Allégorie baroque de la douleur… des pauvres hommes victimes du sadisme féminin

Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur.
Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,
Que ta voix ici-bas doive rester muette.

Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.

Alfred de Musset – Nuit de mai – 1835

Nos plus grandes douleurs, frères de souffrance, ne les devons-nous pas à la cruauté de celles qui sont restées sourdes à nos cris d’amour, ont tourné le dos à nos élans enthousiastes, ou percé avec cruauté nos cœurs conquis et dévoués ?

Nos chants les plus beaux, frères de désespérance, Haendel ne les a-t-il pas composés comme un éternel hommage compassionnel à nos chagrins d’amants déçus, d’amoureux délaissés ou de maris trahis ?

Georg-Friedrich Haendel 1685-1759

N’est-ce pas la tyrannie de notre immémoriale peine que chante l’inconsolable Dardano déchiré par le choix cruel d’Oriana de rejoindre les bras d’Amadigi di Gaula, son rival et ami, malgré les manigances de Melissa la sorcière ?*

Mais, l’allégorie, pour être parfaite, et ainsi comprise, en nos temps d’outrances technologiques, exige de l’artiste bien plus que la vocalise, la précision du ciseau ou la finesse du trait ; elle réclame aujourd’hui le mouvement de l’image, le mouvement dans l’image, la démesure de la composition métaphorique jusqu’à l’excès surréel ou fantastique de la représentation. Prix sans doute de sa surprenante et inquiétante beauté moderne.

Enfin, mères castratrices et compagnes dominatrices, sadiques maîtresses qui hantez nos vies, injustes amantes prêtes à accorder la tendresse dont vous nous privez à ces créatures composites tout droit venues du zoo extraordinaire de Jérôme Bosch, nous ferez-vous croire que l’idée d’envisager l’éventualité de notre plaisir masochiste n’a jamais fréquenté votre esprit, tant il est vrai que ne nous ne cessons malgré tout de vous aimer ?

Haendel : Amadigi di Gaula, HWV 11 – Aria « Pena Tiranna »
Acte II scène V

Anthony Roth Costanzo (contralto)
Ensemble Les Violons du Roy dirigé par Jonathan Cohen
Réalisation : AES+F

Pena tiranna                         Une peine tyrannique

Pena tiranna                           C’est une peine tyrannique
io sento al core,                      que je sens en mon cœur,
né spero mai                           et ne pressens jamais
trovar pietà;                            en croiser la pitié ;
amor m’affanna                      l’amour me tourmente
e il mio dolore                         et ma douleur
in tanti guai                             dans tant d’infortune
pace non ha.                            ne trouve aucune paix.

*Haendel - opéra "magique" Amadigi di Gaula (1715) - Aria (lamento) de Dardano


Note recueillie sur les opéras "magiques" de Haendel :
"Ces opéras sont construits à partir de la littérature, démodée au XVIIIe siècle, de l’Arioste et du Tasse. Ils parlent d’enchanteurs, de sorcières et de dragons. En un siècle qui se veut éclairé, les gens sérieux rejettent tous ces oripeaux. Seul cet aimable ahuri de Jean de La Fontaine dit encore « Je chéris l’Arioste et j’estime Le Tasse »."

Don de soi (réédition)

Publié initialement sur « Perles d’Orphée » le 5/01/2014

Don de soi

Après tant de rappels frénétiques, Virginia, l’incomparable pianiste, demeura perplexe. Le public réclamait encore, il trépignait. Alors lui vint une idée : elle ôta délibérément sa robe et se remit au piano.
Ah ! Jouer du Fauré en petite chemise. Jamais elle n’avait atteint cette finesse de touche, cette légèreté…Quel délire dans la salle !
Non, non, ce n’était pas assez. Alors elle ôta sa petite chemise, son corset et ses bas, et se remit au piano.
Tous les oiseaux du désir, d’un coup d’aile, se blottirent dans son soutien-gorge.
Ah ! Jouer du Manuel de Falla en soutien-gorge. Jamais, jamais la chair et le sang n’avaient donné une telle frappe à son jeu. Les accords flambaient dans les entrailles des auditeurs.

Non, non, ce n’était pas assez.
Alors elle enleva son soutien-gorge et se remit au piano.

Un grand cri traversa la salle : « Je suis sa mère » hurlait une femme, « tout de même, je suis sa mère ! ».
Mais le public : « Encore, encore ! »
Alors, Virginia ôta son slip qu’elle jeta dans la foule comme une fleur, et se remit au piano.
Musique aussi dépouillée résonna-t-elle ainsi dans le cœur des hommes ?
Schönberg avait du génie.
Lorsque, éclatante et nue, elle salua de nouveau, l’enthousiasme, à son comble, n’était qu’une épée dirigée contre son être. Alors Virginia, sublime, se jeta tête première dans le ventre du piano. Le couvercle se rabattit sur elle dans un coup de tonnerre
Quatre hommes de main survinrent qui emmenèrent le cercueil.
                                                                                                                                                          René de Obaldia

Nu au piano

Entendez-vous ma douce étoile ?

Allons, éternels enfants aux yeux inondés de lumière que résolument nous ne voulons cesser d’être, suivons, en cette nuit de Noël, la tendre voix de l’étoile !

Extasiés par la beauté, glissons dans l’impesanteur des cieux  à travers les arcanes de l’imaginaire jusqu’aux rivages du merveilleux.

Puissent nos oreilles, nos yeux et nos cœurs, communier dans le bonheur astral de l’instant !

Aria "Mi par sentir la bella..." extraite de l'opéra "Gianguir" 
de Geminiano Giacomelli (1692-1740)

Montage vidéo de Jeffrey Stivers
Images de Christian Schloe Digital Artwork

J’ai l’impression d’entendre ma belle
et douce étoile, mon guide,
me dire affectueusement
« partons, mon chéri ».

La récompense pour ma victoire
sera la couronne et une fiancée,
et déjà je me prépare à ce que la main de gloire
sertisse mon front de lauriers et de myrtes.