Oiseaux tristes

Koson Ohara – oiseaux (début XXème)

… des oiseaux perdus dans la torpeur d’une forêt très sombre pendant les heures les plus chaudes de l’été.    (Ravel – 1928)

N’y a-t-il pas dans cette magnifique interprétation, en kimono, des « Oiseaux tristes » de Ravel, ce petit supplément de justesse de ton et de méticulosité du regard, propre à l’approche extrême-orientale, qui, observé depuis les méandres de nos esprits occidentaux, semble toujours mieux éclairer les profondeurs de la méditation ?

Madoka Fukami interprète Miroirs (1904-1906) de Maurice Ravel :

II. Oiseaux tristes

Quelle satisfaction pour Maurice Ravel, âgé de 30 ans à peine, d'apprendre que son illustre aîné Claude Debussy vient d'exprimer son profond désir d'écrire une musique "improvisée, ... détachée d’un cahier d’esquisses" ! Et pour cause... il est lui-même tout à la transcription d'une impression sonore qu'il a ressentie lors d'une promenade en forêt de Fontainebleau, en entendant un merle chanter. Il compose "Oiseaux tristes".

Bien qu'il récuse régulièrement l'emploi de l'épithète "impressionniste" appliquée à la musique, préférant en abandonner l'usage à l'univers de la peinture, c'est  bien dans un registre impressionniste, représentant des ambiances et des images, que Ravel choisit de composer, en ces années 1904-1906, les cinq pièces de "Miroirs".
"Oiseaux tristes", qui portera le numéro 2, en est sans doute l'illustration la plus significative : d'abord un chant d'oiseau solitaire, comme un appel, dans la tiède et humide atmosphère d'un épais sous-bois, suivi d'autres chants peut-être, d'autres vols, courts, tout aussi solitaires, sans relation établie. La partie centrale du mouvement plus dynamique et plus riche harmoniquement voudrait aider quelques rayons de lumière à traverser la canopée, mais l'humeur mélancolique finit désespérément par épouser la sombritude du lieu, faisant dire à quelque critique musical que le jeune compositeur avait écrit là son œuvre la plus sombre et la plus dépressive.
Sanctuaire de Kamishikimi Kumanoimasu – forêt de Takamori Machi (île de Kyushu – Japon)

Les eaux de mon été -3/ Pianos mouillés

Dans l’une de ses conférences qu’il avait intitulée « Water Musics : Musiques sur l’eau, Musiques de l’eau », l’éminent professeur Pierre Brunel tenait avec juste raison à marquer d’emblée la différence entre ces deux qualifications. Les musiques jouées sur l’eau n’ont pas nécessairement de rapport intime avec l’élément liquide — Water Music de Haendel par exemple —, alors que les musiques de l’eau — ainsi Jeux d’eau de Ravel — imprègnent le ou les instrument(s) d’une totale empathie avec l’élément liquide au point que le rendu mimétique du chant de l’onde dans ses rythmes et ses sonorités en vienne à impressionner parfois l’auditeur.

La musique de l’eau, est captée à la source même, si je puis dire au plus eau de l’eau, assurant le passage de l’onde liquide à l’onde sonore. Dans le premier cas, le temps d’un concert, d’une sérénade, on joue sur l’eau ; dans le second cas, se déroule le mouvement, qui pourrait être perpétuel, des jeux d’eau.

Xèmes Entretiens de La Garenne Lemot en 2006

Ravel compose les Jeux d’eau en 1901 et les dédie à son illustre professeur Gabriel Fauré.

Il annote jovialement sa partition de cette épigraphe empruntée à Henri de Régnier :

Dieu fluvial riant de l’eau qui le chatouille.

Un programme !

Et, depuis les hauteurs du clavier, l’eau perle, glisse, dégouline. Elle ruisselle au rythme facétieux de ses humeurs, s’amusant de sa propre fantaisie, simulant parfois gravité ou profondeur pour encore mieux surprendre. Heureux Dieu du fleuve…!

Une version d’anthologie par Martha Argerich en 1977.

Claude Monet – Le bateau atelier – 1876

Dans la tranquillité du soir, asservie aux extravagantes caresses des risées, la voici qui clapote et se trémousse dans les reflets polychromes de la moire dont Debussy la vêt. Les cieux frissonnent dans les scintillations d’un capricieux miroir.

Reflets dans l’eau – Claude Debussy par Marc-André Hamelin

Que j’aime ces musiques des eaux de mon été !