Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Mike Davis – trompette …Ricky Alexander – clarinette ……Jim Fryer – trombone ………Jay Lepley – batterie …………Nick Russo – guitare ……………Terry Waldo – piano (Maître incontesté du Ragtime)
« Take a picture of the moon »
Ω
La mode se démode, le style jamais.(Coco Chanel)
Do you ever get a disappointment Just because the moon don’t shine Do you ever sit around and mope Groan a little bit and give up hope There’s a way to keep a love appointment Even though the moon don’t shine Should yours be a case like this Try this plan of mine: Take a picture of the moon above In May or June Then you could make love Morning night or noon By the light of the same old moon
Take a picture of the moon in high When it’s inside Then you could be dry on the rainy night When you feel like you are to spoon You have the proper atmosphere When you’re cuddlin someone Take up little photograph You can love and laugh At the blazing sun Take a picture of the moon above In May or June Then you could make love Morning night or noon By the light of the same old moon
Le jazz est selon moi une expression des idéaux les plus élevés. Par conséquent, il contient de la fraternité. Et je crois qu’avec de la fraternité, il n’y aurait pas de pauvreté, il n’y aurait pas de guerres.
John Coltrane (saxophoniste – 1926-1967) (Entretien avec Jean Clouzet et Michel Delorme, 1963)
Hé ! Les amis ! Un bœuf chez Emmet, ça vous dit ?
Oui, un « bœuf » quoi ! Une « jam session », si vous préférez : chacun vient avec son instrument, sa voix et son talent et ensemble on fait de la musique. La musique qu’on aime… à condition que ce soit du jazz.
Inutiles vos partitions ! On improvise, on se devine, on se comprend, on joue. Ensemble !
Votre passeport, l’amour de la musique : venez comme vous êtes, soyez qui vous êtes. Votre couleur de peau, et alors ? Vos origines, votre religion, et alors ? Faire le bœuf c’est partager la musique, le plaisir d’être ensemble, la complicité d’un instant, le bonheur d’être, tout simplement.
Faire le bœuf c’est croire avec la naïveté d’un enfant que la vie ensemble, chaque jour, pourrait si facilement être meilleure…
… même quand on a le cœur « bluesy » et… des « cailloux dans son lit » !
« Rocks in my bed »
Emmet Cohen – Piano Lucy Yeghiazaryan – Voix Grant Stewart – Saxophone Ténor Kyle Poole – Batterie Yasushi Nakamura – Contrebasse
Des cailloux dans mon lit
Mon cœur est lourd comme du plomb Parce que le blues m’a envahie J’ai des cailloux dans mon lit.
Toutes les personnes que je vois Pourquoi s’en prennent-elles à moi, pauvre de moi Et mettent des pierres dans mon lit ? Toute la nuit je pleure ! Mais comment peut-on dormir Avec des cailloux plein son lit ?
Il n’y a que deux types de personnes Que je ne comprends vraiment pas C’est une femme hypocrite C’est un homme au visage fermé.
Elle a emmené mon homme Et je ne vais pas le ramener Elle est plus fourbe qu’un serpent Le long des rails sous un wagon. J’ai des cailloux plein mon lit !
Sous aimé, suralimenté Mon homme s’en est allé et à sa place Plein de cailloux dans mon lit.
Le ragtime est la musique sur laquelle Dieu danse quand personne ne le regarde.
Alessandro Barrico (‘Novecento : pianiste‘)
… Never play ragtime fast at any time.
Scott Joplin
Mais oui, tu connais la musique de Scott Joplin, le ragtime ! Un montage photo bidouillé à la hâte et quelques notes de piano à rouleau et ta mémoire fera le reste :
≈
Ce que tu ne sais peut-être pas, c’est que le célébrissime Royal Ballet de Londres a dansé et danse encore sur les thèmes joyeusement syncopés du ragtime de Scott Joplin et de quelques-uns de ses contemporains du début du XXème siècle.
Kenneth MacMillan 1929-1992
C’est Kenneth MacMillan, alors directeur artistique de la Compagnie depuis 1970, qui, en 1974, réalise ce court spectacle haut en couleur, Elite Syncopations, sortant la troupe des conventions traditionnelles du ballet classique où elle excelle.
Pas d’intrigue véritablement, mais une succession de tableaux aux couleurs vives que l’on pourrait volontiers situer dans un bar douteux du delta du Mississippi au début du siècle dernier. Les personnages, en tenues flamboyantes, flirtent, se toisent, s’observent les uns les autres et dansent crânement à tour de rôle, chacun montrant à ses rivaux la hauteur de son talent.
Le talent, la scène du Covent Garden en regorgeait déjà le 7 octobre 1974 pour la première…
Le temps ne lui a rien fait perdre :
Juges-en par cette lente et superbe « rag-waltz » dansée il n’y a pas si longtemps par la divine Sarah Lamb et le sémillant Valeri Hristov, « Bethena, a Concert Waltz », morceau écrit par Scott Joplin en 1905.
≈
Et plein écran, bien sûr, pour un grand salut radieux à toute la Compagnie :
Tu n’es pas tout à fait la misère,
Car les lèvres les plus pauvres te dénoncent
Par un sourire.
Paul Eluard
Ψ
Triste é viver na solidão Na dor cruel de uma paixão Triste é saber que ninguém Pode viver de ilusão Que nunca vai ser, nunca vai dar O sonhador tem que acordar
Sua beleza é um avião Demais p’rum pobre coração Que para pra te ver passar Só pra me maltratar Triste é viver na solidão.
Il est triste de vivre dans la solitude Dans la douleur cruelle d’une passion Il est triste de savoir que personne Ne peut vivre d’illusions Que cela ne sera jamais, ça ne marchera jamais Le rêveur doit se réveiller
Ta beauté est un avion Trop belle pour un pauvre cœur Qui s’arrête pour te voir passer Juste pour se flageller Il est triste de vivre dans la solitude.
I have learned that all you give is all you get
So give it all you’ve got
Shirley Horn (1934-2005) – Photo 1991
Pour la voix « pleine de force et de majesté » de Shirley Horn
Pour les paroles empreintes de sage nostalgie ébauchées par Artie Butler qui dit avoir composé cette ballade à travers le regard mélancolique d’un vieil homme penché sur son passé, et qui aurait conservé intact son optimisme envers le temps qui reste.
Pour l’arrangement musical de Johnny Mandel qui a sans doute réalisé là le dernier grand standard du jazz américain, et le titre signature de Shirley Horn dont l’interprétation profonde et suave représente un legs majeur à l’histoire du jazz vocal déjà si bien représenté par ailleurs.
Pour la qualité de l’enregistrement de 1992, avec orchestre, en studio.
POUR LE PLAISIR ! POUR LE PLAISIR ! POUR LE PLAISIR !
Aucune plainte et aucun regret Je crois toujours à la poursuite des rêves et aux paris Mais j’ai appris que tout ce qu’on donne est tout ce qu’on obtient Alors donne tout ce que tu as reçu
J’ai eu ma part, j’ai bu ma dose Et même si je m’en satisfais Je veux encore voir ce qu’il y a sur d’autres routes Là-bas, au-delà de la colline Et tout recommencer
Alors voilà, à la vie et à toutes les joies qu’elle procure À la vie, pour les rêveurs et leurs rêves
C’est drôle comme le temps passe vite Comment l’amour peut-il passer De la chaleur de l’enfer à la tristesse des adieux Et nous laisser avec nos souvenirs qu’on appelle Pour réchauffer nos hivers
Car hier est passé et qui sait ce que demain apporte Ou emporte Tant que je suis encore dans le jeu je veux jouer Pour rire, pour vivre, pour aimer
Alors à la vie et à toutes les joies qu’elle apporte À la vie, aux rêveurs et à leurs rêves
Puisses-tu surmonter tes tempêtes Et embellir tes bonheurs À la vie, à l’amour, à toi (bis)
Traduction personnelle
La reconnaissance, pour Shirley Horn, a été tardive mais à la différence de bien des musiciens qui attendent longtemps que leur heure survienne, la raison de ce retard est liée dans son cas à des choix personnels. Aussi, son retour au devant de la scène à l’âge mûr a-t-il révélé au grand public une chanteuse d’une rare authenticité, chez qui l’émotion la plus pure se conjuguait à une musicalité sans pareille dont témoignait son aura auprès des musiciens. Comme les grandes chanteuses de jazz, Shirley Horn possédait non seulement un timbre de voix inimitable mais surtout un art d’interpréter les chansons avec un sens consommé de la mise en scène, chanteuse du clair-obscur et de la note feutrée.
Vincent Bessières - Directeur de la revue "Jazz & People"
(Introduction d'un portrait de Shirley Horn publié sur le site de la Philharmonie de Paris)
Dans le blues, dans le jazz, l’obscurité est toujours déjà présente, tout comme le chagrin. La catastrophe est un éternel compagnon. Mais jamais vous ne laissez l’obscurité et le chagrin avoir le dernier mot. Jamais.
Cornel West (Philosophe américain)
in « Philosophie Magazine » (11/2012)
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Oh ! Oui ! Même si l’on n’est pas un(e) grand(e) aficionad(a) d’opéra, on a tous un jour croisé le chemin de cette attendrissante Madame Butterflydont Maître Puccini raconte l’histoire dans une de ses plus belles œuvres, l’opéra éponyme de 1904, l’un des plus joués dans le monde.
Qui n’a pas un jour senti son cœur se serrer devant le triste désarroi de cette jeune et jolie japonaise, naïve, séduite, abandonnée et trahie par un officier américain ?
Qui n’a pas essuyé une larme lorsque fière et courageuse au sommet de son désespoir elle fait en scène ses adieux à son enfant chéri avant de se donner le seppuku ?
Qui aurait pu imaginer que ce thème inspirerait, en 1916, deux compositeurs de Broadway, Raymond Hubbel et John L. Golden qui écriraient la chanson « Poor Butterfly » ?
Qui, alors, aurait pu prédire que son succès du moment ferait d’elle, dans les années 1950, un « standard » du jazz, au programme des musiciens et des voix les plus emblématiques du genre, et au point de figurer dans le répertoire de la grande Sarah Vaughan comme titre signature ?
Questions sans réponse… Qu’importe !
Le flambeau continue de se transmettre. Alléluia !
A cappella ou en formation avec Andrea Motis et son quintet, Cécile McLorin Salvant en témoigne superbement :
Poor Butterfly
There’s a story told of a little Japanese. Sitting demurely ‘neath the cherry blossom trees. Miss Butterfly’s her name. A sweet little innocent child was she ‘Till a fine young American from the sea To her garden came.
They met ‘neath the cherry blossoms everyday. And he taught her how to love the American way. To love with her soul t’was easy to learn. Then he sailed away with a promise to return.
Poor Butterfly ‘Neath the blossoms waiting. Poor Butterfly For she loved him so.
The moments pass into hours. The hours pass into years. And while she smiles through her tears, She murmurs low:
The moon and I know that he’ll be faithful I’m sure he’ll come to me by and by. But if he won’t come back I won’t I’ll never sigh or cry, I just must die. Poor Butterfly!
Pauvre Butterfly !
Voici l’histoire que l’on raconte à propos d’une petite japonaise assise délicatement sous les cerisiers en fleurs. Son nom : Miss Butterfly.
C’était une douce petite enfant, innocente, jusqu’à ce qu’un beau jeune homme venu de la mer apparaisse dans son jardin.
Chaque jour ils se sont vus sous les fleurs des cerisiers. Il lui a appris à aimer la vie à l’américaine. – Apprend vite l’âme qui aime. Puis il est parti, promettant de revenir.
Pauvre Butterfly patiente sous les fleurs. Pauvre Butterfly qui l’aimait tellement.
Les instants devinrent des heures, et les heures des années. Tandis qu’elle souriait à travers ses larmes, elle murmurait tout bas :
‘Nous savons, la Lune et moi qu’il me restera fidèle. Je suis sûre qu’il reviendra me voir de temps en temps. Mais s’il ne revenait pas, sans un pleur, sans un soupir, je devrai juste mourir.’ Pauvre Butterfly !
Tu ouvres les volets, toute la nuit vient à toi,
Ses laves, ses geysers, et se mêlant à eux,
Le tout de toi-même, tes chagrins, tes émois,
Que fait résonner une très ancienne berceuse.
François Cheng
« Enfin le Royaume » – (Gallimard – 2018)
∞
Quand les âmes se font chant,
Le monde d’un coup se souvient.
La nuit s’éveille à son aube ;
Le souffle retrouve sa rythmique.
Par-delà la mort, l’été
Humain bruit de résonance
Quand les âmes se font chant.
François Cheng « Quand les âmes se font chant » – (Bayard Culture – 2014)
Puissiez-vous tous, dans 366 jours, à l’heure du bilan, puiser dans les reflets de ce petit joyau extrait du film de Vincente Minnelli, « Un américain à Paris » (1951), les épithètes qui qualifieront votre année 2020 alors finissante !
Ainsi aura-t-elle été telle que je vous la souhaite :
Trouvez le rythme,
Chantez la musique,
Partagez l’amour !
Que demander de plus ?
« I got rythm » (composition de George Gershwin) – Gene Kelly
I got rhythm, I got music I got my gal, who can ask for anything more?
Happy New Year !
May you all, in 366 days, at the time of the review, draw on the reflections of this little jewel taken from Vincente Minnelli’s film, « An American in Paris » (1951), the epithets that will qualify your 2020 year coming to an end!
Thus it will have been as I wish it to you:
smiling…. flowering… cheerful…. talented…. friendly… luminous…. full of energy… harmonious… tonifying…. cheerful… light…. optimistic… generous…
… Simply happy!
Get rhythm…
Get music…
Get love!
Who could ask for anything more?
Non, non, arrêtez donc de faire l’abeille, et ne cherchez-pas un quelconque exercice de diction du style « J’examine cet axiome de Xénophon sur les exigences… » !
C’est plutôt d’écoute qu’il s’agit :
Une des plus grandes sopranos classiques chante à voix douce, avec la chaude tessiture, suave et élégante, de son registre mezzo-soprano, une mélodie jazzy écrite en 1943 par Harry Warren (paroles) et Mack Gordon (musique), arrangée par Alexandre Desplat en 2017 pour devenir une compositions essentielle de la bande son du film de Guillermo del Toro, « The Shape of Water » (La Forme de l’eau).
— So fantastic, so romantic, ce film, , a obtenu le Lion d’Or à la Mostra de Venise en 2017 et 4 Oscars à la 90ème Cérémonie des Oscars, début 2018 (Meilleur Film – Meilleur réalisateur – Meilleurs décors… et – tiens, tiens ! – Meilleure musique)
La belle jeune femme, annéessoixante, qui régale ici, devant son micro, nos yeux et nos oreilles, c’est la tout simplement merveilleuse…
Renée Fleming
« Tu ne sauras jamais… »
You’ll never know Just how much I miss you You’ll never know Just how much I care
And if I tried I still couldn’t hide My love for you You oughta know For haven’t I told you so A million or more times
You went away and my heart went with you I speak your name in my every prayer If there is some other way to prove that I love you I swear, I don’t know how
You’ll never know if you don’t know now
You’ll never know Just how much I miss you You’ll never know Just how much I care
You said goodbye Now stars in the sky Refuse to shine Take it from me, it’s no fun to be alone
With moonlight and memories You went away and my heart went with you I speak your name in my every prayer If there is some other way to prove that I love you I swear, I don’t know how
On était en octobre, le plus beau mois de l’année à New-York, et je prenais plaisir à étudier la lumière d’automne, à observer la clarté nouvelle dont elle semblait parée quand elle frappait en biais les immeubles de brique.
Paul Auster – « Moon Palace » (Actes Sud 04/1993)
Photo by William Gottlieb/Redferns
Billie Holiday chante « Autumn in New York » composée en 1934 par Vernon Duke
L’automne à New York
L’automne à New York, pourquoi est-ce si séduisant ? L’automne à New York, c’est le frisson du premier soir. Foules scintillantes et nuages éblouissants dans des canyons d’acier Me rappellent que je suis chez moi.
L’automne à New York apporte la promesse d’un nouvel amour, L’automne à New York est souvent mouillé de pleurs. Les rêveurs aux mains vides peuvent imaginer des terres lointaines. C’est l’automne à New-York, C’est bon d’y vivre à nouveau.
L’automne à New York, les toits étincellent au couchant. L’automne à New York, ça vous relève quand on vous laisse tomber. Les libertins blasés et les joyeuses divorcées attablés au Ritz Vous diront que c’est divin.
L’automne à New York transforme les bas-fonds en Mayfair. L’automne à New York, plus besoin de châteaux en Espagne. Les amoureux remercient la nuit Sur les bancs de Central Park. Salut l’automne à New York ! C’est bon d’y vivre à nouveau !
A quelques exceptions près, tous les musiciens qui ont compté dans l’histoire du jazz depuis l’ouverture du Blues Alley Jazz Club en 1965 se sont produits sur sa scène légendaire.
Il faudrait faire ouvrir les archives du club pour n’oublier personne, mais d’un trait de mémoire rapide on peut citer quelques noms dont la notoriété s’est échappée depuis belle lurette de l’univers feutré des aficionados du jazz :
Ainsi, Oscar Peterson, Charlie Mingus, Stanley Jordan, Dizzy Gillepsie, Stan Getz, Max Roach, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Nancy Wilson, Rachelle Ferrell et tant d’autres Dave Brubeck ou Sonny Rollins, tous ces géants du jazz, sont-ils venus briller, en leur temps, dans cette étroite ruelle du très charmant quartier de Georgetown à Washington D.C., au 1073 Wisconsin Avenue.
Blues Alley Jazz Club – Georgetown section of Washington DC
Ce mercredi 3 janvier 1996, celle qui vient de brancher sa guitare électrique sur la scène n’est pas connue, ou si peu, et le plus souvent par ses collègues musiciens.
Eva Cassidy sur le seuil du Blues Alley – janvier 1996
Elle a rassemblé ses économies pour louer un car-régie afin d’enregistrer en « live », depuis ce lieu mythique, son premier CD.
Elle avait envisagé de mener son enregistrement public sur deux jours, mais le travail de la veille n’a pu être conservé. Elle n’en gardera que très peu de choses.
Ce mercredi elle ne doit absolument pas se louper. Alors elle fera fi du rhume qui par instant dérange sa voix, et le gracieux ange blond fera son entrée vêtue d’une chaude veste d’homme trop large pour elle, de bas épais et d’une paire de bottines.
Et puis elle a chanté. Blues, soul, gospel, folk : époustouflant éclectisme vocal !
On n’aura pas à consulter les archives du Blues Alley pour se souvenir de son nom.
L’album « Live at Blues Alley » est sorti le 20 mai 1996. Le succès l’attendait.
Dans les mois qui suivirent Eva développa un mélanome foudroyant qui a eu raison de son courage. Le 2 novembre, la maladie emportait un ange blond de 34 ans qui n’aurait sacrifié pour aucun award une longue balade en vélo.
Il souffle toujours dans la région du cœur un triste vent froid de fin d’automne quand on écoute Eva Cassidy.
Autumn leaves
You’ve changed
Tu as changé : Cette étincelle dans ton œil a disparu Ton sourire est devenu un rictus insouciant. Tu me brises le cœur. Tu as changé.
Tu as changé : Tes baisers sont si indifférents, Tu t’ennuies toujours avec moi, Je ne comprends pas.
Tu as changé : Tu as oublié les « Je t’aime » Et tous nos tendres souvenirs, Tu ignores toutes les étoiles qui nous regardent. Comment imaginer que tu les aies une fois contemplées ?
Tu as changé : Tu n’es plus l’ange que j’ai un jour connu. Inutile de me dire qu’on est passé à côté. C’est fini maintenant.
Tu as changé : Tu ne sais plus dire « Je t’aime » Tu as effacé tous nos moments heureux. Tu ignores chaque étoile qui nous regarde si une fois tu les as contemplées.
Tu as changé : Tu n’es plus l’ange que j’ai connu Pas besoin de me dire qu’on est passé à côté Tout est fini maintenant. Tu as changé !
En mai 2014, un hommage à Eva Cassidy sur "Perles d'Orphée" :
"I miss you Eva !"
Ne croyez pas les mains sans gants plus robustes que les autres.
Gustave Flaubert – « Par les champs et par les grèves »
¤
Il n’y a guère que Mickey qui aujourd’hui porte ses gants blancs à longueur de journée.
Aussi, si vous affirmez que pour vous, porter des gants blancs s’inscrit dans la banalité des actions régulières de votre vie, ne soyez pas étonné(e) que, sans vous connaître, et certain que vous n’êtes pas Mickey Mouse, l’on vous donne du « Mon Général » ou du « Maître d’hôtel » ; ou encore, que l’on guette attentivement le lapin ou l’as de trèfle que vous cachez fort adroitement dans votre manche. A moins que vous ne soyez Huissier au Sénat ? Conservatrice responsable des incunables à la Bibliothèque Nationale ? Déménageur de tableaux au Louvre ?…
Ou, pourquoi pas, cet initié, tapi dans sa réserve légendaire, qui, certains soirs, symbolique oblige, enfile rituellement ses gants de lumière en fraternelle compagnie…?
A y bien regarder, les opportunités de porter des gants blancs ne sont en vérité pas aussi rares qu’on le penserait au premier abord, et pas nécessairement liées d’ailleurs à un protocole d’apparat.
Mais quel pervers faudrait-il être pour demander à une pianiste de faire chanter son instrument, les doigts ainsi embastillés, avec la virtuosité et la délicatesse de toucher qu’exige le meilleur du jazz ?
A l’impossible nul ne peut être tenu !
Et pourtant :
Quelques fascinantes minutes sous le vent froid et la pluie d’un vieux 15 août, avec la géniale Diva du jazz, Shirley Horn, au festival de Newport, et la démonstration du contraire devient imparable.
En gants blancs, la Diva ! Et quelle Diva !
Les gants blancs peuvent accessoirement protéger du froid…
Pour applaudir, assurément, ils ne sont sont d’aucune utilité.
Just in time
I found you just in time Before you came my time Was running low
. I was lost
The losing dice were tossed My bridges all were crossed
. Nowhere to go
Now you’re here And now I know just where I’m going No more doubt or fear
I found my way
.
For love came just in time You found me just in time And saved my lonely life That lovely day
J’ai à la fois le sens de l’irréductibilité de la contradiction et le sens de la complémentarité des contraires. C’est une singularité que j’ai vécue, d’abord subie, puis assumée, puis intégrée.
Edgar Morin in « Mes démons » (1994)
Ce qui sépare deux êtres établit souvent entre eux, par delà les temps, les lieux et les circonstances qui contribuent à les différencier, une forme de lien, par contraste. Si l’on veut bien se donner la peine d’échapper à l’illusion des apparences, on peut alors apercevoir distinctement la ligne de convergence de ces contraires que tout, à priori, présentait comme devant s’exclure mutuellement.
Ainsi en va-t-il des voix humaines ; elles aussi, les plus discordantes et que tout oppose – tessitures, timbres, styles, résonances – réussissent parfois, sans doute du fait de cette humanité qui les façonne, à entrer en confluence à ce point unique que représente la beauté qu’elles révèlent, chacune à sa manière, à l’auditeur dépouillé de tout préjugé, livré à la seule sensibilité de son émotion.
Ainsi vont également les voies contraires qui finissent, plus souvent qu’on ne le pense, par se retrouver dans cet espace indéfini de convergence, inimaginable depuis le point de leur origine et pourtant né de leur nécessaire, de leur ontologique complémentarité. Qu’elle est ténue, qu’elle est fragile, qu’elle est ondoyante, la ligne de partage du sacré et du profane ! Elle nous ressemble tellement.
Rien n’est beau comme la voix humaine, quand elle est belle.
Laure Conan (romancière québécoise 1845 – 1924) in « À l’œuvre et à l’épreuve » – 1850
∞
♦ Voix séraphique et stratosphérique de la prière montant vers les cieux : voix de l’espoir et de la consolation :
Pitié pour moi, mon Dieu, dans Ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché. Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense. Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi. Contre Toi, et Toi seul, j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait. Ainsi, Tu peux parler et montrer Ta justice, être juge et montrer Ta victoire. Moi, je suis né dans la faute, j’étais pécheur dès le sein de ma mère. Mais Tu veux au fond de moi la vérité ; dans le secret, Tu m’apprends la sagesse. Purifie-moi avec l’hysope, et je serai pur ; lave-moi et je serai blanc, plus que la neige. Fais que j’entende les chants et la fête : ils danseront, les os que Tu broyais. Détourne Ta face de mes fautes, enlève tous mes péchés. Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit. Ne me chasse pas loin de Ta face, ne me reprends pas Ton Esprit Saint. Rends-moi la joie d’être sauvé ; que l’esprit généreux me soutienne. Aux pécheurs, j’enseignerai tes chemins ; vers toi, reviendront les égarés. Libère-moi du sang versé, Dieu, mon Dieu sauveur, et ma langue acclamera Ta justice. Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera Ta louange. Si j’offre un sacrifice, Tu n’en veux pas, Tu n’acceptes pas d’holocauste. Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; Tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé. Accorde à Sion le bonheur, relève les murs de Jérusalem. Alors Tu accepteras de justes sacrifices, oblations et holocaustes ; alors on offrira des taureaux sur Ton autel.
∞
Il y a, dans certaines voix, des nuances, des sortes de déchirures délicieuses, qui éveillent en moi une grande tendresse.
Paul Léautaud – Le journal littéraire (1968)
♦Voix rocailleuse burinée par l’alcool, accompagnant les errances du vagabond sur les chemins du désespoir au rythme valseur d’un baluchon baptisé pour toujours « Mathilda » :
Beurré à mort et blessé, c’est pas la lune qu’a fait ça.
J’en ai pour mon argent à présent.
À demain, mec. Hé, Frank, est-ce que j’peux
T’emprunter dix tunes, pour aller
Faire valser Mathilda*, valser Mathilda, viens faire valser Mathilda avec moi !
Je suis la victime innocente des fonds d’impasse
Et j’en ai assez de tous ces soldats ici.
Personne parle anglais, et tout est détruit.
Et mes Staceys** sont trempées jusqu’aux os
Pour aller faire valser Mathilda…
.
Voici que les chiens aboient
Et qu’un taxi se gare,
Peuvent rien pour moi ceux-là !
Je t’ai supplié de me suriner,
Tu m’as déchiré la chemise.
Et je suis sur les rotules ce soir
À tituber Bushmills***
T’as enfoncé ta dague dans ta silhouette
En contrejour de la fenêtre
Pour aller faire valser Mathilda…
.
J’ai perdu mon [médaillon] St-Christophe à présent
Maintenant que j’ai embrassé Mathilda
Et que la machine à sous est au courant
Et les chinetoques non-conformistes
Et les enseignes sans pitié
Et les filles qui sont aux séances de striptease là-bas
Vont aller faire valser Mathilda…
.
Non, je veux pas de ta sympathie !
Les fugitifs disent qu’on peut plus rêver dans les rues,
Rafles pour homicide involontaire
Et les fantômes qui vendent des souvenirs
Ils veulent pas être en reste.
N’empêche, tu vas faire valser Mathilda…
.
Et tu peux demander à n’importe quel marin
Et ses clés au geôlier
Mais les vieux dans leurs fauteuils roulants savent
Que Mathilda est l’accusée :
Elle en a tué une centaine
Et elle te suit partout où tu vas
Faire valser Mathilda…
.
Et c’est une valoche cabossée
Pour un hôtel quelque part
Et une blessure qui guérira jamais.
Pas de prima donna, le parfum provient
D’une liquette tachée de sang et de whisky.
Et bonne nuit aux balayeurs,
Gardiens de la flamme des veilleurs de nuit,
Et bonne nuit à Mathilda aussi !
.
* Mathilda : nom donné par les "swagmen", les vagabonds australiens, allant de ferme en ferme chercher un peu de travail, au baluchon ou à la besace qui ne les quittait jamais et qui ballottait sur leurs épaules au gré de leurs pas.
"Faire valser Mathilda" : arpenter le bush, partir sur les chemins.
** Stacey’s : marque de chaussures chic
*** Bushmills : marque de whisky irlandais
À mon ami Jacques T. Pour aider sa convalescence à trouver son tempo : « swingando » !
Si votre éducation musicale a été négligée, nul besoin de choisir une voie aride pour la refaire : l’évolution rapide du jazz vous mènera insensiblement de la musique la plus fraîche et la plus naturelle des parades et des orchestres de marches aux recherches les plus raffinées des arrangeurs actuels ; et le monde de la mélodie, de l’harmonie et du rythme vous sera définitivement ouvert.
Boris Vian in Derrière La Zizique. U.G.E. 10/18, Paris, 1976
♬ ♬ ♬
Ce jeune pianiste indonésien, Joey Alexander, est-il le messie que le Jazz attendait ? Il a aujourd’hui 15 ans et les plus grands « jazzmen » actuels se réjouissent et s’enorgueillissent de jouer avec lui. Un commentateur a dit de lui, fort pertinemment, qu’il avait en vérité 115 ans, l’âge du Jazz qu’il incarne si profondément et si naturellement.
Il avait 10 ans en 2013 lorsqu’il a enregistré dans un des studios du mythique Lincoln Center de New York cette pièce de sa composition :
Le voici à 13 ans, avec Ulysses Owens Jr. à la batterie (nouvelle référence des batteurs de jazz) et l’excellent Dan Chmielinski à la basse, interprétant « City lights » :
Le jazz est un style, non une composition. N’importe quelle musique peut être interprétée en jazz, du moment qu’on sait s’y prendre. Ce n’est pas ce que vous jouez qui compte mais la façon dont vous le jouez.
Jelly Roll Morton
Qui pourrait encore dire, devant un tel génie, doté d’une aussi précoce maturité et d’une aussi joyeuse liberté de jouer et d’inventer cette musique sur les traces des plus éminents musiciens de son histoire, que le jazz est mort ?
De gauche à droite : 1/ M. Petrucciani – B. Evans – J.R. Morton – M. Solal 2/ E.Garner – D. Ellington – O. Peterson – T. Monk
À l’évidence, hélas, après cent ans d’existence le jazz a émis bien plus d’avis de décès qu’il n’a reçu de faire-part de naissance. À ne considérer son histoire qu’au travers du prisme réducteur du piano, peut-on affirmer pour autant qu’il s’est définitivement évaporé dans les fumées lumineuses des dernières inventions sonores du grand Bill Evans ?
Ce serait faire fi de ses successeurs, les Chick Coréa, Keith Jarrett, Brad Mehldau, Hiromi Uehara ou Jacky Terrasson, pour ne citer qu’eux.
Question bien délicate en vérité que la mort d’un art ! Et forte est la tentation intellectuelle d’aller chercher des éléments de réponse dans les théories sur l’esthétique développées par Hegel, Nietzsche ou Heidegger — qui s’opposent et s’entrechoquent souvent — et ainsi finir par se perdre dans un sempiternel retour au cœur des méandres alambiqués d’une réflexion qu’alimentent, préludes obligés, les toujours vives interrogations : « Qu’est-ce que l’Art ? », « Qu’est-ce que le Jazz ? »
J’avoue me satisfaire, pour l’immédiat, de cette remarque de bon sens que publiait Michel Yves-Bonnet, en octobre 2014, répliquée dans une tribune récente de Citizenjazz.com :
Le jazz est-il mort ? Nouvelle question ? Certes non ! Trouble chez certains amateurs et professionnels, assurément oui ! Mais pourquoi se poser cette question ? Pourquoi ne pas simplement se laisser aller au jeu et à l’écoute ? Parce que cette musique est un Art majeur et qu’il nous interpelle.
Il faut simplement se placer devant cette alternative : ou bien le jazz est une Grande Musique, ou bien il n’a été qu’un moment musical, cadré, daté, répertorié, modélisé, pour employer un langage scientifique. Si tu choisis la première prémisse, alors le jazz est un art de création, de recherche et d’avenir. Musique éternelle, comme les autres arts de création. Dès son origine, le jazz est une musique métisse, ce qui lui donne toute sa beauté et son originalité. Il n’y a dès lors aucune raison – sauf à l’enfermer, crime hors de raison – qu’elle ne poursuive pas ses alliances et ses mariages. Certes, tu dois rester vestale de cet Art, en veillant à ce que l’improvisation soit toujours ontologiquement à l’œuvre.
Le risque mortifère tient dans la deuxième proposition : Si le jazz devient « définitivement » une musique de répertoire, alors il te suffira de relever tous les chorus des glorieux Anciens et de les répéter inlassablement.
Voilà, semble-t-il, posées avec simplicité, les conditions pour que le Jazz se survive à lui-même : demeurer une musique ouverte, métisse, arlequinée des cultures et des influences les plus diverses, conserver une fidélité sans faille à sa caractéristique fondamentale, l’improvisation, et, corollaire des propositions précédentes, continuer de s’ancrer à sa racine la plus profonde, tout à la fois la plus valorisante et la plus créative : la liberté.
Alléluia ! Ce XXIème siècle semble avoir entendu ce discours. Il a envoyé aux amateurs de jazz un nouveau messager porteur d’une espérance que certains n’attendaient peut-être plus, Joey Alexander.
Quelque chose me dit que les étagères « Jazz » de nos discothèques n’ont pas fini de s’allonger…
Le jazz est mon aventure. Je traque les nouveaux accords, les possibilités de syncope, les nouvelles figures, les nouvelles suites. Comment utiliser les notes différemment. Oui, c’est ça ! Juste une utilisation différente des notes.
Thelonious Monk
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Allez, pour remplacer les 6 ou 7 vidéos que je viens de désélectionner de ce billet, – parce que trop c’est trop et que les amateurs les retrouveront sans peine – juste un petit bis depuis le fond de la salle du « Jazz Standard » à New York, il y a trois ans.
Le petit bonhomme au cheveux longs, à gauche, assis devant le piano n’a que 12 ans, c’est Joey Alexander… qui conduit les musiciens de son Trio.
– Monsieur Armstrong, qu’est-ce que le swing ?
– Madame, si vous avez à le demander, vous ne le saurez jamais!