
Extrait de Éloge de la vieillesse – Hermann Hesse
Musique : Maurice Ravel – Quatuor à cordes en Fa majeur
2ème Mouvement – « Assez vif & très rythmé »
Quatuor Hagen – Concert hall – Mozarteum, Salzburg (2000)
« Lorsque l’homme commence à décliner, après avoir atteint le faîte de son existence, il se débat ainsi contre la mort, les flétrissures de l’âge, contre le froid de l’univers qui s’insinue en lui, contre le froid qui pénètre son propre sang. Avec une ardeur renouvelée, il se laisse envahir par les petits jeux, par les sonorités de l’existence, par les mille beautés gracieuses qui ornent sa surface, par les douces ondées de couleur, les ombres fugitives des nuages. Il s’accroche, à la fois souriant et craintif, à ce qu’il y a de plus éphémère, tourne son regard vers la mort qui lui inspire angoisse, qui lui inspire réconfort, et apprend ainsi avec effroi l’art de savoir mourir. C’est là que réside la frontière entre la jeunesse et la vieillesse. Plus d’un l’a déjà franchie à quarante ans ou plus tôt encore, plus d’un ne la sent que plus tardivement, à la cinquantaine ou à la soixantaine. Mais c’est toujours la même chose : au lieu de nous consacrer à l’art de vivre, nous commençons à nous tourner vers cet autre art, au lieu de façonner et d’affiner notre personnalité, nous sommes de plus en plus occupés à la déconstruire, à la dissoudre et soudain, presque du jour au lendemain, nous avons le sentiment d’être devenus vieux. Les pensées, les centres d’intérêt et les sentiments de la jeunesse nous sont désormais étrangers. C’est dans ces instants où l’on passe d’un âge à un autre que le spectacle discret et délicat de l’été qui s’éteint et disparaît progressivement peut nous saisir et nous émouvoir, emplir notre cœur d’étonnement et d’horreur, nous faire trembler et sourire à la fois. »

in Éloge de la vieillesse