Maintenant assis…

On entre dans la poésie de Marie Uguay comme on marche sur une plage du Québec en novembre, la beauté du décor figée dans une saison à venir ou révolue selon l’œil qui l’observe.

Sébastien Veilleux – ‘Marie Uguay : L’immortelle‘ (30/08/2021)
in ‘Les libraires’ (revue littéraire québécoise)

Maintenant nous sommes assis

maintenant nous sommes assis à la grande terrasse
où paraît le soir et les voix parlent un langage inconnu
de plus en plus s’efface la limite entre le ciel et la terre
et surgissent du miroir de vigoureuses étoiles
calmes et filantes

plus loin un long mur blanc
et sa corolle de fenêtres noires

ton visage a la douceur de qui pense à autre chose
ton front se pose sur mon front
des portes claquent des pas surgissent dans l’écho
un sable léger court sur l’asphalte
comme une légère fontaine suffocante

en cette heure tardive et gisante
les banlieues sont des braises d’orange

tu ne finis pas tes phrases
comme s’il fallait comprendre de l’œil
la solitude du verbe
tu es assis au bord du lit
et parfois un grand éclair de chaleur
découvre les toits et ton corps

Marie Uguay 1955-1981

 

 

 

 

 

Marie Uguay est une poétesse québécoise emportée très tôt, à l'âge de 26 ans, par un cancer des os. Elle n'aura eu que le temps de publier deux recueils - 'Signe et rumeur' (1976) et 'L’outre-vie' (1979) ; le troisième, 'Autoportraits' (1982), ne sera publié qu'à titre posthume.

Pour en savoir plus sur cette attachante poétesse montréalaise, lire le bel article que lui a consacré le 30/08/2021 Sébastien Veilleux dans la revue littéraire québécoise 'Les libraires': 

                     'Marie Uguay : L’immortelle'   

 

Ma manière de t’aimer

Voici une douce ballade que j’aurais volontiers chantée au Paris que j’ai tant aimé jadis, lorsque cette bien jolie touriste n’était encore que le projet de ses parents et la caméra super 8 vintage qu’elle utilise aujourd’hui une formidable nouveauté technologique.

Sauver Paris, c’est plus que sauver la France, c’est sauver le monde.

… Moi qui chaque jour, depuis des années, sur les marches de la Butte Montmartre, glisse mes pas sur les traces qu’ont laissées tant de vos illustres pairs, je dois vous dire, cher Victor Hugo, que si votre remarque est avérée, je crains fort pour le sort du monde.

Puissent ses transformations ne s’inspirer jamais de notre Paris d’aujourd’hui… !

O tempora, o mores !

Passenger chante

« The Way That I Love You »

The Way That I Love You

How many times can I tell you
You’re lovely just the way you are
Don’t let the world come and change you
Don’t let life break your heart
.
Don’t put on their mask, don’t wear their disguise
Don’t let them dim the light that shines in your eyes
If only you could love yourself the way that I love you
.
How many times can I say
You don’t have to change a thing
Don’t let the tide wash you away
Don’t let worry ever clip your wings
.
Discard what is fake, keep what is real
Pursue what you love, embrace how you feel
If only you could love yourself the way that I love you
.
And if you ever choose a road that leads nowhere
All alone and you can’t see right from wrong
And if you ever lose yourself out there
Come on home and I’ll sing you this song
.
So how many times can I tell you
You’re lovely just the way you are
Don’t let the world come and change you
Don’t let life break your heart
.
— ¤ —
.

Ma manière de t’aimer

Combien de fois dois-je te le dire
Tu es adorable telle que tu es
Ne laisse pas le monde te transformer
Ne laisse pas la vie briser ton cœur

Ne mets pas leur masque, ne porte pas leur déguisement
Ne les laisse pas voiler la lumière qui brille dans tes yeux
Si seulement tu pouvais t’aimer comme je t’aime

Combien de fois dois-je te le dire
Tu n’as rien à changer
Ne laisse pas la marée t’emporter
Ne laisse jamais l’inquiétude te couper les ailes

Préserve-toi du faux, encourage le vrai
Poursuis ce que tu aimes, rassemble ce que tu ressens
Si seulement tu pouvais t’aimer comme je t’aime

Et si jamais tu choisissais une route qui ne mène nulle part
Toute seule sans distinguer le bon grain de l’ivraie
Et si jamais tu te perdais toi-même là-bas
Viens à la maison et je te chanterai cette chanson

Alors combien de fois dois-je te le dire
Tu es adorable telle que tu es
Ne laisse pas le monde te transformer
Ne laisse pas la vie briser ton cœur

Au fond de la Seine…

Pour être tout à fait dans le ton, ce billet devrait être lu à haute voix, à la manière docte mais chantante et surjouée des animateurs radiophoniques de l’entre-deux guerres. Et, s’il survenait au coin des lèvres, masquer ce sourire narquois.

La voilà enfin votre nouvelle T.S.F. ! Vous allez pouvoir vous régaler avec tous ces programmes que concoctent pour vous les grandes stations de radiodiffusion comme Radio P.T.T., Radio Tour Eiffel, Radio Cité ou Radio Luxembourg, pour ne citer qu’elles.

Vous ne voudriez tout de même pas avoir l’image, en plus ! Nous ne sommes qu’au milieu des années 30 – 1930, évidemment ! – la télévision mécanique montre à peine le bout de son écran : Georges Mandel, ministre des Postes Télégraphe et Téléphone vient tout juste d’assister en Angleterre à une retransmission expérimentale du Derby d’Epsom.

La publicité, elle, n’a pas perdu de temps  et déjà elle n’hésite pas, avec le sans-gêne et l’effronterie qu’on lui connaît, à s’insérer partout, nantie de l’humour raffiné et de l’intelligence brillante dont elle ne cessera de se parer au cours des époques pour élever jusqu’aux sommets les plus hauts les esprits attentifs des auditeurs fascinés. N’est-ce pas ?

Par exemple :

Mais, s’il vous plaît, pas de précipitation, ne jetez pas trop vite votre poste de radio au fond de la Seine ; elle contient déjà tant de choses. Choisissez plutôt la bonne fréquence et montez un peu le son : en ce moment Lys Gauty dresse avec sa gouaille particulière et sur le ton de la chanson réaliste en vogue, l’inventaire des trésors et des secrets que recèlent les eaux de notre Seine nationale.

La liste poétique en est établie par Maurice Magre et la musique est composée par Kurt Weill.

Et en prime vous aurez même droit à quelques images d’époque…

« Complainte de la Seine »

Complainte de la Seine (1934)

Au fond de la Seine, il y a de l’or
Des bateaux rouillés, des bijoux, des armes.
Au fond de la Seine, il y a des morts.
Au fond de la Seine, il y a des larmes.

Au fond de la Seine, il y a des fleurs,
De vase et de boue elles sont nourries.
Au fond de la Seine, il y a des cœurs
Qui souffrirent trop pour vivre la vie.

Et puis les cailloux et des bêtes grises,
L’âme des égouts soufflant des poisons,
Des anneaux jetés par des incomprises,
Des pieds qu’une hélice a coupés du tronc.

Et les fruits maudits des ventres stériles,
Les blancs avortés que nul n’aima,
Les vomissements de la grande ville,
Au fond de la Seine il y a cela.

Ô Seine clémente où vont les cadavres
Au lit dont les draps sont faits de limon.
Fleuve des déchets sans fanal ni havre,
Chanteuse berçant la morgue et les ponts.

Accueille le pauvre, accueille la femme
Accueille l’ivrogne, accueille le fou,
Mêle leurs sanglots au bruit de tes larmes
Et porte leur cœur parmi les cailloux.

Au fond de la Seine, il y a de l’or,
Des bateaux rouillés, des bijoux, des armes.
Au fond de la Seine, il y a des morts.
Au fond de la Seine, il y a des larmes.

Les eaux de mon été – 4/ La Seine a rencontré Paris

À Paris – Au souvenir de ma jeunesse

Crépuscule sur Notre-Dame de Paris – Photo : serialpictures.fr

Toi, Seine, tu n’as rien. Deux quais, et voilà tout,
Deux quais crasseux, semés de l’un à l’autre bout
D’affreux bouquins moisis et d’une foule insigne
Qui fait dans l’eau des ronds et qui pêche à la ligne
Oui, mais quand vient le soir, raréfiant enfin
Les passants alourdis de sommeil et de faim,
Et que le couchant met au ciel des taches rouges,
Qu’il fait bon aux rêveurs descendre de leurs bouges
Et, s’accoudant au pont de la Cité, devant
Notre-Dame, songer, cœur et cheveux au vent !  …

Verlaine – « Nocturne parisien »

Je ne sais, ne sais, ne sais pas pourquoi
On s’aime comme ça, la Seine et moi…

Mathieu Chedid & Vanessa Paradis (« La Seine » 2011)

Baignade – La Seine 1930

Qui est là
Toujours là dans la ville
Et qui pourtant sans cesse arrive
Et qui pourtant sans cesse s’en va

C’est un fleuve
répond un enfant
un devineur de devinettes
Et puis l’œil brillant il ajoute
Et le fleuve s’appelle la Seine
Quand la ville s’appelle Paris
et la Seine c’est comme une personne
Des fois elle court elle va très vite
elle presse le pas quand tombe le soir
Des fois au printemps elle s’arrête
et vous regarde comme un miroir
et elle pleure si vous pleurez
ou sourit pour vous consoler
et toujours elle éclate de rire
quand arrive le soleil d’été…

Jacques Prévert

« La Seine a rencontré Paris » – « Choses et autres » – Gallimard

 

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Montmartre / Sacré-Cœur — La Seine / Notre-Dame
Sans escale !

Voilà, si j’en avais eu un, ce que j’aurais pu inscrire en lettres fluo sur les flancs de mon pousse-pousse dernier cri — comme ceux qu’on trouve désormais rassemblés en troupeaux autour de la pyramide du Louvre — invitant le touriste à fuir la chaleur des sommets pour la brise des berges.

Rue descendant du Sacré-Cœur – Photo : Roman Betík et StillGlimmers.com (2011)

Pas d’effort, un petit coup de pédale en haut de la rue Saint-Vincent  pour amorcer la descente, et on laisse filer… Un clin d’œil plus tard et 128 mètres de dénivelé plus bas, nous voici sous les tours de Notre-Dame, au bord de la Seine.

La Seine, oui, la Seine, courtisane, amante, espiègle, indifférente, confidente, meurtrière et victime, angélique et perverse, la Seine, terriblement humaine, qui a rencontré Paris, comme l’affirme le poète. La Seine et… ses eaux de mon été.

Si, dans mon baluchon pour l’île déserte où je ne manquerai pas de finir mes jours, je devais ne mettre qu’un seul poème qui soit dédié à la Seine — et il y en a tant — je choisirai sans doute ce long hommage que lui adresse Jacques Prévert, avec les mots simples qu’on lui connaît : « La Seine a rencontré Paris ».

Après avoir donné, pour parler de ce fleuve qu’il aimait tant, la parole à ces parisiens qui quotidiennement le côtoient, un enfant, « devineur de devinettes », une amoureuse, un pilote de remorqueur, à un passant guindé, « désabusé », qui ose traiter la Seine — crime de lèse-majesté — de « fleuve comme un autre », le poète s’octroie la conclusion sur « sa petite rivière à [lui] » en une tendre tirade sur le ton gouailleur, entre deux gorgeons, d’un « seigneur des berges ». Une bien sincère déclaration d’amour.

Cette vidéo représente les trois dernières minutes d’un superbe court-métrage réalisé par le cinéaste néerlandais Joris Ivens, en 1957, intitulé, comme le poème de Prévert, « La Seine a rencontré Paris ». Le titre n’a évidemment pas été choisi au hasard.

Pour illustrer le poème, le réalisateur promène sa caméra sur le fleuve afin de saisir, au fil du courant et au fil des vers, toute la diversité des images de la vie qu’engendre la présence de cette eau mythique.

C’est un profond régal empreint d’une certaine nostalgie que de se laisser glisser sur la Seine à travers le Paris populaire d’une époque révolue pour partager un instant, en noir et blanc, le dur labeur d’un marinier ou d’un docker, la franche et naïve gaité d’un enfant heureux de se baigner ou la flânerie romantique d’un couple venu, le soir tombé, abriter son amour derrière les murs d’un quai.

Joris Ivens (1898-1989)

Pour que la balade soit inoubliable — et elle l’est —,  Joris Ivens a choisi de faire dire le texte par Serge Reggiani.
Il a confié les images à André Dumaître qui a prêté son œil talentueux à des réalisateurs tels que, entre autres, Le Chanois, Allégret, Becker, Clouzot.
Pour la partition musicale il a fait appel à l’art subtil de ce compositeur, Philippe-Gérard, décédé il y a peu, dont les musiques ont fait les beaux jours d’Édith Piaf, Yves Montand, Jeanne Moreau ou Juliette Gréco, pour ne citer qu’eux.

Des acteurs ? Pas un seul !

« Il n’y a pas d’acteurs dans ce film, simplement des hommes, des femmes et des enfants qui aiment la Seine. »  (Exergue)

La merveilleuse sensibilité qui émane de ce documentaire provient, à n’en pas douter, de la formidable synergie des talents qui ont participé à sa réalisation. Mais il me semble qu’une telle conjonction de mérites ne saurait suffire à elle seule à gagner pareille hauteur sans la magie créatrice d’une profonde sincérité partagée.

La réalisation ne pouvait qu’émouvoir le jury du Festival de Cannes 1958, autant qu’elle nous touche encore aujourd’hui malgré quelques inévitables rides, soixante années plus tard. Le palmarès ne se fit donc pas attendre, le Grand Prix du court-métrage, cette année-là, fut attribué à :

« La Seine a rencontré Paris »

Le court-métrage version intégrale

—    Ouf ! Bonne nouvelle ! Il paraît que désormais, sur les îles désertes, on peut visionner les vidéos.