Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac – Acte V, Scène 6)
Roxane et sœur Marthe (1909) – Cyrano de Bergerac via vintagemarlene.tumblr.com
Ah! Roxane ! Légendaire Roxane, dont la robe fut peut-être la première que j’eus jadis, adolescent déjà rêveur de gloires illusoires, envie de suivre éperdument…
Roxane aux multiples visages, d’abord précieuse fréquentant les salons où l’on devisait sur LeTendre ; gamine, se laissant séduire par les mirages des apparences, découvrant l’amour au travers des mots, sur un balcon ; intrépide héroïne traversant seule les lignes de front, certaine de la profondeur inconditionnelle de son amour, indépendant désormais de la beauté de l’aimé ; bien jeune veuve, enfin, vierge et fidèle, retirée dans un couvent pour conserver intact le souvenir de cet amour.
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Roxanne ! You don’t have to wear that dress tonight
Walk the streets for money
You don’t care if it’s wrong or if it’s right.*
« Roxanne » – Chanson de Sting (1978)
*Roxanne, tu n’es pas obligée de porter cette robe ce soir De marcher dans la rue pour de l’argent Tu n’en as rien à faire de savoir si c’est bien ou si c’est mal !
Faut-il toujours, lorsque l’on veut marier musiques et images, s’efforcer de réaliser une parfaite correspondance entre ces deux membres du couple ? Un esprit trop attentif aux conventions pourrait, certes, mal comprendre, voire trouver blasphématoire – qui sait ? – que, pour illustrer une « Passion de Bach » l’on choisisse par exemple un nu « zébré » de Lucien Clergue plutôt que l’« Ecce Homo » du Caravage ou un Christ de Dali. Et pourtant…
Guillaume Guillon Lethiere – La mort de Caton d’Utique (1795) – Musée de l’Hermitage Saint-Pettersbourg
Parfois, quand le marieur est inspiré, qu’il ne s’attache qu’à la pure esthétique de l’union sans en rechercher le sens à tout prix, il parvient, par la simple association harmonieuse de deux œuvres que rien ne rapproche au demeurant, hors la qualité respective des artistes qui les ont créées, à susciter une émotion nouvelle, assurément grandie, qui dépasse la somme des sentiments que chaque œuvre prise séparément aurait provoqués chez le spectateur-auditeur.
J’aime particulièrement ces collages magiques qui séduisent l’œil et interrogent l’oreille, et vice versa. Ils m’encouragent, par le plaisir qu’ils m’offrent, à inventer intérieurement d’autres univers, différents, bien sûr, de ceux que chaque composition veut livrer, et cependant profondément inspirés par eux.
Il n’est pas rare qu’une promenade sur la toile soit une heureuse occasion de trouver, sans l’avoir cherchée, une perle composite de cette nature, mais celle que je viens de ramener m’est apparue comme un véritable enchantement. Félicitations à ce monteur inspiré ! À l’évidence, le partage s’imposait !
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Et si Caton est venu mourir au cœur de ce billet, ce n’est en rien pour justifier qu’une image volontairement choisie hors du propos fait toujours son effet, au contraire. Comme par jeu de l’esprit de convention, sa présence veut juste évoquer que la magnifique aria qui fait l’objet de cette illustration est empruntée à l’opéra de Vivaldi, « Catone in Utica ».
Ici, Roberta Mameli est César s’adressant à Marzia, fille de Caton, éprise de l’empereur au point de lui proposer de l’épouser pour lui permettre de gagner la paix qu’il est venu chercher en Afrique, chez son père, maître du dernier bastion de résistance à l’hégémonie totale de Rome.
CESARE
Apri le luci, e mira il mio costante affetto. Per te il mio cor sospira e non l’intendi ancor. E in tacita favella co’ soli miei sospiri ti copro, o bella fiamma, che m’ardi il cor.
Ouvre tes yeux et observe
la constance de mes sentiments.
Mon cœur soupire pour toi
mais tu ne le comprends encore pas.
Et par ce silencieux discours
je t’emmitoufle dans tous mes soupirs
ô belle flamme
qui attise mon cœur.
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy
L'oreille du taureau à la fenêtre De la maison sauvage où le soleil blessé Un soleil intérieur de terre Tentures du réveil les parois de la chambre Ont vaincu le sommeil Paul Eluard