‘Lorsque tu me liras’

Le Bonheur c’est pas grand chose, c’est juste du chagrin qui se repose.    Léo Ferré

Lorsque tu me liras…

Lorsque tu me liras, je te regarderai dans le pare-brise,
Tu viendras à moi, tout entière, comme la route,
Lorsque tu me liras, la maison sera silencieuse,
Et mon silence à moi te remplira tout entière aussi.

Avec toi, dans toi, je ne suis jamais silencieux,
C’est une musique très douce que je t’apporte…
Quant à toi, tu verses au plus profond de ma solitude, cette joie triste d’être,
Cet amour que, jour après jour, nous bâtissons, en dépit des autres,
En dépit de cette prison où nous nous sommes mis,
En dépit des larmes que nous pleurons chacun dans notre coin,
Mais présents l’un à l’autre…

Je te voyais, ces jours ci, dans la lande, là-bas, où tu sais…
Je t’y voyais bouger, à peine te pencher vers cette terre que nous aimons bien tous les deux,
Et tu te prosternais à demi, comme une madone,
Et je n’étais pas là… ni toi…
Ce que je voyais c’était mon rêve…

Ne pas te voir plus que je ne te vois…
Je me demande la dette qu’on me fait ainsi payer.
Pourquoi ?

L’amour est triste, bien sûr, mais c’est difficile,
Au bout du compte, difficile…

Dans mes bras, quand tu t’en vas longtemps vers les étoiles et que tu me demandes de t’y laisser encore… encore…
Je suis bien ; c’est le printemps, tout recommence, tout fleurit,
Et tu fleuriras aussi de moi, je te le promets.

La patience, c’est notre grande vertu, c’est notre drame aussi.
Un jour nous ne serons plus patients.
Alors, tout s’éclairera, et nous dormirons longtemps,
Et nous jouirons comme  des enfants.

Tu m’as refait enfant ; j’ai devant moi des tas de projets de bonheur…
Mais maintenant, tout est arrêté dans ma prison.
J’attends que l’heure sonne…
Je me perds dans toi, tout à fait.

Je t’aime, Christie,
Je t’aime

Léo Ferré (1986)

Dixit Borges !

Quand mes étudiants me demandaient une bibliographie je leur disais : peu importe la bibliographie ; Shakespeare, après tout, ignorait la bibliographie shakespearienne. Johnson ne pouvait prévoir les livres qu’on écrirait sur lui. Pourquoi n’étudiez-vous pas directement les textes ? Si ceux-ci vous plaisent, très bien, et s’ils ne vous plaisent pas, laissez-les car l’idée de la lecture obligatoire est une idée absurde : autant parler de bonheur obligatoire.

EL Ateneo Grand Splendid – Buenos Aires : Théâtre reconditionné en une des plus belles librairies du monde.
Ça donne envie, non ? La scène est devenue salon de lecture. Les loges ont été conservées pour permettre aux lecteurs de découvrir confortablement les ouvrages avant achat. Je ne laisse donc pas mon adresse à Buenos Aires, on m’y retrouvera sans peine… il doit bien y avoir un rayon de livres en français !

Je crois que la poésie est quelque chose qu’on sent, et si vous ne sentez pas la poésie, la beauté d’un texte, si un récit ne vous donne pas l’envie de savoir ce qui s’est passé ensuite, c’est que l’auteur n’a pas écrit pour vous. Laissez-le de côté car la littérature est assez riche pour vous offrir un auteur digne de votre attention, ou indigne aujourd’hui de votre attention mais que vous lirez demain.
Voilà ce que j’enseignais, en m’en tenant au fait esthétique, qui n’a pas besoin d’être défini. Le fait esthétique est quelque chose d’aussi évident, d’aussi immédiat, d’aussi indéfinissable que l’amour, que la saveur d’un fruit, que l’eau.

Jorge-Luis Borges (1899-1986)

 

in « Conférences » – « La poésie »

Lire, la belle affaire ! Mais le livre…!

liseuse

Un livre doit remuer des plaies, en provoquer même. Un livre doit être un danger.

Cioran (Ébauches de vertige)

Cyril De la Patellière - La liseuse - Gap
Cyril De la Patellière (Né en 1950) – La liseuse – Gap – place Alsace-Lorraine

Mais il est bon que la conscience porte de larges plaies, elle n’en est que plus sensible aux morsures. Il me semble d’ailleurs qu’on ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? Pour qu’il nous rende heureux, comme tu l’écris ? Mon Dieu, nous serions tout aussi heureux si nous n’avions pas de livres, et des livres qui nous rendent heureux, nous pourrions à la rigueur en écrire nous-mêmes. En revanche, nous avons besoin de livres qui agissent sur nous comme un malheur dont nous souffririons beaucoup, comme la mort de quelqu’un que nous aimerions plus que nous-mêmes, comme si nous étions proscrits, condamnés à vivre dans des forêts loin de tous les hommes, comme un suicide — un livre doit être la hache pour la mer gelée en nous. Voilà ce que je crois.

Franz KafkaExtrait d’une lettre à Oskar Pollak (Janvier 1904)