Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Image extraite du film « Le cercle des poètes disparus »
J’estime de l’essence de la Poésie qu’elle soit, selon les diverses natures des esprits, ou de valeur nulle ou d’importance infinie : ce qui l’assimile à Dieu même.
Paul Valéry
(« Questions de poésie » 1935 – Gallimard – 1975 – « Œuvres » tome I)
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Rien ne vaut d’être dit en poésie que l’indicible, c’est pourquoi l’on compte beaucoup sur ce qui se passe entre les lignes.
Pierre Reverdy
(« Le livre de mon bord » – 1948)
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Douce poésie ! Le plus beau des arts ! Toi qui, suscitant en nous le pouvoir créateur, nous met tout proches de la divinité.
Représentez-vous une femme grande et sèche, le teint échauffé, le visage aigu, le nez pointu, voilà la figure de la belle Émilie, figure dont elle est si contente qu’elle n’épargne rien pour la faire valoir, frisures, pompons, pierreries, verreries, tout est à profusion, mais, comme elle veut être belle en dépit de la nature, et qu’elle veut être magnifique en dépit de sa fortune, elle est obligée pour se donner le superflu de se passer du nécessaire, comme chemises et autres bagatelles. Madame travaille avec tant de soin à paraître ce qu’elle n’est pas qu’on ne sait plus ce qu’elle est en effet ; ses défauts mêmes ne lui sont peut-être pas naturels, ils pourraient tenir à ses prétentions.
Madame du Deffand à propos de Madame du Châtelet citée par Jean Haechler in « Le Règne des Femmes – 1715-1793 » – Éditions Bernard Grasset P.130-131
Et, dans sa grande amabilité, Madame du Deffand de rajouter :
Elle est née avec assez d’esprit ; le désir d’en paraître davantage lui a fait préférer l’étude des sciences les plus abstraites aux connaissances les plus agréables : elle croit par cette singularité parvenir à une plus grande réputation et à une supériorité décidée sur toutes les femmes.
Émilie le Tonnelier de Breteuil,Marquise Du Châtelet-Lomont (1706-1749) – par Marianne Loir (Musée des B.A. Bordeaux)
Ses contemporains, et surtout ses contemporaines, ne l’ont pas ménagée. Leurs plumes, trempées dans le même acide que celui qui servit à la perfide Madame du Deffand pour rédiger les lignes qui précèdent, ont écharpé à l’envi cette pauvre Madame du Châtelet.
La jalousie à son égard trouvait aisément son socle : femme d’esprit, brillante en bien des domaines, issue d’une famille aisée, Émilie avait coutume de choisir les nombreux amants de sa jeunesse — avant sa rencontre avec Voltaire — parmi les personnalités les plus notables de l’époque. On ne prétendra pas, sur ce dernier point, qu’elle faisait véritablement figure d’exception. En revanche — et ses concurrentes ici se raréfiaient jusqu’à n’exister point — ses incontestables talents de physicienne et mathématicienne qui lui permirent, entre autres, de faire connaître Leibnitz et de traduire Newton, la plaçaient au rang des personnalités remarquables du monde scientifique de son temps ; il n’est pas rare que nos savants d’aujourd’hui la citent encore.
Tolérée par la bienveillance d’un mari souvent absent, sa longue et intense liaison avec Voltaire dont elle était à la fois la compagne, la maîtresse, la complice, et plus encore, a fait dire de leur histoire d’amour qu’elle était « la plus folle romance des Lumières ».
Portrait de Voltaire (1694-1778) – Musée Carnavalet – Atelier de Nicolas de Largillière
Tout en elle est noblesse, son attitude, ses goûts, le style de ses lettres, sa manière de parler, sa politesse… Sa conversation est agréable et intéressante.
Je n’ai pas perdu une maîtresse, mais la moitié de moi-même. Un esprit pour lequel le mien semblait avoir été fait.
Ces phrases extraites des correspondances de Voltaire à ses amis, la première, en 1734, au début de sa liaison avec Émilie du Châtelet, la seconde, en 1749, au décès de celle-ci, résument, de manière très lapidaire certes, mais significative, la teneur des quinze années de la très étroite relation, « studieuse et tendre », bien que parfois agitée, qu’ont entretenue au château de Cirey ces deux beaux esprits. Sur tous les plans, amoureux évidemment, mais aussi intellectuel, scientifique, philosophique ou spirituel, leur proximité atteignait à son comble.
Émilie du Châtelet par Quentin de La Tour
Avec le temps les sentiments se transforment. Les infirmités avaient fait de Voltaire un vieillard avant l’âge, et l’ancienneté de sa liaison avec « sa divine Émilie » avait érodé les ardeurs de son désir. Pareil changement n’échappe pas à la perspicacité d’une femme amoureuse. Pour Madame du Châtelet ce fut aussi une occasion de consigner ses analyses pertinentes sur l’évolution des sentiments, très inspirées par sa propre histoire, dans un petit essai intitulé « Discours sur le bonheur ». Quand la passion se mue en tendre amitié…
Et c’est par ce poème désormais célèbre, à la fois tendre envers Émilie et ironique à son propre égard, que Voltaire, en réponse à ses pages, avoua sa faiblesse… À moins que, complice clin d’oeil au malicieux sourire dont Houdon l’affubla à jamais, notre habile philosophe — qui polissonnait encore… — n’ait voulu offrir à celle dont il se disait modestement le « scribe », un élégant prétexte au crépuscule de sa passion.
À Madame du Châtelet
Si vous voulez que j’aime encore, Rendez-moi l’âge des amours ; Au crépuscule de mes jours Rejoignez, s’il se peut, l’aurore.
Des beaux lieux où le dieu du vin Avec l’Amour tient son empire, Le Temps, qui me prend par la main, M’avertit que je me retire.
De son inflexible rigueur Tirons au moins quelque avantage. Qui n’a pas l’esprit de son âge De son âge a tout le malheur.
Laissons à la belle jeunesse Ses folâtres emportements : Nous ne vivons que deux moments ; Qu’il en soit un pour la sagesse.
Quoi ! pour toujours vous me fuyez, Tendresse, illusion, folie, Dons du ciel, qui me consoliez Des amertumes de la vie !
On meurt deux fois, je le vois bien : Cesser d’aimer et d’être aimable, C’est une mort insupportable ; Cesser de vivre, ce n’est rien.
Ainsi je déplorais la perte Des erreurs de mes premiers ans ; Et mon âme, aux désirs ouverte, Regrettait ses égarements.
Du ciel alors daignant descendre, L’Amitié vint à mon secours ; Elle était peut-être aussi tendre, Mais moins vive que les Amours.
Touché de sa beauté nouvelle, Et de sa lumière éclairé, Je la suivis ; mais je pleurai De ne pouvoir plus suivre qu’elle.
Voltaire – buste par Houdon
in Michel Delon, Anthologie de la poésie française du XVIIIe siècle, Paris, Poésie/Gallimard
Un poème au service de quelque dogme que ce soit perd une de ses ailes, tombe et boîte.
[…]
Une harmonie, une vision, un chant intérieur ne dépendent d’aucun pouvoir étranger. L’œuvre d’art, l’œuvre de poésie est l’acte libre et le seul libre. C’est être libre en ce monde que de ne dépendre et ne venir que de Dieu.
Et l’on voudrait que cette émanation divine, que cet acte créateur dépendît d’une césure ? d’une rime ? d’un nombre fixe de syllabes ? d’une norme donnée, qu’on vérifie en comptant sur ses doigts ? Quelle idée ridicule ! Tout y contredit. En passant d’une langue dans une autre la prosodie du poète se dissipe, mais sa poésie ne meurt pas : l’instrument n’est plus le même, mais le musicien demeure et même le fond de sa musique.
POÈTE, SOIS MUSICIEN,
OU NE T’EN MÊLE PAS !
— Revue « Yggdrasill »– février 1937 – N° 10 — *
André Suarès (1868-1948)
in Poétique, texte établi et préfacé par Yves- Alain Favre, (Éditions Rougerie – 1980)
*Yggdrasill : Entre 1936 et 1940, revue de poésie fondée et dirigée par les poètes Guy Lavaud et Raymond Schwab, ayant largement ouvert ses pages aux poètes étrangers et à bon nombre de poètes français qui souhaitaient offrir à leur expression poétique des chemins plus vastes que les étroits sentiers balisés par les dogmes et les conventions qui lui étaient réservés.
Certains – donc pas tout le monde. Même pas la majorité de tout le monde, au contraire. Et sans compter les écoles, où on est bien obligé, ainsi que les poètes eux-mêmes, on n’arrivera pas à plus de deux sur mille.
Aiment – mais on aime aussi le petit salé au lentilles, on aime les compliments, et la couleur bleue, on aime cette vieille écharpe, on aime imposer ses vues, on aime caresser le chien.
La poésie – seulement qu’est-ce que ça peut bien être ? Plus d’une réponse vacillante fut donnée à cette question. Et moi-même je ne sais pas, et je ne sais pas, et je m’y accroche comme à une rampe salutaire.
Wyslawa Szymborska (Pologne 1923-2012)
in « De la mort sans exagérer »
(traduit du polonais par Piotr Kaminski)
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Mes signes particuliers sont le ravissement et le désespoir.
C’est par ces mots que Wyslawa Szymborska avait coutume de se définir.
Poétesse polonaise discrète, à la vie simple comme sa poésie pour laquelle elle ne voulait utiliser que les mots du langage courant, « simples comme bonjour« , elle considérait que le rôle du poète doit s’en tenir à ouvrir sur la réalité telle qu’il la perçoit sans prétendre l’expliquer ou la justifier.
Dans son balancement permanent entre humour et absurde, sa poésie immédiate, inspirée par une fine observation de ses congénères, outrepasse son apparente banalité pour se poser avec une élégance caustique en miroir de cette humanité quotidienne aussi étonnante qu’affligeante.
Et pour Wyslawa refléter n’est pas juger, jamais, et jamais son propos ne vise à changer le monde. Elle l’observe d’un regard acéré certes, mais rendu bienveillant par la projection profondément pessimiste qu’elle fait sur le sort de l’homme. La douceur de sa voix ne donne que plus de force à sa conviction. « Ma foi est forte, aveugle, et sans aucun fondement ».
Cette voix sensible, indépendante, qui avait décidé de raconter la vie, tout simplement, en quelques recueils, depuis Cracovie qu’elle ne quitta pour ainsi dire pas, obtint le Prix Nobel de Littérature en 1996…
Inaltérable plaisir de lire et de relire, d’entendre et de ré-entendre, un texte dans lequel vibrent à l’unisson, confondus dans la densité de l’instant, l’émoi du poète, l’humanité d’un regard, l’humilité du sage, et l’empathie du sachant.
Inoubliable Laurent Terzieff !
Immortel Rainer-Maria Rilke !
« Pour écrire un seul vers… »
Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses, il faut connaître les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir quel mouvement font les petites fleurs en s’ouvrant le matin.
Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on froissât lorsqu’ils vous apportaient une joie et qu’on ne la comprenait pas (c’était une joie faite pour un autre), à des maladies d’enfance qui commençaient si singulièrement, par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans des chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyage qui frémissaient très haut et volaient avec toutes les étoiles – et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela.
Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient.
Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les bruits qui venaient par à-coups.
Et il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs ne sont pas encore cela. Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers.
Rainer-Maria Rilke (1875-1926)
Extrait de
« Les Cahiers de Malte Laurids Brigge » (1910)
Si vous aimez ce texte — peut-on ne pas l’aimer ? — vous prendrez également grand plaisir à l’interprétation tout en douceur et tendresse qu’en donne Christine Mattei, illustrant avec bonheur musicalement et photographiquement les mots de Rilke.
En janvier 2013, je publiais sa vidéo sur « Perles d’Orphée » :
N’oublie jamais que le bonheur est peu de chose : « Juste du chagrin qui se repose ».
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Dilution
Parfois les mots viennent tout seuls presque, comme les feuilles aux arbres – bien sûr, les racines, invisibles, la terre, le soleil, l’eau ont aidé à cela, et aussi les feuilles pourries du passé. Les idées, plus tard, viennent facilement par-dessus, comme sur les feuilles les araignées, la poussière et les gouttes de rosée scintillant d’une lumière équivoque. Sous les feuilles une petite fille éventre sa poupée nue ; une goutte de rosée tombe sur ses cheveux ; elle lève la tête, elle ne voit rien ; et seulement cette transparence froide de la goutte, diluée dans son corps entier
Yannis Ritsos
(« Gestes ». Traduit par Chrysa Prokopaki et Antoine Vitez – Les Éditeurs Français Réunis, 1974)
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Picasso – Maya à la poupée – 1938
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Sit there and count your fingers What can you do ? Old girl you’re through Sit there, count your little fingers Unhappy little girl blue
Sit there and count the raindrops Falling on you It’s time you knew All you can ever count on Are the raindrops That fall on little girl blue…
On a dit que la beauté est une promesse de bonheur. Inversement la possibilité du plaisir peut être un commencement de beauté.
Marcel Proust (in « La prisonnière »)
Où, plus sûrement que dans la générosité de la nature, au milieu des merveilles que, sans cesse, ses lumières façonnent et embellissent,
Où, plus sensuellement que sous la tendre caresse de deux cœurs aimants,
Où, plus savoureusement que dans le vers inspiré du poète et dans la voix langoureuse qui en soupire la mélodie,
Saurions-nous mieux rencontrer ce bonheur que nous promet la beauté ?
Ralph Vaughan Williams (1872-1958)
Parmi les mille chemins qui nous y conduiraient, passant évidemment par le Liedallemand et la Mélodie française, prenons donc aujourd’hui un bien agréable raccourci à travers l’œuvre plurielle — opéras, symphonies, concertos, musique de chambre et pour clavier, musiques vocales et chorales, musiques de films — d’un immense compositeur britannique, Ralph Vaughan Williams.
Franchement établi entre le XIXème et le XXème siècles, Vaughan Williams a mis en musique les poèmes, entre autres, de Tennyson, Walt Whitman, William Barnes, et même un poème de Verlaine traduit en anglais. Amoureux du genre, il a composé des mélodies sur les poèmes du recueil « Songs of Travel » de Stevenson (l’auteur de la célébrissime « Île au trésor » et de la non moins célèbre nouvelle « L’étrange cas du Docteur Jekyll et de M. Hyde »), ainsi que sur quelques uns des 103 sonnets du chef d’œuvre poétique, « The House of Life » de Dante Gabriel Rossetti, plus connu comme peintre préraphaélite, par la rousseur flamboyante des femmes magnifiques de ses magnifiques portraits.
Mais que la Beauté nous apparaisse enfin ! Un bonheur n’attend pas ! Un plaisir non plus ! (Le raccourci n’était donc pas si court…)
Qu’elle s’éveille ! Qu’elle nimbe le silence de midi !
Let Beauty awake
Let Beauty awake in the morn from beautiful dreams, Beauty awake from rest ! Let Beauty awake For Beauty’s sake In the hour when the birds awake in the brake And the stars are bright in the west ! Let Beauty awake in the eve from the slumber of day, Awake in the crimson eve ! In the day’s dusk end When the shades ascend, Let her wake to the kiss of a tender friend, To render again and receive !
Robert Louis Stevenson (1850-1894)
(Poème extrait de « Songs of Travel »)
Que s’éveille au matin la beauté
Que s’éveille au matin la beauté de beaux rêves, Que s’éveille la beauté du repos ! Que s’éveille la beauté Pour l’amour de la beauté À l’heure où les oiseaux s’éveillent dans le taillis Et les étoiles brillent à l’Ouest ! Que s’éveille au soir la beauté du sommeil du jour, Qu’elle s’éveille dans le soir pourpre ! Quand le jour se fait sombre Et que montent les ombres, Qu’elle s’éveille au baiser d’un tendre ami, Pour encore rendre et recevoir !
Ω
Silent Noon
Your hands lie open in the grass,—
The finger-points look through like rosy blooms:
Your eyes smile peace. The pasture gleams and glooms
’Neath billowing skies that scatter and amass.
All round our nest, far as the eye can pass,
Are golden kingcup-fields with silver edge
Where the cow-parsley skirts the hawthorn-hedge.
’Tis visible silence, still as the hour-glass.
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Deep in the sun-searched growths the dragon-fly
Hangs like a blue thread loosened from the sky:—
So this wing’d hour is dropt to us from above.
Oh! Clasp we to our hearts, for deathless dower,
This close-companioned inarticulate hour
When twofold silence was the song of love.
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Dante Gabriel Rossetti – photo de 1863 par Lewis Caroll
(Poème extrait de « House of Life »)
Silence de midi
Tes mains sont ouvertes dans les longues herbes fraîches, Les bouts des doigts pointent telles des roses en fleur : Tes yeux souriants respirent la paix. Le pré luit puis s’assombrit Sous un ciel de nuées qui se dispersent et se rassemblent. Tout autour de notre nid, aussi loin que l’œil puisse voir, S’étendent des champs dorés de boutons d’or, bordés d’argent Là où le cerfeuil sauvage longe la haie d’aubépine. C’est un silence visible, aussi immobile que l’est devenu le sablier.
. Dans la profondeur de la verdure fouillée par le soleil, la libellule Est suspendue tel un fil bleu qu’on aurait défait du ciel : Ainsi cette heure ailée nous est envoyée d’en haut. Oh ! Serrons-la sur nos cœurs, comme don immortel, Cette heure d’une communion intense et inexprimable Où un silence partagé à deux fut le chant de l’amour.
Ferdinand Hodler (1853-1918) – Genève – Regard dans-l’infini III – 1903-1906
« Les mots, les vers, si libres ou tendus qu’ils soient, si héroïques qu’ils paraissent, ne font que reproduire, en poésie, l’inépuisable vocation de l’homme à outrepasser vainement ses propres limites, à se brûler les ailes en s’élançant vers l’absolu pour retomber toujours. Mais ce qui fait le prix d’une telle impatience est justement la répétition de son envolée, son absence de résignation, cette façon qu’a l’homme de se sentir exister plus vivement dans la déchirure, et de regarder la vie avec un regard infini faute de considérer l’infini avec le regard même de la vie »…
Combien de masques et de sous-masques portons-nous
Pour voiler l’expression de notre âme, et quand
Par jeu l’âme elle-même tombe le masque
Sait-elle si c’est l’ultime et si elle voit la face indubitable ?
Le vrai masque ne sent pas l’intérieur du masque
Mais regarde au-delà avec deux yeux masqués.
Quelle que soit la conscience qui amorce le jeu
Son exercice condamne à l’insomnie.
Pareilles à l’enfant effrayé de son image en miroir
Nos âmes, qui sont des enfants livrés à la distraction,
Attribuent à d’autres leurs propres grimaces
Et créent tout un monde en oubliant qu’ils le suscitent ; …..Et lorsqu’une pensée tente de faire tomber le masque de notre âme …..C’est encore masquée qu’elle s’efforce de démasquer.
Fernando Pessoa Poèmes anglais / 35 sonnets – VIII – Éditions Points
(édition bilingue – traduction Georges Thinès)
Version originale du poème en fin de billet
Et lui, ce masque de terre, de fer, ou de sel, infiniment différent, infiniment renouvelé, dont j’habille mon visage au gré des circonstances et des lieus, masque-t-il, aussi, réellement mon âme ? Effraie-t-il mon reflet puéril dans ce miroir ? Aurais-je la naïveté de le croire ? Que sais-je, en vérité, des mystères de son langage ?
Le poète, déjà, me souffle ma réponse :
Masque ou décor salut ! J’adore ta beauté.(Baudelaire)
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Masque iroquois – Face d’hypocrite
Masque de Jeimuh souriante – Himalaya
Masque de théâtre chinois
Masque Sénégal
Masque Amérindien – Musée Quai Branly
Masque inuit
Masque de théâtre japonais Nô
Masque d’or de Chaman – Equateur
Masque venitien
Masque totonaque en terre cuite polychrome – entre 550 et 950 – Veracruz
Masque de Chalchiuhtlicue – Déesse des eaux (précolombien) – Mosaïque de turquoises
Masque du Sri Lanka
Masque féminin de danse – Yacouba – Côte d’Ivoire
Masque tlingit de chaman représentant la Lune. (XIXème siècle).
Art amérindien – Masque Yagis – Art premier canadien
Masque africain Okuyi – PUNU – Gabon
Masque Hudoq – Kenyah Kayan – Indonésie – Ile de Bornéo (Quai Branly)
Masque tibétain -17ème – Rubin Museum of Art
Masque Kiippak Groenland (inuit)
Masque africain Bozo – Mali
Masque du théâtre No
Masque esquimau – Alaska (_ancienne collection André Breton)
Masque ancien Dan Yacouba – Liberia
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Version originale du poème
How many masks wear we, and undermasks, Upon our countenance of soul, and when, If for self-sport the soul itself unmasks, Knows it the last mask off and the face plain? The true mask feels no inside to the mask But looks out of the mask by co-masked eyes. Whatever consciousness begins the task The task’s accepted use to sleepness ties. Like a child frighted by its mirrored faces, Our souls, that children are, being thought-losing, Foists otherness upon their seen grimaces And get the whole world on their forgot causing; …..And, when a thought would unmask our soul’s masking, …..Itself goes not unmasked to the unmasking.