On a dit que la beauté est une promesse de bonheur. Inversement la possibilité du plaisir peut être un commencement de beauté.
Marcel Proust (in « La prisonnière »)
Où, plus sûrement que dans la générosité de la nature, au milieu des merveilles que, sans cesse, ses lumières façonnent et embellissent,
Où, plus sensuellement que sous la tendre caresse de deux cœurs aimants,
Où, plus savoureusement que dans le vers inspiré du poète et dans la voix langoureuse qui en soupire la mélodie,
Saurions-nous mieux rencontrer ce bonheur que nous promet la beauté ?

Parmi les mille chemins qui nous y conduiraient, passant évidemment par le Lied allemand et la Mélodie française, prenons donc aujourd’hui un bien agréable raccourci à travers l’œuvre plurielle — opéras, symphonies, concertos, musique de chambre et pour clavier, musiques vocales et chorales, musiques de films — d’un immense compositeur britannique, Ralph Vaughan Williams.
Franchement établi entre le XIXème et le XXème siècles, Vaughan Williams a mis en musique les poèmes, entre autres, de Tennyson, Walt Whitman, William Barnes, et même un poème de Verlaine traduit en anglais. Amoureux du genre, il a composé des mélodies sur les poèmes du recueil « Songs of Travel » de Stevenson (l’auteur de la célébrissime « Île au trésor » et de la non moins célèbre nouvelle « L’étrange cas du Docteur Jekyll et de M. Hyde »), ainsi que sur quelques uns des 103 sonnets du chef d’œuvre poétique, « The House of Life » de Dante Gabriel Rossetti, plus connu comme peintre préraphaélite, par la rousseur flamboyante des femmes magnifiques de ses magnifiques portraits.
Mais que la Beauté nous apparaisse enfin ! Un bonheur n’attend pas ! Un plaisir non plus ! (Le raccourci n’était donc pas si court…)
Qu’elle s’éveille ! Qu’elle nimbe le silence de midi !
Let Beauty awake
Let Beauty awake in the morn from beautiful dreams,
Beauty awake from rest !
Let Beauty awake
For Beauty’s sake
In the hour when the birds awake in the brake
And the stars are bright in the west !
Let Beauty awake in the eve from the slumber of day,
Awake in the crimson eve !
In the day’s dusk end
When the shades ascend,
Let her wake to the kiss of a tender friend,
To render again and receive !

(Poème extrait de « Songs of Travel »)
Que s’éveille au matin la beauté
Que s’éveille au matin la beauté de beaux rêves,
Que s’éveille la beauté du repos !
Que s’éveille la beauté
Pour l’amour de la beauté
À l’heure où les oiseaux s’éveillent dans le taillis
Et les étoiles brillent à l’Ouest !
Que s’éveille au soir la beauté du sommeil du jour,
Qu’elle s’éveille dans le soir pourpre !
Quand le jour se fait sombre
Et que montent les ombres,
Qu’elle s’éveille au baiser d’un tendre ami,
Pour encore rendre et recevoir !
Ω
Silent Noon
Silence de midi
Les bouts des doigts pointent telles des roses en fleur :
Tes yeux souriants respirent la paix. Le pré luit puis s’assombrit
Sous un ciel de nuées qui se dispersent et se rassemblent.
Tout autour de notre nid, aussi loin que l’œil puisse voir,
S’étendent des champs dorés de boutons d’or, bordés d’argent
Là où le cerfeuil sauvage longe la haie d’aubépine.
C’est un silence visible, aussi immobile que l’est devenu le sablier.
Dans la profondeur de la verdure fouillée par le soleil, la libellule
Est suspendue tel un fil bleu qu’on aurait défait du ciel :
Ainsi cette heure ailée nous est envoyée d’en haut.
Oh ! Serrons-la sur nos cœurs, comme don immortel,
Cette heure d’une communion intense et inexprimable
Où un silence partagé à deux fut le chant de l’amour.