Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Les contes de fées c’est comme ça.
Un matin on se réveille.
On dit : « Ce n’était qu’un conte de fées… »
On sourit de soi.
Mais au fond on ne sourit guère.
On sait bien que les contes de fées
c’est la seule vérité de la vie.
Antoine de Saint-Exupéry (« Lettres à l’inconnue » – Gallimard 2008)
∞
Una volta c’era un re, Che a star solo, Che a star solo s’annoiò; Cerca, cerca, ritrovò : Ma il volean sposare in tre. Cosa fa? Sprezzò il fastom e la beltà , E all fin scelse per sè L’innocenza, e la bontà Là là là là …
Il était une fois un roi Qui était seul, Qui s’ennuyait d’être seul. Il chercha, chercha encore Et c’est trois femmes qu’il trouva… Trois femmes qui voulaient toutes l’épouser. Que faire ? Il méprisa la pompe et la beauté, Et finalement, pour lui-même, choisit L’innocence et la vertu. La la la…
Wallis Giunta - mezzo soprano
"Una volta c'era un re" :
Chanson extraite de l'opéra "La Cenerentola" de Gioachino Rossini
On a dit que la beauté est une promesse de bonheur. Inversement la possibilité du plaisir peut être un commencement de beauté.
Marcel Proust (in « La prisonnière »)
Où, plus sûrement que dans la générosité de la nature, au milieu des merveilles que, sans cesse, ses lumières façonnent et embellissent,
Où, plus sensuellement que sous la tendre caresse de deux cœurs aimants,
Où, plus savoureusement que dans le vers inspiré du poète et dans la voix langoureuse qui en soupire la mélodie,
Saurions-nous mieux rencontrer ce bonheur que nous promet la beauté ?
Ralph Vaughan Williams (1872-1958)
Parmi les mille chemins qui nous y conduiraient, passant évidemment par le Liedallemand et la Mélodie française, prenons donc aujourd’hui un bien agréable raccourci à travers l’œuvre plurielle — opéras, symphonies, concertos, musique de chambre et pour clavier, musiques vocales et chorales, musiques de films — d’un immense compositeur britannique, Ralph Vaughan Williams.
Franchement établi entre le XIXème et le XXème siècles, Vaughan Williams a mis en musique les poèmes, entre autres, de Tennyson, Walt Whitman, William Barnes, et même un poème de Verlaine traduit en anglais. Amoureux du genre, il a composé des mélodies sur les poèmes du recueil « Songs of Travel » de Stevenson (l’auteur de la célébrissime « Île au trésor » et de la non moins célèbre nouvelle « L’étrange cas du Docteur Jekyll et de M. Hyde »), ainsi que sur quelques uns des 103 sonnets du chef d’œuvre poétique, « The House of Life » de Dante Gabriel Rossetti, plus connu comme peintre préraphaélite, par la rousseur flamboyante des femmes magnifiques de ses magnifiques portraits.
Mais que la Beauté nous apparaisse enfin ! Un bonheur n’attend pas ! Un plaisir non plus ! (Le raccourci n’était donc pas si court…)
Qu’elle s’éveille ! Qu’elle nimbe le silence de midi !
Let Beauty awake
Let Beauty awake in the morn from beautiful dreams, Beauty awake from rest ! Let Beauty awake For Beauty’s sake In the hour when the birds awake in the brake And the stars are bright in the west ! Let Beauty awake in the eve from the slumber of day, Awake in the crimson eve ! In the day’s dusk end When the shades ascend, Let her wake to the kiss of a tender friend, To render again and receive !
Robert Louis Stevenson (1850-1894)
(Poème extrait de « Songs of Travel »)
Que s’éveille au matin la beauté
Que s’éveille au matin la beauté de beaux rêves, Que s’éveille la beauté du repos ! Que s’éveille la beauté Pour l’amour de la beauté À l’heure où les oiseaux s’éveillent dans le taillis Et les étoiles brillent à l’Ouest ! Que s’éveille au soir la beauté du sommeil du jour, Qu’elle s’éveille dans le soir pourpre ! Quand le jour se fait sombre Et que montent les ombres, Qu’elle s’éveille au baiser d’un tendre ami, Pour encore rendre et recevoir !
Ω
Silent Noon
Your hands lie open in the grass,—
The finger-points look through like rosy blooms:
Your eyes smile peace. The pasture gleams and glooms
’Neath billowing skies that scatter and amass.
All round our nest, far as the eye can pass,
Are golden kingcup-fields with silver edge
Where the cow-parsley skirts the hawthorn-hedge.
’Tis visible silence, still as the hour-glass.
.
Deep in the sun-searched growths the dragon-fly
Hangs like a blue thread loosened from the sky:—
So this wing’d hour is dropt to us from above.
Oh! Clasp we to our hearts, for deathless dower,
This close-companioned inarticulate hour
When twofold silence was the song of love.
.
Dante Gabriel Rossetti – photo de 1863 par Lewis Caroll
(Poème extrait de « House of Life »)
Silence de midi
Tes mains sont ouvertes dans les longues herbes fraîches, Les bouts des doigts pointent telles des roses en fleur : Tes yeux souriants respirent la paix. Le pré luit puis s’assombrit Sous un ciel de nuées qui se dispersent et se rassemblent. Tout autour de notre nid, aussi loin que l’œil puisse voir, S’étendent des champs dorés de boutons d’or, bordés d’argent Là où le cerfeuil sauvage longe la haie d’aubépine. C’est un silence visible, aussi immobile que l’est devenu le sablier.
. Dans la profondeur de la verdure fouillée par le soleil, la libellule Est suspendue tel un fil bleu qu’on aurait défait du ciel : Ainsi cette heure ailée nous est envoyée d’en haut. Oh ! Serrons-la sur nos cœurs, comme don immortel, Cette heure d’une communion intense et inexprimable Où un silence partagé à deux fut le chant de l’amour.
How long can a moment like this belong to someone ?
Vielle histoire, intemporelle et si banale, que cette « aventure sur la 8ème Avenue » à Manhattan ! Celle de l’éternelle rencontre : un homme, une femme, des doigts qui s’entrelacent « comme rubans de lumière », l’intense émotion réciproque d’un amour partagé d’où s’échappent des rêves fous et audacieux que la réalité s’empresse de dissiper, la persistance troublante d’un parfum, la caresse d’une chevelure défaite, des « pourquoi » sans réponses, un souffle de mélancolie… Et puis, un brin de poésie, une guitare pour escorter la nostalgie, et la voix, de loin venue, qui toujours se souvient…
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy