Ô que c’est long d’aimer sans voir ce que l’on aime…
De caresser une ombre et de sourire au mur
Et de s’interroger si l’Autre fait de même
Et se sent dans le cœur je ne sais quel fruit mûr
Qui crève de tristesse et d’espérance extrême.
Paul Valéry
Corona & Coronilla (Editions de Fallois – P. 147)

En chaque homme résonne, toujours recommencée, la plainte d’Orphée. Cri d’amour, désespéré, désespérant, venu du gouffre de la solitude infligée, cri de détresse d’un cœur qu’on divise, qu’on arrache à lui-même.
Parfois, quand, l’espace d’un souffle, sa poitrine endigue son sanglot, une mélodie inattendue ouvre un chemin vers un vieux souvenir. Ô la tendre nostalgie des sourires perdus ! Le scintillement mouillé d’une lueur d’espérance !
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« Tristorosa » est une petite pièce pour piano écrite, dans sa jeunesse, en 1910, par le célèbre compositeur brésilien Heitor Villa-Lobos sous le pseudonyme de Epaminondas Villalba Filho. Le titre — faut-il le dire ? — est une contraction des deux mots brésiliens « triste » et « rose », et la mélodie, romantique à souhait, respire la « saudade ».
Elle fait partie de ces petits airs au charme un peu désuet mais captivant, capables des semaines durant de monopoliser l’oreille et l’esprit ; de ces mélodies simples que l’on chantonne ou sifflote en permanence, jusqu’à se révolter gentiment contre soi-même.
Et pour bien vous la mettre en tête pour toute la semaine — c’est tout le mal que je vous souhaite — écoutez donc la version originale pour piano par la merveilleuse pianiste brésilienne Anna Stella Schic qui a servi l’œuvre de Villa-Lobos avec un bonheur sans faille.