‘En rade’

La poésie ne doit pas périr. Car alors, où serait l’espoir du monde ?

Léopold Sédar Senghor

Je ne puis voir la mer sans rêver de voyages.
Le soir se fait, un soir ami du paysage,
Où les bateaux, sur le sable du port,
En attendant le flux prochain, dorment encor.

Émile Verhaeren – Les Forces tumultueuses

En rade

J’ai longtemps cru que les bateaux voguaient par deux

mais il en est qui dorment seuls
dans le fond des estuaires

Ce n’est ni le froid ni la rouille qui les tourmentent
mais la peur d’être ensablé
sans pouvoir s’entendre dire
Ne t’inquiète pas je vais te tirer de là

Ce qui les tourmente
c’est le silence des marées quand le cœur démâte
le poids de leur propre corps cloué au sol
   quand l’eau se retire

Ce qui les effraie
c’est la nuit qui tombe
l’ombre qui boit la lumière jusqu’à la lie du jour
la crainte d’être mis au rebut pour le reste de la vie

J’ai longtemps cru que les bateaux voguaient par deux

Et je le crois encore
quand un sourire ouvre à marée haute
la longue route des promesses

Bruno Doucey       (écrivain, poète et éditeur)

 

Ceux qui se taisent – Éditions Bruno Doucey, 2016