Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Voilà le monde parfumé
Plein de rires, plein d’oiseaux bleus…
‘A tous les enfants’
dit par Jean-Louis Trintignant – Illustration musicale : Daniel Mille (bandonéon)
A tous les enfants Qui sont partis le sac au dos Par un brumeux matin d’avril Je voudrais faire un monument
A tous les enfants Qui ont pleuré le sac au dos Les yeux baissés sur leurs chagrins Je voudrais faire un monument Pas de pierre, pas de béton Ni de bronze qui devient vert Sous la morsure aiguë du temps Un monument de leur souffrance Un monument de leur terreur Aussi de leur étonnement Voilà le monde parfumé Plein de rires, plein d’oiseaux bleus Soudain griffé d’un coup de feu Un monde neuf où sur un corps Qui va tomber Grandit une tache de sang
Mais à tous ceux qui sont restés Les pieds au chaud sous leur bureau En calculant le rendement De la guerre qu’ils ont voulue A tous les gras tous les cocus Qui ventripotent dans la vie Et comptent comptent leurs écus A tous ceux-là je dresserai Le monument qui leur convient Avec la schlague, avec le fouet Avec mes pieds avec mes poings Avec des mots qui colleront Sur leurs faux-plis sur leurs bajoues Des marques de honte et de boue.
Boris Vian 1920-1959
in Chansons (1954-1959)
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‘A tous les enfants’
Chanté par Catherine Sauvage sur la musique de Claude Vence
Philippe II d’Espagne est au comble du désespoir. Trahi et humilié. Il vient de trouver une correspondance secrète entre son fils Don Carlos et son épouse Elisabeth de Valois qui ne laisse aucun doute sur la profondeur de leurs sentiments réciproques.
Rongé par la jalousie il doute que sa jeune épouse française ait eu un jour quelque sentiment pour le vieux monarque qu’il est. Persuadé qu’elle ne l’a jamais aimé, il ronge son malheur dans la solitude de son bureau.
Giuseppe Verdi, au quatrième acte de son grand opéra à la française, Don Carlo – écrit à partir de la pièce éponyme de Schiller –, confie à la noble autorité d’une voix de basse le désespoir du Roi, qu’il introduit par un profond préambule dramatique au violoncelle.
Un des plus émouvants monologues masculins des scènes d’opéra !
« Ella giammai m’amò… »
Michele Pertusi (Basse)
Direction : Juraj Valčuha Teatro SAN CARLO de Naples
Acte IV – Scène 1
Philippe II – Roi d’Espagne
Elle ne m’a jamais aimé ! Non, son cœur m’est fermé, elle n’a aucun amour pour moi !
Je la revois encore, toisant en silence mes cheveux blancs, le jour qu’elle arriva de France. Non, elle n’a aucun amour pour moi !
Où suis-je ? Ces flambeaux sont consumés… L’aurore blanchit ma fenêtre. Voici déjà le jour ! Je vois ma vie lentement s’écouler. Le sommeil, ô Dieu, a fui ma paupière épuisée !
Je ne pourrai dormir dans mon manteau royal, qu’à mon dernier instant, alors je dormirai seul sous les voûtes noires des caveaux de l’Escurial !
Si la couronne royale me donnait le pouvoir de lire au fond des cœurs
où Dieu seul peut tout voir !
Quand le prince dort, le traître veille ; la couronne perd le Roi et l’époux son honneur !
Je ne pourrai dormir dans mon manteau royal…
Ah ! Si la royauté nous donnait le pouvoir de lire au fond des cœurs !
Elle ne m’a jamais aimé ! non !
Son cœur m’est fermé, elle ne m’a jamais aimé !
Au centre du poème il y a un autre poème, au centre du centre il y a une absence, au centre de l’absence il y a mon ombre.
Alejandra Pizarnik
Cendres
Nous avons dit des paroles, des paroles pour réveiller les morts, des paroles pour faire un feu, des paroles pour pouvoir nous asseoir et sourire.
Nous avons créé le sermon de l’oiseau et de la mer, le sermon de l’eau, le sermon de l’amour.
Nous nous sommes agenouillés et avons adoré de longues phrases comme le soupir de l’étoile, des phrases comme des vagues des phrases comme des ailes.
Nous avons inventé de nouveaux noms pour le vin et pour le rire, pour les regards et leurs terribles chemins.
Moi à présent je suis seul(e) – comme l’avare délirant(e) sur sa montagne d’or – et je lance des paroles vers le ciel mais je suis seul(e) et je ne peux dire à mon aimée ces paroles qui me font vivre.
Alejandra Pizarnik 1936-1972
Las aventuras perdidas (1958) – Œuvres (Ypsilon, 2022) – Traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville…
‘Stormy Weather’
Je ne sais pas pourquoi il n’y a pas de soleil dans le ciel Sale temps Puisque mon homme et moi sommes séparés Il pleut tout le temps La vie est nue, sombre et malheureuse partout Sale temps Je ne peux juste pas me ressaisir, Je suis tout le temps fatiguée Si fatiguée tout le temps Quand il est parti, le blues est entré en moi et s’est installé S’il ne revient pas, la vieille chaise à bascule aura ma peau Tout ce que je fais, c’est prier le Seigneur d’en haut qu’il me laisse marcher une fois de plus au soleil. Je ne peux pas continuer, j’ai perdu tout ce que j’avais Sale temps Depuis que mon homme et moi sommes séparés, La pluie ne cesse de tomber
Don’t know why there’s no sun up in the sky Stormy weather Since my man and I ain’t together, Keeps rainin’ all the time Life is bare, gloom and mis’ry everywhere Stormy weather Just can’t get my poorself together, I’m weary all the time So weary all the time When he went away the blues walked in and met me. If he stays away old rockin’ chair will get me. All I do is pray the Lord above will let me walk in the sun once more. Can’t go on, ev’ry thing I had is gone Stormy weather Since my man and I ain’t together, Keeps rainin’ all the time
Encore une année allègrement partagée avec vous tous qui continuez de me faire l’honneur et le plaisir de venir de tous les coins du monde feuilleter, parfois apprécier et même commenter, les pages de ce journal intime ouvert à tous qu’est mon blog historique « Perles d’Orphée », prolongé et ‘relevé’, en vérité, depuis quelques années par « De Braises et d’Ombre ».
Merci pour vos nombreuses visites ainsi que pour la bienveillance et la mansuétude qui les accompagnent toujours ! … Et une pensée profonde pour tous ceux que la vie a décidé de priver de ce partage.
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Ce ne sont pas les arts, comme tels, qui nous délivrent de la mélancolie : ils ne peuvent que s’y prêter, ils l’exacerbent. C’est à la poésie qu’il revient de nous guider hors de ce continent « où la folie rôde ». Bien qu’il faille penser aussi, mais cela n’a pas d’importance, que le voyage sera sans fin.
Yves Bonnefoy
Pour saluer cet anniversaire et nous exhorter à continuer cet interminable voyage, les poètes se sont précipités, nombreux, nombreux, tous habillés de leur plus beau costume d’Orphée… Tous, brandissant leur lyre, affirmaient avec Philippe Jaccottet que la « poésie n’est qu’une voix donnée à la mort ».
Borges, distinguant à peine la porte, la poussa d’un coup de canne…
Je ne serai plus heureux. Est-ce important ? Il y a tant d’autres choses dans le monde ; Un instant quelconque est plus profond Et divers que la mer. La vie est brève Et même si les heures sont très longues, une Obscure merveille nous guette, La mort, cette autre mer, cette autre flèche Qui nous libère du soleil et de la lune Et de l’amour. Le bonheur que tu m’offris Et que tu repris doit s’effacer ; Ce qui était tout doit devenir rien. Il ne me reste que le goût d’être triste, Cette vaine habitude qui me conduit Au Sud, à certaine porte, à certaine rue.
Jorge-Luis Borges (1899-1986)
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Extrait de « Poèmes d’amour » (NRF / Gallimard 2014)
Joseph-Michel-Ange Pollet (1854) – Achille et Deidamie
Même si elle l’a rencontré au gynécée de son père, roi de Skyros, déguisé en fillette, et courtisé par Ulysse cherchant à le démasquer, Deidamie n’ignore pas que son amant est bien Achille, le héros destiné à sauver Troie assiégée.
Comment ne pas compatir à la tristesse de cette jeune princesse meurtrie lorsqu’elle apprend qu’il va la quitter pour défendre sa patrie alors que les oracles ont prédit la mort du héros au combat ? Comment ne pas partager la véhémence de sa colère, s’imaginant ainsi trahie ?
La voici justement, au comble de l’émotion, convaincante à l’extrême, sous les traits charmants et par la voix exceptionnelle de Jeanine de Bique, à cet instant de l’Acte III du dernier opéra italien de Haendel (1741), exprimant, et de quelle merveilleuse manière, son désespoir (largo) et son courroux (allegro).
N’en doutons pas, touché au coeur, Achille l’épousera avant son départ pour Troie.
M’hai resa infelice: che vanto n’avrai? Oppressi, dirai, un’alma fedel.
Le vele se darai de’ flutti al seno infido, sconvolga orribil vento l’instabil elemento, e innanzi al patrio lido sommèrgati, crudel.
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Tu m’as rendue malheureuse t’en vanteras-tu ? Persécuteur d’une âme fidèle.
Quand vers un traître sein te porteront tes voiles, que d’horribles tempêtes déchainent les flots houleux, et près de tes rivages qu’ils te submergent, cruel !
Le 2 mars 1939, Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz s’effondrait mortellement, après s’être fâché contre son canari, qui ne voulait pas rentrer dans sa cage. Le médecin conclura à une embolie. Sur sa tombe, au cimetière de Fontainebleau, ses amis feront graver ces mots : «Poète et métaphysicien». Pour un petit cercle de lettrés, un grand écrivain disparaissait, sans avoir été reconnu comme il l’aurait dû, et qui aura souffert toute sa vie d’une «excommunication» décrétée par l’influent André Gide.
Je suis un grand jardin de novembre, un jardin éploré Où grelottent les abandonnés du vieux faubourg ; Où la couleur misérable des brumes dit : Toujours ! Où le battement des fontaines est le mot : Jamais… — Autour d’un buste ridicule qui médite, (Marie, tu dors, ton moulin va trop vite), Tourne la ronde des désespoirs du vieux faubourg.
Entendez-vous la ronde qui pleure, dans le jardin noyé De brume aveugle, au fond du vieux faubourg ? Pauvres amitiés mortes, burlesques amours oubliées, O vous les mensonges d’un soir, ô vous les illusions d’un jour, Autour du buste ridicule qui médite, (Marie, tu dors, ton moulin va trop vite), Venez danser la ronde noire du vieux faubourg.
La brume a tout mangé, rien n’est gai, rien n’irrite, Le rêve est aussi creux que la réalité. Mais dans le parc où vous avez connu l’été La ronde, la ronde immense tourne, tourne toujours, Amis que l’on remplace, amantes que l’on quitte… (Marie, tu dors, ton moulin va trop vite…) Je suis un grand jardin de novembre, au fond d’un vieux faubourg.
Je me laissais glisser vers l’hiver tout me semblait facile je n’étais qu’un mendiant dessous les porches verts jamais tu n’aurais dû t’asseoir si près de moi Je sais bien tu as froid je le savais déjà à regarder tes yeux à deviner ta vie que tu le veuilles ou non que je le veuille ou non tu danses dans mes nuits mes jours deviennent nuits pour rêver plus longtemps et je nage éveillé dans ton visage-pluie Je ne dirai plus rien et pas même ton nom mais ne va pas trop loin surtout ne dis pas non et reste donc pour moi comme un printemps fragile Sur ta poitrine douce des saisons impossibles jamais sur ton épaule ne s’useront mes lèvres jamais je ne prendrai ton regard dans mes mains Une feuille de neige cicatrise ton ventre je déchire les jours pour t’en faire un manteau
Tu n’es pas tout à fait la misère,
Car les lèvres les plus pauvres te dénoncent
Par un sourire.
Paul Eluard
Ψ
Triste é viver na solidão Na dor cruel de uma paixão Triste é saber que ninguém Pode viver de ilusão Que nunca vai ser, nunca vai dar O sonhador tem que acordar
Sua beleza é um avião Demais p’rum pobre coração Que para pra te ver passar Só pra me maltratar Triste é viver na solidão.
Il est triste de vivre dans la solitude Dans la douleur cruelle d’une passion Il est triste de savoir que personne Ne peut vivre d’illusions Que cela ne sera jamais, ça ne marchera jamais Le rêveur doit se réveiller
Ta beauté est un avion Trop belle pour un pauvre cœur Qui s’arrête pour te voir passer Juste pour se flageller Il est triste de vivre dans la solitude.
A quelques exceptions près, tous les musiciens qui ont compté dans l’histoire du jazz depuis l’ouverture du Blues Alley Jazz Club en 1965 se sont produits sur sa scène légendaire.
Il faudrait faire ouvrir les archives du club pour n’oublier personne, mais d’un trait de mémoire rapide on peut citer quelques noms dont la notoriété s’est échappée depuis belle lurette de l’univers feutré des aficionados du jazz :
Ainsi, Oscar Peterson, Charlie Mingus, Stanley Jordan, Dizzy Gillepsie, Stan Getz, Max Roach, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Nancy Wilson, Rachelle Ferrell et tant d’autres Dave Brubeck ou Sonny Rollins, tous ces géants du jazz, sont-ils venus briller, en leur temps, dans cette étroite ruelle du très charmant quartier de Georgetown à Washington D.C., au 1073 Wisconsin Avenue.
Blues Alley Jazz Club – Georgetown section of Washington DC
Ce mercredi 3 janvier 1996, celle qui vient de brancher sa guitare électrique sur la scène n’est pas connue, ou si peu, et le plus souvent par ses collègues musiciens.
Eva Cassidy sur le seuil du Blues Alley – janvier 1996
Elle a rassemblé ses économies pour louer un car-régie afin d’enregistrer en « live », depuis ce lieu mythique, son premier CD.
Elle avait envisagé de mener son enregistrement public sur deux jours, mais le travail de la veille n’a pu être conservé. Elle n’en gardera que très peu de choses.
Ce mercredi elle ne doit absolument pas se louper. Alors elle fera fi du rhume qui par instant dérange sa voix, et le gracieux ange blond fera son entrée vêtue d’une chaude veste d’homme trop large pour elle, de bas épais et d’une paire de bottines.
Et puis elle a chanté. Blues, soul, gospel, folk : époustouflant éclectisme vocal !
On n’aura pas à consulter les archives du Blues Alley pour se souvenir de son nom.
L’album « Live at Blues Alley » est sorti le 20 mai 1996. Le succès l’attendait.
Dans les mois qui suivirent Eva développa un mélanome foudroyant qui a eu raison de son courage. Le 2 novembre, la maladie emportait un ange blond de 34 ans qui n’aurait sacrifié pour aucun award une longue balade en vélo.
Il souffle toujours dans la région du cœur un triste vent froid de fin d’automne quand on écoute Eva Cassidy.
Autumn leaves
You’ve changed
Tu as changé : Cette étincelle dans ton œil a disparu Ton sourire est devenu un rictus insouciant. Tu me brises le cœur. Tu as changé.
Tu as changé : Tes baisers sont si indifférents, Tu t’ennuies toujours avec moi, Je ne comprends pas.
Tu as changé : Tu as oublié les « Je t’aime » Et tous nos tendres souvenirs, Tu ignores toutes les étoiles qui nous regardent. Comment imaginer que tu les aies une fois contemplées ?
Tu as changé : Tu n’es plus l’ange que j’ai un jour connu. Inutile de me dire qu’on est passé à côté. C’est fini maintenant.
Tu as changé : Tu ne sais plus dire « Je t’aime » Tu as effacé tous nos moments heureux. Tu ignores chaque étoile qui nous regarde si une fois tu les as contemplées.
Tu as changé : Tu n’es plus l’ange que j’ai connu Pas besoin de me dire qu’on est passé à côté Tout est fini maintenant. Tu as changé !
En mai 2014, un hommage à Eva Cassidy sur "Perles d'Orphée" :
"I miss you Eva !"
N’oublie jamais que le bonheur est peu de chose : « Juste du chagrin qui se repose ».
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Dilution
Parfois les mots viennent tout seuls presque, comme les feuilles aux arbres – bien sûr, les racines, invisibles, la terre, le soleil, l’eau ont aidé à cela, et aussi les feuilles pourries du passé. Les idées, plus tard, viennent facilement par-dessus, comme sur les feuilles les araignées, la poussière et les gouttes de rosée scintillant d’une lumière équivoque. Sous les feuilles une petite fille éventre sa poupée nue ; une goutte de rosée tombe sur ses cheveux ; elle lève la tête, elle ne voit rien ; et seulement cette transparence froide de la goutte, diluée dans son corps entier
Yannis Ritsos
(« Gestes ». Traduit par Chrysa Prokopaki et Antoine Vitez – Les Éditeurs Français Réunis, 1974)
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Picasso – Maya à la poupée – 1938
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Sit there and count your fingers What can you do ? Old girl you’re through Sit there, count your little fingers Unhappy little girl blue
Sit there and count the raindrops Falling on you It’s time you knew All you can ever count on Are the raindrops That fall on little girl blue…
Dante, pourquoi dis-tu qu’il n’est pire misère
Qu’un souvenir heureux dans les jours de douleur ?
Quel chagrin t’a dicté cette parole amère,
Cette offense au malheur ?
Alfred de Musset (« Souvenir »)
Comme il est bon, quand la vie, parfois, décide de faire la mauvaise tête, voire, certains jours, de nous bousculer un peu fort du côté du cœur, d’aller se réfugier sous « l’arbre de l’oubli ».
Là, au moment apaisé où nos paupières s’abandonnent, il n’est pas rare qu’une petite mélodie toute simple, mais si douce, vienne tournoyer autour de nos chagrins. Les branches, même dépouillées par les vents froids de l’hiver, la gringottent pour nous. Comme les cordes de mille guitares leurs brindilles desséchées donnent la sérénade à l’âme alanguie.
Une invite à l’oubli !
Alberto Ginastera (argentine 1916-1983) – transcription pour deux guitares d’une Milonga (Canción al árbol del olvido) composée initialement pour piano.
Mais, soyons vigilants, car il arrive quelquefois, sous cet arbre, que l’on oublie d’oublier.
Poésie de Fernán Silva Valdés (Argentine 1887-1975)
Sur ma terre il y a un arbre
Qui s’appelle l’arbre de l’oubli
Où vont se consoler,
Petite vie,
Les moribonds de l’âme.
Pour ne pas penser à toi,
Sous l’arbre de l’oubli
Je me suis couché une nuit,
Petite vie,
Et je m’y suis bien endormi.
Et au sortir de mon rêve,
Une fois encore je pensais à toi,
Car j’ai oublié de t’oublier,
Petite vie,
Quand je me suis couché…
En mi pago hay un árbol, Que del olvido se llama, Donde van a consolarse Vidalita, Los moribundos del alma.
Para no pensar en vos, En el árbol del olvido, Me acosté una nochecita, Vidalita, Y me quedé bien dormido.
Al despertar de aquel sueño Pensaba en vos otra vez, Pues me olvidé de olvidarte, Vidalita, En cuantito me acosté.
Ô que c’est long d’aimer sans voir ce que l’on aime…
De caresser une ombre et de sourire au mur
Et de s’interroger si l’Autre fait de même
Et se sent dans le cœur je ne sais quel fruit mûr
Qui crève de tristesse et d’espérance extrême.
Paul Valéry Corona & Coronilla (Editions de Fallois – P. 147)
Edward Munch (1863-1944) – Separation
En chaque homme résonne, toujours recommencée, la plainte d’Orphée. Cri d’amour, désespéré, désespérant, venu du gouffre de la solitude infligée, cri de détresse d’un cœur qu’on divise, qu’on arrache à lui-même.
Parfois, quand, l’espace d’un souffle, sa poitrine endigue son sanglot, une mélodie inattendue ouvre un chemin vers un vieux souvenir. Ô la tendre nostalgie des sourires perdus ! Le scintillement mouillé d’une lueur d’espérance !