Extase de l’instant

Cioran
Emil Cioran 1911-1995

Ce n’est que dans la musique et dans l’amour qu’on éprouve une joie à mourir, ce spasme de volupté à sentir qu’on meurt de ne plus pouvoir supporter nos vibrations intérieures. Et l’on se réjouit à l’idée d’une mort subite qui nous dispenserait de survivre à ces instants. La joie de mourir, sans rapport avec l’idée et la conscience obsédante de la mort, naît dans les grandes expériences de l’unicité, où l’on sent très bien que cet état ne reviendra plus.
Il n’y a de sensations uniques que dans la musique et dans l’amour ; de tout son être, on se rend compte qu’elles ne pourront plus revenir et l’on déplore de tout son cœur la vie quotidienne à laquelle on retournera. Quelle volupté admirable, à l’idée de pouvoir mourir dans de tels instants, et que, par-là, on n’a pas perdu l’instant. Car revenir à notre existence habituelle après cela est une perte infiniment plus grande que l’extinction définitive. Le regret de ne pas mourir aux sommets de l’état musical et érotique nous apprend combien nous avons à perdre en vivant.

Emil Cioran
Le livre des leurres – 1936 / Extase musicale – Gallimard – Quarto P.115)

« Ruhe sanft, mein holdes Leben »

Zaïde (Opéra inachevé de Mozart) – Acte I

Soprano : Mojca Erdmann

Repose calmement, mon tendre amour,
dors jusqu’à ce que ta bonne fortune s’éveille.
Tiens, je te donne mon portrait.
Vois comme il te sourit avec bienveillance !

Doux rêves, bercez son sommeil
et que ce qu’il imagine
dans ses rêves d’amour
devienne enfin réalité.

Pour Mozart, comme pour toute musique angélique, porter ses regards vers le bas, vers nous, est une trahison. A moins que se sentir homme soit la pire des trahisons…

Emil Cioran
Le livre des leurres / Mozart ou la mélancolie des anges – Gallimard – Quarto P.177

Publié par

Lelius

La musique et la poésie : des voies vers les êtres... Un chemin vers soi !

9 réflexions au sujet de “Extase de l’instant”

    1. « et l’on déplore de tout son cœur la vie quotidienne à laquelle on retournera. »
      Quotidien, habitude… voilà des mots qui sentent bon le grand bonheur, n’est-ce-pas ? 😵‍💫

      Aimé par 1 personne

        1. C’est pour cette bonne raison qu’il faut mourir aussitôt après avoir connu l’extase. Comme ce couple de jeunes japonais riches et heureux qui, persuadés d’avoir atteint la cime du bonheur choisissent de se suicider, plus rien ne pouvant être désormais supérieur, ni même égal, à cette extase.

          Aimé par 1 personne

  1. Ah oui, on connait ces moments mais puisque nous désirons plus
    et encore plus, *on continue sa vie normal et ā la fin, on paie avec les troubles de l âge.
    *Regardez le poėme de
    Friedrich Nietzsche
    O Mensch ! Gib acht!
    Was spricht die tiefe Mitternacht. …..

    Weh spricht : Vergeh!
    Doch alle Lust (si vous voulez extase) will Ewigkeit.

    Merci d ailleurs je ne savais rien d Emile Cioran,mais bien des moments zum Sterben schön.
    A vous lire bientôt

    Aimé par 1 personne

    1. Merci, Klara, pour vos références aux exigences de Nietzche sur la nature humaine.
      Ravi de vous avoir fait connaître Cioran en qui je trouve beaucoup de résonances personnelles.
      A bientôt

      J’aime

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