Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
– À cent ans, l’être humain peut se passer de l’amour et de l’amitié. Les maux et la mort involontaire ne sont plus une menace pour lui. Il pratique un art quelconque, il s’adonne à la philosophie, aux mathématiques ou bien il joue aux échecs en solitaire. Quand il le veut, il se tue. Maître de sa vie, l’homme l’est aussi de sa mort.
– Il s’agit d’une citation ? lui demandai-je.
– Certainement. Il ne nous reste plus que des citations. Le langage est un système de citations.
Elle est bien laide. Elle est délicieuse pourtant ! Le Temps et l’Amour l’ont marquée de leurs griffes et lui ont cruellement enseigné ce que chaque minute et chaque baiser emportent de jeunesse et de fraîcheur. Elle est vraiment laide ; elle est fourmi, araignée, si vous voulez, squelette même ; mais aussi elle est breuvage, magistère, sorcellerie ! En somme, elle est exquise. Le Temps n’a pu rompre l’harmonie pétillante de sa démarche ni l’élégance indestructible de son armature. L’Amour n’a pas altéré la suavité de son haleine d’enfant ; et le Temps n’a rien arraché de son abondante crinière d’où s’exhale en fauves parfums toute la vitalité endiablée du Midi français : Nîmes, Aix, Arles, Avignon, Narbonne, Toulouse, villes bénies du soleil, amoureuses et charmantes ! Le Temps et l’Amour l’ont vainement mordue à belles dents ; ils n’ont rien diminué du charme vague, mais éternel, de sa poitrine garçonnière. Usée peut-être, mais non fatiguée, et toujours héroïque, elle fait penser à ces chevaux de grande race que l’œil du véritable amateur reconnaît, même attelés à un carrosse de louage ou à un lourd chariot. Et puis elle est si douce et si fervente ! Elle aime comme on aime en automne ; on dirait que les approches de l’hiver allument dans son cœur un feu nouveau, et la servilité de sa tendresse n’a jamais rien de fatigant.
Personne n’est jeune après quarante ans mais on peut être irrésistible à tout âge.
Coco Chanel
Deux gardénias suffiront à en faire l’heureuse démonstration. Pas « les galants gardénias dans leurs suaves pourpoints », de Raymond Queneau, exposés ici dans leur candeur virginale, mais les « Dos gardenias » de la chanson composée en 1945 par la pianiste cubaine Isolina Carrillo.
« Dos gardenias », incontournable standard de la musique latine, aura attendu le milieu des années 1990 et les tournées mondiales du Buena Vista Social Club Orquesta associé au chanteur Ibrahim Ferrer pour devenir un « tube » international. La chanteuse Omara Portuondo, seule femme à rejoindre le groupe, en fera pour toujours une perle de son répertoire.
C’est un boléro, une chanson d’amour comme tant d’autres, dans laquelle une jeune femme amoureuse exprime sa crainte de voir son bienaimé s’éprendre d’une autre… Deux gardénias, image de pureté et de sincérité, qu’elle offre, symbole de deux baisers échangés, à son amoureux. Deux fleurs qui mourront assurément si elles devinaient que cet amour a été trahi.
Quelqu’un a dit un jour que la vieillesse ne commence que lorsque les regrets prennent la place des rêves. Que dire de cette jeune femme, filmée ici à l’occasion de ses 90 ans, installée dans le désormais légendaire fauteuil d’une certaine « Emmanuelle », les yeux gorgés de cette fraîcheur de la jeunesse et la voix porteuse de ses folles espérances, qui chante « Dos gardenias » ?
Irrésistible Omara !
Dos gardenias para ti Con ellas quiero decir Te quiero, te adoro, mi vida Ponles toda tu atención Que serán tu corazón y el mío
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Dos gardenias para ti Que tendrán todo el calor de un beso De esos besos que te di Y que jamás te encontrarán En el calor de otro querer
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A tu lado vivirán y se hablarán Como cuando estás conmigo Y hasta creerán que te dirán Te quiero
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Pero si un atardecer Las gardenias de mi amor se mueren Es porque han adivinado Que tu amor me ha traicionado Porque existe otro querer
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A tu lado vivirán y se hablarán Como cuando estás conmigo Y hasta creerán que te dirán Te quiero
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Pero si un atardecer Las gardenias de mi amor se mueren Es porque han adivinado Que tu amor me ha traicionado Porque existe otro querer
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Es porque han adivinado Que tu amor me ha traicionado Porque existe otro querer
Je puis maintenant dire aux rapides années :
– Passez ! passez toujours ! je n’ai plus à vieillir !
– Allez-vous-en avec vos fleurs toutes fanées ;
– J’ai dans l’âme une fleur que nul ne peut cueillir !
Victor Hugo – Les chants du crépuscule
Toby Keith, légende américaine de la musique country, disparu il y a quelques mois à l’âge de 62 ans, n’aura pas eu le temps de résister à la vieillesse comme le suggèrent les paroles de sagesse de sa chanson.
En 2018, à l’occasion d’une rencontre avec Clint Eastwood, jeune homme de 88 ans, Toby est particulièrement touché par une phrase du réalisateur : « je ne laisse pas entrer le vieil homme ».
Il en fait une chanson :
‘Don’t let the old man in’
Ne laisse pas le vieil homme entrer Je veux vivre encore un peu Je ne veux pas m’en remettre à lui Il frappe à ma porte Je savais depuis le début de ma vie Qu’un jour elle se terminerait Lève-toi et sors Ne laisse pas le vieil homme entrer J’ai vécu de nombreuses lunes Mon corps est usé par le temps Demande-toi ce que tu serais Si tu ne savais pas le jour de ta naissance Essaie d’aimer ta femme Et reste proche de tes amis Fête d’un verre de vin chaque coucher de soleil Et ne laisse pas entrer le vieil homme J’ai vécu de nombreuses lunes Mon corps est usé par le temps Demande-toi quel âge tu aurais Si tu ne savais pas le jour de ta naissance Quand il enfourche son cheval Et que tu sens souffler ce vent froid et amer Regarde par la fenêtre et souris Et ne laisse pas le vieil homme entrer
Barbara Auzou Publié le 29/11/2021 sur LIRE DIT-ELLE
La poésie de Barbara Auzou est toute imprégnée de nature et de bonheur d'être, de fragrances de vie que chaque souffle de vent, d'où qu'il vienne, pousse vers le cœur. La générosité de ses mots souvent trouve sa source dans l’œuvre d'autres artistes, peintres ou sculpteurs qui ont su toucher son âme. René Char et quelques autres de ses illustres prédécesseurs en poésie ont pris soin d'éclairer son chemin... Chaque entrée dans l'un de ses poèmes est le commencement d'un heureux voyage dans l'univers du sensible et du subtil.
Barbara possède le don ultime que seuls les vrais poètes reçoivent, celui de nous aider à devenir voyants.
Musique : Maurice Ravel – Quatuor à cordes en Fa majeur 2ème Mouvement – « Assez vif & très rythmé » Quatuor Hagen – Concert hall – Mozarteum, Salzburg (2000)
« Lorsque l’homme commence à décliner, après avoir atteint le faîte de son existence, il se débat ainsi contre la mort, les flétrissures de l’âge, contre le froid de l’univers qui s’insinue en lui, contre le froid qui pénètre son propre sang. Avec une ardeur renouvelée, il se laisse envahir par les petits jeux, par les sonorités de l’existence, par les mille beautés gracieuses qui ornent sa surface, par les douces ondées de couleur, les ombres fugitives des nuages. Il s’accroche, à la fois souriant et craintif, à ce qu’il y a de plus éphémère, tourne son regard vers la mort qui lui inspire angoisse, qui lui inspire réconfort, et apprend ainsi avec effroi l’art de savoir mourir. C’est là que réside la frontière entre la jeunesse et la vieillesse. Plus d’un l’a déjà franchie à quarante ans ou plus tôt encore, plus d’un ne la sent que plus tardivement, à la cinquantaine ou à la soixantaine. Mais c’est toujours la même chose : au lieu de nous consacrer à l’art de vivre, nous commençons à nous tourner vers cet autre art, au lieu de façonner et d’affiner notre personnalité, nous sommes de plus en plus occupés à la déconstruire, à la dissoudre et soudain, presque du jour au lendemain, nous avons le sentiment d’être devenus vieux. Les pensées, les centres d’intérêt et les sentiments de la jeunesse nous sont désormais étrangers. C’est dans ces instants où l’on passe d’un âge à un autre que le spectacle discret et délicat de l’été qui s’éteint et disparaît progressivement peut nous saisir et nous émouvoir, emplir notre cœur d’étonnement et d’horreur, nous faire trembler et sourire à la fois. »
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle.
Pierre de Ronsard – Sonnets pour Hélène – 1578
§
William Butler Yeats (1865-1939)
When you are old
When you are old and grey and full of sleep,
And nodding by the fire, take down this book,
And slowly read, and dream of the soft look
Your eyes had once, and of their shadows deep;
.
How many loved your moments of glad grace,
And loved your beauty with love false or true,
But one man loved the pilgrim soul in you,
And loved the sorrows of your changing face;
.
And bending down beside the glowing bars,
Murmur, a little sadly, how Love fled
And paced upon the mountains overhead
And hid his face amid a crowd of stars
.
Quand vous serez vieille et grise et pleine de sommeil, Et dodelinerez près du feu, prenez ce livre, Et lisez lentement, et rêvez au regard doux Qu’avaient jadis vos yeux, et à leur ombre profonde ;
Combien ont aimé vos moments de grâce bienheureuse, Et aimèrent votre beauté, d’un amour vrai ou feint, Mais un seul homme a aimé en vous l’âme voyageuse, Et aimé la tristesse sur votre visage changeant ;
Et inclinée vers la grille rougeoyante, Murmurez, un peu triste, comment l’amour a fui Et a enjambé les montagnes au-dessus de nos têtes Et caché son visage parmi une multitude d’étoiles.
Traduction Pierre Mahé
§
Gretchen Peters, auteure et compositrice américaine de musique « country » et « folk« , est reconnue aux États-Unis comme une référence dans ce style de musique. Les récompenses et les nominations pleuvent depuis son premier album en 1996. Ce n’est évidemment pas sans raison qu’elle a écrit pour Ann Murray, Etta James ou Neil Diamond, entre autres.
C’est justement à l’occasion de son premier disque qu’elle compose et chante une superbe mélodie très inspirée du célèbre poème de Yeats.
En hommage au grand poète irlandais, elle en conserve le titre :
Ferdinand Hodler (Suisse 1853-1918) – Vieil homme lisant
À la taverne de la mer (1897)
À la taverne de la mer est assis un vieil homme aux cheveux blancs, la tête inclinée sur un journal étalé devant lui, car personne ne lui tient compagnie.
Il sait tout le mépris que les regards ont pour son corps, il sait que le temps a passé sans plaisir aucun, et qu’il ne peut plus offrir l’antique fraîcheur de sa beauté passée.
Il est vieux, il ne le sait que trop, il est vieux, il ne le voit que trop, il est vieux, il ne le ressent que trop à chaque fois qu’il pleure, il est vieux, et il a le temps, trop de temps pour le voir.
C’était, c’était quand, c’était hier, encore. Et il se souvient du « bon sens », ce menteur ! et comment le fameux « bon sens » lui a préparé cet enfer lorsqu’à chaque désir il répondait : « Demain, demain il sera temps encore ! ».
Et il se souvient du plaisir retenu, de chaque aube de jouissance refusée, de chaque instant perdu qui se rit maintenant de son corps labouré par les ans.
À la taverne de la mer est assis un vieil homme qui, à force de penser, à force de rêver, s’est endormi sur la table…
Constantin Cavafy 1863-1933
Traduction en français depuis une réinterprétation du poème en chanson par Lluis Llach, en catalan. (Texte cité par Gil Pressnitzer sur le site "Esprits Nomades" - "Constantin Cavafy".)
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Cavafy a peur de devenir ce petit vieux attablé à la taverne de la mer, et qui voit sa jeunesse enfuie et son dernier visage resté collé dans ses mains boursouflées, et qui ne pourront plus caresser un corps d’éphèbe que contre monnaie. Cette hantise de l’homosexuel vieillissant il l’aura porté très tôt. De bars louches en bars louches, là où se trouvent ses jeunes matelots d’une vingtaine d’années au plus, il part en fait plus à la recherche de sa jeunesse que d’un nouveau corps à habiter, à posséder.
Gil Pressnitzer
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Lluis Llach chante (en catalan) sa version du poème de Cavafy :