
Pour moi, ce sera l’opéra de mes émotions.
Gaetano Donizetti
Avec « Roberto Devereux », un de ses derniers « opera-seria », Donizetti signe, en 1837, un nouveau joyau du « bel canto ». Cette année pourtant le plonge dans une période bien difficile de son existence : après avoir déploré quelques mois auparavant le décès de ses parents, le voici envahi par un nouveau et profond chagrin provoqué par la mort de sa femme qui venait d’accoucher, pour la troisième fois, d’un enfant mort-né. Il ne trouvera d’apaisement à sa dépression que dans son engagement à créer pour le Teatro San Carlo de Naples ce nouvel opéra consacré à une autre reine Tudor, Elizabeth I d’Angleterre.

Ce n’est pas la première fois que Donizetti consacre un portrait lyrique à la grande Elisabetta, mais la troisième. On sait, certes, l’importance majeure qu’il a attribuée à ce puissant personnage dans l’opéra « Maria Stuarda » de 1834, mais déjà en 1829 dans « Elisabetta al castello di Kenilworth » – qui ne fait pas partie de ladite « trilogie » des reines Tudor – le compositeur avait mis au premier plan celle que l’Histoire a surnommée « La Reine vierge », eu égard aux soins extrêmes qu’elle déploya pour préserver son célibat.
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"Roberto Devereux" : résumé L'action se déroule en 1601. Et disons sans attendre que la rigueur historique n'est pas la préoccupation de Donizetti, ni de son librettiste, Salvadore Cammarano. La reine Elisabetta est amoureuse de Roberto Devereux, Comte d'Essex. Le comte revient à peine d'une expédition militaire en Irlande et déjà pèse sur ses épaules une accusation de trahison pour crime d'intelligence avec les rebelles. Seule la reine peut lui éviter une condamnation. Elisabetta, jalouse, le soupçonne d'un crime plus grave encore à ses yeux, celui d'entretenir une liaison avec une autre femme. Demeurée longtemps partagée entre devoir et sentiments, la souveraine, dans un élan de colère et de rancune, signe l'arrêt de mort de Roberto. Alors que l'inéluctable exécution se prépare, Sara, épouse du Duc de Nottingham, avoue à la reine qu'elle est sa rivale, et lui remet la bague que la reine elle-même avait jadis confiée à son favori comme gage de son royal soutien en toutes circonstances. Elisabetta demande aussitôt l'arrêt de l'exécution. Mais il est trop tard : sa grâce intervient juste après le coup de hache du bourreau. Elisabetta s'emporte alors rageusement contre Nottingham et Sara, à qui elle reproche de ne pas avoir récupéré la bague plus tôt. Elle les fait tous deux emprisonner. Au comble du désespoir Elisabetta émet le vœu de rejoindre Roberto dans la mort avant d'annoncer qu'elle abdique.

C’est la soprano américano-canadienne Sondra Radvanovsky qui incarne le rôle au printemps 2016, sur la scène du mythique Metropolitan Opera de New-York, dans une mise en scène de Sir David McVicar et sous la direction musicale de Maurizio Benini. – Sondra Radvanovsky possède cette très rare particularité d’avoir mis à son répertoire les trois reines Tudor. Et la même saison de surcroît. C’est dire l’immense souplesse de sa voix et sa grande adaptabilité à des typologies vocales aussi diverses que celles qu’exigent les trois souveraines.
La voici, magnifique en Reine Elisabetta dans la cabalette finale au dernier acte de « Roberto Devereux ». La souveraine a perdu sa superbe. Sa colère n’a d’égale que sa tristesse : elle n’a pas pu sauver l’homme qu’elle aime de la mort à laquelle elle l’avait elle-même condamné. Elle admoneste et punit Sara, sa rivale, et son époux le duc de Nottingham qu’elle considère comme responsables de son impuissance. Elle aspire à rejoindre son aimé au tombeau et, au comble du désespoir, renonce au trône d’Angleterre.
C’est sans doute la seule cabalette de l’histoire de l’opéra qui soit presque entièrement maestoso ; et l’allegro conventionnel n’intervient qu’aux dernières mesures.
Comte de Harwood (1956-1999)
– Membre de la Chambre des Lords et grand connaisseur de l’opéra
NOTTINGHAM (entre comme enivré par une joie féroce)
Il est mort.
LES AUTRES
Quelle terreur !...
(Silence)
ELISABETTA (convulsée de rage et de douleur, s’approchant de Sara)
C’est toi perverse…… toi seule
qui l’a poussé dans la tombe….
Pourquoi avoir tant tardé
à me remettre cet anneau ?
NOTTINGHAM
C’est moi, Reine, qui l’en ai empêchée,
j’ai voulu ce sang,
et j’ai obtenu ce sang.
ELISABETTA
(À Sara)
Âme coupable !
(À Nottingham)
Cœur sans pitié !…
LES COURTISANS
Quelle terreur !
ELISABETTA
Ce sang versé se dresse vers le ciel….
Il demande justice, il réclame vengeance…
Maintenant l’ange de la mort violente plane sur vous
Un supplice jamais vu vous attend tous deux
Une si vile trahison, un crime si coupable
ne mérite ni clémence ni pitié
A l’heure dernière, tournez-vous vers Dieu,
Lui seul pourra vous accorder le pardon.
CHŒUR
Calmez-vous… rappelez-vous les devoirs du trône :
Celui qui règne, vous le savez, ne vit pas pour lui.
ELISABETTA
Taisez-vous
Je ne règne pas… Je ne vis pas… Sortez… !
COURTISANS
Reine !
ELISABETTA
Taisez-vous ! Voyez
ce billot…… rougi par le sang…
Cette couronne baignant entièrement dans le sang…
Un horrible spectre parcourt le palais…
tenant dans sa main la tête tranchée.
Le ciel retentit de gémissements et de pleurs…
La lumière du jour se fait pâle….
Là où était mon trône s’est élevée une tombe
dans laquelle je descends, elle a été ouverte pour moi.
Partez…! Je le veux !
Que Jacques soit roi d’Angleterre !
LES COURTISANS
Hélas, calmez-vous Reine,
celui qui règne, vous le savez, ne vit pas pour lui.
Une réflexion sur “Reines Tudor 4/ ROBERTO DEVEREUX”
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