Mais vieillir…! – 8 – ‘Éloge de la vieillesse’

GiorgioneTrois âges de l’homme

Extrait de Éloge de la vieillesse – Hermann Hesse

Musique : Maurice Ravel – Quatuor à cordes en Fa majeur
2ème Mouvement
– « Assez vif & très rythmé »
Quatuor Hagen  –
Concert hall – Mozarteum, Salzburg (2000)

« Lorsque l’homme commence à décliner, après avoir atteint le faîte de son existence, il se débat ainsi contre la mort, les flétrissures de l’âge, contre le froid de l’univers qui s’insinue en lui, contre le froid qui pénètre son propre sang. Avec une ardeur renouvelée, il se laisse envahir par les petits jeux, par les sonorités de l’existence, par les mille beautés gracieuses qui ornent sa surface, par les douces ondées de couleur, les ombres fugitives des nuages. Il s’accroche, à la fois souriant et craintif, à ce qu’il y a de plus éphémère, tourne son regard vers la mort qui lui inspire angoisse, qui lui inspire réconfort, et apprend ainsi avec effroi l’art de savoir mourir. C’est là que réside la frontière entre la jeunesse et la vieillesse. Plus d’un l’a déjà franchie à quarante ans ou plus tôt encore, plus d’un ne la sent que plus tardivement, à la cinquantaine ou à la soixantaine. Mais c’est toujours la même chose : au lieu de nous consacrer à l’art de vivre, nous commençons à nous tourner vers cet autre art, au lieu de façonner et d’affiner notre personnalité, nous sommes de plus en plus occupés à la déconstruire, à la dissoudre et soudain, presque du jour au lendemain, nous avons le sentiment d’être devenus vieux. Les pensées, les centres d’intérêt et les sentiments de la jeunesse nous sont désormais étrangers. C’est dans ces instants où l’on passe d’un âge à un autre que le spectacle discret et délicat de l’été qui s’éteint et disparaît progressivement peut nous saisir et nous émouvoir, emplir notre cœur d’étonnement et d’horreur, nous faire trembler et sourire à la fois. »

Hermann Hesse (1877-1962)

      

   in Éloge de la vieillesse

 

Art de perdre, art de vivre

Première évocation dans un billet publié le 27/12/2013 sur le blog « Perles d’Orphée » sous le titre « L’Art de perdre »

Few women write major poetry. . . . Only four stand with our best men: Emily Dickinson, Marianne Moore, Elizabeth Bishop and Sylvia Plath.

Robert Lowell

I’d rather be called ‘the 16th poet’ with no reference to my sex, than one of 4 women—even if the other three are pretty good.

Elizabeth Bishop

Elizabeth Bishop 1911-1979

L’art de perdre

Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître ;
tant de choses semblent si pleines d’envie
d’être perdues que leur perte n’est pas un désastre.

Perds chaque jour quelque chose. L’affolement de perdre
tes clés, accepte-le, et l’heure gâchée qui suit.
Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître.

Puis entraîne toi, va plus vite, il faut étendre
tes pertes : aux endroits, aux noms, au lieu où tu fis
le projet d’aller. Rien là qui soit un désastre.

J’ai perdu la montre de ma mère. La dernière
ou l’avant-dernière de trois maisons aimées : partie !
Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître.

J’ai perdu deux villes, de jolies villes. Et, plus vastes,
des royaumes que j’avais, deux rivières, tout un pays.
Ils me manquent, mais il n’y eut pas là de désastre.

Même en te perdant (la voix qui plaisante, un geste
que j’aime) je n’aurai pas menti. A l’évidence, oui,
dans l’art de perdre il n’est pas trop dur d’être maître
même si il y a là comme (écrisle !) comme un désastre.

« Géographie III », traduction de Alix Cléo Roubaud, Linda Orr et Claude Mouchard (Circé, 1991, p. 58 et 59.)

§

Le cinéaste brésilien Bruno Barreto (« 4 jours en septembre » , « Dona Flor et ses deux maris »), a réalisé en 2012, sous le titre brésilien « Flores Raras », ou américain, « Reaching for the moon » (Atteindre la lune), un film retraçant un épisode important de la vie d’Elizabeth Bishop. Film émouvant, à la fois sensuel et poétique, sur la période brésilienne d’Elizabeth Bishop dans les années 1950-60.

Miranda Otto lit dans cet extrait du film le poème « One Art » :

One art

The art of losing isn’t hard to master ;
so many things seem filled with the intent
to be lost that their loss is no disaster.

Lose something every day. Accept the fluster
of lost door keys, the hour badly spent.
The art of losing isn’t hard to master.

Then practice losing farther, losing faster :
places, and names, and where it was you meant
to travel. None of these will bring disaster.

I lost my mother’s watch. And look ! my last, or
next-to-last, of three loved houses went.
The art of losing isn’t hard to master.

I lost two cities, lovely ones. And, vaster,
some realms I owned, two rivers, a continent.
I miss them, but it wasn’t a disaster.

 – Even losing you (the joking voice, a gesture
I love) I shan’t have lied. It’s evident
the art of losing’s not too hard to master
though it may look (Write it !) like disaster.