Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
– Comment donc ! s’écria don Quichotte, envoie-t-on aussi les musiciens et les chanteurs aux galères ?
– Oui, seigneur, répondit le forçat ; il n’y a rien de pire au monde que de chanter dans le tourment.
– Mais, au contraire, reprit don Quichotte ; j’avais toujours entendu dire, avec le proverbe : « qui chante ses maux enchante ».
Miguel Cervantès – Don Quichotte – Tome I – Chapitre XXII
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José Van Dam chante « La mort de Don Quichotte » de Jacques Ibert
Piano: Maciej Pikulski
Ne pleure pas Sancho, ne pleure pas, mon bon, Ton maître n’est pas mort, il n’est pas loin de toi. Il vit dans une île heureuse Où tout est pur et sans mensonges. Dans l’île enfin trouvée où tu viendras un jour, Dans l’île désirée, O mon ami Sancho ! Les livres sont brûlés et font un tas de cendres. Si tous les livres m’ont tué il suffit d’un pour que je vive. Fantôme dans la vie, et réel dans la mort Tel est l’étrange sort du pauvre Don Quichotte.
Qui chante là quand toute voix se tait ? Qui chante avec cette voix sourde et pure un si beau chant ? Serait-ce hors de la ville, à Robinson, dans un jardin couvert de neige ? Ou est-ce là tout près, quelqu’un qui ne se doutait pas qu’on l’écoutât ? Ne soyons pas impatients de le savoir puisque le jour n’est pas autrement précédé par l’invisible oiseau. Mais faisons seulement silence. Une voix monte, et comme un vent de mars aux bois vieillis porte leur force, elle nous vient sans larmes, souriant plutôt devant la mort. Qui chantait là quand notre lampe s’est éteinte ? Nul ne le sait. Mais seul peut entendre le cœur qui ne cherche la possession ni la victoire.
Philippe Jaccottet – Extrait de « L’Ignorant » – Gallimard, 1958
Philippe Jaccottet (né le 30-06-1925)
Friedrich Rückert (1788-1866)
Gustav Mahler (1860-1911)
José van Dam (né le 25-08-1940)
Mon cœur, entends-tu la voix paisible de l’âme qui depuis les confins de sa solitude amie chante, dans la douceur du jour qui s’éteint, son prélude au Voyage ? « Ich bin der Welt abhanden gekommen » (Je me suis retiré du monde).
Loin des vanités du monde, elle berce dans sa transcendante apesanteur l’union intime du poème et de la mélodie. Souffle ultime sur le dernier feu.
Me voilà coupé du monde dans lequel je n’ai que trop perdu mon temps ; il n’a depuis longtemps plus rien entendu de moi, il peut bien croire que je suis mort !
Et peu importe, à vrai dire, si je passe pour mort à ses yeux. Et je n’ai rien à y redire, car il est vrai que je suis mort au monde.
Je suis mort au monde et à son tumulte et je repose dans un coin tranquille. Je vis solitaire dans mon ciel, dans mon amour, dans mon chant.
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Ich bin der Welt abhangen gekommen, mir der ich sonst viele Zeit verdorben, sie hat so lange nichts von mir vernommen, sie mag wohl glauben, ich sei gestorben !
Es ist mir auch gar nichts daran gelegen, ob sie mich für gestorben hält, ich kann auch gar nichts sagen dagegen, denn wirklich bin ich gestorben der Welt.
Ich bin gestorben dem Weltgetümmel, und ruh in einem stillen Gebiet. Ich leb allein in meinem Himmel in meinem Lieben, in meinem Lied.
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy