Chanson d’un amour ancien

L’amour, c’est une chanson qu’on chante à deux ; après avoir chanté la chanson, on ne chante plus que le refrain, et quelquefois on le chante tout seul !

Joaquin Sorolla ‘Clotilde à la plage’ (1904)

Extraite de la grande richesse du folklore argentin, une incontournable chanson lente et mélodieuse (tonada), typique de la région andine du Cuyo, écrite en 1962 par le guitariste et compositeur Eduardo Falú sur des paroles de Jaime Dávalos.

« Tonada de un viejo amor »

Ya nunca te he de olvidar,
que en la arena me escribías,
el viento lo fue borrando
y estoy más solo mirando el mar.
Qué lindo cuando una vez
bajo el sol del mediodía
se abrió tu boca en el beso
como un damasco lleno de miel.

Herida la de tu boca
que lastima sin dolor,
no tengo miedo al invierno
con tu recuerdo lleno de sol.

Quisiera volverte a ver
sonreír frente a la espuma,
tu pelo suelto en el viento
como un torrente de trigo y luz.
Yo sé que no vuelve más
el verano en que me amabas,
que es ancho y negro el olvido
y entra el otoño en mi corazón.

Herida la de tu boca…

Chanson d’un amour ancien

Je n’oublierai jamais
que tu m’écrivais sur le sable,
le vent peu à peu a effacé tes mots
me laissant plus seule encore, regardant la mer.
C’était si beau quand une fois
en un baiser sous le soleil de midi
ta bouche s’ouvrit
comme un abricot plein de miel.  

Morsure de ta bouche
qui blesse sans douleur
je ne crains pas l’hiver
dans le soleil de ton souvenir.  

J’aimerais revoir ton sourire
face à l’écume,
tes cheveux lâchés dans le vent,

torrent de blé et de lumière.
Je sais que ne reviendra plus
le bel été o`u tu m’aimais,
que l’oubli est vaste et noir,

que l’automne habite mon cœur.  

Morsure de ta bouche

Elle viendra – 23 – Promenade

Fulgurances – XLVI – ‘Nuit’

Mais vieillir… ! – 29 – Tard, déjà !

George Shipperley

‘Jean des brumes’

Fulgurances – XXXVII – Éclats

‘Le miroir brisé’

Le petit homme qui chantait sans cesse
le petit homme qui dansait dans ma tête
le petit homme de la jeunesse
a cassé son lacet de soulier
et toutes les baraques de la fête
tout d’un coup se sont écroulées
et dans le silence de cette fête
dans le désert de cette fête
j’ai entendu ta voix heureuse
ta voix déchirée et fragile
enfantine et désolée
venant de loin et qui m’appelait
et j’ai mis ma main sur mon coeur
où remuaient
ensanglantés
les sept éclats de glace de ton rire étoilé.

Jacques Prévert 1900-1977

 

 

in Paroles

Voix du temps – Voix du tango

Yo habré muerto y seguirás
orillando nuestra vida.
Buenos Aires no te olvida,
tango que fuiste y serás.*

BorgesAlguien le dice al tango 

*Je serai mort, tu resteras
Coulant au bord de notre vie.
Pour Buenos Aires pas d’oubli,
Tango tu fus et tu seras.

Carlos Gardel

Cuesta abajo

Si arrastré por este mundo
la vergüenza de haber sido
y el dolor de ya no ser,
bajo el ala del sombrero,
cuántas veces, embozada,
una lágrima asomada
yo no pude contener.
.
Si vagué por los caminos
como un paria que el destino

se empeñó en deshacer.
Si fui flojo, si fui ciego,
sólo quiero que comprendan
el valor que representa
el coraje de querer.

.Era para mí la vida entera
como un sol de primavera,
mi esperanza y mi pasión.
Sabía que en el mundo no cabía
toda la humilde alegría
de mi pobre corazón.
.
Ahora, cuesta abajo en mi rodada
las ilusiones pasadas
ya no las puedo arrancar.
Sueño, con el pasado que añoro,
el tiempo viejo que lloro
y que nunca volverá.
.
Por seguir tras de su huella
yo bebí incansablemente
en mi copa de dolor.
Pero nadie comprendía
que si todo yo lo daba,
en cada vuelta dejaba
pedazos de corazón.
.
Ahora triste en la pendiente,
solitario y ya vencido,
yo me quiero confesar.
Si aquella boca mentía,
el amor que me ofrecía,
por aquellos ojos brujos
yo habría dado siempre más.
Alfredo Le Pera & Carlos Gardel
.
.
‘Cuesta Abajo’
.
Inès Cuello  La Grela Quinteto de Tango
.

Pente descendante

Si j’ai traîné par le monde
la honte d’avoir été
et la douleur de ne plus être,
sous le rebord de mon chapeau
combien de fois, cachée,
une larme a roulé
que je n’ai pu retenir.
.
Si j’ai erré par les chemins
comme un paria que le destin
s’acharnait à détruire
Si j’ai été lâche, et aveugle,
comprenez seulement
la valeur que représente
le courage d’aimer.
.
Elle, elle était pour moi toute la vie
comme un soleil printanier,
mon espérance et ma passion.
Je savais que le monde ne ferait pas place
à l’humble bonheur
de mon pauvre cœur.
.
Maintenant, sur la pente descendante
les illusions passées
je ne puis les rejeter.
Je rêve, avec le passé que je pleure
le temps passé que je regrette
et qui jamais ne reviendra.
.
Pour suivre ses traces
j’ai bu inlassablement
la coupe de ma douleur.
Mais personne n’a compris
que si j’avais tout donné
à chaque fois j’y laissais
un morceau de mon cœur
.
Désormais triste sur la pente descendante
solitaire et déjà vaincu,
je voudrais confesser
que si jamais cette bouche m’a menti
en m’offrant son amour,
pour ces yeux ensorcelants
j’aurais donné toujours plus
.

Fulgurances – XXXVI – Terre nue

Roman Bozhkov

La terre est nue

La terre est nue,
et l’âme hurle à l’horizon pâle
comme une louve famélique. Que cherches-tu,
poète, dans le couchant ?

amère marche, car le chemin
est lourd à mon cœur ! le vent glacé,
et la nuit qui survient, et l’amertume
de la distance !… Sur le chemin blanc

quelques arbres transis font une tache noire ;
sur les monts lointains
il y a de l’or et du sang… Le soleil est mort… Que
cherches-tu,
poète, dans le couchant ?

« Galeries »
in ‘Champs de Castille, précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi de Poésies de la guerre’ – Préface de Claude Esteban – Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé –  (Gallimard)

Antonio Machado Séville 1875 – Collioure 1939

Desnuda está la tierra.

Desnuda está la tierra,
y el alma aúlla al horizonte pálido
como loba famélica. ¿Qué buscas,
poeta, en el ocaso?

¡Amargo caminar, porque el camino
pesa en el corazón! ¡El viento helado,
y la noche que llega, y la amargura
de la distancia!… En el camino blanco

algunos yertos árboles negrean;
en los montes lejanos
hay oro y sangre… El sol murió… ¿Qué buscas,
poeta, en el ocaso?

Soledades, galerías y otros poemas, 1903

Fulgurances – XIV – Caresser l’obscur

François Cheng (né en 1929)

Caresser l’obscur
S’enfoncer dans la nostalgie
           du marais
Retrouver l’instant
Où les poissons ensevelis

Se redéploient
           en milans
           en effraies
Dans l’odeur des vagues figées

Le ragondin sortant des roseaux
Avale un quartier de lune
Puis s’endort à même l’immense bruissement
Que propagent mille lieues à la ronde
Les canaux de sang
           aux anciens flux et reflux
Qui se souviennent
Qui viennent

Qui dira notre nuit – Arfuyen – 2003

Mais vieillir… ! – 22 – Ton souvenir

À la mémoire de Micheline

Merci de ces heures d’hier qui resteront plantées dans mon souvenir pour y refleurir souvent.

Rainer Maria Rilke – Lettres à une amie vénitienne

Le premier amour est toujours le dernier.

Dicton

Christine Mattei-Barraud dit le poème d’Albert Samain
« Ton souvenir »
Musique : Mendelssohn Lied Op. 34 N°3

Ton souvenir

Ton Souvenir est comme un livre bien-aimé,
Qu’on lit sans cesse et qui jamais n’est refermé,
Un livre où l’on vit mieux sa vie et qui vous hante
D’un rêve nostalgique, où l’âme se tourmente.

Je voudrais, convoitant l’impossible en mes vœux,
Enfermer dans un vers l’odeur de tes cheveux,
Ciseler avec l’art patient des orfèvres
Une phrase infléchie au contour de tes lèvres..

Emprisonner ce trouble et ces ondes d’émoi
Qu’en tombant de ton âme, un mot propage en moi.
Dire, oh surtout ! Tes yeux doux et tièdes parfois
Comme une après-midi d’automne dans les bois.

De l’heure la plus chère enchâsser la relique,
Et, sur le piano, tel soir mélancolique,
Ressusciter l’écho presque religieux
D’un ancien baiser attardé sur tes yeux.

Albert Samain 1858-1900

‘Cette lenteur…’

L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente

Arthur Rimbaud – Le pont Mirabeau

C’est à pas lents et mesurés qu’il nous faut traverser les saisons de nos souvenirs pour ne surtout pas les déranger.
– Au rythme tendrement nostalgique du poème de Barbara Auzou :

Cette lenteur qu’on ne voit pas passer

parfois le souvenir s’étonne

d’avoir fait son temps

demain est arrivé avec cette lenteur

qu’on n’a pas vu passer

nous avons habité

cette géographie particulière

nous sentant blessés souvent en plein cœur

de ces envols dont nous n’étions pas

demeure dans la cour intérieure

la régulière scansion

de tout ce qui s’est blotti

demeure ce champ de luttes et de caresses

derrière les volets

le sel de la durée sur les pierres parentes

et l’amour n’était pas ce que nous en savions

vois comme il s’émerveille toujours

de la somme de nos résistances

vois comme il reste curieux de tous les voyages

épouse ensemble le vaste et le profond

l’artère qui remonte jusqu’à notre maison

laisse doucement se recomposer le rond

tremblant d’une totalité

s’y pose un jour un oiseau venu nous assurer

du parallèle de nos saisons

Barbara Auzou

 

 

 

Mais vieillir… ! – 20 – ‘Yesterday’

Oh, yesterday came suddenly

Oh, I believe in yesterday  

Paul McCartney

« Yesterday »

Madame Shirley Horn

Why he had to go I don’t know he wouldn’t say
I said something wrong, now I long for yesterday

Yesterday
All my troubles seemed so far away
Now it looks as though they’re here to stay
Oh, I believe in yesterday

Suddenly
I’m not half the girl I used to be
There’s a shadow hanging over me
Oh, yesterday came suddenly

Why he had to go I don’t know he wouldn’t say
I said something wrong, now I long for yesterday

Yesterday
Love was such an easy game to play
Now I need a place to hide away
Oh, I believe in yesterday

Why he had to go I don’t know he wouldn’t say
I said something wrong, now I long for yesterday

Yesterday
Love was such an easy game to play
Now I need a place to hide away
Oh, I believe in yesterday

Too many musicians rush through everything with too many notes. A ballad should be a ballad. It’s important to understand what the song is saying, and learn how to tell the story. It takes time. I can’t rush it. I really can’t rush it.

Shirley Horn

Trop de musiciens se précipitent à travers tout avec trop de notes. Une ballade doit être une ballade. Il est important de comprendre ce que dit la chanson et d'apprendre à raconter l'histoire. Ça prend du temps. Je ne peux pas me précipiter. Je ne peux vraiment pas me précipiter.

Mais vieillir… ! – 19 – ‘Un été 42’

Dieu, ton plaisir jaloux est de briser les cœurs !
Tu bats de tes autans le flot où tu te mires !
Oh ! pour faire, Seigneur, un seul de tes sourires,
Combien faut-il donc de nos pleurs ?

Stéphane Mallarmé – ‘Élégies‘ II-3

In everyone’s life there is a summer of ’42

Pour la musique de Michel Legrand

Pour le charme lumineux de Jennifer O’Neil

Pour le juste reflet de l’adolescent qu’incarne Gary Grimes

Pour le film de Robert Mulligan, « Summer of ’42 » (1971)

Pour sentir encore le parfum nostalgique du premier amour… et

Pour, une dernière fois, de ses larmes en goûter le sel

L’adolescence, comme le prétendait François Truffaut, ne laisse-t-elle un bon souvenir qu’aux adultes ayant mauvaise mémoire ?

‘Idylle pour Ida’

… Ida Presti, dont le legato sublime – jamais égalé – et le savoureux vibrato porté par un sens lyrique inné, pouvaient s’exprimer en toute plénitude.

Danielle Ribouillault
Musicologue, fondatrice et rédactrice en chef des ‘Cahiers de
la guitare‘ (2006)

§

— Oui, c’est ASTURIAS d’Isaac Albeniz, mille fois jouée par les plus grands guitaristes qui, mille fois, nous ont étourdis par leur talent, leur sonorité et leur virtuosité.

— Non, il n’existe pas d’interprétation enregistrée (malgré la piètre qualité technique de cet enregistrement-là) aussi pure, aussi virtuose et aussi belle – pardon Maître Segovia ! – que celle de la « Reine » Ida Presti.

§

Sensible, sensible, passionnée, d’un extrême sérieux, c’était un génie. Aucun guitariste de toute ma vie ne m’a jamais ému comme elle l’a fait. Elle était la musique in persona. Je crois qu’elle était le meilleur guitariste de notre siècle. Elle était quelque chose d’inexplicable.

Alexandre Lagoya (1929-1999)
Guitariste exceptionnel, son mari depuis1953

Pendant une courte période, nous avons eu un génie parmi nous et il est presque impossible d’en rencontrer un autre de ce genre au cours de notre vie.

John W. Duarte (1919-2004)
Guitariste, compositeur

§

Au décès soudain, en pleine fleur de l’âge, d’Ida Presti, en avril 1967, John Duarte, à travers sa tristesse, composa, en mémoire de son amie qu’il admirait tant, « Idylle pour Ida ».

C’est en reine, elle-même, de l’instrument que Berta Rojas donne à ce bel hommage musical en l’honneur de sa prodigieuse aînée, l’écho qu’il mérite.

Mais vieillir… ! – 17 – Ce soir, je bois

Cette nuit, je vais écrire mon livre.
Il est temps, depuis l’temps.
C’est mon roman, c’est mon histoire !
Il y a des choses qu’on n’écrit
Que lorsqu’il est très tard,
Que lorsqu’il fait bien nuit…

Serge Reggiani

‘La chanson de Paul’

Ce soir, je bois !
Tu peux toujours éteindre la lampe
Et ta main blanche glissant sur la rampe
Monter jusqu’à ta chambre
Pour y chercher ton sommeil noir…
Moi, je reste en bas ce soir
Et je bois !
Oui, j’ai promis !
Oui, mais je bois quand même !
Va, je t’aime.
Va dans ta nuit…

Je bois…
Aux femmes qui ne m’ont pas aimé
Aux enfants que je n’ai pas eus
Mais à toi qui m’a bien voulu…
Je bois…
A ces maisons que j’ai quittées
Aux amis qui m’ont fait tomber
Mais à toi qui m’as embrassé…
Mais à toi qui m’as embrassé…

Ce soir-là
On sortait d’un cinéma
Il faisait mauvais temps
Dans la rue Vivienne
J’étais très élégant
J’avais ma canadienne
Toi tu avais ton manteau rouge
Et je revois ta bouche
Comme un fruit sous la pluie…
Comme un fruit sous la pluie…

Ce soir, je bois !
Heureusement, je ne suis jamais ivre.
Dors… Cette nuit, je vais écrire mon livre.
Il est temps, depuis l’temps.
C’est mon roman, c’est mon histoire !
Il y a des choses qu’on n’écrit
Que lorsqu’il est très tard,
Que lorsqu’il fait bien nuit…
Dors, je t’aime.
Dors dans ma vie…

Je bois…
Aux lettres que je n’ai pas écrites,
A des salauds qui les méritent
Mais je n’sais plus où ils habitent…
Je bois…
A toutes les idées que j’ai eues.
Je bois aussi dès qu’ils m’ont eu
Mais à toi qui m’a défendu,
Mais à toi qui m’a défendu…

Ce jour-là,
Dans un café du quinzième,
Tu m’avais dit: «je t’aime»
Je n’écoutais pas.
Y avait toute une équipe.
On parlait politique.
Je m’suis battu avec un type
Et tu m’as emmené
Comme un enfant blessé,
Comme un enfant blessé…

Je bois…
Au combat que tu as mené
Pour m’emmener loin de la fête.
Ce soir, je bois à ta défaite.
Je bois…
Au temps passé à te maudire,
A te faire rire, à te chérir,
Au temps passé à te vieillir.
Je bois…
Aux femmes qui ne m’ont pas aimé,
Aux enfants que je n’ai pas eus
Mais à toi qui m’a bien voulu,
Mais à toi qui m’a bien voulu.

Producteur : Claude Dejacques
Compositeur : Alain Goraguer
Auteur : Jean-Loup Dabadie