Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Voilà bien longtemps, il s’était « fait tout p’tit devant une poupée »… Et comme nous étions heureux d’entendre ce vieil ours moustachu chanter sa soumission à cette poupée qui avait réussi à le « faire filer doux » devant sa tendre tyrannie.
Mais le temps a passé. Parti le vieil ours, envolée la poupée !
La petite-fille de la poupée a fini pourtant par se mettre à chanter, avec son mari et ses potes (signe des temps)… la même chanson !
Et, s’il est différent, notre plaisir, avouons-le, n’en est pas moindre… empreint de ce soupçon de nostalgie facétieuse qui ne vient se glisser que dans les souriants sillons des pattes d’oie.
Le nom de cette chanteuse, musicienne et compositrice américaine :
Natalie Knutsen, surnommée Nataly Dawn
Ce groupe de talentueux musiciens s’appelle (prononcez à la française avec l’accent américain) :
Une poupée au pied du sapin. Formidable ! Mais deux !…
Une qui chante, et l’autre qui danse. Le comble du bonheur !
Merci cher Père Noël pour autant de générosité !
Avoir gardé si longtemps son âme d’enfant – élégant euphémisme pour « retomber en enfance » – mérite bien double récompense après tout.
Il ne me reste plus, comme le font tous les enfants, qu’à mettre en scène, sans tarder, mes histoires d’amour avec mes deux marionnettes.
Je vais m’inventer avec chacune d’elles une aventure que personne n’aura imaginée avant moi. – Hé ! Pas de mauvaise interprétation, je vous prie ! Don Juan est déjà mort depuis longtemps, à mon âge…
Si j’appelais celle qui chante Olympia ?
… Et celle qui danse Coppélia ? – Original, non ?
Alors on dirait d’abord… par exemple, qu’Olympia est la « fille » d’un certain Docteur Spalanzani, alchimiste aussi malicieux qu’ingénieux. Qu’à l’occasion d’une soirée un peu arrosée, le fameux docteur me la présente, non sans m’avoir fait chausser auparavant de bien particulières lunettes. Si la conversation de la jeune fille n’a, certes, rien de fascinant, sa beauté m’éblouit ; et je ne tarde pas à être sous le charme de ses vocalises suraigües.
Me voilà amoureux.
L’écouter c’est l’aimer. Assurément ! La preuve !
Mais voilà, les lunettes auront servi à créer l’illusion, la belle jeune fille n’était qu’une poupée. Et moi un grand naïf.
Mais ne vous méprenez pas ! Si vous pensez à l’Olympia qui fit un jour tourner la tête du poète Hoffmann dont Offenbach se plaît à nous raconter l’histoire, soyez certains que ce n’est là qu’une incroyable coïncidence…
Car mon Olympia à moi n’est pas cassée en mille morceaux, elle chante encore au pied de mon sapin.
« Les oiseaux dans la charmille » (« Les Contes d’Hoffmann »)
Maria Aleida (soprano)
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De celle qui danse, que j’ai nommée Coppélia, on dirait que c’est ma propre « fille ». Je serais ainsi le vieux Coppélius, fabriquant d’automates et n’aurais qu’un seul désir, donner la vie à ma créature, la doter d’une âme.
J’aurais, à cet effet, décidé d’utiliser le flux vital de ce jeune curieux, Frantz, qui se serait introduit chez moi et que j’aurais endormi.
Oh ! Joie ! Mon stratagème magique marcherait. Ma Coppélia s’animerait enfin… Voyez comme on danse !
Sauf que je ne tarderais pas à apprendre la supercherie : Swanilda, la fiancée jalouse du jeune Frantz, aurait pris la place de ma poupée chérie.
Inutile, bien sûr, de vous préciser que mon histoire n’a rien à voir avec un célèbre ballet classique où la pauvre Coppélia, ayant subi la colère de Swanilda, rejoint, brisée, en pièces détachées, l’atelier du brave Coppélius.
Regardez, assise au pied de mon sapin, ma Coppélia se repose.
Sa jambe ne vient-elle pas de bouger ?
« Coppélia » (Ballet – Acte II) – Carlos Acosta et Leanne Benjamin
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C’est bon de croire encore au Père Noël, si tard dans la vie ; ça développe l’imagination, n’est-ce pas ? Surtout un 25 décembre… quand est permis le mensonge enchanté.
N’oublie jamais que le bonheur est peu de chose : « Juste du chagrin qui se repose ».
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Dilution
Parfois les mots viennent tout seuls presque, comme les feuilles aux arbres – bien sûr, les racines, invisibles, la terre, le soleil, l’eau ont aidé à cela, et aussi les feuilles pourries du passé. Les idées, plus tard, viennent facilement par-dessus, comme sur les feuilles les araignées, la poussière et les gouttes de rosée scintillant d’une lumière équivoque. Sous les feuilles une petite fille éventre sa poupée nue ; une goutte de rosée tombe sur ses cheveux ; elle lève la tête, elle ne voit rien ; et seulement cette transparence froide de la goutte, diluée dans son corps entier
Yannis Ritsos
(« Gestes ». Traduit par Chrysa Prokopaki et Antoine Vitez – Les Éditeurs Français Réunis, 1974)
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Picasso – Maya à la poupée – 1938
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Sit there and count your fingers What can you do ? Old girl you’re through Sit there, count your little fingers Unhappy little girl blue
Sit there and count the raindrops Falling on you It’s time you knew All you can ever count on Are the raindrops That fall on little girl blue…
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy