Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Toute œuvre qui nous donne le sentiment de la qualité artistique relie aussi au monde les profondeurs qu’elle exprime ; toute œuvre qui nous atteint par là témoigne d’une part victorieuse de l’homme, fût-il un homme fasciné.
J’étais, je suis toujours, l’homme de la tribu. L’aube approchait. Couché dans mon coin de caverne je luttais pour plonger aux sombres eaux du rêve. Des spectres d’animaux traînant des dards brisés ajoutaient à l’horreur des ténèbres. Pourtant je pressentais une faveur : telle promesse tenue, ou la mort d’un rival sur la montagne, ou peut-être l’amour, une pierre magique… J’avais reçu cela, j’en suis sûr, puis je l’ai perdu. Mon souvenir rongé de millénaires ne garde que cette nuit-là, que son matin. J’étais désir, j’étais attente, j’étais peur. Soudain j’entends la sourde voix interminable d’un troupeau traversant l’aube. Je lâche tout, mon arc de chêne lourd, les flèches qui se fixent. Je cours à la crevasse au fond de la caverne et je les vois alors, braise rousse, les cornes cruelles, l’échine montueuse, le poil noir comme l’œil lugubre aux aguets. Ils étaient des milliers. Je me dis : Les bisons ! C’est un mot qui jamais jusqu’alors n’avait passé mes lèvres, mais aussitôt j’ai su que c’était bien leur nom. J’étais aveugle jusque-là, je n’étais pas au monde avant de voir les bisons de l’aurore. Je ne permis à personne de profaner ce flot pesant de bestialité divine, d’ignorance, d’orgueil, d’astrale indifférence. Un chien mourut sous eux ; ils auraient écrasé des hommes, des tribus. Ma caverne rejointe, l’ocre et le vermillon traceraient leur image. Ils furent dieux par la prière et les victimes. Je n’ai pas prononcé le nom d’Altamira. Innombrables furent mes formes et mes morts.
Jorge Luis Borges – in « L’or des tigres » – Mis en vers français par Ibarra (Poésie/Gallimard)
L'éditeur ou le traducteur ajoute en note la pertinente remarque suivante :
"Premier et pénultième vers : si Borges avait été, était toujours, l'homme d'une tribu française, c'est le nom de Lascaux qu'il n'aurait pas prononcé."
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Les bisons de la grotte ornée d’Altamira, en Espagne
Pour jouer à faire écho aux « Affirmations » d’Isidore Ducasse publiées par Brigetoun dans son billet d’aujourd’hui.
Écho en cascade de surcroît : « L’accueil du berger » en période de Noël… « L’homme est certain de ne pas se tromper », n’est-ce pas ?
Credo
Je crois en l’homme, cette ordure. Je crois en l’homme, ce fumier, Ce sable mouvant, cette eau morte.
Je crois en l’homme ce tordu, Cette vessie de vanité. Je crois en l’homme, cette pommade, Ce grelot, cette plume au vent, Ce boutefeu, ce fouille merde. Je crois en l’homme, ce lèche sang.
Malgré tout ce qu’il a pu faire De mortel et d’irréparable, Je crois en lui Pour la sûreté de sa main, Pour son goût de la liberté, Pour le jeu de sa fantaisie.
Pour son vertige devant l’étoile. Je crois en lui Pour le sel de son amitié, Pour l’eau de ses yeux, pour son rire, Pour son élan et ses faiblesses.
Je crois à tout jamais en lui Pour une main qui s’est tendue. Pour un regard qui s’est offert. Et puis surtout et avant tout Pour le simple accueil d’un berger.
Lucien Jacques (1891-1961)
in Florilège poétique (Les Cahiers de l’Artisan, 1954)
L’homme croit que le Temps se repose Alors qu’il déploie secrètement ses ailes. Mais si ses coups sont cachés, Ses outrages sont ensuite évidents.
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Aria de la Désillusion – Trionfo del Tempo e del Disinganno (Haendel)
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Bellezza (Beauté) prend conscience qu’elle a trop laissé Plaisir conduire sa vie. Elle peste sur son fauteuil, furieuse, contre elle-même sans doute. Alors que Temps (impassible, sûr de lui et un rien dédaigneux derrière son cigare et ses lunettes à la mode) réunit dans cette salle de cinéma les fantômes, bien jeunes, de celles qui hier encore, étaient elles-même alors « Beauté », toutes inconditionnelles accros aux conseils de Plaisir, avant que la mort ne les emporte. Disinganno (Désillusion, mais autant dire Vérité) rappelle, sourire narquois au coin des lèvres, l’évidence dévastatrice : même depuis l’ombre où l’on veut parfois le tenir caché, le temps assène ses coups, inévitablement. Le velouté du contralto de Sara Mingardo est si caressant que la tragédie qu’il annonce n’en apparaît que plus effrayante encore.
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Cinq ans ! Cinq années déjà depuis la naïve publication de mon premier billet sur « Perles d’Orphée ». Cinq ans de partage avec vous — toujours plus nombreux, généreux et fidèles — des émotions, le plus souvent poétiques ou musicales, que j’ai pris, depuis, l’habitude de confier à ce journal intime ouvert à tous…
N’eût été le rappel rigoureux des horloges électroniques de l’hébergeur de ce blog et de son double puiné, « De braises etd’ombre « , j’aurais, moi aussi, continué de croire que le temps se reposait derrière leurs pages.
Mais illusion ! Il ne connaît pas de répit, le bougre. Il triomphe toujours. Et force est de reprendre ici pour mon propre compte la sagesse sarcastique de Disinganno raillant l’inconséquence de Bellezza désemparée.
Faut-il considérer mon oubli du temps comme l’effet du plaisir que j’ai ressenti, pendant toutes ces années, à composer chacun de ces modestes billets ? Assurément oui !
Benedetto Pamphili (1653-1730)
G.F. Haendel (1685-1759)
Le Cardinal Pamphili ne se trompait donc pas en affirmant par le livret très moralisateur qui devait donner naissance en 1707 au premier oratorio (étonnamment sans chœur) d’un jeune musicien prodige de 22 ans, Georg Friedrich Haendel — IlTrionfo del Tempo et del Disinganno —, que Plaisir, ce frère rebelle, était maître en l’art de faire oublier Temps, l’intraitable tyran.
Mais maître pourtant bien spécieux, au pouvoir illusoire…!
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En un mot donc, c’est le cinquième anniversaire de ce « glorieux » moment de novembre 2012 qui a vu ma prétention l’emporter sur ma réserve. — Il est vrai que s’agissant de quinquennat, en politique du moins, l’attitude n’est pas des plus rares… Mais qui alors aurait parié sur une telle longévité qu’aucune institution, pour le coup, ne garantissait ?
Belle occasion en tout cas pour nous réunir autour d’un verre, autour d’une table. Et quelle table ! Allégories en scène et à la cène, mes extraordinaires invités du jour sont déjà installés : Beauté, Plaisir, Temps et Désillusion (que je préfère tellement appeler Vérité).
Étonnant quatuor ! N’est-ce pas ?
A peine réunis les voilà, enfants turbulents, qui se chamaillent à loisir. Un vrai repas de famille ! Beauté fait sa capricieuse, Plaisir l’invite à la suave délectation de l’instant, Temps brandit la menace de la mort tandis que, avertie et discrète, Désillusion tempère ardeurs et outrances sans perdre de sa convaincante lucidité.
Bellezza : C’est la magnifique Sabine Devieihle. Elle veut du temps pour réfléchir, et n’en veut pas. Se laisser séduire par les illusoires caprices du présent ou s’astreindre à la sagesse de penser au lendemain, la question l’irrite, la contrarie. Mais tant mieux ! Quelles sont belles les colères d’une soprano d’une telle qualité ! Surtout quand c’est le Maestro Haendel qui les dicte. La Beauté ainsi incarnée est si terriblement, mais si merveilleusement, humaine.
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Piacere : Ah, Plaisir ! D’une voix inégalable, le contre-ténor argentin Franco Fagioli, ne cesse de prodiguer à Bellezza ses conseils hédonistes et l’encourage avec insistance à céder aux caprices de l’instant. Tant de musicalité et de virtuosité pour séduire… On succomberait à moins.
Tempo : Fallait-il moins qu’un ténor doté d’une voix longue de plus de trois octaves pour incarner Temps ? Avec rondeur et puissance le ténor américain Michael Spyres, s’acharne à rappeler à Beauté l’implacable finitude de l’existence et l’exhorte à plus de raison. La tentation du bien en majesté.
Disinganno : Désillusion, enfin, qui sait le danger de céder aux leurres autant qu’elle connaît la fulgurance du temps, met en garde Beauté contre le risque des lendemains désenchantés. La soumission au plaisir ne saurait faire oublier combien sont illusoires et éphémères l’apparence, la jeunesse, les plaisirs stériles, la vie. Quand elle prend la voix de Sara Mingardo, la Vérité triomphe une seconde fois.
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Cinq ans !
Voilà un anniversaire qui mérite bien un aussi rare enchantement :
Le Quatuor vocal de « Il Trionfo del Tempo et del Disinganno » de Haendel.
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— Tous les repas de famille devraient être réglés par Haendel !
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L'oratorio a été métamorphosé en opéra par Krzysztof Warlikowski en 2016 (les vidéos insérées dans ce billet en sont extraites)Dans la fosse d'orchestre : Le Concert d'Astrée dirigé par Emmanuelle Haïm
Information en guise d’épilogue :
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A la fin de l’oratorio original, la Bellezza du Cardinal Pamphili, ralliant les arguments de Tempo et de Disinganno, décide de confier son destin à Dieu et prend le voile.
Dans la version éminemment moderne de Warlikowski, Beauté finit par céder au désespoir de la jeunesse actuelle. Comme beaucoup de jeunes gens de sa génération elle se laisse étourdir par les ivresses multiformes et les plaisirs à haut risque jusqu’au moment où, assaillie par la mort de son jeune ami à la suite d’une soirée chargée en produits divers, elle ne trouvera aucune autre issue à son mal être que le suicide.
« Dans le vrai rapport de la prière, ce n’est pas Dieu qui entend ce qu’on lui demande, mais celui qui prie, qui continue de prier jusqu’à être lui-même celui qui entend ce que Dieu veut. »
Émile Cioran (1911-1995)
« Il n’y a qu’un remède au désespoir : c’est la prière – la prière qui peut tout, qui peut même créer Dieu… »
in « Cahiers »
Albert-Marie Besnard* (1926-1978)
« Il y a des chants qui, lorsqu’ils se taisent, obligent à écouter un certain silence plus précieux qu’eux-mêmes. »
in « Propos intempestifs sur la prière »
*Directeur des Cahiers Saint-Dominique, prieur du couvent Saint-Dominique à Paris (1973)
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[Le tableau —« L’Occhio Occidentale » — illustrant la vidéo est du peintre italien né en 1977 – Nicola Samori]
Raphaël – École de philosophes à Athènes – 1509Détail de la fresque murale : au centre Platon et Aristote
En attendant les barbares
– Qu’attendons-nous, rassemblés sur l’agora ?
– On dit que les Barbares seront là aujourd’hui.
– Pourquoi cette léthargie, au Sénat ? Pourquoi les sénateurs restent-ils sans légiférer ?
– Parce que les Barbares seront là aujourd’hui.
À quoi bon faire des lois à présent ?
Ce sont les Barbares qui bientôt les feront.
– Pourquoi notre empereur s’est-il levé si tôt ? Pourquoi se tient-il devant la plus grande porte de la ville, solennel, assis sur son trône, coiffé de sa couronne ?
– Parce que les Barbares seront là aujourd’hui
et que notre empereur attend d’accueillir leur chef. Il a même préparé un parchemin à lui remettre, où sont conférés nombreux titres et nombreuses dignités.
– Pourquoi nos deux consuls et nos préteurs sont-ils sortis aujourd’hui, vêtus de leurs toges rouges et brodées ? Pourquoi ces bracelets sertis d’améthystes, ces bagues où étincellent des émeraudes polies ? Pourquoi aujourd’hui ces cannes précieuses finement ciselées d’or et d’argent ?
– Parce que les Barbares seront là aujourd’hui
et que pareilles choses éblouissent les Barbares.
– Pourquoi nos habiles rhéteurs ne viennent-ils pas comme à l’ordinaire prononcer leurs discours et dire leurs mots ?
– Parce que les Barbares seront là aujourd’hui
et que l’éloquence et les harangues les ennuient.
– Pourquoi ce trouble, cette subite inquiétude ? (Comme les visages sont graves !) Pourquoi places et rues si vite désertées ? Pourquoi chacun repart-il chez lui le visage soucieux ?
– Parce que la nuit est tombée et que les Barbares ne sont pas venus
et certains qui arrivent des frontières disent qu’il n’y a plus de Barbares.
– Mais alors, qu’allons-nous devenir sans les Barbares ? Ces gens étaient en somme une solution.
Constantin Cavafy (1863-1933)
Poème traduit du grec par
Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras
Ω
Constantin Cavafy (Kavafis) aura presque malgré lui marqué profondément la poésie grecque, lui l’exilé dans la colonie grecque d’Égypte, dans la cité d’Alexandre, Alexandrie cette « ville mirage ».
Il avait pourtant masqué sa poésie ne publiant rien avant cinquante ans. Il avait de même masqué sa petite vie d’employé de bureau et sa sexualité, plus ou moins refoulée, qui l’amenait dans les bordels et les tavernes interlopes à la recherche des jeunes garçons.
Toute une vie en chuchotements et grisaille et des poèmes qui ont pourtant fondé vers le début du vingtième siècle la poésie grecque contemporaine. Comme Kafka, il fut cet employé modèle et obscur qui vivait dans une autre vie et dans la projection des mots. Mais son fantastique à lui était l’héritage antique de la Grèce, sa mythologie, ses Ithaque.
[…]
Gil Pressnitzer
(Site « Esprits Nomades » – Introduction de l’article consacré à Constantin Cavafy : « Le petit homme en gris, le grand poète de la Grèce moderne »)
L’usage et les conventions veulent que le début de l’année soit LA période des grandes résolutions. Ces fameux engagements importantissimes que l’on prend avec soi-même, et avec détermination, pour se prouver douze mois plus tard que l’on a été assez fort et assez libre pour ne pas s’être laissé dominer par leur dictature. N’est-ce pas ?
Non conformiste, je préfère les résolutions de printemps. C’est aussi un commencement, après tout ! Et pour ne pas bousculer ma piètre volonté vis à vis de laquelle j’ai décidé d’appliquer la plus grande clémence, j’ai préféré limiter ma « todo list » à une seule proposition. Simple, naturelle, éprouvée… et tellement agréable que la suivre n’est qu’une merveilleuse exaltation !
Quand vous la connaîtrez, je gage que vous l’adopterez aussi.
Allez « Let’s do it ! Let’s fall in love ! »
Louis Armstrong – Composition de Cole Porter (1928) – Audio
When the little bluebird Who has never said a word Starts to sing « Spring – Spring » When the little bluebell At the bottom of the dell Starts to ring « Ding – Ding » When the little blue clerk In the middle of his work Starts a tune to the moon up above It is nature that is all Simply telling us to fall in love…
And that’s why :
Birds do it, bees do it Even educated fleas do it Let’s do it, let’s fall in love
In Spain, the best upper sets do it Lithuanians and Letts do it Let’s do it, let’s fall in love
The Dutch in old Amsterdam do it Not to mention the Finns Folks in Siam do it – think of Siamese twins
Some Argentines, without means, do it People say in Boston even beans do it Let’s do it, let’s fall in love
Romantic sponges, they say, do it Oysters down in Oyster Bay do it Let’s do it, let’s fall in love
Cold Cape Cod clams, ‘gainst their wish, do it Even lazy jellyfish, do it Let’s do it, let’s fall in love
Electric eels I might add do it Though it shocks ’em I know Why ask if shad do it – Waiter bring me « shad roe »
In shallow shoals English soles do it Goldfish in the privacy of bowls do it Let’s do it, let’s fall in love…
Dragonflies in the reeds do it, Sentimental centipedes do it, Let’s do it, let’s fall in love !
……
Mosquitoes, heaven forbid, do it, So does every katydid do it, Let’s do it, let’s fall in love !
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The most refined ladybugs do it, When a gentleman calls, Moths in your rugs do it, What’s the use of moth balls ?
Locusts in trees do it, Bees do it, Even overeducated fleas do it, Let’s do it, let’s fall in love !
The chimpanzees in the zoos do it, Some courageous kangaroos do it, Let’s do it, let’s fall in love !
I’m sure the giraffes on the sly do it
Heavy hippopotami do it
Let’s do it, let’s fall in love !
Sloths who hang down from the twigs do it, Though the effort is great Sweet guinea pigs do it, Buy a couple and wait !
The world admits bears in the pits do it, Even Pekingeses in the Ritz do it, Let’s do it, let’s fall in love !
♥ ♥ ♥
Et si avec la traduction, vous préférez une voix plus douce… O combien !
Ella Fitzgerald et l’Orchestre de Duke Ellington (1956) – Audio
Quand le petit oiseau bleu Qui n’a jamais dit un mot Commence à chanter : « Printemps – Printemps »
Quand la petite cloche bleue Au fond de la combe Commence à sonner « Ding – Ding »
Quand le petit employé de bureau bleu, Au milieu de son travail, Entonne une mélodie à la lune au-dessus de lui
C’est la nature qui est tout, Et qui nous invite simplement à tomber amoureux.
Et c’est pourquoi…
Les oiseaux le font, les abeilles le font ! Même les puces savantes le font ! Alors faisons-le, tombons amoureux !
En Espagne, les plus hauts seigneurs le font, Les Lituaniens et les Lettons le font, Faisons-le, tombons amoureux !
…..
Les Hollandais dans le vieil Amsterdam le font, Inutile de mentionner les Finnois, Tous au Siam le font – pensez aux jumeaux siamois !
….
Certains Argentins, sans le savoir, le font ! On dit que les haricots de Boston le font ! Faisons-le, tombons amoureux !
….
Les éponges romantiques, dit-on, le font, Les huîtres, au fond d’Oyster Bay, le font, Faisons-le, tombons amoureux !
…
Les palourdes du froid Cape Cod, malgré elles, le font, Même les méduses paresseuses le font, Faisons-le, tombons amoureux !
Les anguilles électriques, dois-je ajouter, le font,
Même si ça les choque, je le sais,
Pourquoi demander si l’alose le fait ? – le serveur m’en apporte les « œufs » !
Dans les bas-fonds les bancs de soles anglaises le font, Les poissons rouges dans l’intimité de leur bocal le font, Faisons-le, tombons amoureux !
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Les libellules des roseaux le font, Les mille-pattes sentimentaux le font, Faisons-le, tombons amoureux !
…
Les moustiques, privés du paradis, le font, Ainsi que chaque cricket, Faisons-le, tombons amoureux !
Les coccinelles les plus raffinées le font Quand un gentleman appelle, Les mites de vos tapis le font, – A quoi servent les boules anti-mites ?
Les sauterelles dans les arbres le font, Les abeilles le font, Même les puces super dressées le font, Faisons-le, tombons amoureux !
Les Chimpanzés dans les zoos le font, Quelques courageux Kangourous le font, Faisons-le, tombons amoureux !
…
Je suis sûr que les girafes, en douce, le font, Les lourds hippopotames le font, Faisons-le, tombons amoureux !
Les paresseux pendus aux branches le font, Même si l’effort est énorme, les doux cobayes le font, Achetez-en un couple et attendez !
Tous admettent que les ours dans les fossés le font, Même les pékinois du Ritz le font, Alors faisons-le, tombons amoureux !
Yue Minjun – peintre chinois né en 1962 – Vanité et autoportrait
Je pullule
Je grouille, je fuse, j’abonde, J’éclos, je germe, je racine, Je ponds, j’envahis, je réponds. Je me double et puis me décuple. Je suis ici, je suis partout, Dedans, dehors et au milieu Dans le sec et dans le liquide Comme je suis au fond du fer, Du bois, de l’air et de la chair.
J’ai beau m’annuler, inutile : Je reviens toujours par-delà, Je serpente et je papillonne, J’enfante, fourmille et crustace, Je me fourre dans toute race Pullule, fermente et m’empêtre. Le néant ne veut pas de moi Et je lutte à mort avec la Difficulté de ne pas être.