Extase macabre

Pierre Bonnaud (1865-1930), Salomé (1890,) Musée d’Orsay

Simple silhouette fugitive du récit évangélique, éclipsée par Judith dans l’art, Salomé a attendu la fin du XIXème siècle pour se muer en un mythe universel. Dès lors objet de fascination, elle devient dans la littérature, la peinture et la musique, l’icône de la décadence fin-de-siècle, figure emblématique dans laquelle se reflètent tous les fantasmes : vierge hystérique éprise d’absolu, femme fatale vénéneuse à la perversion destructrice, incarnation de l’érotisme obsessionnel et du macabre absolu.

Beauté envoûtante de la représentation artistique du mal, Salomé est devenue l’archétype parfait de la fusion entre la séduction esthétique et l’effondrement moral, une thématique centrale de la fin du XIXème siècle.

Si de toutes les nombreuses expressions artistiques du personnage qui nous ont été jusqu’à présent offertes, il me fallait n’en retenir qu’une seule, mon choix se porterait sans hésitation sur la représentation qu’en a donnée Richard Strauss à travers son opéra éponyme de 1905 inspiré de la pièce de théâtre qu’Oscar Wilde tira de sa lecture des Évangiles de Marc et de Matthieu.

Et, partageant l’enthousiasme du musicologue Alain Duault qui présente ici brièvement et justement l’œuvre, je choisirais d’emporter sur mon île déserte – déjà bien achalandée – la version du metteur en scène Ivo van Hove (2017) enregistrée pour les cinémas U.G.C., dans laquelle la soprano suédoise Malin Byström incarne une Salomé des plus troublantes. Envoûtante !

Chanson d’un amour ancien

L’amour, c’est une chanson qu’on chante à deux ; après avoir chanté la chanson, on ne chante plus que le refrain, et quelquefois on le chante tout seul !

Joaquin Sorolla ‘Clotilde à la plage’ (1904)

Extraite de la grande richesse du folklore argentin, une incontournable chanson lente et mélodieuse (tonada), typique de la région andine du Cuyo, écrite en 1962 par le guitariste et compositeur Eduardo Falú sur des paroles de Jaime Dávalos.

« Tonada de un viejo amor »

Ya nunca te he de olvidar,
que en la arena me escribías,
el viento lo fue borrando
y estoy más solo mirando el mar.
Qué lindo cuando una vez
bajo el sol del mediodía
se abrió tu boca en el beso
como un damasco lleno de miel.

Herida la de tu boca
que lastima sin dolor,
no tengo miedo al invierno
con tu recuerdo lleno de sol.

Quisiera volverte a ver
sonreír frente a la espuma,
tu pelo suelto en el viento
como un torrente de trigo y luz.
Yo sé que no vuelve más
el verano en que me amabas,
que es ancho y negro el olvido
y entra el otoño en mi corazón.

Herida la de tu boca…

Chanson d’un amour ancien

Je n’oublierai jamais
que tu m’écrivais sur le sable,
le vent peu à peu a effacé tes mots
me laissant plus seule encore, regardant la mer.
C’était si beau quand une fois
en un baiser sous le soleil de midi
ta bouche s’ouvrit
comme un abricot plein de miel.  

Morsure de ta bouche
qui blesse sans douleur
je ne crains pas l’hiver
dans le soleil de ton souvenir.  

J’aimerais revoir ton sourire
face à l’écume,
tes cheveux lâchés dans le vent,

torrent de blé et de lumière.
Je sais que ne reviendra plus
le bel été o`u tu m’aimais,
que l’oubli est vaste et noir,

que l’automne habite mon cœur.  

Morsure de ta bouche

Fulgurances – LIV – Lumière

Aimer la beauté, c’est voir la lumière.

Salve Regina – Mater misericordiae –
Marie-Sophie Pollak (soprano)
Barockensemble Concerto München

Paître en paix !

Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles !

Si l’on cherchait un hymne aux temps heureux que nous vivons, aussi beau que judicieux et représentatif des réalités du moment, aucun choix ne conviendrait mieux que la splendide aria extraite de la cantate profane de Jean-Sébastien Bach, BWV 208 « Was mir behagt, ist nur die muntre Jagd » (Mon seul plaisir est la joie de la chasse).

Merci à tous les sages qui gouvernent le monde !

Schafe können sicher weiden
Wo ein guter Hirte wacht.

Wo Regenten wohl regieren
Kann man Ruh’ und Friede spüren
Und was Länder glücklich macht.

Les moutons peuvent paître en toute sécurité
là où un bon berger veille sur eux.

Là où les souverains gouvernent avec sagesse,
on peut goûter paix et tranquillité,
et c’est ce qui rend un pays heureux.

L’herbe écoute (15) – Papillons / X

Dans notre France en bascule entre XIXème et XXème siècles, les courants musicaux passent et se métamorphosent, les sensibilités mutent, l’esthétique des formes se renouvelle, se modernise. Demeurent les thématiques et les symboles : Amour, Beauté, Mort. Ne les dit-on pas éternels ? Nul donc ne s’étonnerait de retrouver encore, insouciant philosophe, notre papillon virevoltant autour du piano de Debussy ou butinant un Si bémol sur une portée de Gabriel Fauré.

Une fleur déclare au papillon son amour et lui confie ses tourments. Qui se ressemble s’assemble, mais…

Et nous nous ressemblons, et l’on dit que nous sommes
Fleurs tous deux !

Cette petite pièce est commandée à Fauré par son éditeur qui souhaitait qu’elle fût brillante, virtuose, difficile mais lyrique. Fauré s’exécuta, la pièce fut enregistrée au catalogue en septembre 1884. Mais le compositeur et l’éditeur ne pouvant s’accorder sur le titre, l’œuvrette resta dans un tiroir. Ce n’est qu’en 1898 que Gabriel Fauré en permit la publication sous le titre « Papillon ».

Le musicologue Jean-Michel Nectoux rapporte que Fauré accompagna son approbation de cette phrase à destination de l’éditeur : « Papillon ou mouche à m…, mettez ce que vous voulez ! » 

D’aucuns auraient peut-être choisi « Vol du bourdon », non sans préciser – rigueur musico-entomologique oblige – « à la française ».  Comparaison n’est pas raison, mais…

Le court poème « Les papillons », extrait de « La comédie de la mort », recueil publié en 1838 par Théophile Gauthier, aura reçu les faveurs musicales d’Ernest Chausson et de Claude Debussy. La « Mélodie Française » pouvait-elle être mieux servie ?

L’herbe écoute (14) – Papillons/IX

Thème du ballet : Une histoire de fée, de magie et d’amour. Une servante, transformée en papillon par une fée maléfique, est finalement libérée de son sort et peut épouser le prince qu’elle aime.

La « Valse du papillon », encore appelée « Valse des rayons », accompagne dans le ballet les envolées gracieuses de la ballerine. Un moment de musique pleine de légèreté, d’élégance et de vivacité, caractéristique du style d’Offenbach. Le succès de cette valse la rendra indépendante du ballet originel ; elle deviendra une pièce de concert à part entière, offrant au vers célèbre de Musset un nouvel horizon : « La valse d’un coup d’aile a détrôné la danse ». (Que l’auteur et le lecteur me pardonnent !)

– Tourbillonnons, voulez-vous ? Une valse pour effacer le temps…

Où t’envoles-tu, si frêle
Petit papillon léger ?

Massenet est depuis longtemps reconnu comme maître de l’opéra lorsqu’il écrit ces deux pièces pour piano. Sa musique ici cherche à traduire des impressions et laisse déjà entendre la transition de l’époque romantique vers l’impressionnisme cher à Debussy.

L’herbe écoute (13) – Papillons / VIII

Georges Brassens, ce grand monsieur bien sympathique, un peu bourru, œil profond, moustache épaisse et guitare grivoise, qui jadis – il n’y a pas si longtemps – parlait et écrivait notre langue comme un académicien un tantinet encanaillé, aurait-il capturé tous les papillons qui pendant des siècles avaient choisi d’égayer les partitions des musiciens français ?

Il est vrai qu’aujourd’hui le vol à la mode est le vol à mains armées, et que la balle de kalachnikov sonne plus fort que l’éternuement d’un papillon.

C’est pourtant aux français, parmi tous les compositeurs européens des siècles précédents, de la période baroque jusqu’au début de la modernité en passant par l’ère romantique, que le papillon doit sa part musicale la plus riche. Tant de leurs œuvres ont mis le bel insecte à l’honneur : arias d’opéras, musiques de ballet, chansons populaires, pièces instrumentales diverses et, – merveilles de la « Mélodie Française » -, romances suaves destinées à accompagner les poèmes que sa grâce et sa symbolique auront inspirés.

André Campra 1660-1744
« Chanson du papillon »
(extrait des « Fêtes Vénitiennes » – opéra-ballet)
Kaja Eidé Noréna
(soprano)

Jean-Philippe Rameau 1683-1764
« Papillon inconstant »
(« Les Indes Galantes » / 1735 – extrait)
Melissa Petit
(soprano)

Les Talens Lyriques
Direction : Christophe Rousset 

L’herbe écoute (12) – Papillons / VII

On ne s’étonnera pas que les musiciens espagnols aient plus volontiers salué les taureaux que les papillons, confiant leurs improvisations à de rares instruments bien peu communs.

Les compositeurs anglais, pour leur part – discrète cependant – ont été un peu plus attentifs à notre lépidoptère, le faisant apparaître en filigrane dans certaines de leurs œuvres comme Britten dans sa pièce pour enfant « The Little Sweep » (Le Petit Ramoneur), ou Arnold Bax dans quelques pièces pour piano inspirées du monde celtique. Haendel au XVIIIème siècle et Frederic Hymen Cowen au début du XXème auront accordé un bel intérêt à ce cher papillon.

L’herbe écoute (11) – Papillons / VI

A l’évidence la délicatesse, la légèreté et la fragilité du papillon ont particulièrement enchanté les compositeurs italiens pour qu’ils nous enchantent eux-mêmes à leur tour. Baroques ou romantiques c’est au cristal de la voix de soprano qu’ils ont confié l’évocation sonore du gracieux insecte, ou, à défaut, à l’aérienne agilité de la flûte.

Antonio Vivaldi (1678-1741)
« La farfaletta s’aggira al lume » – RV 660
Cantate pour soprano – Aria I
Arianna Vendittelli (soprano)
Andrea Buccarella dirige l’Abchordis Ensemble

Antonio Vivaldi (1678-1741)
« La farfalletta audace »
Aria pour voix et basse continue d’un opéra non identifié. RV 749.6
Simone Kermes (soprano) 
Venice Baroque Orchestra – Direction Andrea Marcon

Vincenzo Bellini (1801-1835)
« La Farfalletta » 
Mélodie extraite des Composizioni da camera
Juliette Mey (soprano) – Payaka Niwano (piano)

L’herbe écoute (5) – Papillons / I

Entre Rhopalocères (papillons de jour) et Hétérocères (papillons de nuit), l’entomologie dénombre aujourd’hui plus de 200 000 espèces de papillons – Ô pardon, faisons illusion jusqu’au bout : 200 000 espèces de Lépidoptères. (Doctus cum libro)

Et si, naturellement, la musique ne propose pas autant d’œuvres consacrées aux papillons, une modeste recherche suffira à aisément débusquer une quantité non négligeable – et bien séduisante – de compositions inspirées par la beauté multicolore, la grâce ou la symbolique de cette fascinante créature légère et virevoltante.

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Une première évidence, même si le sujet n’est pas l’insecte lui-même : comment ne pas penser d’emblée à la douceur de la célèbre Cio-Cio-San, Madame Butterfly, qui grâce à Puccini a sans doute offert à l’Opéra ses heures les plus belles et les plus glorieuses. – Papillon pourrait-il obtenir un rôle plus prestigieux ?

Comme le papillon la beauté de notre héroïne est fragile et éphémère, comme lui, sa liberté est illusoire, sa courte vie une violente métamorphose, et l’exotisme qu’elle incarne à travers sa délicatesse héritée d’une autre culture aiguise tant de curiosité.

Parlez-moi d’amour – 0 – Envoi

Cette minuscule anthologie-souvenir pour introduire une série de billets à venir dont l’unique mission sera de « parler d’amour »… Un peu plus directement peut-être que ne l’auront fait les centaines de leurs prédécesseurs sur ces pages, mais toujours au travers de la sensibilité des experts du thème : les artistes.

Ne serait-ce pas le moins que puisse faire un ancêtre, en souvenir d’un ancêtre, par ces temps difficiles où le mot « GUERRE », que l’on imaginait réservé aux seuls livres d’histoire choisit d’occuper tout l’espace de la jeunesse ?

Fulgurances – XLII – ‘Pa-Pa-Pa…’

Vent de grâce

Ce billet sera republié automatiquement le 5 décembre 2257

Wolfgang Amadeus Mozart 27 janvier 1756 – 5 décembre 1791

5 décembre 1791 — 5 décembre 2024

233 ans plus tard :
le vent, plus suave que jamais…
la grâce, toujours au coin du pupitre !

‘Soave sia il vento’

Terzettino entre Fiordiligi, Dorabella et Don Alfonso
extrait de Così fan tutte’

Soave sia il vento
Tranquilla sia l’onda
Ed ogni elemento
Benigno risponda
Ai nostri desir

Suave soit le vent,
Tranquille soit l’onde,
Puissent tous les éléments
Favorablement répondre
À nos désirs.

Samantha Clarke (Fiordiligi)
Anna Dowsley
(Dorabella)
Shaun Brown
(Don Alfonso)

Zoe Zeniodi dirige le ‘Queensland Symphony Orchestra’

Fulgurances – XXX – Louanges

Barbara Strozzi (Venise 1619 – Padoue 1677)

 

 

O Maria, quam pulchra es,
quam suavis, quam decora.
 
Tegit terram sicut nebula,
lumen ortum indeficiens,
flamma ignis, Arca federis,
inter spinas ortum lilium,
tronum [S]ion in Altissimis
in columna nubis positum.
 
O Maria…
 
Ante sæcula creata
girum cœli circuivit sola,
profundum abissi penetravit.
Et in fluctibus maris ambulavit,
omnium corda virtute calcavit,
et in hereditate Domini morata est.
 
Tegit terram…
O Maria…
 
Alleluia.
Ô Marie, que tu es belle,
que tu es douce, que tu es avenante.
 
Elle enveloppe la terre tel un nuage,
une lumière s’élève infaillible,
une flamme, un feu, l’Arche d’Alliance,
un lys poussé parmi les épines,
le trône de Sion placé au plus haut
dans une colonne de nuée.
 
Ô Marie…
 
Avant la création des siècles,
elle a parcouru les confins du ciel,
et a pénétré les profondeurs de l’abîme.
Elle a marché sur les flots de la mer,
foulé avec vertu le cœur de tous,
et persévéré dans l’héritage du Seigneur.
 
Elle enveloppe la terre…
Ô Maria…
 
Alléluia.

*Petit commentaire sur Perles d’Orphée

 

Fulgurances – XXV – Numineux

Wolfgang Amadeus Mozart 1756-1791

Natalie Dessay (soprano)
chante 
‘Et Incarnatus Est’
extrait de la Messe en Ut mineur

(En répétition avec le chef d’orchestre Louis Langrée)