Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
« Dis-moi quel est ton infini, je saurai le sens de ton univers, est-ce l’infini de la mer ou du ciel, est-ce l’infini de la terre profonde ou celui du bûcher ? » Dans le règne de l’imagination, l’infini est la région où l’imagination s’affirme comme imagination pure, où elle est libre et seule, vaincue et victorieuse, orgueilleuse et tremblante. Alors les images s’élancent et se perdent, elles s’élèvent et elles s’écrasent dans leur hauteur même. Alors s’impose le réalisme de l’irréalité.
…
On comprend les figures par leur transfiguration.
Gaston Bachelard – L’air et les songes – Essai sur l’imagination du mouvement
Ouvrir un livre de poésie, c’est vouloir s’éclairer avec une bougie en pleine déflagration de la bombe à hydrogène. Parier pour la bougie en ce cas, est tout à fait insensé, et cependant, c’est peut être dans ce genre de pari que réside notre avenir.
Giovanni Andrea Sirani – Tre sorelle -1663 (Trois grâces – Peinture – Musique – Poésie)
Les Anciens ne s’accordent ni sur le nom, ni sur le nombre, ni sur la fonction des Charites, mais dans la tradition la plus communément suivie, ce sont trois sœurs nommées Aglaé, Euphrosyne et Thalie. À l’origine divinités chthoniennes, elles répandent la fécondité et la grâce sur les êtres et les choses, étant par là-même dispensatrices de joie. On saisit alors le rapport étroit qui existe entre leur nom et la famille de charis : les Charites sont tout ce qui embellit et favorise la vie.
Étienne Wolff (2006) Sur une interprétation de la figure des Grâces. Littératures classiques N° 60(2)
Il ne manquait plus qu’elles chantassent…
Silvia Pérez Cruz – Rita Payés – MARO
chantent a cappella et en portugais
« Estrelas e raíz » (Étoiles et racines)
O céu sempre esta aqui, viu? nesta canção na aldeia e na cidade na selva e no sertão Ponta da Baleia diz canta nova amiga con estrelas e raiz. Todos somos filhos, viu? todo e circular chuva, vida e morte o tempo e o ar o planeta inteiro diz canta nova amiga con estrelas e raiz.
Le ciel est toujours là, vois-tu ? dans cette chanson dans le village et dans la ville dans la jungle et les alentours de Ponta da Baleia il est dit : « chante nouvel ami avec des étoiles et des racines. » Nous sommes tous des enfants, vois-tu ? tout et autour la pluie, la vie et la mort le temps et l’air la planète entière tout dit « chante nouvel ami avec les étoiles et les racines. »
La poésie est un langage silencieux qui efface ses propres traces pour qu’on entende ce que les mots ne disent pas. Elle ne change pas la vie, mais elle tient tête au malheur en affirmant notre dignité. Elle reçoit autant qu’elle donne, permet un embrassement secret dans la nuit.
Jean Mambrino 1923-2012
Extrait d’un entretien aux ÉditionsArfuyen (01/2009)
Quand bien même je parviendrais à définir la poésie (aspiration stupide, par ailleurs), quand bien même je découvrirais son essence, quand bien même je dévoilerais son origine la plus profonde, quand bien même je connaîtrais la poésie tout entière et tous les poètes comme mon propre nom, l’instant venu d’écrire un poème, je ne suis plus qu’une humble jeune femme nue qui attend que l’Autre lui dicte des mots beaux et pleins de sens, avec un pouvoir suffisant pour hisser ses pauvres tribulations et donner de la valeur à ce qui autrement ne serait que divagations.
Ah, si seulement avec une goutte de poésie ou d’amour,
nous pouvions apaiser la haine du monde …
Pablo Neruda
Enregistrement Lelius 09/2013
La poésie
Et ce fut à cet âge… La poésie vint me chercher. Je ne sais pas, je ne sais d’où elle surgit, de l’hiver ou du fleuve. Je ne sais ni comment ni quand, non, ce n’étaient pas des voix, ce n’étaient pas des mots, ni le silence : d’une rue elle me hélait, des branches de la nuit, soudain parmi les autres, parmi des feux violents ou dans le retour solitaire, sans visage elle était là et me touchait.
Je ne savais que dire, ma bouche ne savait pas nommer, mes yeux étaient aveugles, et quelque chose cognait dans mon âme, fièvre ou ailes perdues, je me formai seul peu à peu, déchiffrant cette brûlure, et j’écrivis la première ligne confuse, confuse, sans corps, pure ânerie, pur savoir de celui-là qui ne sait rien, et je vis tout à coup le ciel égrené et ouvert, des planètes, des plantations vibrantes, l’ombre perforée, criblée de flèches, de feu et de fleurs, la nuit qui roule et qui écrase, l’univers.
Et moi, infime créature, grisé par le grand vide constellé, à l’instar, à l’image du mystère, je me sentis pure partie de l’abîme, je roulai avec les étoiles, mon cœur se dénoua dans le vent.
Pablo Neruda – Chili 1904-1973
« Mémorial de l’île noire » – 1964 Traduction de Pierre Clavilier
La poesía
Y fue a esa edad… Llegó la poesía a buscarme. No sé, no sé de dónde salió, de invierno o río. No sé cómo ni cuándo, no, no eran voces, no eran palabras, ni silencio, pero desde una calle me llamaba, desde las ramas de la noche, de pronto entre los otros, entre fuegos violentos o regresando solo, allí estaba sin rostro y me tocaba.
Yo no sabía qué decir, mi boca no sabía nombrar, mis ojos eran ciegos, y algo golpeaba en mi alma, fiebre o alas perdidas, y me fui haciendo solo, descifrando aquella quemadura, y escribí la primera línea vaga, vaga, sin cuerpo, pura tontería, pura sabiduría del que no sabe nada, y vi de pronto el cielo desgranado y abierto, planetas, plantaciones palpitantes, la sombra perforada, acribillada por flechas, fuego y flores, la noche arrolladora, el universo.
Y yo, mínimo ser, ebrio del gran vacío constelado, a semejanza, a imagen del misterio, me sentí parte pura del abismo, rodé con las estrellas, mi corazón se desató en el viento.
Tu ne dis jamais rien tu ne dis jamais rien Tu pleures quelquefois comme pleurent les bêtes Sans savoir le pourquoi et qui ne disent rien Comme toi, l’œil ailleurs, à me faire la fête
Tu ne dis jamais rien
Tu ne dis jamais rien Je vois le monde un peu comme on voit l’incroyable L’incroyable c’est ça c’est ce qu’on ne voit pas Des fleurs dans des crayons Debussy sur le sable A Saint-Aubin-sur-Mer que je ne connais pas Les filles dans du fer au fond de l’habitude Et des mineurs creusant dans leur ventre tout chaud Des soutiens-gorge aux chats des patrons dans le Sud A marner pour les ouvriers de chez Renault Moi je vis donc ailleurs dans la dimension quatre Avec la Bande dessinée chez MC 2 Je suis Demain je suis le chêne et je suis l’âtre Viens chez moi mon amour viens chez moi y a du feu Je vole pour la peau sur l’aire des misères Je suis un vieux Boeing de l’an quatre-vingt-neuf Je pars la fleur aux dents pour la dernière guerre Ma machine à écrire a un complet tout neuf Je vois la stéréo dans l’œil d’une petite Des pianos sur des ventres de filles à Paris Un chimpanzé glacé qui chante ma musique Avec moi doucement et toi tu n’as rien dit
Tu ne dis jamais rien tu ne dis jamais rien Tu pleures quelquefois comme pleurent les bêtes Sans savoir le pourquoi et qui ne disent rien Comme toi, l’œil ailleurs, à me faire la fête
Dans ton ventre désert je vois des multitudes Je suis Demain. C’est Toi mon demain de ma vie Je vois des fiancés perdus qui se dénudent Au velours de ta voix qui passe sur la nuit Je vois des odeurs tièdes sur des pavés de songe A Paris quand je suis allongé dans ton lit A voir passer sur moi des filles et des éponges Qui sanglotent du suc de l’âge de folie Moi je vis donc ailleurs dans la dimension ixe Avec la bande dessinée chez un ami Je suis Jamais je suis Toujours et je suis l’ixe De la formule de l’amour et de l’ennui Je vois des tramways bleus sur des rails d’enfants tristes Des paravents chinois devant le vent du nord Des objets sans objet des fenêtres d’artistes D’où sortent le soleil le génie et la mort Attends, je vois tout près une étoile orpheline Qui vient dans ta maison pour te parler de moi Je la connais depuis longtemps c’est ma voisine Mais sa lumière est illusoire comme moi
Et tu ne me dis rien tu ne dis jamais rien Mais tu luis dans mon cœur comme luit cette étoile Avec ses feux perdus dans des lointains chemins Tu ne dis jamais rien comme font les étoiles
Le Bonheur c’est pas grand chose, c’est juste du chagrin qui se repose. Léo Ferré
Lorsque tu me liras…
Lorsque tu me liras, je te regarderai dans le pare-brise, Tu viendras à moi, tout entière, comme la route, Lorsque tu me liras, la maison sera silencieuse, Et mon silence à moi te remplira tout entière aussi.
Avec toi, dans toi, je ne suis jamais silencieux, C’est une musique très douce que je t’apporte… Quant à toi, tu verses au plus profond de ma solitude, cette joie triste d’être, Cet amour que, jour après jour, nous bâtissons, en dépit des autres, En dépit de cette prison où nous nous sommes mis, En dépit des larmes que nous pleurons chacun dans notre coin, Mais présents l’un à l’autre…
Je te voyais, ces jours ci, dans la lande, là-bas, où tu sais… Je t’y voyais bouger, à peine te pencher vers cette terre que nous aimons bien tous les deux, Et tu te prosternais à demi, comme une madone, Et je n’étais pas là… ni toi… Ce que je voyais c’était mon rêve…
Ne pas te voir plus que je ne te vois… Je me demande la dette qu’on me fait ainsi payer. Pourquoi ?
L’amour est triste, bien sûr, mais c’est difficile,
Au bout du compte, difficile…
Dans mes bras, quand tu t’en vas longtemps vers les étoiles et que tu me demandes de t’y laisser encore… encore… Je suis bien ; c’est le printemps, tout recommence, tout fleurit,
Et tu fleuriras aussi de moi, je te le promets.
La patience, c’est notre grande vertu, c’est notre drame aussi. Un jour nous ne serons plus patients. Alors, tout s’éclairera, et nous dormirons longtemps,
Et nous jouirons comme des enfants. Tu m’as refait enfant ; j’ai devant moi des tas de projets de bonheur… Mais maintenant, tout est arrêté dans ma prison. J’attends que l’heure sonne… Je me perds dans toi, tout à fait.
Y te vas hacia allá como en sueños
Dormida, Alfonsina, vestida de mar*
Paroles de la chanson « Alfonsina y el mar »
*Et tu t’en vas là-bas, comme dans un rêve, Endormie, Alfonsina, et toute vêtue de mer
Stèle d’Alfonsina Storni à Mar del Plata
Depuis sa création par Mercedes Sosa, en 1969, cette chanson de Ariel Ramirez et Félix Luna, « Alfonsina y el mar », inspirée par le triste destin de la poétesse argentine Alfonsina Storni, nous a charmés et émus à travers bien des interprétations, pourtant très différentes les unes des autres.
En voici une nouvelle, aussi originale qu’inattendue, elle aussi pleine de charme, de poésie et d’émotion… et plus encore. Elle nous est offerte par l’iconique bassiste de jazz, Richard Bona et son complice, le pianiste cubain Alfredo Rodriguez, depuis le Festival de Jazz de Vienne (Isère) en juillet 2021.
Un enchantement, le trait d’humour en plus !
Les très jeunes « Perles d’Orphée », en décembre 2012, avaient consacré un billet à cette douce chanson et à l’histoire de cette « Ophélie » argentine dont le destin tragique inspira la délicate sensibilité des auteur et compositeur :
Quand on aime la vie, on aime le passé, parce que c’est le présent tel qu’il a survécu dans la mémoire humaine.
Marguerite Yourcenar – « Les yeux ouverts »
Un jour, sans prévenir, s’ébauchent au carrefour des souvenirs lointains quelques vers confidentiels d’un poète oublié… Retrouvés entre les pages aujourd’hui fanées d’un carnet de notes où un trait d’instinct les avait jadis réservés, s’illuminant enfin du sens d’une réalité alors noyée dans un trop-plein de jeunesse et d’insouciance.
J’aime ces mots un jour rencontrés loin des graffitis émus ou révoltés de mes pupitres d’écoliers, et demeurés discrètement tapis dans l’ombre des années vives. Leur surgissement soudain me les impose, prêt à faire croire à ma naïveté prétentieuse qu’ils auraient pu un jour s’échapper de mon propre encrier dans un éclair poétique de lucidité prémonitoire.
Décidément, jusqu’au bout je continuerai d’être « poète par tous les vers que je n’ai jamais écrits »*. Comment mieux garantir pour soi-même le talent que l’on n’a pas eu ?
* Cioran
František Kupka (1871-1957) – Le temps qui passe – L’instant
Passé
Les souvenirs, ces ombres trop longues de notre corps limité, ce sillage de mort que nous laissons en vivant, les lugubres et tenaces souvenirs, les voici surgir, déjà : mélancoliques et muets fantômes qu’agite un vent funèbre. Tu es venue vivre, désormais, dans ma mémoire. Oui, c’est maintenant que je peux dire : « tu m’appartiens. » Et voici qu’entre nous est arrivé quelque chose irrévocablement. Tout s’est achevé si vite ! Hâtif et léger Le temps nous a rejoints. D’instants fugitifs il a tissé notre histoire parfaitement close et triste. Nous aurions dû le savoir : l’amour brûle la vie et fait voler le temps.
Vincenzo Cardarelli (1887-1959)
Passato
I ricordi, queste ombre troppo lunghe del nostro breve corpo, questo strascico di morte che noi lasciamo vivendo i lugubri e durevoli ricordi, eccoli già apparire: melanconici e muti fantasmi agitati da un vento funebre. E tu non sei più che un ricordo. Sei trapassata nella mia memoria. Ora sì, posso dire che che m’appartieni e qualche cosa fra di noi è accaduto irrevocabilmente. Tutto finì, così rapido! Precipitoso e lieve il tempo ci raggiunse. Di fuggevoli istanti ordì una storia ben chiusa e triste. Dovevamo saperlo che l’amore brucia la vita e fa volare il tempo.
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle.
Pierre de Ronsard – Sonnets pour Hélène – 1578
§
William Butler Yeats (1865-1939)
When you are old
When you are old and grey and full of sleep,
And nodding by the fire, take down this book,
And slowly read, and dream of the soft look
Your eyes had once, and of their shadows deep;
.
How many loved your moments of glad grace,
And loved your beauty with love false or true,
But one man loved the pilgrim soul in you,
And loved the sorrows of your changing face;
.
And bending down beside the glowing bars,
Murmur, a little sadly, how Love fled
And paced upon the mountains overhead
And hid his face amid a crowd of stars
.
Quand vous serez vieille et grise et pleine de sommeil, Et dodelinerez près du feu, prenez ce livre, Et lisez lentement, et rêvez au regard doux Qu’avaient jadis vos yeux, et à leur ombre profonde ;
Combien ont aimé vos moments de grâce bienheureuse, Et aimèrent votre beauté, d’un amour vrai ou feint, Mais un seul homme a aimé en vous l’âme voyageuse, Et aimé la tristesse sur votre visage changeant ;
Et inclinée vers la grille rougeoyante, Murmurez, un peu triste, comment l’amour a fui Et a enjambé les montagnes au-dessus de nos têtes Et caché son visage parmi une multitude d’étoiles.
Traduction Pierre Mahé
§
Gretchen Peters, auteure et compositrice américaine de musique « country » et « folk« , est reconnue aux États-Unis comme une référence dans ce style de musique. Les récompenses et les nominations pleuvent depuis son premier album en 1996. Ce n’est évidemment pas sans raison qu’elle a écrit pour Ann Murray, Etta James ou Neil Diamond, entre autres.
C’est justement à l’occasion de son premier disque qu’elle compose et chante une superbe mélodie très inspirée du célèbre poème de Yeats.
En hommage au grand poète irlandais, elle en conserve le titre :
Première évocation dans un billet publié le 27/12/2013 sur le blog « Perles d’Orphée » sous le titre « L’Art de perdre »
Few women write major poetry. . . . Only four stand with our best men: Emily Dickinson, Marianne Moore, Elizabeth Bishop and Sylvia Plath.
Robert Lowell
I’d rather be called ‘the 16th poet’ with no reference to my sex, than one of 4 women—even if the other three are pretty good.
Elizabeth Bishop
Elizabeth Bishop 1911-1979
L’art de perdre
Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître ; tant de choses semblent si pleines d’envie d’être perdues que leur perte n’est pas un désastre.
Perds chaque jour quelque chose. L’affolement de perdre tes clés, accepte-le, et l’heure gâchée qui suit. Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître.
Puis entraîne toi, va plus vite, il faut étendre tes pertes : aux endroits, aux noms, au lieu où tu fis le projet d’aller. Rien là qui soit un désastre.
J’ai perdu la montre de ma mère. La dernière ou l’avant-dernière de trois maisons aimées : partie ! Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître.
J’ai perdu deux villes, de jolies villes. Et, plus vastes, des royaumes que j’avais, deux rivières, tout un pays. Ils me manquent, mais il n’y eut pas là de désastre.
Même en te perdant (la voix qui plaisante, un geste que j’aime) je n’aurai pas menti. A l’évidence, oui, dans l’art de perdre il n’est pas trop dur d’être maître même si il y a là comme (écris–le !) comme un désastre.
« Géographie III », traduction de Alix Cléo Roubaud, Linda Orr et Claude Mouchard (Circé, 1991, p. 58 et 59.)
§
Le cinéaste brésilien Bruno Barreto (« 4 jours en septembre » , « Dona Flor et ses deux maris »), a réalisé en 2012, sous le titre brésilien « Flores Raras », ou américain, « Reaching for the moon » (Atteindre la lune), un film retraçant un épisode important de la vie d’Elizabeth Bishop. Film émouvant, à la fois sensuel et poétique, sur la période brésilienne d’Elizabeth Bishop dans les années 1950-60.
Miranda Otto lit dans cet extrait du film le poème « One Art » :
One art
The art of losing isn’t hard to master ; so many things seem filled with the intent to be lost that their loss is no disaster.
Lose something every day. Accept the fluster of lost door keys, the hour badly spent. The art of losing isn’t hard to master.
Then practice losing farther, losing faster : places, and names, and where it was you meant to travel. None of these will bring disaster.
I lost my mother’s watch. And look ! my last, or next-to-last, of three loved houses went. The art of losing isn’t hard to master.
I lost two cities, lovely ones. And, vaster, some realms I owned, two rivers, a continent. I miss them, but it wasn’t a disaster.
– Even losing you (the joking voice, a gesture I love) I shan’t have lied. It’s evident the art of losing’s not too hard to master though it may look (Write it !) like disaster.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée, je reconnus la déesse. Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. À la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps.
L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois.
Manqua-t-elle jamais, jadis, de conclure chacune de nos longues conversations philosophiques par ce sourire amical et affectueux au travers duquel elle avait coutume de qualifier ma misanthropie de « pessimisme grincheux » ?
Je me demande encore aujourd’hui, bien humblement, si le ton qu’elle employait pour le dire ne contenait pas en filigrane la tentation d’un assentiment complice.
A la mémoire d’Éliane.
Pas à pas
Oui d’ici …………..d’un seul pas ……………………………….nous rejoindrons tout
Le tout nous rejoindrons …………..d’un seul pas ………………………………..ou de dix-mille
Pas à pas ……………par le plus bref trait ……………par le plus grand cercle Nous rallierons tout
Depuis l’extrême lointain …………….perçant le noir tourbillon …………………………………..nous avait touchés jadis La flamme
Nous n’aurons de cesse …………….que nous n’ayons franchi la ténèbre …………….nous n’aurons de fin Que nous n’ayons gagné l’infini
Pas à pas ……………..par la voie obscure ……………..par la voie nocturne Car c’est la nuit que circule incandescent Le Souffle Et que, par lui portés Nous réveillerons ……………….toutes les âmes errantes Voix de la mère appelant le fils perdu Voix de l’amante appelant l’homme rompu Filet de brume le long de blêmes ruelles Filet de larmes le long des parois closes Le crève-cœur d’une étoile filante ……………….crève l’enfance au rêve trop vaste Le trompe-l’œil de la lampe éteinte ………………..trompe l’attente au regard trop tendre
Si jamais vers nous se tend une main …………………serons-nous sauvés ? Si jamais une paume s’ouvre à nous …………………serons-nous réunis ?
Déjà les feuilles de sycomores ensanglantent la terre Les sentiers aux gibiers se découvrent givre et cendre Plus rien que plage noyée et marée montante Plus rien sinon l’ici …………………..sinon le rien d’ici
Quand les oies sauvages déchirent l’horizon Soudain proche est l’éclair de l’abandon Pour peu que nous lâchions prise ……………………l’extrême saison est à portée Désormais à la racine du Vide Nous ne tenons plus …………………….que par l’ardente houle Chaque élan un éclatement Chaque chute un retournement Tournant et retournant Le cercle se formera ……………………..au rythme de nos sangs Un ultime bond ……………………..et nous serons au cœur Où germe sera terme ……………………..et terme germe En présence du Temps repris
Oui d’ici ……………………..d’un pas encore …………………………………………nous rejoindrons tout
Au royaume de nul lieu ………………………la moindre lueur est diamant D’un instant à l’autre ………………………nous sauverons alors Ce qui est à sauver Du Corps invisible ………………………rongé de peines ………………………rongé de joies Nous sauverons l’insondable nostalgie L’in-su …………………………..l’in-vu …………………………………………………………l’in-ouï