un exemple rare de musicien classique ayant utilisé le jazz comme unique langage musical. Il se considérait lui-même comme un compositeur plutôt que comme un musicien de jazz. Il disait : "Je n'ai jamais été un musicien de jazz. Je n'ai jamais essayé d'être un vrai pianiste de jazz, mais j'ai dû le faire à cause de la composition. Je ne suis pas intéressé par l'improvisation - et qu'est-ce qu'un musicien de jazz sans improvisation ?" Il ne manquait jamais d'ailleurs de préciser que ses improvisations étaient écrites...
Ω
De Vladimir Horowitz à Martha Argerich, de Samson François à Nicholas Angelich, les pianistes de jazz ont toujours fasciné les musiciens classiques. Il est heureusement loin le temps où une Nadia Boulanger renvoyait Michel Legrand de sa classe s’il se mettait à jouer du jazz.*
Grigory Gruzman interprète une toccata extraite de « Play Piano Play », composé par le grand pianiste autrichien Friedrich Gulda, décédé en 2000. Remarquable interprète du Grand Répertoire, esprit libertaire et peu conventionnel, Gulda avait fondé son propre jazzband au début des années 1960, alors qu’il avait 30 ans.
Ω
Artificiellement séparés par deux écoles, deux techniques et deux visions du son, le pianiste classique et le pianiste de jazz sont deux frères jumeaux, voire deux frères siamois, que la musique réunit parfois lorsque les barrières de nos préjugés s’effacent soudain.*
Evgeny Kissin interprète une toccata qu’il a lui-même composée. Gershwin n’est pas très loin… :
* Olivier Bellamy – Dictionnaire amoureux du Piano – Jazz (Plon) – p.364 à 367
Ne croyez pas les mains sans gants plus robustes que les autres.
Gustave Flaubert – « Par les champs et par les grèves »
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Il n’y a guère que Mickey qui aujourd’hui porte ses gants blancs à longueur de journée.
Aussi, si vous affirmez que pour vous, porter des gants blancs s’inscrit dans la banalité des actions régulières de votre vie, ne soyez pas étonné(e) que, sans vous connaître, et certain que vous n’êtes pas Mickey Mouse, l’on vous donne du « Mon Général » ou du « Maître d’hôtel » ; ou encore, que l’on guette attentivement le lapin ou l’as de trèfle que vous cachez fort adroitement dans votre manche. A moins que vous ne soyez Huissier au Sénat ? Conservatrice responsable des incunables à la Bibliothèque Nationale ? Déménageur de tableaux au Louvre ?…
Ou, pourquoi pas, cet initié, tapi dans sa réserve légendaire, qui, certains soirs, symbolique oblige, enfile rituellement ses gants de lumière en fraternelle compagnie…?
A y bien regarder, les opportunités de porter des gants blancs ne sont en vérité pas aussi rares qu’on le penserait au premier abord, et pas nécessairement liées d’ailleurs à un protocole d’apparat.
Mais quel pervers faudrait-il être pour demander à une pianiste de faire chanter son instrument, les doigts ainsi embastillés, avec la virtuosité et la délicatesse de toucher qu’exige le meilleur du jazz ?
A l’impossible nul ne peut être tenu !
Et pourtant :
Quelques fascinantes minutes sous le vent froid et la pluie d’un vieux 15 août, avec la géniale Diva du jazz, Shirley Horn, au festival de Newport, et la démonstration du contraire devient imparable.
En gants blancs, la Diva ! Et quelle Diva !
Les gants blancs peuvent accessoirement protéger du froid…
Pour applaudir, assurément, ils ne sont sont d’aucune utilité.
Just in time
I found you just in time Before you came my time Was running low
. I was lost
The losing dice were tossed My bridges all were crossed
. Nowhere to go
Now you’re here And now I know just where I’m going No more doubt or fear
I found my way
.
For love came just in time You found me just in time And saved my lonely life That lovely day
À mon ami Jacques T. Pour aider sa convalescence à trouver son tempo : « swingando » !
Si votre éducation musicale a été négligée, nul besoin de choisir une voie aride pour la refaire : l’évolution rapide du jazz vous mènera insensiblement de la musique la plus fraîche et la plus naturelle des parades et des orchestres de marches aux recherches les plus raffinées des arrangeurs actuels ; et le monde de la mélodie, de l’harmonie et du rythme vous sera définitivement ouvert.
Boris Vian in Derrière La Zizique. U.G.E. 10/18, Paris, 1976
♬ ♬ ♬
Ce jeune pianiste indonésien, Joey Alexander, est-il le messie que le Jazz attendait ? Il a aujourd’hui 15 ans et les plus grands « jazzmen » actuels se réjouissent et s’enorgueillissent de jouer avec lui. Un commentateur a dit de lui, fort pertinemment, qu’il avait en vérité 115 ans, l’âge du Jazz qu’il incarne si profondément et si naturellement.
Il avait 10 ans en 2013 lorsqu’il a enregistré dans un des studios du mythique Lincoln Center de New York cette pièce de sa composition :
Le voici à 13 ans, avec Ulysses Owens Jr. à la batterie (nouvelle référence des batteurs de jazz) et l’excellent Dan Chmielinski à la basse, interprétant « City lights » :
Le jazz est un style, non une composition. N’importe quelle musique peut être interprétée en jazz, du moment qu’on sait s’y prendre. Ce n’est pas ce que vous jouez qui compte mais la façon dont vous le jouez.
Jelly Roll Morton
Qui pourrait encore dire, devant un tel génie, doté d’une aussi précoce maturité et d’une aussi joyeuse liberté de jouer et d’inventer cette musique sur les traces des plus éminents musiciens de son histoire, que le jazz est mort ?
De gauche à droite : 1/ M. Petrucciani – B. Evans – J.R. Morton – M. Solal 2/ E.Garner – D. Ellington – O. Peterson – T. Monk
À l’évidence, hélas, après cent ans d’existence le jazz a émis bien plus d’avis de décès qu’il n’a reçu de faire-part de naissance. À ne considérer son histoire qu’au travers du prisme réducteur du piano, peut-on affirmer pour autant qu’il s’est définitivement évaporé dans les fumées lumineuses des dernières inventions sonores du grand Bill Evans ?
Ce serait faire fi de ses successeurs, les Chick Coréa, Keith Jarrett, Brad Mehldau, Hiromi Uehara ou Jacky Terrasson, pour ne citer qu’eux.
Question bien délicate en vérité que la mort d’un art ! Et forte est la tentation intellectuelle d’aller chercher des éléments de réponse dans les théories sur l’esthétique développées par Hegel, Nietzsche ou Heidegger — qui s’opposent et s’entrechoquent souvent — et ainsi finir par se perdre dans un sempiternel retour au cœur des méandres alambiqués d’une réflexion qu’alimentent, préludes obligés, les toujours vives interrogations : « Qu’est-ce que l’Art ? », « Qu’est-ce que le Jazz ? »
J’avoue me satisfaire, pour l’immédiat, de cette remarque de bon sens que publiait Michel Yves-Bonnet, en octobre 2014, répliquée dans une tribune récente de Citizenjazz.com :
Le jazz est-il mort ? Nouvelle question ? Certes non ! Trouble chez certains amateurs et professionnels, assurément oui ! Mais pourquoi se poser cette question ? Pourquoi ne pas simplement se laisser aller au jeu et à l’écoute ? Parce que cette musique est un Art majeur et qu’il nous interpelle.
Il faut simplement se placer devant cette alternative : ou bien le jazz est une Grande Musique, ou bien il n’a été qu’un moment musical, cadré, daté, répertorié, modélisé, pour employer un langage scientifique. Si tu choisis la première prémisse, alors le jazz est un art de création, de recherche et d’avenir. Musique éternelle, comme les autres arts de création. Dès son origine, le jazz est une musique métisse, ce qui lui donne toute sa beauté et son originalité. Il n’y a dès lors aucune raison – sauf à l’enfermer, crime hors de raison – qu’elle ne poursuive pas ses alliances et ses mariages. Certes, tu dois rester vestale de cet Art, en veillant à ce que l’improvisation soit toujours ontologiquement à l’œuvre.
Le risque mortifère tient dans la deuxième proposition : Si le jazz devient « définitivement » une musique de répertoire, alors il te suffira de relever tous les chorus des glorieux Anciens et de les répéter inlassablement.
Voilà, semble-t-il, posées avec simplicité, les conditions pour que le Jazz se survive à lui-même : demeurer une musique ouverte, métisse, arlequinée des cultures et des influences les plus diverses, conserver une fidélité sans faille à sa caractéristique fondamentale, l’improvisation, et, corollaire des propositions précédentes, continuer de s’ancrer à sa racine la plus profonde, tout à la fois la plus valorisante et la plus créative : la liberté.
Alléluia ! Ce XXIème siècle semble avoir entendu ce discours. Il a envoyé aux amateurs de jazz un nouveau messager porteur d’une espérance que certains n’attendaient peut-être plus, Joey Alexander.
Quelque chose me dit que les étagères « Jazz » de nos discothèques n’ont pas fini de s’allonger…
Le jazz est mon aventure. Je traque les nouveaux accords, les possibilités de syncope, les nouvelles figures, les nouvelles suites. Comment utiliser les notes différemment. Oui, c’est ça ! Juste une utilisation différente des notes.
Thelonious Monk
♬ ♬ ♬
Allez, pour remplacer les 6 ou 7 vidéos que je viens de désélectionner de ce billet, – parce que trop c’est trop et que les amateurs les retrouveront sans peine – juste un petit bis depuis le fond de la salle du « Jazz Standard » à New York, il y a trois ans.
Le petit bonhomme au cheveux longs, à gauche, assis devant le piano n’a que 12 ans, c’est Joey Alexander… qui conduit les musiciens de son Trio.
– Monsieur Armstrong, qu’est-ce que le swing ?
– Madame, si vous avez à le demander, vous ne le saurez jamais!
L’amour
Entre dedans douillet et dehors pluvieux
Entre instant de plaisir et tristesse annoncée
Entre les gouttes entre les larmes
Entre l’ivoire mélancolique d’un piano mouillé
Et l’encre nostalgique des mots blessés.
Le « blues »
Entre les vers de Francis Carco
Et les arpèges de Bill Evans.
La pluie… ?
Oui ! Je m’en souviens !
Andrei Krioutchenko (peintre de Paris)
Il pleut
À Éliane
Il pleut — c’est merveilleux. Je t’aime. Nous resterons à la maison : Rien ne nous plaît plus que nous-mêmes Par ce temps d’arrière-saison.
Il pleut. Les taxis vont et viennent. On voit rouler les autobus Et les remorqueurs sur la Seine Font un bruit… qu’on ne s’entend plus !
C’est merveilleux : il pleut. J’écoute La pluie dont le crépitement Heurte la vitre goutte à goutte… Et tu me souris tendrement.
Je t’aime. Oh ! ce bruit d’eau qui pleure, Qui sanglote comme un adieu. Tu vas me quitter tout à l’heure : On dirait qu’il pleut dans tes yeux.
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy