‘A tous les enfants’

Voilà le monde parfumé
Plein de rires, plein d’oiseaux bleus…

‘A tous les enfants’

dit par Jean-Louis Trintignant – Illustration musicale : Daniel Mille (bandonéon)

A tous les enfants
Qui sont partis le sac au dos
Par un brumeux matin d’avril
Je voudrais faire un monument

A tous les enfants
Qui ont pleuré le sac au dos
Les yeux baissés sur leurs chagrins
Je voudrais faire un monument
Pas de pierre, pas de béton
Ni de bronze qui devient vert
Sous la morsure aiguë du temps
Un monument de leur souffrance
Un monument de leur terreur
Aussi de leur étonnement
Voilà le monde parfumé
Plein de rires, plein d’oiseaux bleus
Soudain griffé d’un coup de feu
Un monde neuf où sur un corps
Qui va tomber
Grandit une tache de sang

Mais à tous ceux qui sont restés
Les pieds au chaud sous leur bureau
En calculant le rendement
De la guerre qu’ils ont voulue
A tous les gras tous les cocus
Qui ventripotent dans la vie
Et comptent comptent leurs écus
A tous ceux-là je dresserai
Le monument qui leur convient
Avec la schlague, avec le fouet
Avec mes pieds avec mes poings
Avec des mots qui colleront
Sur leurs faux-plis sur leurs bajoues
Des marques de honte et de boue.

Boris Vian 1920-1959

 

 

in Chansons (1954-1959)

 

 

 

‘A tous les enfants’

Chanté par Catherine Sauvage sur la musique de Claude Vence

Le désespoir d’un Roi

Giuseppe Verdi (1813-1901)

Philippe II d’Espagne est au comble du désespoir. Trahi et humilié. Il vient de trouver une correspondance secrète entre son fils Don Carlos et son épouse Elisabeth de Valois qui ne laisse aucun doute sur la profondeur de leurs sentiments réciproques.

Rongé par la jalousie il doute que sa jeune épouse française ait eu un jour quelque sentiment pour le vieux monarque qu’il est. Persuadé qu’elle ne l’a jamais aimé, il ronge son malheur dans la solitude de son bureau.

Giuseppe Verdi, au quatrième acte de son grand opéra à la française, Don Carlo – écrit à partir de la pièce éponyme de Schiller –, confie à la noble autorité d’une voix de basse le désespoir du Roi, qu’il introduit par un profond préambule dramatique au violoncelle.

Un des plus émouvants monologues masculins des scènes d’opéra !

« Ella giammai m’amò… »

Michele Pertusi (Basse)

Direction : Juraj Valčuha
Teatro SAN CARLO de Naples

Acte IV – Scène 1

Philippe II – Roi d’Espagne

Elle ne m’a jamais aimé !
Non, son cœur m’est fermé,
elle n’a aucun amour pour moi !

Je la revois encore, toisant en silence mes cheveux blancs,
le jour qu’elle arriva de France.
Non, elle n’a aucun amour pour moi !

Où suis-je ?
Ces flambeaux sont consumés…
L’aurore blanchit ma fenêtre. Voici déjà le jour !
Je vois ma vie lentement s’écouler.
Le sommeil, ô Dieu, a fui ma paupière épuisée !

Je ne pourrai dormir dans mon manteau royal, qu’à mon dernier instant,
alors je dormirai seul sous les voûtes noires des caveaux de l’Escurial !

Si la couronne royale me donnait le pouvoir de lire au fond des cœurs
où Dieu seul peut tout voir !

Quand le prince dort, le traître veille ; la couronne perd le Roi et l’époux son honneur !

Je ne pourrai dormir dans mon manteau royal…

Ah ! Si la royauté nous donnait le pouvoir de lire au fond des cœurs !

Elle ne m’a jamais aimé ! non !
Son cœur m’est fermé, elle ne m’a jamais aimé !

« Faut-il qu’il m’en souvienne… »

Billet publié sur « Perles d’Orphée » le 22/03/2013

Pont Mirabeau - plaque

Le Pont Mirabeau

Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine.

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

Guillaume Apollinaire          1880-1918

 

 

in  Alcools – 1913

 

 

 

Illustration musicale : « Georgia » – Charles Lloyd (saxophone)

‘Cendres’

Au centre du poème il y a un autre poème, au centre du centre il y a une absence, au centre de l’absence il y a mon ombre.

Alejandra Pizarnik

Cendres 

Nous avons dit des paroles,
des paroles pour réveiller les morts,
des paroles pour faire un feu,
des paroles pour pouvoir nous asseoir
et sourire.

Nous avons créé le sermon
de l’oiseau et de la mer,
le sermon de l’eau,
le sermon de l’amour.

Nous nous sommes agenouillés
et avons adoré de longues phrases
comme le soupir de l’étoile,
des phrases comme des vagues
des phrases comme des ailes.

Nous avons inventé de nouveaux noms
pour le vin et pour le rire,
pour les regards et leurs terribles
chemins.

Moi à présent je suis seul(e)
– comme l’avare délirant(e)
sur sa montagne d’or –
et je lance des paroles vers le ciel
mais je suis seul(e)
et je ne peux dire à mon aimée
ces paroles qui me font vivre.

Alejandra Pizarnik 1936-1972

 

Las aventuras perdidas (1958) – Œuvres (Ypsilon, 2022) – Traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet

Le mauvais temps du coeur !

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville…

‘Stormy Weather’

Je ne sais pas pourquoi il n’y a pas de soleil dans le ciel
Sale temps
Puisque mon homme et moi sommes séparés
Il pleut tout le temps
La vie est nue, sombre et malheureuse partout
Sale temps
Je ne peux juste pas me ressaisir,
Je suis tout le temps fatiguée
Si fatiguée tout le temps
Quand il est parti, le blues est entré en moi et s’est installé
S’il ne revient pas, la vieille chaise à bascule aura ma peau
Tout ce que je fais, c’est prier le Seigneur d’en haut qu’il me laisse marcher une fois de plus au soleil.
Je ne peux pas continuer, j’ai perdu tout ce que j’avais
Sale temps
Depuis que mon homme et moi sommes séparés,
La pluie ne cesse de tomber

Don’t know why there’s no sun up in the sky
Stormy weather
Since my man and I ain’t together,
Keeps rainin’ all the time
Life is bare, gloom and mis’ry everywhere
Stormy weather
Just can’t get my poorself together,
I’m weary all the time
So weary all the time
When he went away the blues walked in and met me.
If he stays away old rockin’ chair will get me.
All I do is pray the Lord above will let me walk in the sun once more.
Can’t go on, ev’ry thing I had is gone
Stormy weather
Since my man and I ain’t together,
Keeps rainin’ all the time

Onze ans !

Onze ans !

Billet également publié sur « Perles d’Orphée »

Encore une année allègrement partagée avec vous tous qui continuez de me faire l’honneur et le plaisir de venir de tous les coins du monde feuilleter, parfois apprécier et même commenter, les pages de ce journal intime ouvert à tous qu’est mon blog historique  « Perles d’Orphée », prolongé et ‘relevé’, en vérité, depuis quelques années par « De Braises et d’Ombre ».

Merci pour vos nombreuses visites ainsi que pour la bienveillance et la mansuétude qui les accompagnent toujours !
… Et une pensée profonde pour tous ceux que la vie a décidé de priver de ce partage.

Ce ne sont pas les arts, comme tels, qui nous délivrent de la mélancolie : ils ne peuvent que s’y prêter, ils l’exacerbent. C’est à la poésie qu’il revient de nous guider hors de ce continent « où la folie rôde ». Bien qu’il faille penser aussi, mais cela n’a pas d’importance, que le voyage sera sans fin.

Yves Bonnefoy

Pour saluer cet anniversaire et nous exhorter à continuer cet interminable voyage, les poètes se sont précipités, nombreux, nombreux, tous habillés de leur plus beau costume d’Orphée… Tous, brandissant leur lyre, affirmaient avec Philippe Jaccottet que la « poésie n’est qu’une voix donnée à la mort ».

Borges, distinguant à peine la porte, la poussa d’un coup de canne…

Je ne serai plus heureux. Est-ce important ?
Il y a tant d’autres choses dans le monde ;
Un instant quelconque est plus profond
Et divers que la mer. La vie est brève
Et même si les heures sont très longues, une
Obscure merveille nous guette,
La mort, cette autre mer, cette autre flèche
Qui nous libère du soleil et de la lune
Et de l’amour. Le bonheur que tu m’offris
Et que tu repris doit s’effacer ;
Ce qui était tout doit devenir rien.
Il ne me reste que le goût d’être triste,
Cette vaine habitude qui me conduit
Au Sud, à certaine porte, à certaine rue.

Jorge-Luis Borges (1899-1986)

.

Extrait de « Poèmes d’amour »
(NRF / Gallimard 2014)

Deidamia triste et furieuse

Joseph-Michel-Ange Pollet (1854) – Achille et Deidamie

Même si elle l’a rencontré au gynécée de son père, roi de Skyros, déguisé en fillette, et courtisé par Ulysse cherchant à le démasquer, Deidamie n’ignore pas que son amant est bien Achille, le héros destiné à sauver Troie assiégée.

Comment ne pas compatir à la tristesse de cette jeune princesse meurtrie lorsqu’elle apprend qu’il va la quitter pour défendre sa patrie alors que les oracles ont prédit la mort du héros au combat ? Comment ne pas partager la véhémence de sa colère, s’imaginant ainsi trahie ?

La voici justement, au comble de l’émotion, convaincante à l’extrême, sous les traits charmants et par la voix exceptionnelle de Jeanine de Bique, à cet instant de l’Acte III du dernier opéra italien de Haendel (1741), exprimant, et de quelle merveilleuse manière, son désespoir (largo) et son courroux (allegro).

N’en doutons pas, touché au coeur, Achille l’épousera avant son départ pour Troie.

M’hai resa infelice:
che vanto n’avrai?
Oppressi, dirai,
un’alma fedel.

Le vele se darai
de’ flutti al seno infido,
sconvolga orribil vento
l’instabil elemento,
e innanzi al patrio lido
sommèrgati, crudel.

Tu m’as rendue malheureuse
t’en vanteras-tu ?
Persécuteur
d’une âme fidèle.

Quand vers un traître sein
te porteront tes voiles,
que d’horribles tempêtes
déchainent les flots houleux,
et près de tes rivages
qu’ils te submergent, cruel !

‘Brumes’

Le 2 mars 1939, Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz s’effondrait mortellement, après s’être fâché contre son canari, qui ne voulait pas rentrer dans sa cage. Le médecin conclura à une embolie. Sur sa tombe, au cimetière de Fontainebleau, ses amis feront graver ces mots : «Poète et métaphysicien». Pour un petit cercle de lettrés, un grand écrivain disparaissait, sans avoir été reconnu comme il l’aurait dû, et qui aura souffert toute sa vie d’une «excommunication» décrétée par l’influent André Gide.

Frédérique Franchette – journal  « Libération » (3/04/2003)

BRUMES

Je suis un grand jardin de novembre, un jardin éploré
Où grelottent les abandonnés du vieux faubourg ;
Où la couleur misérable des brumes dit : Toujours !
Où le battement des fontaines est le mot : Jamais…
— Autour d’un buste ridicule qui médite,
(Marie, tu dors, ton moulin va trop vite),
Tourne la ronde des désespoirs du vieux faubourg.

Entendez-vous la ronde qui pleure, dans le jardin noyé
De brume aveugle, au fond du vieux faubourg ?
Pauvres amitiés mortes, burlesques amours oubliées,
O vous les mensonges d’un soir, ô vous les illusions d’un jour,
Autour du buste ridicule qui médite,
(Marie, tu dors, ton moulin va trop vite),
Venez danser la ronde noire du vieux faubourg.

La brume a tout mangé, rien n’est gai, rien n’irrite,
Le rêve est aussi creux que la réalité.
Mais dans le parc où vous avez connu l’été
La ronde, la ronde immense tourne, tourne toujours,
Amis que l’on remplace, amantes que l’on quitte…
(Marie, tu dors, ton moulin va trop vite…)
Je suis un grand jardin de novembre, au fond d’un vieux faubourg.

Oscar Venceslas de Lubicz-Milosz (1877-1939)

Je me laissais glisser vers l’hiver

Je me laissais glisser vers l’hiver
tout me semblait facile
je n’étais qu’un mendiant
dessous les porches verts
jamais tu n’aurais dû t’asseoir si près de moi
Je sais bien tu as froid
je le savais déjà
à regarder tes yeux
à deviner ta vie
que tu le veuilles ou non
que je le veuille ou non
tu danses dans mes nuits
mes jours deviennent nuits
pour rêver plus longtemps
et je nage éveillé dans ton visage-pluie
Je ne dirai plus rien
et pas même ton nom
mais ne va pas trop loin
surtout ne dis pas non
et reste donc pour moi
comme un printemps fragile
Sur ta poitrine douce
des saisons impossibles
jamais sur ton épaule ne s’useront mes lèvres
jamais je ne prendrai
ton regard dans mes mains
Une feuille de neige cicatrise ton ventre
je déchire les jours pour t’en faire un manteau

Jean-Pierre Metge (1949-2002)

 

Tristesse

Adieu tristesse,
Bonjour tristesse…

Tu n’es pas tout à fait la misère,
Car les lèvres les plus pauvres te dénoncent
Par un sourire.

Paul Eluard

Ψ

Triste é viver na solidão
Na dor cruel de uma paixão
Triste é saber que ninguém
Pode viver de ilusão
Que nunca vai ser, nunca vai dar
O sonhador tem que acordar

Sua beleza é um avião
Demais p’rum pobre coração
Que para pra te ver passar
Só pra me maltratar
Triste é viver na solidão.

Il est triste de vivre dans la solitude
Dans la douleur cruelle d’une passion
Il est triste de savoir que personne
Ne peut vivre d’illusions
Que cela ne sera jamais, ça ne marchera jamais
Le rêveur doit se réveiller

Ta beauté est un avion
Trop belle pour un pauvre cœur
Qui s’arrête pour te voir passer
Juste pour se flageller
Il est triste de vivre dans la solitude.

Un cœur en automne /2 : Live at Blues Alley

A quelques exceptions près, tous les musiciens qui ont compté dans l’histoire du jazz depuis l’ouverture du Blues Alley Jazz Club en 1965 se sont produits sur sa scène légendaire.
Il faudrait faire ouvrir les archives du club pour n’oublier personne, mais d’un trait de mémoire rapide on peut citer quelques noms dont la notoriété s’est échappée depuis belle lurette de l’univers feutré des aficionados du jazz :
Ainsi, Oscar Peterson, Charlie Mingus, Stanley Jordan, Dizzy Gillepsie, Stan Getz, Max Roach, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Nancy Wilson, Rachelle Ferrell et tant d’autres Dave Brubeck ou Sonny Rollins, tous ces géants du jazz, sont-ils venus briller, en leur temps, dans cette étroite ruelle du très charmant quartier de Georgetown à Washington D.C., au 1073 Wisconsin Avenue.

Blues Alley Jazz ClubGeorgetown section of Washington DC

Ce mercredi 3 janvier 1996, celle qui vient de brancher sa guitare électrique sur la scène n’est pas connue, ou si peu, et le plus souvent par ses collègues musiciens.

Eva Cassidy sur le seuil du Blues Alley – janvier 1996

Elle a rassemblé ses économies pour louer un car-régie afin d’enregistrer en « live », depuis ce lieu mythique, son premier CD.
Elle avait envisagé de mener son enregistrement public sur deux jours, mais le travail de la veille n’a pu être conservé. Elle n’en gardera que très peu de choses.
Ce mercredi elle ne doit absolument pas se louper. Alors elle fera fi du rhume qui par instant dérange sa voix, et le gracieux ange blond fera son entrée vêtue d’une chaude veste d’homme trop large pour elle, de bas épais et d’une paire de bottines.

Et puis elle a chanté. Blues, soul, gospel, folk : époustouflant éclectisme vocal !
On n’aura pas à consulter les archives du Blues Alley pour se souvenir de son nom.

L’album « Live at Blues Alley » est sorti le 20 mai 1996. Le succès l’attendait.
Dans les mois qui suivirent Eva développa un mélanome foudroyant qui a eu raison de son courage. Le 2 novembre, la maladie emportait un ange blond de 34 ans qui n’aurait sacrifié pour aucun award une longue balade en vélo.

Il souffle toujours dans la région du cœur un triste vent froid de fin d’automne quand on écoute Eva Cassidy.

Autumn leaves

You’ve changed

Tu as changé :
Cette étincelle dans ton œil a disparu
Ton sourire est devenu un rictus insouciant.
Tu me brises le cœur.
Tu as changé.

Tu as changé :
Tes baisers sont si indifférents,
Tu t’ennuies toujours avec moi,
Je ne comprends pas.

Tu as changé :
Tu as oublié les « Je t’aime »

Et tous nos tendres souvenirs,
Tu ignores toutes les étoiles qui nous regardent.
Comment imaginer que tu les aies une fois contemplées ?

Tu as changé :
Tu n’es plus l’ange que j’ai un jour connu.
Inutile de me dire qu’on est passé à côté.
C’est fini maintenant.

Tu as changé :
Tu ne sais plus dire « Je t’aime »
Tu as effacé tous nos moments heureux.
Tu ignores chaque étoile qui nous regarde
si une fois tu les as contemplées.

Tu as changé :
Tu n’es plus l’ange que j’ai connu
Pas besoin de me dire qu’on est passé à côté
Tout est fini maintenant.
Tu as changé !

En mai 2014, un hommage à Eva Cassidy sur "Perles d'Orphée" : 
"I miss you Eva !"

Joyeux Noël, petite fille…!

Joyeux Noël, petite fille !

N’oublie jamais que le bonheur est peu de chose : « Juste du chagrin qui se repose ».

Dilution

Parfois les mots viennent tout seuls presque, comme les feuilles
aux arbres –
bien sûr, les racines, invisibles, la terre, le soleil, l’eau ont aidé
à cela,
et aussi les feuilles pourries du passé. Les idées, plus tard,
viennent facilement par-dessus, comme sur les feuilles les araignées,
la poussière
et les gouttes de rosée scintillant d’une lumière équivoque.
Sous les feuilles une petite fille éventre sa poupée nue ;
une goutte de rosée tombe sur ses cheveux ; elle lève la tête, elle
ne voit rien ;
et seulement cette transparence froide de la goutte, diluée dans
son corps entier

Yannis Ritsos

(« Gestes ». Traduit par Chrysa Prokopaki et Antoine Vitez – Les Éditeurs Français Réunis, 1974)

Picasso - Maya à la poupée - 1938
Picasso – Maya à la poupée – 1938

Sit there and count your fingers
What can you do ?
Old girl you’re through
Sit there, count your little fingers
Unhappy little girl blue

Sit there and count the raindrops
Falling on you
It’s time you knew
All you can ever count on
Are the raindrops
That fall on little girl blue…

L’arbre de l’oubli

Dante, pourquoi dis-tu qu’il n’est pire misère
Qu’un souvenir heureux dans les jours de douleur ?
Quel chagrin t’a dicté cette parole amère,
Cette offense au malheur ?

Alfred de Musset (« Souvenir »)

Arbre étrangeComme il est bon, quand la vie, parfois, décide de faire la mauvaise tête,  voire, certains jours, de nous bousculer un peu fort du côté du cœur,  d’aller se réfugier sous « l’arbre de l’oubli ».

Là, au moment apaisé où nos paupières s’abandonnent, il n’est pas rare qu’une petite mélodie toute simple, mais si douce, vienne tournoyer autour de nos chagrins. Les branches, même dépouillées par les vents froids de l’hiver, la gringottent pour nous. Comme les cordes de mille guitares leurs brindilles desséchées donnent la sérénade à l’âme alanguie.

Une invite à l’oubli !

Alberto Ginastera (argentine 1916-1983) – transcription pour deux guitares d’une Milonga (Canción al árbol del olvido) composée initialement pour piano.

Mais, soyons vigilants, car il arrive quelquefois, sous cet arbre, que l’on oublie d’oublier.

Poésie de Fernán Silva Valdés (Argentine 1887-1975)

Sur ma terre il y a un arbre
Qui s’appelle l’arbre de l’oubli
Où vont se consoler,
Petite vie,
Les moribonds de l’âme.

Pour ne pas penser à toi,
Sous l’arbre de l’oubli
Je me suis couché une nuit,
Petite vie,
Et je m’y suis bien endormi.

Et au sortir de mon rêve,
Une fois encore je pensais à toi,
Car j’ai oublié de t’oublier,
Petite vie,
Quand je me suis couché…

En mi pago hay un árbol,
Que del olvido se llama,
Donde van a consolarse
Vidalita,
Los moribundos del alma.

Para no pensar en vos,
En el árbol del olvido,
Me acosté una nochecita,
Vidalita,
Y me quedé bien dormido.

Al despertar de aquel sueño
Pensaba en vos otra vez,
Pues me olvidé de olvidarte,
Vidalita,
En cuantito me acosté.

Un air de valse ancienne…

Ô que c’est long d’aimer sans voir ce que l’on aime…
De caresser une ombre et de sourire au mur
Et de s’interroger si l’Autre fait de même
Et se sent dans le cœur je ne sais quel fruit mûr
Qui crève de tristesse et d’espérance extrême.

Paul Valery

Paul Valéry
Corona & Coronilla (Editions de Fallois – P. 147)

Edward Munch (1863-1944) - Separation
Edward Munch (1863-1944) – Separation

En chaque homme résonne, toujours recommencée, la plainte d’Orphée. Cri d’amour, désespéré, désespérant, venu du gouffre de la solitude infligée, cri de détresse d’un cœur qu’on divise, qu’on arrache à lui-même.

Parfois, quand, l’espace d’un souffle, sa poitrine endigue son sanglot, une mélodie inattendue ouvre un chemin vers un vieux souvenir. Ô la tendre nostalgie des sourires perdus ! Le scintillement mouillé d’une lueur d’espérance !

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