Les barbares

Raphaël – École de philosophes à Athènes – 1509
Détail de la fresque murale : au centre Platon et Aristote

En attendant les barbares

– Qu’attendons-nous, rassemblés sur l’agora ?

On dit que les Barbares seront là aujourd’hui.

– Pourquoi cette léthargie, au Sénat ?
Pourquoi les sénateurs restent-ils sans légiférer ?

Parce que les Barbares seront là aujourd’hui.
À quoi bon faire des lois à présent ?
Ce sont les Barbares qui bientôt les feront.

– Pourquoi notre empereur s’est-il levé si tôt ?
Pourquoi se tient-il devant la plus grande porte de la ville,
solennel, assis sur son trône, coiffé de sa couronne ?

Parce que les Barbares seront là aujourd’hui
et que notre empereur attend d’accueillir leur chef.

Il a même préparé un parchemin à lui remettre,
où sont conférés nombreux titres et nombreuses dignités.

– Pourquoi nos deux consuls et nos préteurs sont-ils
sortis aujourd’hui, vêtus de leurs toges rouges et brodées ?
Pourquoi ces bracelets sertis d’améthystes,
ces bagues où étincellent des émeraudes polies ?
Pourquoi aujourd’hui ces cannes précieuses
finement ciselées d’or et d’argent ?

Parce que les Barbares seront là aujourd’hui
et que pareilles choses éblouissent les Barbares.

– Pourquoi nos habiles rhéteurs ne viennent-ils pas comme à l’ordinaire prononcer leurs discours et dire leurs mots ?

Parce que les Barbares seront là aujourd’hui
et que l’éloquence et les harangues les ennuient.

– Pourquoi ce trouble, cette subite inquiétude ?
(Comme les visages sont graves !)
Pourquoi places et rues si vite désertées ?
Pourquoi chacun repart-il chez lui le visage soucieux ?

Parce que la nuit est tombée et que les Barbares ne sont pas venus
et certains qui arrivent des frontières disent qu’il n’y a plus de Barbares.

– Mais alors, qu’allons-nous devenir sans les Barbares ?
Ces gens étaient en somme une solution.

Constantin Cavafy (1863-1933)

 

Poème traduit du grec par

Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras

 

Ω

Constantin Cavafy (Kavafis) aura presque malgré lui marqué profondément la poésie grecque, lui l’exilé dans la colonie grecque d’Égypte, dans la cité d’Alexandre, Alexandrie cette « ville mirage ».

Il avait pourtant masqué sa poésie ne publiant rien avant cinquante ans. Il avait de même masqué sa petite vie d’employé de bureau et sa sexualité, plus ou moins refoulée, qui l’amenait dans les bordels et les tavernes interlopes à la recherche des jeunes garçons.

Toute une vie en chuchotements et grisaille et des poèmes qui ont pourtant fondé vers le début du vingtième siècle la poésie grecque contemporaine. Comme Kafka, il fut cet employé modèle et obscur qui vivait dans une autre vie et dans la projection des mots. Mais son fantastique à lui était l’héritage antique de la Grèce, sa mythologie, ses Ithaque.

[…]

Gil Pressnitzer

(Site « Esprits Nomades » – Introduction de l’article consacré à Constantin Cavafy : « Le petit homme en gris, le grand poète de la Grèce moderne »)

Publié par

Lelius

La musique et la poésie : des voies vers les êtres... Un chemin vers soi !

Une réflexion sur “Les barbares”

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