Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
On entre dans la poésie de Marie Uguay comme on marche sur une plage du Québec en novembre, la beauté du décor figée dans une saison à venir ou révolue selon l’œil qui l’observe.
maintenant nous sommes assis à la grande terrasse où paraît le soir et les voix parlent un langage inconnu de plus en plus s’efface la limite entre le ciel et la terre et surgissent du miroir de vigoureuses étoiles calmes et filantes
plus loin un long mur blanc et sa corolle de fenêtres noires
ton visage a la douceur de qui pense à autre chose ton front se pose sur mon front des portes claquent des pas surgissent dans l’écho un sable léger court sur l’asphalte comme une légère fontaine suffocante
en cette heure tardive et gisante les banlieues sont des braises d’orange
tu ne finis pas tes phrases comme s’il fallait comprendre de l’œil la solitude du verbe tu es assis au bord du lit et parfois un grand éclair de chaleur découvre les toits et ton corps
Marie Uguay 1955-1981
Marie Uguay est une poétesse québécoise emportée très tôt, à l'âge de 26 ans, par un cancer des os. Elle n'aura eu que le temps de publier deux recueils - 'Signe et rumeur' (1976) et 'L’outre-vie' (1979) ; le troisième, 'Autoportraits' (1982), ne sera publié qu'à titre posthume.
Pour en savoir plus sur cette attachante poétesse montréalaise, lire le bel article que lui a consacré le 30/08/2021 Sébastien Veilleux dans la revue littéraire québécoise 'Les libraires':
'Marie Uguay : L’immortelle'
Voici une douce ballade que j’aurais volontiers chantée au Paris que j’ai tant aimé jadis, lorsque cette bien jolie touriste n’était encore que le projet de ses parents et la caméra super 8 vintage qu’elle utilise aujourd’hui une formidable nouveauté technologique.
Sauver Paris, c’est plus que sauver la France, c’est sauver le monde.
… Moi qui chaque jour, depuis des années, sur les marches de la Butte Montmartre, glisse mes pas sur les traces qu’ont laissées tant de vos illustres pairs, je dois vous dire, cher Victor Hugo, que si votre remarque est avérée, je crains fort pour le sort du monde.
Puissent ses transformations ne s’inspirer jamais de notre Paris d’aujourd’hui… !
O tempora, o mores !
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Passenger chante
« The Way That I Love You »
The Way That I Love You
How many times can I tell you You’re lovely just the way you are Don’t let the world come and change you Don’t let life break your heart
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Don’t put on their mask, don’t wear their disguise Don’t let them dim the light that shines in your eyes If only you could love yourself the way that I love you
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How many times can I say You don’t have to change a thing Don’t let the tide wash you away Don’t let worry ever clip your wings
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Discard what is fake, keep what is real Pursue what you love, embrace how you feel If only you could love yourself the way that I love you
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And if you ever choose a road that leads nowhere All alone and you can’t see right from wrong And if you ever lose yourself out there Come on home and I’ll sing you this song
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So how many times can I tell you You’re lovely just the way you are Don’t let the world come and change you Don’t let life break your heart
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— ¤ —
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Ma manière de t’aimer
Combien de fois dois-je te le dire Tu es adorable telle que tu es Ne laisse pas le monde te transformer Ne laisse pas la vie briser ton cœur
Ne mets pas leur masque, ne porte pas leur déguisement Ne les laisse pas voiler la lumière qui brille dans tes yeux Si seulement tu pouvais t’aimer comme je t’aime
Combien de fois dois-je te le dire Tu n’as rien à changer Ne laisse pas la marée t’emporter Ne laisse jamais l’inquiétude te couper les ailes
Préserve-toi du faux, encourage le vrai Poursuis ce que tu aimes, rassemble ce que tu ressens Si seulement tu pouvais t’aimer comme je t’aime
Et si jamais tu choisissais une route qui ne mène nulle part Toute seule sans distinguer le bon grain de l’ivraie Et si jamais tu te perdais toi-même là-bas Viens à la maison et je te chanterai cette chanson
Alors combien de fois dois-je te le dire Tu es adorable telle que tu es Ne laisse pas le monde te transformer Ne laisse pas la vie briser ton cœur
Pour être tout à fait dans le ton, ce billet devrait être lu à haute voix, à la manière docte mais chantante et surjouée des animateurs radiophoniques de l’entre-deux guerres. Et, s’il survenait au coin des lèvres, masquer ce sourire narquois.
La voilà enfin votre nouvelle T.S.F. ! Vous allez pouvoir vous régaler avec tous ces programmes que concoctent pour vous les grandes stations de radiodiffusion comme Radio P.T.T.,Radio Tour Eiffel, Radio Cité ou Radio Luxembourg, pour ne citer qu’elles.
Vous ne voudriez tout de même pas avoir l’image, en plus ! Nous ne sommes qu’au milieu des années 30 – 1930, évidemment ! – la télévision mécanique montre à peine le bout de son écran : Georges Mandel, ministre des Postes Télégraphe et Téléphone vient tout juste d’assister en Angleterre à une retransmission expérimentale du Derby d’Epsom.
La publicité, elle, n’a pas perdu de temps et déjà elle n’hésite pas, avec le sans-gêne et l’effronterie qu’on lui connaît, à s’insérer partout, nantie de l’humour raffiné et de l’intelligence brillante dont elle ne cessera de se parer au cours des époques pour élever jusqu’aux sommets les plus hauts les esprits attentifs des auditeurs fascinés. N’est-ce pas ?
Par exemple :
Mais, s’il vous plaît, pas de précipitation, ne jetez pas trop vite votre poste de radio au fond de la Seine ; elle contient déjà tant de choses. Choisissez plutôt la bonne fréquence et montez un peu le son : en ce moment Lys Gauty dresse avec sa gouaille particulière et sur le ton de la chanson réaliste en vogue, l’inventaire des trésors et des secrets que recèlent les eaux de notre Seine nationale.
La liste poétique en est établie par Maurice Magre et la musique est composée par Kurt Weill.
Et en prime vous aurez même droit à quelques images d’époque…
« Complainte de la Seine »
Complainte de la Seine (1934)
Au fond de la Seine, il y a de l’or Des bateaux rouillés, des bijoux, des armes. Au fond de la Seine, il y a des morts. Au fond de la Seine, il y a des larmes.
Au fond de la Seine, il y a des fleurs, De vase et de boue elles sont nourries. Au fond de la Seine, il y a des cœurs Qui souffrirent trop pour vivre la vie.
Et puis les cailloux et des bêtes grises, L’âme des égouts soufflant des poisons, Des anneaux jetés par des incomprises, Des pieds qu’une hélice a coupés du tronc.
Et les fruits maudits des ventres stériles, Les blancs avortés que nul n’aima, Les vomissements de la grande ville, Au fond de la Seine il y a cela.
Ô Seine clémente où vont les cadavres Au lit dont les draps sont faits de limon. Fleuve des déchets sans fanal ni havre, Chanteuse berçant la morgue et les ponts.
Accueille le pauvre, accueille la femme Accueille l’ivrogne, accueille le fou, Mêle leurs sanglots au bruit de tes larmes Et porte leur cœur parmi les cailloux.
Au fond de la Seine, il y a de l’or, Des bateaux rouillés, des bijoux, des armes. Au fond de la Seine, il y a des morts. Au fond de la Seine, il y a des larmes.
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Musique de Kurt Weill (1900-1950) Compositeur du célèbre « Opéra de Quat’sous »
Paroles de Maurice Magre (1877-1941) poète, romancier, dramaturge et essayiste
Crépuscule sur Notre-Dame de Paris – Photo : serialpictures.fr
Toi, Seine, tu n’as rien. Deux quais, et voilà tout,
Deux quais crasseux, semés de l’un à l’autre bout
D’affreux bouquins moisis et d’une foule insigne
Qui fait dans l’eau des ronds et qui pêche à la ligne
Oui, mais quand vient le soir, raréfiant enfin
Les passants alourdis de sommeil et de faim,
Et que le couchant met au ciel des taches rouges,
Qu’il fait bon aux rêveurs descendre de leurs bouges
Et, s’accoudant au pont de la Cité, devant
Notre-Dame, songer, cœur et cheveux au vent ! …
Verlaine – « Nocturne parisien »
Je ne sais, ne sais, ne sais pas pourquoi
On s’aime comme ça, la Seine et moi…
Mathieu Chedid & Vanessa Paradis (« La Seine » 2011)
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Baignade – La Seine 1930
Qui est là Toujours là dans la ville Et qui pourtant sans cesse arrive Et qui pourtant sans cesse s’en va
C’est un fleuve répond un enfant un devineur de devinettes Et puis l’œil brillant il ajoute Et le fleuve s’appelle la Seine Quand la ville s’appelle Paris et la Seine c’est comme une personne Des fois elle court elle va très vite elle presse le pas quand tombe le soir Des fois au printemps elle s’arrête et vous regarde comme un miroir et elle pleure si vous pleurez ou sourit pour vous consoler et toujours elle éclate de rire quand arrive le soleil d’été…
Jacques Prévert
« La Seine a rencontré Paris » – « Choses et autres » – Gallimard
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Montmartre / Sacré-Cœur — La Seine / Notre-Dame Sans escale !
Voilà, si j’en avais eu un, ce que j’aurais pu inscrire en lettres fluo sur les flancs de mon pousse-pousse dernier cri — comme ceux qu’on trouve désormais rassemblés en troupeaux autour de la pyramide du Louvre — invitant le touriste à fuir la chaleur des sommets pour la brise des berges.
Rue descendant du Sacré-Cœur – Photo : Roman Betík et StillGlimmers.com (2011)
Pas d’effort, un petit coup de pédale en haut de la rue Saint-Vincent pour amorcer la descente, et on laisse filer… Un clin d’œil plus tard et 128 mètres de dénivelé plus bas, nous voici sous les tours de Notre-Dame, au bord de la Seine.
La Seine, oui, la Seine, courtisane, amante, espiègle, indifférente, confidente, meurtrière et victime, angélique et perverse, la Seine, terriblement humaine, qui a rencontré Paris, comme l’affirme le poète. La Seine et… ses eaux de mon été.
Si, dans mon baluchon pour l’île déserte où je ne manquerai pas de finir mes jours, je devais ne mettre qu’un seul poème qui soit dédié à la Seine — et il y en a tant — je choisirai sans doute ce long hommage que lui adresse Jacques Prévert, avec les mots simples qu’on lui connaît : « La Seine a rencontré Paris ».
Après avoir donné, pour parler de ce fleuve qu’il aimait tant, la parole à ces parisiens qui quotidiennement le côtoient, un enfant, « devineur de devinettes », une amoureuse, un pilote de remorqueur, à un passant guindé, « désabusé », qui ose traiter la Seine — crime de lèse-majesté — de « fleuve comme un autre », le poète s’octroie la conclusion sur « sa petite rivière à [lui] » en une tendre tirade sur le ton gouailleur, entre deux gorgeons, d’un « seigneur des berges ». Une bien sincère déclaration d’amour.
Cette vidéo représente les trois dernières minutes d’un superbe court-métrage réalisé par le cinéaste néerlandais Joris Ivens, en 1957, intitulé, comme le poème de Prévert, « La Seine a rencontré Paris ». Le titre n’a évidemment pas été choisi au hasard.
Pour illustrer le poème, le réalisateur promène sa caméra sur le fleuve afin de saisir, au fil du courant et au fil des vers, toute la diversité des images de la vie qu’engendre la présence de cette eau mythique.
C’est un profond régal empreint d’une certaine nostalgie que de se laisser glisser sur la Seine à travers le Paris populaire d’une époque révolue pour partager un instant, en noir et blanc, le dur labeur d’un marinier ou d’un docker, la franche et naïve gaité d’un enfant heureux de se baigner ou la flânerie romantique d’un couple venu, le soir tombé, abriter son amour derrière les murs d’un quai.
Joris Ivens (1898-1989)
Pour que la balade soit inoubliable — et elle l’est —, Joris Ivens a choisi de faire dire le texte par Serge Reggiani.
Il a confié les images à André Dumaître qui a prêté son œil talentueux à des réalisateurs tels que, entre autres, Le Chanois, Allégret, Becker, Clouzot.
Pour la partition musicale il a fait appel à l’art subtil de ce compositeur, Philippe-Gérard, décédé il y a peu, dont les musiques ont fait les beaux jours d’Édith Piaf, Yves Montand, Jeanne Moreau ou Juliette Gréco, pour ne citer qu’eux.
Des acteurs ? Pas un seul !
« Il n’y a pas d’acteurs dans ce film, simplement des hommes, des femmes et des enfants qui aiment la Seine. » (Exergue)
La merveilleuse sensibilité qui émane de ce documentaire provient, à n’en pas douter, de la formidable synergie des talents qui ont participé à sa réalisation. Mais il me semble qu’une telle conjonction de mérites ne saurait suffire à elle seule à gagner pareille hauteur sans la magie créatrice d’une profonde sincérité partagée.
La réalisation ne pouvait qu’émouvoir le jury du Festival de Cannes 1958, autant qu’elle nous touche encore aujourd’hui malgré quelques inévitables rides, soixante années plus tard. Le palmarès ne se fit donc pas attendre, le Grand Prix du court-métrage, cette année-là, fut attribué à :
« La Seine a rencontré Paris »
Le court-métrage version intégrale
— Ouf ! Bonne nouvelle ! Il paraît que désormais, sur les îles désertes, on peut visionner les vidéos.
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy