Treize ans !

Treize ans c’est comme un jour et c’est un feu de paille
Qui brûle à nos pieds maille à maille
Le magique tapis de notre isolement

– Do cholery! Trzynaście lat! *

*Traduction du polonais : Putain ! Treize ans ! 

Oh, Madame Szymborska, n’ayez pas honte ! Tout le monde ne parle pas polonais. Et puis, être lauréate du Prix Nobel de Littérature ne vous interdit pas la spontanéité d’une réaction… Et celle-ci ô combien justifiée.

Treize ans en effet qu’est paru sur « Perles d’Orphée » (relayé ensuite par « De Braises et d’Ombre ») le premier billet d’une série  de plus de 1800 quand rien alors ne présageait qu’un deuxième article aurait une chance d’exister. Rien ne présageait non plus, et pour cause, que vous viendriez aussi nombreux, amis ou inconnus, fidèles ou de passage, qu’importe, de tous les coins du monde, partager sur ces pages mes émotions esthétiques masquant à peine mes sentiments du moment.

Une treizième fois donc soyez en remerciés.

Treize ans. C’est après treize ans d’amour fusionnel qu’Aragon écrit pour son épouse et muse le « Cantique à Elsa », indissociable du célèbre et inoubliable recueil « Les yeux d’Elsa ». Un magnifique hommage amoureux certes, mais également, en filigrane, un message d’espoir et de résistance adressé au peuple de la France occupée des années 1940.

Notre pays, hélas, retrouve les vieilles odeurs de poudre, puisse-t-il ne jamais oublier la force de l’amour.

Cantique à Elsa

Ensemble nous trouvons au pays des merveilles
Le plaisir sérieux couleur de l’absolu
Mais lorsque je reviens à nous que je m’éveille
Si je soupire à ton oreille
Comme des mots d’adieu tu ne les entends plus.

Elle dort Longuement je l’écoute se taire
C’est elle dans mes bras présente et cependant
Plus absente d’y être et moi plus solitaire
D’être plus près de son mystère
Comme un joueur qui lit aux dés le point perdant.

Le jour qui semblera l’arracher à l’absence
Me la rend plus touchante et plus belle que lui
De l’ombre elle a gardé les parfums et l’essence
Elle est comme un songe des sens
Le jour qui la ramène est encore une nuit

Buissons quotidiens à quoi nous nous griffâmes
La vie aura passé comme un air entêtant
Jamais rassasié de ces yeux qui m’affament
Mon ciel mon désespoir ma femme
Treize ans j’aurais guetté ton silence chantant

Comme le coquillage enregistre la mer
Grisant mon cœur treize ans treize hivers treize étés
J’aurais tremblé treize ans sur le seuil des chimères
Treize ans d’une peur douce-amère
Et treize ans conjuré des périls inventés

Ô mon enfant le temps n’est pas à notre taille
Que sont mille et une nuit pour des amants
Treize ans c’est comme un jour et c’est un feu de paille
Qui brûle à nos pieds maille à maille
Le magique tapis de notre isolement

Fulgurances – LIII – Parler, partir

Le bruit des arbres

Je me suis toujours demandé 

Pourquoi nous aimons supporter

Plus que tout autre bruit

Le bruit que font les arbres, sans répit,

Si près de nos demeures.

Nous les souffrons heure après heure

Et nous en perdons notre sens

Du mouvement et de la permanence

Des joies ; nous écoutons et nous semblons autre part.

Ils parlent de départ

Et ne partent jamais,

Ils parlent, bien qu’ils sachent,

Devenus vieux et sages,

Qu’ils sont là à jamais.

Mes pieds se cramponnent au sol

Et ma tête oscille sur mes épaules,

Quelques fois, quand, de la fenêtre ou de la porte,

Je vois les arbres osciller.

Je partirai pour quelque part,

Je ferai témérairement ce choix

Un jour où ils seront en voix

Et s’agiteront au point d’effrayer

Et de faire se sauver

Les grands nuages blancs.

Je parlerai moins qu’eux,

Mais moi je partirai.

Traduction : Roger Asselinau

The sound of trees

I wonder about the trees.
Why do we wish to bear
Forever the noise of these
More than another noise
So close to our dwelling place ?
We suffer them by the day
Till we lose all measure of pace,
And fixity in our joys,
And acquire a listening air.
They are that that talks of going
But never gets away ;
And that talks no less for knowing,
As it grows wiser and older,
That now it means to stay.
My feet tug at the floor
And my head sways to my shoulder
Sometimes when I watch trees sway,
From the window or the door.
I shall set forth for somewhere,
I shall make the reckless choice
Some day when they are in voice
And tossing so as to scare
The white clouds over them on.
I shall have less to say,
But I shall be gone.

Mais vieillir… ! – 30 – Hommage

Hope Gangloff

Elle viendra – 18 – ‘Nocturne’

1, Place Léon-Paul Fargue – Paris 6ème

Léon-Paul Fargue est fait pour traverser ingénument, protégé par son rêve mélancolique, les plus tumultueux événements.  (Jean Zay)

‘Nocturne’

Un long bras timbré d’or glisse du haut des arbres
Et commence à descendre et tinte dans les branches.
Les fleurs et les feuilles se pressent et s’entendent.
J’ai vu l’orvet glisser dans la douceur du soir.
Diane sur l’étang se penche et met son masque.
Un soulier de satin court dans la clairière
Comme un rappel du ciel qui réjouit l’horizon.
Les barques de la nuit sont prêtes à partir.
D’autres viendront s’asseoir sur la chaise de fer.
D’autres verront cela quand je ne serai plus.
La lumière oubliera ceux qui l’ont tant aimée.

Nul appel ne viendra rallumer nos visages.
Nul sanglot ne fera retentir notre amour.
Nos fenêtres seront éteintes.
Un couple d’étrangers longera la rue grise.
Les voix
D’autres voix chanteront, d’autres yeux pleureront
Dans une maison neuve.
Tout sera consommé, tout sera pardonné,
La peine sera fraîche et la forêt nouvelle,
Et peut-être qu’un jour, pour de nouveaux amis,
Dieu tiendra ce bonheur qu’il nous avait promis.

Léon-Paul Fargue 1876-1947 (Photo Man Ray)

 

in L’intransigeant du 18 juin 1932

Elle viendra – 17 – Attraper la fumée

Paul_CézanneL’Estaque et le Château d’If

Le regret de la Terre

Un jour quand nous dirons : “c’était le temps du soleil,
Vous souvenez- vous, il éclairait la moindre famille,
Et aussi bien la femme âgée que la jeune fille étonnée,
Il savait donner leur couleur aux objets dès qu’il se posait.
Il suivait le cheval coureur et s’arrêtait avec lui,
C’était le temps inoubliable où nous étions sur la Terre,
Où cela faisait du bruit de faire tomber quelque chose,
Nous regardions alentour avec nos yeux connaisseurs,
Nos oreilles comprenaient toutes les nuances de l’air
Et lorsque le pas de l’ami s’avançait nous le savions,
Nous ramassions aussi bien une fleur qu’un caillou poli.
Le temps où nous ne pouvions attraper la fumée,
Ah ! c’est tout ce que nos mains sauraient saisir maintenant”.

Jules Supervielle 1884-1960

 

 in Les amis inconnus – Gallimard (1934)

Le mauvais temps du coeur !

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville…

‘Stormy Weather’

Je ne sais pas pourquoi il n’y a pas de soleil dans le ciel
Sale temps
Puisque mon homme et moi sommes séparés
Il pleut tout le temps
La vie est nue, sombre et malheureuse partout
Sale temps
Je ne peux juste pas me ressaisir,
Je suis tout le temps fatiguée
Si fatiguée tout le temps
Quand il est parti, le blues est entré en moi et s’est installé
S’il ne revient pas, la vieille chaise à bascule aura ma peau
Tout ce que je fais, c’est prier le Seigneur d’en haut qu’il me laisse marcher une fois de plus au soleil.
Je ne peux pas continuer, j’ai perdu tout ce que j’avais
Sale temps
Depuis que mon homme et moi sommes séparés,
La pluie ne cesse de tomber

Don’t know why there’s no sun up in the sky
Stormy weather
Since my man and I ain’t together,
Keeps rainin’ all the time
Life is bare, gloom and mis’ry everywhere
Stormy weather
Just can’t get my poorself together,
I’m weary all the time
So weary all the time
When he went away the blues walked in and met me.
If he stays away old rockin’ chair will get me.
All I do is pray the Lord above will let me walk in the sun once more.
Can’t go on, ev’ry thing I had is gone
Stormy weather
Since my man and I ain’t together,
Keeps rainin’ all the time

Temps du silence, silence du temps

Le silence est le désert où fleurit la musique, et la musique, cette fleur du désert, est elle-même une sorte de mystérieux silence.

Vladimir Jankélévitch – La musique et l’ineffable – 1961

Point de musique véritable qui ne nous fasse palper le temps.

Cioran – Syllogismes de l’amertume – 1952

Olga Scheps joue Ottorino Respighi (1879-1936)
« Siciliana »
arrangement pour piano de « Antiche Danze » –  Suite No. 3

🎶

La version orchestrale originale :

Orchestre Philharmonique de La Scala
Direction : Riccardo Chailly

Mais vieillir… ! – 25 – Lettres d’amour

Pour un jeune homme de dix huit ans, dans les années 20 – 1820 –, et de la meilleure extraction, « tout amour est épistolaire », n’est-ce pas, chère Barbara ? Même si, comme chacun sait, s’agissant en particulier de Victor Hugo, que peu de femmes laissèrent indifférent, l’amour préfère tout de même le soyeux des draps aux aspérités du papier…

Avançant en âge, Victor Hugo retrouve, alors qu’il les pensait détruites comme il l’avait souhaité, les lettres d’amour qu’il adressait adolescent à celle qui très vite devint son épouse, Adèle Foucher. Les vers émus ne tardent pas à glisser de sa plume, inspirés par le constat poétique du temps qui passe :

Oh primavera ! gioventù dell’ anno !
Oh gioventù, primavera della vita !

Ô mes lettres d’amour, de vertu, de jeunesse,
C’est donc vous ! Je m’enivre encore à votre ivresse ;
Je vous lis à genoux.
Souffrez que pour un jour je reprenne votre âge !
Laissez-moi me cacher, moi, l’heureux et le sage,
Pour pleurer avec vous !

J’avais donc dix-huit ans ! j’étais donc plein de songes !
L’espérance en chantant me berçait de mensonges.
Un astre m’avait lui !
J’étais un dieu pour toi qu’en mon cœur seul je nomme !
J’étais donc cet enfant, hélas ! devant qui l’homme
Rougit presque aujourd’hui !

Ô temps de rêverie, et de force, et de grâce !
Attendre tous les soirs une robe qui passe !
Baiser un gant jeté !
Vouloir tout de la vie, amour, puissance et gloire !
Être pur, être fier, être sublime et croire
À toute pureté !

À présent, j’ai senti, j’ai vu, je sais. – Qu’importe
Si moins d’illusions viennent ouvrir ma porte
Qui gémit en tournant !
Oh ! que cet âge ardent, qui me semblait si sombre,
À côté du bonheur qui m’abrite à son ombre,
Rayonne maintenant !

Que vous ai-je donc fait, ô mes jeunes années !
Pour m’avoir fui si vite, et vous être éloignées
Me croyant satisfait ?
Hélas ! pour revenir m’apparaître si belles,
Quand vous ne pouvez plus me prendre sur vos ailes,
Que vous ai-je donc fait ?

Oh ! quand ce doux passé, quand cet âge sans tache,
Avec sa robe blanche où notre amour s’attache,
Revient dans nos chemins,
On s’y suspend, et puis que de larmes amères
Sur les lambeaux flétris de vos jeunes chimères
Qui vous restent aux mains !

Oublions ! oublions ! Quand la jeunesse est morte,
Laissons-nous emporter par le vent qui l’emporte
À l’horizon obscur.
Rien ne reste de nous ; notre œuvre est un problème.
L’homme, fantôme errant, passe sans laisser même
Son ombre sur le mur !

Victor Hugo 1802-1885

Extrait de « Les feuilles d’automne » 1831

Mais vieillir… ! – 23 – Le plus beau temps du monde

Tu regardes s’enfuir le plus beau temps du monde.

Le plus beau temps du monde

L’été respire au bout de ce récif de toits,
L’été de ton amour plein de mélancolie,
L’été qu’on voit mourir un peu dans chaque jour
Qui roule jusqu’ici ses falaises de suie.
Églogue fatiguée, l’on entend la chanson
Très pure d’un oiseau au milieu du silence.
Regarde s’enfuir le plus beau temps de la vie,
Le plus beau temps du cœur, la mortelle saison
De la jeunesse aux noirs poisons. Voici la route,
Ce saut de feu dans le délire des cigales
Et de bons parapets pour reposer tes bras.
Dans le ciel campagnard meurt le maigre charroi,
S’envolent les décors barbares des passions :
Petits balcons de fer écumant d’églantines,
Escalades des murs titubants, dérision
Des dorures, outremer houleux des orages.
Tu ne reconnais plus ces folles mousselines
Dans tout ce bleu que fait resplendir sans raison
Chaque matin, parmi plusieurs enfantillages,
L’été de ton amour, la saison du bonheur.

Tu regardes s’enfuir le plus beau temps du monde

Albert Ayguesparse 1900-1996

 

Recueil : Le vin noir de Cahors
(Pierre Seghers – Paris 1957)

‘Quatre-vingt douzième lettre…’

Tout amour est épistolaire

Barbara Auzou

Plus qu’une citation, c’est le titre d’une publication en deux volumes d’un recueil de lettres-poèmes écrites/écrits, depuis son jardin normand, par cette poétesse qui a choisi de partager son art de dire l’amour et le bonheur de vivre entre blog et livre.

Qui dira si elle écrit pour respirer ou si elle respire pour écrire ?
Son souffle, en tout cas, pousse nos vents vers d’heureux horizons.

Quatre-vingt douzième lettre pour toi

encore endormie dans son gris l’aube ne m’a pas prise par la main ce matin

dans l’intervalle entre deux pluies où les oiseaux tendent leurs grands becs circonstanciés

je t’écris

le jardin n’avait pas encore eu le temps de faire son miel que le soleil déjà refermait ses mâchoires solennelles sur des averses de colères inexplicables

et me voici dans mon palais au-dessus des eaux

un grand viager dans les yeux

grattant l’idée d’un monde plus confortable et moins superficiel

tu te doutes que la solitude d’un jour de congé m’est bonne à écrire

dans mon élément entre l’idée du temps et le temps qu’il fait mon esprit est à une langue formidablement nue

j’aimerais être de ces élus à qui la parole des eaux vives s’adresse comme une voix première et perdue

il est vrai qu’après des décennies à la maltraiter il ne nous reste pour dire la nature qu’un ersatz de glossaire

un reliquat desséché de mots dont Colette s’effraierait

mes élèves qui sont pourtant de petits ruraux n’ont plus à leur actif qu’un nom d’arbre

deux noms de fleurs et celui de quelques fruits

je ne te parle même pas des oiseaux

sans doute faut-il mériter tout ce beau à nos pieds et tout ce qui exige ici-bas un concours d’harmonie

abaisser notre prétention à dominer la nature et élever notre désir d’en faire physiquement partie pour que la réconciliation ait lieu

en attendant je te garde au chaud de mes jardins de proximité et d’infini

et au creux de mes bras

on attendra le temps qu’il faut mon âme pour que l’insurrection champêtre du bleu vienne nous reprendre au creux des reins

Barbara Auzou

Du temps

Le temps passe par le trou de l’aiguille des heures.

Jules Renard – Journal

Le rêve est la vraie victoire sur le temps.

Jean-Claude Carrière – Entretiens sur la fin des temps

Géo Norge – Du temps

Dans l’eau du temps qui coule à petit bruit,
Dans l’air du temps qui souffle à petit vent,
Dans l’eau du temps qui parle à petits mots
Et sourdement touche l’herbe et le sable ;
Dans l’eau du temps qui traverse les marbres,
Usant au front le rêve des statues,
Dans l’eau du temps qui muse au lourd jardin,
Le vent du temps qui fuse au lourd feuillage
Dans l’air du temps qui ruse aux quatre vents,
Et qui jamais ne pose son envol,
Dans l’air du temps qui pousse un hurlement
Puis va baiser les flores de la vague,
Dans l’eau du temps qui retourne à la mer,
Dans l’air du temps qui n’a point de maison,
Dans l’eau, dans l’air, dans la changeante humeur
Du temps, du temps sans heure et sans visage,
J’aurai vécu à profonde saveur,
Cherchant un peu de terre sous mes pieds,
J’aurai vécu à profondes gorgées,
Buvant le temps, buvant tout l’air du temps
Et tout le vin qui coule dans le temps.

Géo Norge 1898-1990

 

Œuvres poétiques – Seghers, 1978

‘Cette lenteur…’

L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente

Arthur Rimbaud – Le pont Mirabeau

C’est à pas lents et mesurés qu’il nous faut traverser les saisons de nos souvenirs pour ne surtout pas les déranger.
– Au rythme tendrement nostalgique du poème de Barbara Auzou :

Cette lenteur qu’on ne voit pas passer

parfois le souvenir s’étonne

d’avoir fait son temps

demain est arrivé avec cette lenteur

qu’on n’a pas vu passer

nous avons habité

cette géographie particulière

nous sentant blessés souvent en plein cœur

de ces envols dont nous n’étions pas

demeure dans la cour intérieure

la régulière scansion

de tout ce qui s’est blotti

demeure ce champ de luttes et de caresses

derrière les volets

le sel de la durée sur les pierres parentes

et l’amour n’était pas ce que nous en savions

vois comme il s’émerveille toujours

de la somme de nos résistances

vois comme il reste curieux de tous les voyages

épouse ensemble le vaste et le profond

l’artère qui remonte jusqu’à notre maison

laisse doucement se recomposer le rond

tremblant d’une totalité

s’y pose un jour un oiseau venu nous assurer

du parallèle de nos saisons

Barbara Auzou

 

 

 

Mais vieillir… ! – 15 – ‘Tard dans la vie’

Tard dans la vie

Je suis dur
Je suis tendre
Et j’ai perdu mon temps

À rêver sans dormir
À dormir en marchant

Partout où j’ai passé
J’ai trouvé mon absence
Je ne suis nulle part
Excepté le néant
Mais je porte accroché au plus haut des entrailles
À la place où la foudre a frappé trop souvent
Un cœur où chaque mot a laissé son entaille
Et d’où ma vie s’égoutte au moindre mouvement

Pierre Reverdy (1959)
extrait de La liberté des mers (Éditions Flammarion)

Mais vieillir… ! – 12 – ‘A la dérive’

Invano, invano lotto
per possedere i giorni
che mi travolgono rumorosi.

En vain, en vain je lutte
pour m’emparer des jours
qui bruyamment m’emportent.

Vincenzo Cardarelli : ‘A la dérive’

A la dérive
.

La vie, je l’ai châtiée en la vivant.
Au plus loin où mon cœur m’a conduit,
hardiment je suis allé.
Maintenant ma journée n’est plus
qu’une alternance stérile
de désastreuses habitudes
et je voudrais sortir du cercle noir.
Quand je me retrouve à l’aube,
un caprice me prend, un désir
de ne pas dormir.
Et je rêve de départs absurdes,
d’impossibles délivrances.
Hélas, tous mes remords 
enfouis et cuisants
n’ont pas d’autre exutoire
que le sommeil, s’il vient.
En vain, en vain je lutte
pour m’emparer des jours
qui bruyamment m’emportent.
Je me noie dans le temps.

Version originale dite par Vittorio Gassman

et illustrée par des peintures de Edvard Munch

Alla deriva

La vita io l’ho castigata vivendola.
Fin dove il cuore mi resse
arditamente mi spinsi.
Ora la mia giornata non è più
che uno sterile avvicendarsi
di rovinose abitudini
e vorrei evadere dal nero cerchio.
Quando all’alba mi riduco,
un estro mi piglia, una smania
di non dormire.
E sogno partenze assurde,
liberazioni impossibili.
Oimè. Tutto il mio chiuso
e cocente rimorso
altro sfogo non ha
fuor che il sonno, se viene.
Invano, invano lotto
per possedere i giorni
che mi travolgono rumorosi.
Io annego nel tempo.

Mais vieillir… ! – 11 – Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait

Il possédait le seul antidote contre le venin de la vieillesse, il savait lire.

Luis Sepúlveda
Le Vieux qui lisait des romans d’amour

Je sais ce que c’est d’être jeune

https://youtu.be/ZsxonzhUqXU

Quand on est jeune, l’âge ne signifie rien
Je n’y avais jamais prêté attention
Jusqu’à ce qu’un jour vienne ce vieil homme
Et voici ce qu’il m’a dit
Et voici ce qu’il m’a dit
.
Je sais ce que c’est d’être jeune
Mais toi, tu ne sais pas ce qu’est d’être vieux
Un jour, tu me diras la même chose
Le temps emporte tout à ce qu’on dit
.
J’ai posé plein de questions
Aux sages que j’ai rencontrés
Je n’ai pas pu trouver toutes les réponses
Personne n’y a réussi.
Il y aura des jours mémorables
Remplis de rires et de larmes
Après l’été vient l’hiver, et les années passent
Alors mon ami…
Faisons de la musique ensemble
Je jouerai un vieil air pendant que tu m’en chanteras un nouveau
Un jour quand tes jeunes années auront passé
Il y aura quelqu’un pour partager son temps avec toi
.
Je sais ce que c’est d’être jeune
Mais toi, tu ne sais pas ce qu’est d’être vieux
.
Alors mon ami…
Faisons de la musique ensemble
Je jouerai un vieil air pendant que tu me chanteras le nouveau
Un jour quand tes jeunes années auront passé
Il y aura quelqu’un pour partager son temps avec toi