Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
La poésie ne doit pas périr. Car alors, où serait l’espoir du monde ?
Léopold Sédar Senghor
Je ne puis voir la mer sans rêver de voyages.
Le soir se fait, un soir ami du paysage,
Où les bateaux, sur le sable du port,
En attendant le flux prochain, dorment encor.
Émile Verhaeren – Les Forces tumultueuses
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En rade
J’ai longtemps cru que les bateaux voguaient par deux
mais il en est qui dorment seuls dans le fond des estuaires
Ce n’est ni le froid ni la rouille qui les tourmentent mais la peur d’être ensablé sans pouvoir s’entendre dire Ne t’inquiète pas je vais te tirer de là
Ce qui les tourmente c’est le silence des marées quand le cœur démâte le poids de leur propre corps cloué au sol quand l’eau se retire
Ce qui les effraie c’est la nuit qui tombe l’ombre qui boit la lumière jusqu’à la lie du jour la crainte d’être mis au rebut pour le reste de la vie
J’ai longtemps cru que les bateaux voguaient par deux
Et je le crois encore quand un sourire ouvre à marée haute la longue route des promesses
Le véritable amour, toujours modeste, n’arrache pas ses faveurs avec audace, il les dérobe avec timidité. La décence et l’honnêteté l’accompagnent au sein de la volupté même, et lui seul sait tout accorder au désir sans rien ôter à la pudeur. Bien souvent l’erreur cruelle est de croire que l’amour heureux n’a plus de ménagements à garder avec la pudeur, et qu’on ne doit plus de respect à celle dont on n’a plus de rigueurs à craindre.
Jean-Jacques Rousseau – in « Julie ou La nouvelle Héloïse » – 1761
Picasso – L’Entretien
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Le vieux couple
Ce qui me plait dans ce duo
C’est que tu fais la voix du haut
C’est toi qui sais, c’est toi qui dis
C’est toi qui penses et moi je suis
Mais les grands soirs lorsque tu pleures
Quand tu as peur dans ta chaloupe
C’est moi qui parle pendant des heures
Nous sommes en somme un vieux couple
Je n’sais plus où je t’ai connue C’est à l’école ou au guignol Je me rappelle cette ingénue Qui avait perdu la boussole Depuis je t’empêche de boire Sauf les grands soirs dans ta chaloupe Quand tu me chantes tes déboires Nous sommes en somme un vieux couple
Avec ta tête d’épagneul Qui n’a pas appris à nager Avec ma gueule à rester seul Derrière des demis panachés Quand les grands soirs dans ta chaloupe Nous parlons de tes états d’´âme Et que tu diffames mes femmes Nous sommes en somme un vieux couple
Le seize août mil’ neuf cent soixante J’ai marié cette dame charmante Cinq jours après j’étais parti Et tu me bordais dans mon lit Alors a commencé la nuit Alors a commencé la nuit Dont on se croyait les étoiles Mais on n’était que les cigales
On s’est battu on s’est perdu Tu as souvent refait ta vie Et le plus beau, tu m’as trahi Mais tu ne m’en as pas voulu Et les grands soirs dans ta chaloupe Tu connais bien mes habitudes Je connais bien ta solitude Nous sommes en somme un vieux couple
Mon ami, mon copain, mon frère Ma vieille chance, ma galère Mon enfant, mon Judas, mon juge Ma rassurance, mon refuge Mon frère, mon faux-monnayeur Mon ami, mon valet de cœur Je ne voudrais pas que tu meures Je ne voudrais pas que tu meures
Paroles : Jean-Loup Dabadie – Musique : Jacques Datin 1972 « Serge Reggiani »
En vieillissant, je sens que tout s’en va… et j’aime tout plus passionnément. (Émile Zola)
ψ
Jean de La Fontaine
— Je crois qu’on est vieux la première fois…
Le rossignol
— Qu’on aime ?
Jean de La Fontaine
— Ah ! Non. La première fois qu’on cesse d’aimer.
Sacha Guitry – « Jean de La Fontaine » (1916)
ψ
Ils n’ont plus vingt ans depuis un moment déjà. Chacun chez soi. Seul. Convaincu, chacun, que c’est bien mieux comme ça. Mais avec un zeste de frustration inavouée et des kyrielles de souvenirs capricieux. Avec encore le désir d’aimer. Un autre désir, nouveau certes. Un autre amour, différent, évidemment.
Pourquoi ne se voient-ils plus ? Même pas un texto depuis la dernière fois. Et si avec l’âge l’idée même d’un bonheur partagé devenait effrayante ? Chacun ne peut s’en prendre qu’à lui-même, après tout, il y a deux bouts à une ligne téléphonique.
A propos c’était quand déjà, la dernière fois ? Oh, un bail ! C’était bien pourtant : tant de rêves en commun, tant d’œillades complices, tant de plaisirs échangés, tellement de légèreté sous autant de pudeur. Un étrange retour d’adolescence : le cœur en cavale, le souffle engoncé, l’émotion coincée dans la gorge. Et ce terrible effort pour dompter ce satané feu qui ne demande qu’à embraser les joues. Et les larmes, si proches…
Ils ont passé l’âge, tout de même ! Et pourtant…
DANCE :
∼ Elle : Susan Sarandon (La Louise de « Thelma et Louise » de Ridley Scott en 1991) ∼ Lui : Danny Glover
(Albert dans « La couleur pourpre » de Spielberg, en 1986) ∼ La musique et la voix : Julia Stone
(… née en 1984 !)
Encore…! Mais Julia Stone chante en français, cette fois-ci :
Julia Stone (auteure-compositrice-interprète folk australienne et multi-instrumentiste)
… Mais quelle douceur
vient jusqu’à nous avec les ombres qui s’allongent
à partir du couchant où notre cœur s’incline.
Une gloire accompagne le oui de l’adieu.
Les derniers pas portent la louange aux collines.
Jean Mambrino – « La saison du monde » – « Ensemble »
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Magique !!! György et Márta Kurtág interprètent quelques transcriptions de Jean-Sébastien Bach écrites par György. Ils ont 90 ans chacun…!
A deux, humblement vers l’infini…
… et nous dans la lumière de leurs pas !
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Quelques mots à voix très basse pour rappeler que György Kurtág est l’un des plus importants compositeurs contemporains en activité. Né en 1926 en Hongrie et découvert tardivement par le monde occidental. Bien que n’appartenant à aucun système, il ne masque pas l’influence que Bartok a exercée sur lui dans ses jeunes années, ni celle de Webern, ensuite, à qui il emprunte le style miniaturiste qui caractérise sa musique.
La force émotionnelle de ses compositions, privilégiant l’allusif au descriptif ou au narratif, ne perd rien à ce dépouillement ; elle y gagne en vigueur et en précision. Avec Kurtág, associer émotion et musique contemporaine n’est pas un oxymore.
Très proche de Jean-Sébastien Bach, György Kurtág a réalisé de nombreuses transcriptions des œuvres du Cantor. Il a coutume, lorsqu’il se produit en public avec son épouse Márta, à quatre mains ou à deux pianos, de clairsemer la programmation de ses propres compositions de quelques-unes de ses transcriptions.
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Leur récital à la Cité de la Musique à Paris en 2012 :
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy