‘Au pied d’un seul arbre LXXII’

L’artiste, le vrai artiste, le vrai poète, ne doit peindre que selon qu’il voit et qu’il sent. Il doit être réellement fidèle à sa propre nature.

 Charles BaudelaireCuriosités esthétiques (édition 1868)

Car c’est être poète que regarder la vie et la mort en face, et réveiller les étoiles dans le néant des cœurs.

Christian BobinL’homme-joie

— Ces réflexions vous font-elles penser à quelqu’un en particulier ?

— A quelqu’une, en effet… !

Au pied d’un seul arbre LXXII

une lune est morte tout à l’heure

dans le carreau du temps

et dans un testament renouvelé

je souscris au semblable

à la barbe de ton ciel élégant

à quoi bon essayer de comprendre

comment fonctionne le monde dans l’allongement

des fenêtres

je veux avec toi vivre dans la robe longue

d’une vie végétale

faire pousser l’enfant qui rêve

derrière l’œilleton des sentences

on laissera d’abord aller la lumière

puis l’âme venir à la bouche en silence

j’offre mon dos à l’habitude avec une joie première

il n’y a rien à promettre puisque tout consent

et que tout est retour

toi tu sais ma manie de vouloir toujours

tenir ensemble les choses embrassées

et de les écouter si longtemps

que la vie passe

follement

Barbara Auzou

 

Poème publié par l’auteure sur son blog
LIRE DIT-ELLE
le 11/09/2022

Le voyageur à la lune

Arkhip KUINDZHILe reflet de la Lune sur le Dniepr. 1880,
 

Der Wanderer an den Mond

Ich auf der Erd’, am Himmel du,
Wir wandern beide rüstig zu:
Ich ernst und trüb, du mild und rein,
Was mag der Unterschied wohl sein?
 
Ich wandre fremd von Land zu Land,
So heimatlos, so unbekannt;
Bergauf, bergab, Wald ein, Wald aus,
Doch bin ich nirgend, ach! zu Haus.
 
Du aber wanderst auf und ab
Aus Ostens Wieg’ in Westens Grab,
Wallst Länder ein und Länder aus,
Und bist doch, wo du bist, zu Haus.
 
Der Himmel, endlos ausgespannt,
Ist dein geliebtes Heimatland:
O glücklich, wer, wohin er geht,
Doch auf der Heimat Boden steht!
 

Benjamin Appl (baryton) chante Schubert :

« Der Wanderer an den Mond » D.870

Au piano : James Baillieu

Le voyageur à la lune

Moi sur la terre, toi dans le ciel,
nous suivons notre route d’un pas vif ;
moi grave et troublé, toi douce et pure,
quelle peut donc être cette différence ?

Étranger, je vais de pays en pays,
sans patrie, inconnu de tous ;
par monts et par vaux, par forêts et prairies,
mais nulle part, hélas, je ne suis chez moi.

Toi, en revanche, tu sillonnes le monde
du berceau du couchant au tombeau du levant,
tu flottes au firmament d’innombrables pays,
et tu es pourtant chez toi là où tu es.

Le ciel, qui s’étend à l’infini,
est ton foyer chéri :
heureux celui qui, quel que soit son but,
foule toujours le sol de sa patrie !

‘Élévation à la lune’

Maintenant, je sais. Ce monde, tel qu’il est fait, n’est pas supportable. J’ai donc besoin de la lune, ou du bonheur, ou de l’immortalité, de quelque chose qui soit dément peut-être, mais qui ne soit pas de ce monde.

Albert Camus (Caligula)

Ο

Élévation à la lune 

L’ombre venait, les fleurs s’ouvraient, rêvait mon âme !
Et le vent endormi taisait son hurlement.
La nuit tombait, la nuit douce comme une femme
Subtile et violette épiscopalement.

Les étoiles semblaient des cierges funéraires
Comme dans une église allumée dans les soirs
Et semant des parfums, les lys thuriféraires
Balançaient doucement leurs frêles encensoirs

Une prière en moi montait, ainsi qu’une onde
Et dans l’immensité bleuissante et profonde
Les astres recueillis baissaient leurs chastes yeux ;

Alors, Elle apparut ! Hostie immense et blonde
Puis elle étincela, se détachant du monde,
Car d’invisibles doigts l’élevaient vers les cieux !   

Paul Valéry  (1889)

Lune d’automne – L’un retrouvé

Léon Bonnat - Le lac de Gérardmer - 1893 - Mudo (Beauvais)
Léon Bonnat – Le lac de Gérardmer – 1893 – Mudo (Beauvais)

Derrière les yeux, le mystère
D’où infiniment advient la beauté
D’où coule la source du songe
Bruissant entre rochers et feuillages
Chantant en cascade
…………..les saisons renouvelées
Chantant les instants
…………..de la vraie vie offerte
Matin du martinet disparu
Midi de la mésange retrouvée
Longues heures à travers le jour
Un seul battement de cils et mille papillons
…………..prêts à s’enfouir parmi les pétales
…………..prêts à durer tant que dure la brise
Jusqu’à la passion du couchant
…………..où les âmes clameront alliance
Jusqu’à l’immémorial étang
…………..où rayon de lune et onde d’automne
Referont un

François Cheng (né en 1929)
François Cheng      (né en 1929)

« A l’orient de tout » – « Le long d’un amour »