[…] il faut vous résigner à entendre quelques propositions que va, devant vous, risquer sur la Danse un homme qui ne danse pas.
C’est par cet avertissement scrupuleux et prudent que, le 5 mars 1936, à l’Université des Annales, Paul Valéry introduisait la conférence qu’il s’apprêtait à donner, intitulée « Philosophie de la danse ».
Chaque fois que m’est offert le plaisir de m’émerveiller devant la souplesse, l’énergie et la grâce félines d’un corps de ballerine, ne fussent-elles que suggérées par la posture figée d’une statuette de terre cuite sortie de la main d’un bien lointain aïeul, me prend l’irrépressible besoin de revenir aux propos sur la Danse de Paul Valéry, ce Maître élégant et subtil, dont les ouvrages ne sont jamais très éloignés de mes lunettes.

Comment dès-lors, tant texte et images se répondent si justement, résister à l’envie d’en partager d’abondants extraits pour accompagner deux magnifiques moments trop brefs que proposent, en noir et blanc et au pied du mur, deux superbes prisonnières…
J’entre tout de suite dans mes idées, et je vous dis sans autre préparation que la Danse, à mon sens, ne se borne pas à être un exercice, un divertissement, un art ornemental et un jeu de société quelquefois ; elle est chose sérieuse et, par certains aspects, chose très vénérable. Toute époque qui a compris le corps humain, ou qui a éprouvé, du moins, le sentiment du mystère de cette organisation, de ses ressources, de ses limites, des combinaisons d’énergie et de sensibilité qu’il contient, a cultivé, vénéré la Danse.
Il lui apparaît que cette personne qui danse s’enferme, en quelque sorte, dans une durée qu’elle engendre, une durée toute faite d’énergie actuelle toute faite de rien qui puisse durer. Elle est l’instable, elle prodigue l’instable, passe par l’impossible, abuse de l’improbable ; et, à force de nier par son effort l’état ordinaire des choses, elle crée aux esprits l’idée d’un autre état, d’un état exceptionnel, – un état qui ne serait que d’action, une permanence qui se ferait et se consoliderait au moyen d’une production incessante de travail, comparable à la vibrante station d’un bourdon ou d’un sphinx devant le calice de fleurs qu’il explore, et qui demeure, chargé de puissance motrice, à peu près immobile, et soutenu par le battement incroyablement rapide de ses ailes.
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Une réflexion sur “Au pied du mur : la danseuse et le philosophe”