
À la taverne de la mer (1897)
À la taverne de la mer est assis un vieil homme aux cheveux blancs,
la tête inclinée sur un journal étalé devant lui,
car personne ne lui tient compagnie.
Il sait tout le mépris que les regards ont pour son corps,
il sait que le temps a passé sans plaisir aucun,
et qu’il ne peut plus offrir l’antique fraîcheur de sa beauté passée.
Il est vieux, il ne le sait que trop, il est vieux,
il ne le voit que trop, il est vieux,
il ne le ressent que trop à chaque fois qu’il pleure,
il est vieux, et il a le temps, trop de temps pour le voir.
C’était, c’était quand, c’était hier, encore.
Et il se souvient du « bon sens », ce menteur !
et comment le fameux « bon sens » lui a préparé cet enfer
lorsqu’à chaque désir il répondait :
« Demain, demain il sera temps encore ! ».
Et il se souvient du plaisir retenu,
de chaque aube de jouissance refusée, de chaque instant perdu
qui se rit maintenant de son corps labouré par les ans.
À la taverne de la mer
est assis un vieil homme
qui, à force de penser, à force de rêver,
s’est endormi sur la table…

Traduction en français depuis une réinterprétation du poème en chanson par Lluis Llach, en catalan. (Texte cité par Gil Pressnitzer sur le site "Esprits Nomades" - "Constantin Cavafy".)
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Cavafy a peur de devenir ce petit vieux attablé à la taverne de la mer, et qui voit sa jeunesse enfuie et son dernier visage resté collé dans ses mains boursouflées, et qui ne pourront plus caresser un corps d’éphèbe que contre monnaie. Cette hantise de l’homosexuel vieillissant il l’aura porté très tôt. De bars louches en bars louches, là où se trouvent ses jeunes matelots d’une vingtaine d’années au plus, il part en fait plus à la recherche de sa jeunesse que d’un nouveau corps à habiter, à posséder.
Gil Pressnitzer
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Lluis Llach chante (en catalan) sa version du poème de Cavafy :
Vous savez, je n’ai jamais mis (osé, envie)de commentaire depuis que je reçois de braise et d’ombre. Et pourtant tant de fois j’aurais pu dire combien m’a touchée une musique classique, un poème, une chanson. Mais là je ne sais pourquoi je craque sur le poème sur ce vieil homme, sur a la taverne del mar et je veux le dire. Et vous remercier, Lelius.
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Merci !
Le chemin de mille lieues commence par le premier pas. Votre décision de poster ce premier message vous incitera peut-être à de nouveaux commentaires. Ils seront évidemment les bienvenus.
Je suis heureux d’avoir à quelques occasions suscité chez vous les émotions que vous évoquez. Chaque partage donne à ce blog sa raison d’être, car chaque billet publié prend sa source dans le cœur de son rédacteur. Alors, merci encore de vous être exprimée.
A bientôt… j’espère.
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