Tout amour est épistolaire
Barbara Auzou
Plus qu’une citation, c’est le titre d’une publication en deux volumes d’un recueil de lettres-poèmes écrites/écrits, depuis son jardin normand, par cette poétesse qui a choisi de partager son art de dire l’amour et le bonheur de vivre entre blog et livre.
Qui dira si elle écrit pour respirer ou si elle respire pour écrire ?
Son souffle, en tout cas, pousse nos vents vers d’heureux horizons.
∞
Quatre-vingt douzième lettre pour toi
encore endormie dans son gris l’aube ne m’a pas prise par la main ce matin
dans l’intervalle entre deux pluies où les oiseaux tendent leurs grands becs circonstanciés
je t’écris
le jardin n’avait pas encore eu le temps de faire son miel que le soleil déjà refermait ses mâchoires solennelles sur des averses de colères inexplicables
et me voici dans mon palais au-dessus des eaux
un grand viager dans les yeux
grattant l’idée d’un monde plus confortable et moins superficiel
tu te doutes que la solitude d’un jour de congé m’est bonne à écrire
dans mon élément entre l’idée du temps et le temps qu’il fait mon esprit est à une langue formidablement nue
j’aimerais être de ces élus à qui la parole des eaux vives s’adresse comme une voix première et perdue
il est vrai qu’après des décennies à la maltraiter il ne nous reste pour dire la nature qu’un ersatz de glossaire
un reliquat desséché de mots dont Colette s’effraierait
mes élèves qui sont pourtant de petits ruraux n’ont plus à leur actif qu’un nom d’arbre
deux noms de fleurs et celui de quelques fruits
je ne te parle même pas des oiseaux
sans doute faut-il mériter tout ce beau à nos pieds et tout ce qui exige ici-bas un concours d’harmonie
abaisser notre prétention à dominer la nature et élever notre désir d’en faire physiquement partie pour que la réconciliation ait lieu
en attendant je te garde au chaud de mes jardins de proximité et d’infini
et au creux de mes bras
on attendra le temps qu’il faut mon âme pour que l’insurrection champêtre du bleu vienne nous reprendre au creux des reins
Barbara Auzou