« Patience dans l’azur ! »

J’étais seul, j’attendais, tout mon cœur attendait.
Un jour j’ai lu Valéry. J’ai su que mon attente était finie.

Rainer Maria Rilke
– Extrait d’une lettre à l’une de ses amies (1921)
cité par Benoît Peeters in « Paul Valéry – Une vie » (Ed. Champs 2016)

Jean Dupas (1882-1964) – La palme

Palme

À Jeannie

De sa grâce redoutable
Voilant à peine l’éclat,
Un ange met sur ma table
Le pain tendre, le lait plat ;
Il me fait de la paupière
Le signe d’une prière
Qui parle à ma vision :
— Calme, calme, reste calme !
Connais le poids d’une palme
Portant sa profusion !

Pour autant qu’elle se plie
À l’abondance des biens,
Sa figure est accomplie,
Ses fruits lourds sont ses liens.
Admire comme elle vibre,
Et comme une lente fibre
Qui divise le moment,
Départage sans mystère
L’attirance de la terre
Et le poids du firmament !

Ce bel arbitre mobile
Entre l’ombre et le soleil,
Simule d’une sibylle
La sagesse et le sommeil.
Autour d’une même place
L’ample palme ne se lasse
Des appels ni des adieux…
Qu’elle est noble, qu’elle est tendre !
Qu’elle est digne de s’attendre
À la seule main des dieux !

L’or léger qu’elle murmure
Sonne au simple doigt de l’air,
Et d’une soyeuse armure
Charge l’âme du désert.
Une voix impérissable
Qu’elle rend au vent de sable
Qui l’arrose de ses grains,
À soi-même sert d’oracle,
Et se flatte du miracle
Que se chantent les chagrins.

Cependant qu’elle s’ignore
Entre le sable et le ciel,
Chaque jour qui luit encore
Lui compose un peu de miel.
Sa douceur est mesurée
Par la divine durée
Qui ne compte pas les jours,
Mais bien qui les dissimule
Dans un suc où s’accumule
Tout l’arôme des amours.

Parfois si l’on désespère,
Si l’adorable rigueur
Malgré tes larmes n’opère
Que sous ombre de langueur,
N’accuse pas d’être avare
Une Sage qui prépare
Tant d’or et d’autorité :
Par la sève solennelle
Une espérance éternelle
Monte à la maturité !

Ces jours qui te semblent vides
Et perdus pour l’univers
Ont des racines avides
Qui travaillent les déserts.
La substance chevelue
Par les ténèbres élue
Ne peut s’arrêter jamais,
Jusqu’aux entrailles du monde,
De poursuivre l’eau profonde
Que demandent les sommets.

Patience, patience,
Patience dans l’azur !
Chaque atome de silence
Est la chance d’un fruit mûr !
Viendra l’heureuse surprise :
Une colombe, la brise,
L’ébranlement le plus doux,
Une femme qui s’appuie,
Feront tomber cette pluie
Où l’on se jette à genoux !

Qu’un peuple à présent s’écroule,
Palme !… irrésistiblement !
Dans la poudre qu’il se roule
Sur les fruits du firmament !
Tu n’as pas perdu ces heures
Si légère tu demeures
Après ces beaux abandons ;
Pareille à celui qui pense
Et dont l’âme se dépense
À s’accroître de ses dons !

Paul Valéry 1871-1945

 

in « Charmes » – 1922
(dernier poème du recueil)

« Mon enfant, ma sœur… »

Henri Le Sidaner - Le Bec de Gaz - Nuit bleue 1906
Henri Le Sidaner – Le Bec de Gaz – Nuit bleue 1906

BaudelaireQuand l’invitation nous vient de Baudelaire, lui-même, nous savons déjà que le souvenir que nous garderons du voyage sera inoubliable. Et même, – qui cela surprendrait-il ? –  à défaut de connaître le bonheur d’une réelle traversée, ne céderions-nous pas au plaisir d’en déguster éternellement la proposition ?

Henri Duparc (1848-1933) recadréeQuand Henri Duparc, doté de l’inestimable grâce de savoir draper chaque poème dans une parure mélodique qui lui sied parfaitement, prend soin d’habiller pudiquement cette « Invitation au voyage » d’un délicat voile de peau diaphane et d’en bercer chaque vers au rythme fluide du clapotis crépusculaire, notre monde, définitivement, se nimbe du luxe, du calme, et de la volupté que nous promet ce chimérique là-bas.

Combien de voix enchanteresses nous auront-elles, d’un souffle caressant, inviter aux délices de ce voyage ? Pour parvenir à nous emporter, peu pourtant auront su instiller avec élégance et délicatesse, sous cet épiderme d’harmonie, la « chaude lumière d’hyacinthe et d’or », sève spirituelle dans laquelle aspirent à se fondre, légères et allusives, les subtiles suavités des vers et de la mélodie.

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