‘Au pied d’un seul arbre LXXII’

L’artiste, le vrai artiste, le vrai poète, ne doit peindre que selon qu’il voit et qu’il sent. Il doit être réellement fidèle à sa propre nature.

 Charles BaudelaireCuriosités esthétiques (édition 1868)

Car c’est être poète que regarder la vie et la mort en face, et réveiller les étoiles dans le néant des cœurs.

Christian BobinL’homme-joie

— Ces réflexions vous font-elles penser à quelqu’un en particulier ?

— A quelqu’une, en effet… !

Au pied d’un seul arbre LXXII

une lune est morte tout à l’heure

dans le carreau du temps

et dans un testament renouvelé

je souscris au semblable

à la barbe de ton ciel élégant

à quoi bon essayer de comprendre

comment fonctionne le monde dans l’allongement

des fenêtres

je veux avec toi vivre dans la robe longue

d’une vie végétale

faire pousser l’enfant qui rêve

derrière l’œilleton des sentences

on laissera d’abord aller la lumière

puis l’âme venir à la bouche en silence

j’offre mon dos à l’habitude avec une joie première

il n’y a rien à promettre puisque tout consent

et que tout est retour

toi tu sais ma manie de vouloir toujours

tenir ensemble les choses embrassées

et de les écouter si longtemps

que la vie passe

follement

Barbara Auzou

 

Poème publié par l’auteure sur son blog
LIRE DIT-ELLE
le 11/09/2022

Riez cailloux !…

Le 23 janvier 2022, ému par la simplicité et la douceur bucolique du poème que je découvrais, j’adressais à son auteure, Barbara Auzou, sur son blog « Lire dit-elle », le commentaire suivant  :

« Au pied d’un seul arbre LII »

Après une après-midi de lecture en boucle de ce poème, je ne résiste plus au désir de l’enregistrer, et donc de te demander une nouvelle fois ton accord.
Ni date de réalisation, ni idée d’illustration pour le moment. Juste ma conviction que la poésie est faite pour être dite et que l’émotion se nourrit du partage.

Je reçus cette encourageante réponse :

Et je te le donne avec plaisir…

Au pied d’un seul arbre LII 

j’ai emmené paître mes peurs

plus loin et sur tout ce qui peut

faire un chemin ou la totalité

d’un oiseau

j’ai bu ta douceur avec la première

goulée d’air

qui nous chante à tue-tête

je suis passée repassée au cœur

de l’arbre hospitalier

avec mes fagots d’étoiles

et la famille élargie des fleurs

j’ai porté le soleil à ma bouche

au cou le collier des moissons

les hivers aux genoux

et avais-tu remarqué

comme vieillissant on dérange moins l’espace

on embrasse le sépulcre doux

d’un ciel qui se décharne

je t’aime

je te laisse une adresse paysanne

et des poches de temps à faire rire les cailloux

Barbara Auzou

Au pied d’un seul arbre XLVII

Au pied d’un seul arbre XLVII

avec l’âge nous éloignant

de l’emphase

de la vanité des printemps

on ose un buisson d’abandon

repu de trop de guerres

des bousculades simples de la vie

des moins simples aussi

qui laissent des échardes

dans le bois tendre de l’enfance

enduit de soleils

que ne survolent plus que des avions

dorés

et dans la part restante du souffle tournée

en aile

on a soudain la vision du port

de l’eau vive et celle de l’embarcadère

l’horizon s’étend géographie évolutive

quand les pensées se resserrent

on tempère ses ravissements

on couve ses merveilles

dans le nid d’un nouveau discernement

posé sur un grand reposoir en plein ciel

tu m’aimes là où tu ne m’attendais pas

je n’attendais pas davantage le poème

toujours plus nu de nos jours ensemble

Barbara Auzou
Publié le 29/11/2021 sur  LIRE DIT-ELLE

La poésie de Barbara Auzou est toute imprégnée de nature et de bonheur d'être, de fragrances de vie que chaque souffle de vent, d'où qu'il vienne, pousse vers le cœur. La générosité de ses mots souvent trouve sa source dans l’œuvre d'autres artistes, peintres ou sculpteurs qui ont su toucher son âme. René Char et quelques autres de ses illustres prédécesseurs en poésie ont pris soin d'éclairer son chemin... Chaque entrée dans l'un de ses poèmes est le commencement d'un heureux voyage dans l'univers du sensible et du subtil. 
Barbara possède le don ultime que seuls les vrais poètes reçoivent, celui de nous aider à devenir voyants.

Kuusi* – Valse avec ton arbre !

*Kuusi : l’épicéa, en finnois ;  en anglais, the spruce.

Jardin d’Albert Khan (www.frawsy.com)

« En argot les hommes appellent les oreilles des feuilles
c’est dire comme ils sentent que les arbres connaissent la musique
mais la langue verte des arbres est un argot bien plus ancien
Qui peut savoir ce qu’ils disent lorsqu’ils parlent des humains »  […]

Jacques Prévert (« Histoires » – 1946)

Clare Hammond – piano

Le compositeur finlandais Jean Sibélius, amoureux inconditionnel de la nature qui lui est également porte ouverte sur la métaphysique, écrit en 1914 cinq pièces pour piano dédiées à quelques arbres qui l’ont inspiré. « Kuusi », mouvement léger de valse nocturne, est la cinquième et dernière de ce recueil, « Les Arbres » – Opus 75.

L’arbre de l’oubli

Dante, pourquoi dis-tu qu’il n’est pire misère
Qu’un souvenir heureux dans les jours de douleur ?
Quel chagrin t’a dicté cette parole amère,
Cette offense au malheur ?

Alfred de Musset (« Souvenir »)

Arbre étrangeComme il est bon, quand la vie, parfois, décide de faire la mauvaise tête,  voire, certains jours, de nous bousculer un peu fort du côté du cœur,  d’aller se réfugier sous « l’arbre de l’oubli ».

Là, au moment apaisé où nos paupières s’abandonnent, il n’est pas rare qu’une petite mélodie toute simple, mais si douce, vienne tournoyer autour de nos chagrins. Les branches, même dépouillées par les vents froids de l’hiver, la gringottent pour nous. Comme les cordes de mille guitares leurs brindilles desséchées donnent la sérénade à l’âme alanguie.

Une invite à l’oubli !

Alberto Ginastera (argentine 1916-1983) – transcription pour deux guitares d’une Milonga (Canción al árbol del olvido) composée initialement pour piano.

Mais, soyons vigilants, car il arrive quelquefois, sous cet arbre, que l’on oublie d’oublier.

Poésie de Fernán Silva Valdés (Argentine 1887-1975)

Sur ma terre il y a un arbre
Qui s’appelle l’arbre de l’oubli
Où vont se consoler,
Petite vie,
Les moribonds de l’âme.

Pour ne pas penser à toi,
Sous l’arbre de l’oubli
Je me suis couché une nuit,
Petite vie,
Et je m’y suis bien endormi.

Et au sortir de mon rêve,
Une fois encore je pensais à toi,
Car j’ai oublié de t’oublier,
Petite vie,
Quand je me suis couché…

En mi pago hay un árbol,
Que del olvido se llama,
Donde van a consolarse
Vidalita,
Los moribundos del alma.

Para no pensar en vos,
En el árbol del olvido,
Me acosté una nochecita,
Vidalita,
Y me quedé bien dormido.

Al despertar de aquel sueño
Pensaba en vos otra vez,
Pues me olvidé de olvidarte,
Vidalita,
En cuantito me acosté.