Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Les professeurs de piano ont coutume d’exhorter leurs élèves à – belle image – « pétrir le son ».
Qui sait si les professeurs de chant de la Musikhochschule für Musik und Tanz de Cologne et ceux de la Manhattan School of Music n’ont pas, eux aussi, engagé leur talentueuse lauréate, la chanteuse Sabeth Pérez, à façonner virtuellement sur une harpe imaginaire glissée entre ses mains les gracieuses harmonies de sa voix et les rythmes jazzy ou latins qui les accompagnent ?
Ni l’œil, ni l’oreille n’auraient idée de s’en plaindre… Et puis, soyons rassurés, son compositeur de père veille depuis la anche de sa clarinette.
« Convertidos en perfume » WDR Big Band Gabriel Pérez (clarinette) Sabeth Pérez (voix)
L’amour, c’est une chanson qu’on chante à deux ; après avoir chanté la chanson, on ne chante plus que le refrain, et quelquefois on le chante tout seul !
Frédéric Mistral
Joaquin Sorolla – ‘Clotilde à la plage’ (1904)
Extraite de la grande richesse du folklore argentin, une incontournable chanson lente et mélodieuse (tonada), typique de la région andine du Cuyo, écrite en 1962 par le guitariste et compositeur Eduardo Falú sur des paroles de Jaime Dávalos.
« Tonada de un viejo amor »
Mariana Flores (soprano) – Quito Gato (piano)
Ya nunca te he de olvidar, que en la arena me escribías, el viento lo fue borrando y estoy más solo mirando el mar. Qué lindo cuando una vez bajo el sol del mediodía se abrió tu boca en el beso como un damasco lleno de miel.
Herida la de tu boca que lastima sin dolor, no tengo miedo al invierno con tu recuerdo lleno de sol.
Quisiera volverte a ver sonreír frente a la espuma, tu pelo suelto en el viento como un torrente de trigo y luz. Yo sé que no vuelve más el verano en que me amabas, que es ancho y negro el olvido y entra el otoño en mi corazón.
Herida la de tu boca…
Chanson d’un amour ancien
Je n’oublierai jamais que tu m’écrivais sur le sable, le vent peu à peu a effacé tes mots me laissant plus seule encore, regardant la mer. C’était si beau quand une fois en un baiser sous le soleil de midi ta bouche s’ouvrit comme un abricot plein de miel.
Morsure de ta bouche qui blesse sans douleur je ne crains pas l’hiver dans le soleil de ton souvenir.
J’aimerais revoir ton sourire face à l’écume, tes cheveux lâchés dans le vent, torrent de blé et de lumière. Je sais que ne reviendra plus le bel été o`u tu m’aimais, que l’oubli est vaste et noir, que l’automne habite mon cœur.
– Pour une magnifique chanson – ‘September morn’ – sortie en 1979, fruit d’une collaboration musicale entre Neil Diamond et Gilbert Bécaud.
– Pour le scénario très romantique que développent les paroles anglaises de Neil Diamond, évoquant les retrouvailles d’un couple un beau jour de septembre…
– Pour la conjonction magique de cette rencontre sentimentale avec les superbes images de New-York un matin d’automne.
– Pour l’émotion simple de l’instant.
Neil Diamond chante ‘September morn’
Stay for just a while Stay and let me look at you It's been so long, I hardly knew you Standing in the door
Stay with me a while I only wanna talk to you We've traveled halfway 'round the world To find ourselves again
September morn We danced until the night Became a brand new day Two lovers playing scenes From some romantic play September morning Still can make me feel that way
Look at what you've done Why, you've become a grown-up girl I still can hear you crying In a corner of your room And look how far we've come So far from where we used to be But not so far that we've forgotten How it was before
September morn Do you remember How we danced that night away Two lovers playing scenes From some romantic play September morning Still can make me feel that way September morn
We danced until the night Became a brand new day Two lovers playing scenes From some romantic play September morning Still can make me feel that way September morn We danced until the night
Became a brand new day Two lovers playing scenes From some romantic play September morning Still can make me feel that way September morning Still can make me feel that way
...
Reste encore un peu Reste et laisse-moi te regarder Ça fait si longtemps, je te reconnais à peine Debout dans l'embrasure de la porte
Reste avec moi encore un peu Je veux juste te parler Nous avons parcouru la moitié du globe Pour nous retrouver
Un matin de septembre Nous avons dansé jusqu'à ce que la nuit Fasse place à un nouveau jour Deux amants jouant des scènes Tirées d'une pièce romantique Un matin de septembre Peut encore me faire ressentir cela...
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Gilbert Bécaud a adapté la chanson en français avec l’aide du parolier Maurice Vidalin. La version française, ‘C’est en septembre’, publiée dans l’album éponyme de 1978, prend un sens différent, plus personnel et nostalgique. Gilbert Bécaud choisit d’y rendre hommage à sa Provence chérie retrouvant sa vraie nature après le départ des touristes envahisseurs.
Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles !
Voltaire – Candide – (Pangloss)
Si l’on cherchait un hymne aux temps heureux que nous vivons, aussi beau que judicieux et représentatif des réalités du moment, aucun choix ne conviendrait mieux que la splendide aria extraite de la cantate profane de Jean-Sébastien Bach, BWV 208 « Was mir behagt, ist nur die muntre Jagd » (Mon seul plaisir est la joie de la chasse).
Merci à tous les sages qui gouvernent le monde !
Ellen McAteer (soprano)
Schafe können sicher weiden Wo ein guter Hirte wacht.
Wo Regenten wohl regieren Kann man Ruh’ und Friede spüren Und was Länder glücklich macht.
∼
Les moutons peuvent paître en toute sécurité là où un bon berger veille sur eux.
Là où les souverains gouvernent avec sagesse, on peut goûter paix et tranquillité, et c’est ce qui rend un pays heureux.
N’oublie jamais l’enfant aux racines gorgées des sucs mystérieux des pavots de la nuit, déchiré par la peur de quitter son domaine, n’oublie jamais l’enfant, visage de ma peine.
Car il est tant de voix sous la soie de ma gorge, tant d’oiseaux, de vautours, de pies et de mésanges que je ne sais jamais si le champ que je forge m’est dicté par le fer, le feu ou le silence.
Pourtant mes fleurs voraces font patte de velours aux inconnus qui passent, des larmes dans les yeux. Pouvais-je me donner alors à un amour qui n’aurait frissonné que sous mes mains humaines ?
Ma petite clé d’or, mon pain, ma glace bleue, col de cygne, tête vide, épuisant Sahara, je veux faire de toi une étonnante vigne où je pourrais cueillir ton âme grain à grain.
Amour, entends pleurer sur toi les fruits mortels d’un désarroi plus grand encore d’être sans cause. Je n’ai plus rien à dire. Mes plaies crient sous le sel. Les questions sont pour l’homme, les ciseaux pour les roses.
Dans notre France en bascule entre XIXème et XXème siècles, les courants musicaux passent et se métamorphosent, les sensibilités mutent, l’esthétique des formes se renouvelle, se modernise. Demeurent les thématiques et les symboles : Amour, Beauté, Mort. Ne les dit-on pas éternels ? Nul donc ne s’étonnerait de retrouver encore, insouciant philosophe, notre papillon virevoltant autour du piano de Debussy ou butinant un Si bémol sur une portée de Gabriel Fauré.
Gabriel Fauré 1845-1924 « Le papillon et la fleur » Opus1 – N°1 (Mélodie Française) Poème de Victor Hugo Cyrille Dubois (ténor) Tristan Raës (piano)
Une fleur déclare au papillon son amour et lui confie ses tourments. Qui se ressemble s’assemble, mais…
Et nous nous ressemblons, et l’on dit que nous sommes Fleurs tous deux !
La pauvre fleur disait au papillon céleste: Ne fuis pas ! Vois comme nos destins sont différents. Je reste, Tu t’en vas !
Pourtant nous nous aimons, nous vivons sans les hommes Et loin d’eux, Et nous nous ressemblons, et l’on dit que nous sommes Fleurs tous deux !
Mais, hélas ! l’air t’emporte et la terre m’enchaîne. Sort cruel ! Je voudrais embaumer ton vol de mon haleine Dans le ciel !
Mais non, tu vas trop loin! – Parmi des fleurs sans nombre Vous fuyez, Et moi je reste seule à voir tourner mon ombre À mes pieds.
Tu fuis, puis tu reviens; puis tu t’en vas encore Luire ailleurs. Aussi me trouves-tu toujours à chaque aurore Toute en pleurs !
Oh ! pour que notre amour coule des jours fidèles, Ô mon roi, Prends comme moi racine, ou donne-moi des ailes Comme à toi !
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Gabriel Fauré 1845-1924 « Papillon » Op.77 pièce pour violoncelle et piano Pauline Bartissol (violoncelle) LaurentWagshal (piano)
Cette petite pièce est commandée à Fauré par son éditeur qui souhaitait qu’elle fût brillante, virtuose, difficile mais lyrique. Fauré s’exécuta, la pièce fut enregistrée au catalogue en septembre 1884. Mais le compositeur et l’éditeur ne pouvant s’accorder sur le titre, l’œuvrette resta dans un tiroir. Ce n’est qu’en 1898 que Gabriel Fauré en permit la publication sous le titre « Papillon ».
Le musicologue Jean-Michel Nectoux rapporte que Fauré accompagna son approbation de cette phrase à destination de l’éditeur : « Papillon ou mouche à m…, mettez ce que vous voulez ! »
D’aucuns auraient peut-être choisi « Vol du bourdon », non sans préciser – rigueur musico-entomologique oblige – « à la française ». Comparaison n’est pas raison, mais…
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Le court poème « Les papillons », extrait de « La comédie de la mort », recueil publié en 1838 par Théophile Gauthier, aura reçu les faveurs musicales d’Ernest Chausson et de Claude Debussy. La « Mélodie Française » pouvait-elle être mieux servie ?
Théophile Gauthier poème « Les papillons »
Par
Ernest Chausson 1855-1899 Gérard Souzay (baryton) Jacqueline Bonneau (piano)
Les papillons couleur de neige Volent par essaims sur la mer ; Beaux papillons blancs, quand pourrai-je Prendre le bleu chemin de l'air ?
Savez-vous, ô belle des belles, Ma bayadère aux yeux de jais, S'ils me pouvaient prêter leurs ailes, Dites, savez-vous où j'irais ?
Sans prendre un seul baiser aux roses, À travers vallons et forêts, J'irais à vos lèvres mi-closes, Fleur de mon âme, et j'y mourrais.
Par
Claude Debussy 1862-1918 Véronique Dietschy (soprano) Emmanuel Strosser (piano)
A l’évidence la délicatesse, la légèreté et la fragilité du papillon ont particulièrement enchanté les compositeurs italiens pour qu’ils nous enchantent eux-mêmes à leur tour. Baroques ou romantiques c’est au cristal de la voix de soprano qu’ils ont confié l’évocation sonore du gracieux insecte, ou, à défaut, à l’aérienne agilité de la flûte.
Antonio Vivaldi (1678-1741) « La farfaletta s’aggira al lume » – RV 660 Cantate pour soprano – Aria I Arianna Vendittelli (soprano) Andrea Buccarella dirige l’Abchordis Ensemble
Aria - Andante molto (la maggiore)
La farfalletta s’aggira al lume, Sen vola l’ape d’intorno ai fiori, E Clizia amante segue il suo sol. Per te mio caro vezzoso nume, Nel sen io sento gl’accesi ardori, Se in me Cupido spiegò il suo vol. La farfalletta s’aggira al lume...
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Le petit papillon vole autour de la lumière, L'abeille vole autour des fleurs, Et Clizia, amoureuse, suit son soleil. Pour toi, mon cher dieu charmant, Je sens dans mon cœur une ardeur brûlante, Comme si Cupidon avait déployé ses ailes en moi. Le petit papillon vole autour de la lumière...
Antonio Vivaldi (1678-1741) « La farfalletta audace » Aria pour voix et basse continue d’un opéra non identifié. RV 749.6 Simone Kermes (soprano) Venice Baroque Orchestra – Direction Andrea Marcon
La farfalletta audace Sen vola alla sua face E incenerir la fa Chi l’innamora.
Anch’io sperai goder Ma quel falso piacer Che inamorar mi fa Vuol or che mora.
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Le petit papillon audacieux Vole vers son visage Et réduit en cendres Celui qui l'aime.
Moi aussi, j'espérais jubiler Mais ce faux plaisir Qui me fait tomber amoureux Veut maintenant que je meure.
Domenico Scarlatti (1685-1757) « Qual farfalletta amante » Extrait d’une cantate profane non identifiée Sumi Jo (soprano)– Lee Young-i (piano)
Qual farfalletta amante, io volo a quella fiamma, che in petto il cor m’ infiamma, e morte non mi da. Il vago tuo sembiante se accresce in me l’ardore a quest’afflitto core Ristor pur darà.
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Comme un papillon amoureux, je vole vers cette flamme, qui enflamme mon cœur, et ne me donne pas la mort. Ton vague visage augmente en moi l'ardeur de ce cœur affligé, mais lui donnera aussi du réconfort.
Vincenzo Bellini (1801-1835) « La Farfalletta » Mélodie extraite des Composizioni da camera Juliette Mey (soprano) – Payaka Niwano (piano)
Farfalletta, aspetta, aspetta; non volar con tanta fretta. far del mal non ti vogl’io; ferma, appaga il desir mio.
Vo’ baciarti e il cibo darti, da’ perigli preservarti. di cristallo stanza avrai e tranquilla ognor avrai.
L’ali aurate, screziate so che Aprile t’ha ingemmate, che sei vaga, vispa e snella, fra tue eguali la più bella.
Ma crin d’oro ha il mio tesoro, il fanciullo ch’amo, e adoro. e a te pari vispo e snello fra i suoi eguali egli è il più bello.
Vo’ carpirti, ad esso offrirti; più che rose, gigli, e mirti ti fia caro il mio fanciullo, ed a lui sarai trastullo.
Nell’aspetto e terso petto, rose e gigli ha il mio diletto. Vieni, scampa da’ perigli, non cercar più rose e gigli.
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Petit papillon, attends, attends ; ne vole pas si vite. Je ne te veux aucun mal ; arrête-toi et comble mon désir.
Je veux t'embrasser et te donner à manger, te préserver du danger. Ta chambre sera en cristal et toujours tu seras en paix.
Je sais qu’avril de pierre précieuses a paré tes ailes d’or et de moire que tu es gracieux, vif et svelte le plus beau parmi tes semblables
Mais mon trésor a des cheveux d'or, l'enfant que j'aime et que j'adore ; et comme toi, vif et élancé, il est le plus beau parmi ses semblables.
Je veux te capturer, t'offrir à lui ; plus que roses, lys et myrtes, mon enfant te sera cher, et tu seras son amusement.
Dans son apparence, dans son cœur pur, mon bien-aimé n'a que roses et lys. Viens, épargne-toi le danger, ne cherche plus ailleurs les roses et les lys.
Ernesto Köhler (1849-1907) « Papillon » Étude de concert pour flûte et piano Op.30 N°4 Denis Lupachev (flûte) · Natalia Frolova (piano)
Mon père aurait eu aujourd’hui même 115 ans. Être né un jour de fête nationale n’avait pas contribué à développer en lui le goût des armes ; il aimait la vie passionnément. Le conflit ne trouvait, d’une manière générale, aucune grâce à ses yeux. Lorsqu’il voulait éviter de sordides et inutiles discussions sur des propos par trop clivants, ou pour s’épargner quelques remarques déplaisantes qu’il aurait dû asséner à un interlocuteur trop réfractaire à la nuance, il avait coutume de mettre fin au débat, d’une manière assez abrupte certes, mais affable, par cette invitation merveilleuse qu’il envoyait à son vis-à-vis sur un ton des plus badins : « Parlez-moi d’amour ! »
Cette phrase, qui le représentait fort bien, il l’empruntait pour la circonstance au titre d’une romance très populaire du temps de sa jeunesse, dans les années 1930, qu’avait écrite Jean Lenoir et dont Lucienne Boyer, artiste très en vogue de l’entre-deux-guerres, avait fait son plus célèbre succès.
Quel gramophone, quelle platine, aussi « high-tech » soit-elle, n’a pas au moins une fois joué ce morceau depuis sa création ? Les voix ne manquent pas qui ont enregistré ce formidable titre traduit en près de quarante langues et dont la musique a autant de fois servi le cinéma ou la télévision.
On ne peut pas avoir oublié « Casablanca » de Michael Curtis avec le couple Humphrey Bogart – Ingrid Bergman, ni « Violette Nozière » de Chabrol, ni « Minuit à Paris » de Woody Allen, et autant d’autres films qui ont fait les belles heures du cinéma et qui ont d’une manière ou d’une autre fait appel à cette référence éternelle de la chanson française.
Chanson vieillotte certes – pas vraiment du rap – mais rechignerions-nous à écouter Juliette Gréco ?
Genre désuet, certes, mais résisterions-nous à la grâce et à la voix du plus pur cristal de Ingeborg Hallstein ?
♥
Cette minuscule anthologie-souvenir pour introduire une série de billets à venir dont l’unique mission sera de « parler d’amour »… Un peu plus directement peut-être que ne l’auront fait les centaines de leurs prédécesseurs sur ces pages, mais toujours au travers de la sensibilité des experts du thème : les artistes.
Ne serait-ce pas le moins que puisse faire un ancêtre, en souvenir d’un ancêtre, par ces temps difficiles où le mot « GUERRE », que l’on imaginait réservé aux seuls livres d’histoire choisit d’occuper tout l’espace de la jeunesse ?
Cornette par Horace Vernet – Rainer Maria Rilke 1875-1926
Deux lectures d’un même extrait (traduction française) du récit écrit en 1899 par un jeune poète autrichien de 23 ans, Rainer Maria Rilke,
« La Mélodie de l’Amour et de la Mort du Cornette Cristoph Rilke »
‘Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke’
par Serge Reggiani et par Laurent Terzieff
Serge Reggiani
Chevaucher, chevaucher, chevaucher, le jour, la nuit, le jour.
Chevaucher, chevaucher, chevaucher.
Et le cœur est si las, la nostalgie si grande. Il n’y a plus de montagnes, à peine un arbre. Rien n’ose se lever. Des cabanes étrangères, accroupies auprès de puits fangeux ont soif. Pas une tour à l’horizon. Et toujours la même image. On a deux yeux de trop. La nuit, parfois, on croit connaître la route. Peut-être refaisons-nous nuitamment l’étape que nous avons péniblement parcourue sous un soleil étranger ? C’est possible. Le soleil pèse, comme chez nous au cœur de l’été. Mais c’est en été que nous avons fait nos adieux. Les robes des femmes ont longtemps brillé dans la verdure. Et voici longtemps que nous sommes à cheval. C’est donc sans doute l’automne. Là, tout au moins, où des femmes tristes nous connaissent.
Laurent Terzieff
Rubens (détail)
Rilke, estimant son œuvre peu intéressante, avait préconisé, dans une lettre de novembre 1925 à Paula Lévy , qu’on ne la traduisît pas en français. La langue allemande d’origine, affirmait-il, préserverait bien mieux le charme du texte.
En allemand donc ce même extrait, pris dans la version de l’œuvre mise en musique par Viktor Ullmann en juillet 1944 pendant sa déportation au camp de Theresienstadt :
Thomas Quasthoff (récitant) Orchestre Philharmonique Tchèque Semyon Bychkov (direction)
Reiten, reiten, reiten, durch den Tag, durch die Nacht, durch den Tag. Reiten, reiten, reiten. Und der Mut ist so müde geworden und die Sehnsucht so groß. Es gibt keine Berge mehr, kaum einen Baum. Nichts wagt aufzustehen. Fremde Hütten hocken durstig an versumpften Brunnen. Nirgends ein Turm. Und immer das gleiche Bild. Man hat zwei Augen zuviel. Nur in der Nacht manchmal glaubt man den Weg zu kennen. Vielleicht kehren wir nächtens immer wieder das Stück zurück, das wir in der fremden Sonne mühsam gewonnen haben? Es kann sein. Die Sonne ist schwer, wie bei uns tief im Sommer. Aber wir haben im Sommer Abschied genommen. Die Kleider der Frauen leuchteten lang aus dem Grün. Und nun reiten wir lang. Es muß also Herbst sein. Wenigstens dort, wo traurige Frauen von uns wissen.
Hé ! Le temps change. Pluie et froid au programme du jour.
Rendez-vous chez Emmet !… les pieds nus comme d’habitude !
Au programme, rythmes syncopés et méandres mélodiques des éternels standards du jazz vocal par les divas envoûtantes d’aujourd’hui, autour du piano du très talentueux maître de l’improvisation, Emmet Cohen…
♫ ♫ ♫
Cyrille Aimée, tout droit venue des bords de Seine, diva moderne du jazz, « la musicienne » comme la surnomme avec déférence les instrumentistes de la discipline.
Dans la lignée de la grande Ella, elle interprète – et de quelle manière ! – l’inoubliable blues de 1918, « After you’ve gone », omniprésent depuis dans les répertoires des légendes du jazz.
Et qu’on se rassure, les larmes de l’amoureuse délaissée vont vite se transformer en un scat endiablé… pour le bonheur du bébé caché sous la robe à paillettes de maman.
♫ ♫ ♫
Morgan James, bien connue des habitués des clubs de jazz new-yorkais, remarquée au disque par ses reprises du répertoire de Nina Simone dans une première publication en 2012 et de nombreux titres des Beatles dans son « White Album » de 2018.
Elle interprète « Come rain or come shine », une chanson née à l’occasion d’une comédie musicale ratée de 1946 et devenue un standard repris par Frank Sinatra, Billie Holiday, Judy Garland, Ray Charles, Ella Fitzgerald… et même, dans le style langoureux qu’on lui connaît, par Marlène Dietrich.
Exécutée par des voix surprenantes, voilà une chose prodigieuse ; je pourrais presque en pleurer, si le don des larmes ne m’avait été enlevé.
Giacomo Leopardi (1798-1837) dans une lettre à son frère après la représentation de l’opéra « La Donna del Lago »
Gioacchino Rossini 1792-1868
Pour l’opéra de Gioachino Rossini, « La Donna del Lago » – inspiré du poème éponyme de Walter Scott – dans lequel se mêlent, au cœur des Highlands du XVIème siècle, conflits politiques et intrigues amoureuses…
Pour ce final enlevé et joyeux, « Tanti affetti in tal momento » qui exprime par la voix d’Elena les sentiments heureux qu’elle éprouve en retrouvant d’un même coup son père et l’homme qu’elle aime.
Pour le belcanto à la mode rossinienne avec ses mélodies élégantes, ses vocalises virtuoses et le raffinement des orchestrations…
Et pour la performance vocale et théâtrale de la magnifique soprano colorature suédoise Malena Ernman… et les facéties malicieuses de son interprétation si peu conventionnelle qui font sans doute frémir d’indignation les puristes de l’opéra, mais qui décuplent le plaisir jubilatoire de tellement d’autres pétrousquins auxquels, pour la circonstance, on se réjouira d’appartenir.
Malena Ernman (soprano colorature)
sur la scène du MusikTheater an der Wien, en août 2012
ORF Orchestre Symphonique de la Radio de Vienne
Chœur Arnold Schoenberg (dir. Erwin Ortner)
Direction musicale : Leo Hussain
Mise en scène : Christof Loy
Elena: Tanti affetti in tal momento mi si fanno al core intorno, che l’immenso mio contento io non posso a te spiegar. Deh! Il silenzio sia loquace… Tutto dica un tronco accento… Ah, Signor! La bella pace tu sapesti a me donar.
Coro: Ah sì… Torni in te la pace, puoi contenta respirar!
Elena: Fra il padre e fra l’amante… Oh, qual beato istante! Ah! Chi sperar potea tanta felicità?!
Coro: Cessi di stella rea la fiera avversità…
Elena: Ah! chi sperar potea tanta felicità!
Fra il padre e fra l’amante… Oh, qual beato istante! Ah! Chi sperar potea tanta felicità?!
Elena : Tant d’émotions en cet instant assiègent mon cœur que je ne puis t’exposer mon infini plaisir. Allons, sois éloquent silence… Qu’une voix enfin dise tout… Ah, Seigneur! vous avez daigné m’accorder une si belle paix !
Chœur : Ah, oui !… Retrouve la paix, respire ton bonheur !
Elena : Entre mon père et mon amant… Oh, quel instant bienheureux ! Ah ! Qui pouvait espérer pareille félicité.
Chœur : Que cesse la cruelle influence d’une mauvaise étoile…
Elena : Ah ! qui peut espérer un tel bonheur ?
Entre mon père et mon aimé Quel merveilleux moment ! Ah ! qui peut espérer un tel bonheur ?
Il faut des torrents de sang pour effacer nos fautes aux yeux des hommes, une seule larme suffit à Dieu.
Chateaubriand – Atala
On ne pourra pas dire que Chateaubriand aura emprunté cette image au Livre des Lamentationsde Jérémie. Prophète dévasté par la réalisation de sa prophétie, la Destruction du Temple de Jérusalem, qui dans le texte biblique se plaint, lui, de ne pas avoir assez de larmes dans son corps pour pleurer ses pêchés et implorer le pardon divin. Chacun façonne le protocole de sa foi…
Rembrandt – Jérémie, lamentations après le Destruction du Temple
Johann Christoph Bach – cousin germain du père du grand Johann-Sebastian – compose sur les paroles éplorées de l’oracle un déchirant« lamento » pour voix d’alto et violon qui, une fois entendu, imprime à jamais nos émotions musicales et s’impose définitivement à notre mémoire.
Johann Christoph Bach (1642-1703)
« Ach, dass ich Wassers gnug hätte » (Ah, que n’ai-je assez d’eau)
Christopher Lowrey (contre-ténor) Ensemble Voices Of Music (San-Francisco)
Ach dass ich Wassers gnug hätte in meinem Haupte Und meine Augen Tränenquellen wären, Dass ich Tag und Nacht beweinen könnte meine Sünde!
Meine Sünden gehen über mein Haupt. Wie eine schwere Last ist sie mir zu schwer worden, Darum weine ich so, und meine beiden Augen fliessen mit Wasser. Meines Seufzens ist viel, und mein Herz ist betrübet, Denn der Herr hat mich voll Jammers gemacht Am Tage seines grimmigen Zorns.
Le musicologue Gilles Cantagrel - sommes-nous nombreux à nous être régalés jadis de ses formidables présentations des cantates de Jean-Sébastien Bach sur France Musique - écrivait ces quelques phrases à propos de cette oeuvre, dans un programme de la Philharmonie de Paris en septembre 2007 :
"Le second lamento de Johann Christoph Bach, « Ach, daß ich Wassers gnug hätte » (Ah, que n’ai-je assez d’eau), est un bref concert spirituel dans la descendance de Schütz, en trois parties avec reprise. Il est écrit pour voix d’alto solo, violon, trois violes de gambe et basse. Concision, densité expressive, efficacité : l’écriture abonde en figures de la désolation, quartes diminuées descendantes, chromatismes, et la récitation épouse toutes les inflexions du langage en en soulignant les images. Un pur chef-d’œuvre."
Et par une voix de contralto :
Delphine Galou Les Musiciens Du Louvre
Ah ! que n’ai-je assez de pleurs dans ma tête et que mes yeux ne sont sources de larmes, afin que jour et nuit je puisse pleurer mes péchés ! Mes péchés dépassent ma tête. Telle une pesante charge, ils me sont devenus trop lourds, c’est pourquoi je pleure ainsi, et mes deux yeux s’écoulent en larmes. Que de soupirs en moi, et mon cœur est attristé, car le Seigneur m’a empli de détresse au jour de sa terrible fureur.
Pour lancer ce premier billet de 2025 je me suis dit que si je voulais accumuler une énergie suffisante pour aller au bout de l’année il me faudrait prendre beaucoup d’élan, quitte à bousculer (mais sans violence) mes critères esthétiques habituels.
J’ai donc reculé, reculé, reculé, pour donner toute sa puissance à mon coup d’envoi. Jusqu’à Londres, à Abbey Road, au studio mythique que les Beatles ont rendu célèbre. Là j’ai rencontré Katie Kadan. Elle rendait hommage à Janis Joplin en enregistrant le dernier titre que la « Mama Cosmique » avait gravé la veille de son overdose mortelle le 4 octobre 1970 :
« Me and Bobby McGee ».
Voilà l’énergie qu’il me fallait, avec en prime, sur de belles images noir et blanc, la voix, le talent, et de formidables musiciens qui, pour certains… ont été jeunes en même temps que moi !