Et pourtant, infiniment… il chante !

J’écris des morceaux de piano dans mes moments de loisirs … en fait, le piano ne m’intéresse pas parce qu’il ne peut pas chanter.

Jean Sibélius (1865-1957)

Qui, après avoir écouté l’œuvre de Jean Sibelius pour le piano, pourrait accorder quelque crédit à ce propos tenu par le grand compositeur finlandais lui-même à son élève Bengt von Törne à la fin des années 1930 ? Sans doute était-ce pour lui une manière ironique de donner du grain à moudre à ceux de ses pairs et autres critiques qui voulaient le tenir enfermé dans la composition des grandes pièces orchestrales et de ses symphonies. — Aucun d’eux, bien sûr, ne prenant en considération le plaisir simple pour un compositeur de composer, ni, également, les nécessités alimentaires du Maître auxquelles, très probablement, ses miniatures devaient apporter réponse.

Sibelius n’a jamais écrit contre le grain du clavier … Dans la musique pour piano de Sibelius tout fonctionne, tout chante – mais selon ses propres termes.

Glenn Gould

« Tout chante. » N’en doutons pas ! Et surtout le piano… infiniment !

Les pianistes, et pas les moindres, ont reconnu chez Sibélius, à travers, certes, l’originalité de ses pièces pour piano, sa réelle qualité d’écriture pour l’instrument et sa maîtrise du clavier. — Qu’on se souvienne que son instrument de prédilection était le violon pour lequel il a composé l’un des plus beaux concertos du répertoire.

Et pour écouter le piano du Maestro chanter, par exemple entre les gouttes d’une fontaine que Liszt, jadis, aurait pu contempler, admiratif, depuis une fenêtre de sa chambre des roses à la Villa d’Este, écoutons l’ Impromptu N°5 sous les doigts du très inspiré pianiste norvégien Leif Ove Andsnes.

Voilà qui devrait faire écho, ô combien favorable, à cet autre propos que confia un jour Sibélius à son secrétaire :

Mes pièces pour piano devraient avoir un bel avenir ; qui sait si elles ne pourraient pas être, un jour, aussi recherchées que celles de Schumann ?

Le récent et superbe CD que Leif Ove Andsnes consacre à la musique pour piano de Sibélius n’en constitue-t-il pas un sérieux commencement de preuve ?

A deux, humblement vers l’infini…

                                       … Mais quelle douceur
vient jusqu’à nous avec les ombres qui s’allongent
à partir du couchant où notre cœur s’incline.
Une gloire accompagne le oui de l’adieu.
Les derniers pas portent la louange aux collines.

Jean Mambrino – « La saison du monde » – « Ensemble »

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Magique !!! György et Márta Kurtág interprètent quelques transcriptions de Jean-Sébastien Bach écrites par György. Ils ont 90 ans chacun…!

A deux, humblement vers l’infini…

… et nous dans la lumière de leurs pas !

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Quelques mots à voix très basse pour rappeler que György Kurtág est l’un des plus importants compositeurs contemporains en activité. Né en 1926 en Hongrie et découvert tardivement par le monde occidental. Bien que n’appartenant à aucun système, il ne masque pas l’influence que Bartok a exercée sur lui dans ses jeunes années, ni celle de Webern, ensuite, à qui il emprunte le style miniaturiste qui caractérise sa musique.

La force émotionnelle de ses compositions, privilégiant l’allusif au descriptif ou au narratif, ne perd rien à ce dépouillement ; elle y gagne en vigueur et en précision. Avec Kurtág, associer émotion et musique contemporaine n’est pas un oxymore.

Très proche de Jean-Sébastien Bach, György Kurtág a réalisé de nombreuses transcriptions des œuvres du Cantor. Il a coutume, lorsqu’il se produit en public avec son épouse Márta, à quatre mains ou à deux pianos, de clairsemer la programmation de ses propres compositions de quelques-unes de ses transcriptions.

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Leur récital à la Cité de la Musique à Paris en 2012 :