Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a L’inflexion des voix chères qui se sont tues.
Verlaine
Loleh Bellon et Serge Reggiani dialoguent. Ils parlent d’amour… avec les mots des poètes :
On voit mourir toute chose animée, Lors que du corps l’âme subtile part. Je suis le corps, toi la meilleure part : Où es-tu donc, ô âme bien-aimée ?
Louise Labé 1524-1566
O mon amour Nous avons les yeux bleus des prisonniers Mais notre corps est adoré par les songes Allongés nous sommes deux ciels dans l’eau Et la parole est notre seule absence
Georges Shéhadé 1905-1989
Tant de fois s’appointer, tant de fois se fascher, Tant de fois rompre ensemble et puis se renoüer, Tantost blasmer Amour et tantost le loüer, Tant de fois se fuyr, tant de fois se chercher,
Pierre de Ronsard 1524-1585
Il n’y a pas d’amour qui ne soit notre amour La trace de tes pas m’explique le chemin C’est toi non le soleil qui fais pour moi le jour.
Louis Aragon 1897-1982
Même quand nous dormons nous veillons l’un sur l’autre Et cet amour plus lourd que le fruit mûr d’un lac Sans rire et sans pleurer dure depuis toujours Un jour après un jour une nuit après nous.
Cornette par Horace Vernet – Rainer Maria Rilke 1875-1926
Deux lectures d’un même extrait (traduction française) du récit écrit en 1899 par un jeune poète autrichien de 23 ans, Rainer Maria Rilke,
« La Mélodie de l’Amour et de la Mort du Cornette Cristoph Rilke »
‘Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke’
par Serge Reggiani et par Laurent Terzieff
Serge Reggiani
Chevaucher, chevaucher, chevaucher, le jour, la nuit, le jour.
Chevaucher, chevaucher, chevaucher.
Et le cœur est si las, la nostalgie si grande. Il n’y a plus de montagnes, à peine un arbre. Rien n’ose se lever. Des cabanes étrangères, accroupies auprès de puits fangeux ont soif. Pas une tour à l’horizon. Et toujours la même image. On a deux yeux de trop. La nuit, parfois, on croit connaître la route. Peut-être refaisons-nous nuitamment l’étape que nous avons péniblement parcourue sous un soleil étranger ? C’est possible. Le soleil pèse, comme chez nous au cœur de l’été. Mais c’est en été que nous avons fait nos adieux. Les robes des femmes ont longtemps brillé dans la verdure. Et voici longtemps que nous sommes à cheval. C’est donc sans doute l’automne. Là, tout au moins, où des femmes tristes nous connaissent.
Laurent Terzieff
Rubens (détail)
Rilke, estimant son œuvre peu intéressante, avait préconisé, dans une lettre de novembre 1925 à Paula Lévy , qu’on ne la traduisît pas en français. La langue allemande d’origine, affirmait-il, préserverait bien mieux le charme du texte.
En allemand donc ce même extrait, pris dans la version de l’œuvre mise en musique par Viktor Ullmann en juillet 1944 pendant sa déportation au camp de Theresienstadt :
Thomas Quasthoff (récitant) Orchestre Philharmonique Tchèque Semyon Bychkov (direction)
Reiten, reiten, reiten, durch den Tag, durch die Nacht, durch den Tag. Reiten, reiten, reiten. Und der Mut ist so müde geworden und die Sehnsucht so groß. Es gibt keine Berge mehr, kaum einen Baum. Nichts wagt aufzustehen. Fremde Hütten hocken durstig an versumpften Brunnen. Nirgends ein Turm. Und immer das gleiche Bild. Man hat zwei Augen zuviel. Nur in der Nacht manchmal glaubt man den Weg zu kennen. Vielleicht kehren wir nächtens immer wieder das Stück zurück, das wir in der fremden Sonne mühsam gewonnen haben? Es kann sein. Die Sonne ist schwer, wie bei uns tief im Sommer. Aber wir haben im Sommer Abschied genommen. Die Kleider der Frauen leuchteten lang aus dem Grün. Und nun reiten wir lang. Es muß also Herbst sein. Wenigstens dort, wo traurige Frauen von uns wissen.
Paroles de Claude Lemesle – Musique de Liliane Bouc (1999)
Il a posé son chevalet Au premier jour de la neuvaine Dans ce hameau de Pont-Aven Ou nos jeunesses cavalaient... Entre sarcasmes et chapelets Il faisait naître sur ses toiles De drôles d′étés, de drôles d'étoiles, Nous, on courait sur les galets...
Il avait des cheveux d′archange Et ce regard vers l'intérieur, Cette lumière supérieure Qui vous pénètre et vous dérange Sa gueule bouffée par ses yeux Portait l'empreinte des embruns Et son pinceau brûlait sa main Et sa main barbouillait du feu...
C′était Jean des brumes, Un marin de terre Avec son costume D′amertume et de mystère C'était Jean des brumes, Un géant botté De plomb et de plumes Je suis passé à côté...
Ce n′était pas un peintre, non Ce n'était qu′un témoin d'amour Un assassin des vieux discours Qui se foutait d′avoir un nom...
Quand il nous a quittés, c'était Le dernier jour de la neuvaine Mais le clocher de Pont-Aven Depuis qu'il s′est flingué se tait...
C′était Jean des brumes Un marin de terre Avec son costume D'amertume et de mystère...
C′était Jean des brumes Moi j'avais quinze ans Son aura posthume Me suit encore à présent
Tous les Jean des brumes Sont toujours lestés De plomb sous les plumes Il ne l′a pas supporté ...
Une vie s'allume Une vie s′éteint Comme Jean des brumes Parfois je hais les matins...
Vous êtes bien belle et je suis bien laid. A vous la splendeur de rayons baignée ; A moi la poussière, à moi l’araignée. Vous êtes bien belle et je suis bien laid ; Soyez la fenêtre et moi le volet.
Nous réglerons tout dans notre réduit. Je protégerai ta vitre qui tremble ; Nous serons heureux, nous serons ensemble ; Nous réglerons tout dans notre réduit ; Tu feras le jour, je ferai la nuit.
Victor Hugo 1802-1885
Poème composé en 1830 en hommage à Maglia Feroni, actrice de l’Odéon, dont Victor Hugo était amoureux.
Publié pour la première fois en 1883 dans le numéro de mai de la Revue des Lettres et des Arts.
JeanJulesGeoffroy – 1853
D’un Serge à l’autre :
Serge Gainsbourg, en 1961, a repris et transformé le poème, pour le chanter lui-même.
Serge Reggiani, en 1973, ne résista pas au plaisir de l’interpréter à son tour :
Vous êtes bien belle, et je suis bien laid, A vous la splendeur de rayons baignée A moi la poussière, à moi l’araignée Vous êtes bien belle, et je suis bien laid,
Tu feras le jour, je ferai la nuit, Je protégerai ta vitre qui tremble, Nous serons heureux, nous serons ensemble, Tu feras le jour, je ferai la nuit,
Vous êtes bien belle, et je suis bien laid, A vous la splendeur de rayons baignée A moi la poussière, à moi l’araignée Vous êtes bien belle, et je suis bien laid.
Le petit homme qui chantait sans cesse le petit homme qui dansait dans ma tête le petit homme de la jeunesse a cassé son lacet de soulier et toutes les baraques de la fête tout d’un coup se sont écroulées et dans le silence de cette fête
dans le désert de cette fête j’ai entendu ta voix heureuse ta voix déchirée et fragile enfantine et désolée venant de loin et qui m’appelait et j’ai mis ma main sur mon coeur où remuaient ensanglantés les sept éclats de glace de ton rire étoilé.
« – et de quel instrument jouez-vous monsieur
qui vous taisez et qui ne dites rien ? »
L’orgue de Barbarie
« Moi le joue du piano disait l’un, moi le joue du violon disait l’autre, moi de la harpe moi du banjo moi du violoncelle moi du biniou … moi de la flûte et moi de la crécelle. » Et les uns les autres parlaient parlaient parlaient de ce qu’ils jouaient. On n’entendait pas la musique tout le monde parlait parlait parlait personne ne jouait mais dans un coin un homme se taisait : « et de quel instrument jouez-vous monsieur qui vous taisez et qui ne dites rien ? » lui demandèrent les musiciens. « Moi je joue de l’orgue de Barbarie et je joue du couteau aussi » dit l’homme qui jusqu’ici n’avait absolument rien dit et puis il s’avança le couteau à la main et il tua tous les musiciens et il joua de l’orgue de Barbarie et sa musique était si vraie si vivante et si jolie que la petite fille du maître de la maison sortit de dessous le piano où elle était couchée endormie par ennui et elle dit : « Moi je jouais au cerceau à la balle au chasseur je jouais à la marelle je jouais avec un seau je jouais avec une pelle je jouais au papa et à la maman je jouais à chat perché je jouais avec mes poupées je jouais avec une ombrelle je jouais avec mon petit frère avec ma petite sœur je jouais au gendarme et au voleur mais c’est fini fini fini je veux jouer à l’assassin je veux jouer de l’orgue de Barbarie. » Et l’homme prit la petite fille par la main et ils s’en allèrent dans les villes dans les maisons dans les jardins et puis ils tuèrent le plus de monde possible après quoi ils se marièrent et ils eurent beaucoup d’enfants. Mais l’aîné apprit le piano le second le violon le troisième la harpe le quatrième la crécelle le cinquième le violoncelle et puis ils se mirent à parler parler parler parler parler on n’entendit plus la musique et tout fut à recommencer !
Le véritable amour, toujours modeste, n’arrache pas ses faveurs avec audace, il les dérobe avec timidité. La décence et l’honnêteté l’accompagnent au sein de la volupté même, et lui seul sait tout accorder au désir sans rien ôter à la pudeur. Bien souvent l’erreur cruelle est de croire que l’amour heureux n’a plus de ménagements à garder avec la pudeur, et qu’on ne doit plus de respect à celle dont on n’a plus de rigueurs à craindre.
Jean-Jacques Rousseau – in « Julie ou La nouvelle Héloïse » – 1761
Picasso – L’Entretien
≅
Le vieux couple
Ce qui me plait dans ce duo
C’est que tu fais la voix du haut
C’est toi qui sais, c’est toi qui dis
C’est toi qui penses et moi je suis
Mais les grands soirs lorsque tu pleures
Quand tu as peur dans ta chaloupe
C’est moi qui parle pendant des heures
Nous sommes en somme un vieux couple
Je n’sais plus où je t’ai connue C’est à l’école ou au guignol Je me rappelle cette ingénue Qui avait perdu la boussole Depuis je t’empêche de boire Sauf les grands soirs dans ta chaloupe Quand tu me chantes tes déboires Nous sommes en somme un vieux couple
Avec ta tête d’épagneul Qui n’a pas appris à nager Avec ma gueule à rester seul Derrière des demis panachés Quand les grands soirs dans ta chaloupe Nous parlons de tes états d’´âme Et que tu diffames mes femmes Nous sommes en somme un vieux couple
Le seize août mil’ neuf cent soixante J’ai marié cette dame charmante Cinq jours après j’étais parti Et tu me bordais dans mon lit Alors a commencé la nuit Alors a commencé la nuit Dont on se croyait les étoiles Mais on n’était que les cigales
On s’est battu on s’est perdu Tu as souvent refait ta vie Et le plus beau, tu m’as trahi Mais tu ne m’en as pas voulu Et les grands soirs dans ta chaloupe Tu connais bien mes habitudes Je connais bien ta solitude Nous sommes en somme un vieux couple
Mon ami, mon copain, mon frère Ma vieille chance, ma galère Mon enfant, mon Judas, mon juge Ma rassurance, mon refuge Mon frère, mon faux-monnayeur Mon ami, mon valet de cœur Je ne voudrais pas que tu meures Je ne voudrais pas que tu meures
Paroles : Jean-Loup Dabadie – Musique : Jacques Datin 1972 « Serge Reggiani »
Amour léger comme tu passes ! A peine avons-nous eu le temps de les croiser Que mutuellement nos mains se désenlacent. Je songe à la bonté que n’a plus le baiser.
Un jour partira donc ta main apprivoisée ! Tes yeux ne seront plus les yeux dont on s’approche. D’autres auront ton cœur et ta tête posée. Je ne serai plus là pour t’en faire un reproche.
Quoi ? sans moi, quelque part, ton front continuera ! Ton geste volera, ton rire aura sonné, Le mal et les chagrins renaîtront sous tes pas ; Je ne serai plus là pour te le pardonner.
Sera-t-il donc possible au jour qui nous éclaire, A la nuit qui nous berce, à l’aube qui nous rit, De me continuer leur aumône éphémère, Sans que tu sois du jour, de l’aube et de la nuit ?
Sera-t-il donc possible, hélas, qu’on te ravisse, Chaleur de mon repos qui ne me vient que d’elle ! Tandis que, loin de moi, son sang avec délice Continuera son bruit à sa tempe fidèle.
La voilà donc finie alors la course folle ? Et tu n’appuieras plus jamais, sur ma poitrine, Ton front inconsolé à mon cœur qui console, Rosine, ma Rosine, ah ! Rosine, Rosine !
Voici venir, rampant vers moi comme une mer, Le silence, le grand silence sans pardon. Il a gagné mon seuil, il va gagner ma chair. D’un cœur inanimé, hélas, que fera-t-on ?
Eh bien, respire ailleurs, visage évanoui ! J’accepte. A ce signal séparons-nous ensemble… Me voici seul ; l’hiver là… c’est bien… Nuit. Froid. Solitude… Amour léger comme tu trembles !
Crépuscule sur Notre-Dame de Paris – Photo : serialpictures.fr
Toi, Seine, tu n’as rien. Deux quais, et voilà tout,
Deux quais crasseux, semés de l’un à l’autre bout
D’affreux bouquins moisis et d’une foule insigne
Qui fait dans l’eau des ronds et qui pêche à la ligne
Oui, mais quand vient le soir, raréfiant enfin
Les passants alourdis de sommeil et de faim,
Et que le couchant met au ciel des taches rouges,
Qu’il fait bon aux rêveurs descendre de leurs bouges
Et, s’accoudant au pont de la Cité, devant
Notre-Dame, songer, cœur et cheveux au vent ! …
Verlaine – « Nocturne parisien »
Je ne sais, ne sais, ne sais pas pourquoi
On s’aime comme ça, la Seine et moi…
Mathieu Chedid & Vanessa Paradis (« La Seine » 2011)
≈
Baignade – La Seine 1930
Qui est là Toujours là dans la ville Et qui pourtant sans cesse arrive Et qui pourtant sans cesse s’en va
C’est un fleuve répond un enfant un devineur de devinettes Et puis l’œil brillant il ajoute Et le fleuve s’appelle la Seine Quand la ville s’appelle Paris et la Seine c’est comme une personne Des fois elle court elle va très vite elle presse le pas quand tombe le soir Des fois au printemps elle s’arrête et vous regarde comme un miroir et elle pleure si vous pleurez ou sourit pour vous consoler et toujours elle éclate de rire quand arrive le soleil d’été…
Jacques Prévert
« La Seine a rencontré Paris » – « Choses et autres » – Gallimard
≈ ≈ ≈
Montmartre / Sacré-Cœur — La Seine / Notre-Dame Sans escale !
Voilà, si j’en avais eu un, ce que j’aurais pu inscrire en lettres fluo sur les flancs de mon pousse-pousse dernier cri — comme ceux qu’on trouve désormais rassemblés en troupeaux autour de la pyramide du Louvre — invitant le touriste à fuir la chaleur des sommets pour la brise des berges.
Rue descendant du Sacré-Cœur – Photo : Roman Betík et StillGlimmers.com (2011)
Pas d’effort, un petit coup de pédale en haut de la rue Saint-Vincent pour amorcer la descente, et on laisse filer… Un clin d’œil plus tard et 128 mètres de dénivelé plus bas, nous voici sous les tours de Notre-Dame, au bord de la Seine.
La Seine, oui, la Seine, courtisane, amante, espiègle, indifférente, confidente, meurtrière et victime, angélique et perverse, la Seine, terriblement humaine, qui a rencontré Paris, comme l’affirme le poète. La Seine et… ses eaux de mon été.
Si, dans mon baluchon pour l’île déserte où je ne manquerai pas de finir mes jours, je devais ne mettre qu’un seul poème qui soit dédié à la Seine — et il y en a tant — je choisirai sans doute ce long hommage que lui adresse Jacques Prévert, avec les mots simples qu’on lui connaît : « La Seine a rencontré Paris ».
Après avoir donné, pour parler de ce fleuve qu’il aimait tant, la parole à ces parisiens qui quotidiennement le côtoient, un enfant, « devineur de devinettes », une amoureuse, un pilote de remorqueur, à un passant guindé, « désabusé », qui ose traiter la Seine — crime de lèse-majesté — de « fleuve comme un autre », le poète s’octroie la conclusion sur « sa petite rivière à [lui] » en une tendre tirade sur le ton gouailleur, entre deux gorgeons, d’un « seigneur des berges ». Une bien sincère déclaration d’amour.
Cette vidéo représente les trois dernières minutes d’un superbe court-métrage réalisé par le cinéaste néerlandais Joris Ivens, en 1957, intitulé, comme le poème de Prévert, « La Seine a rencontré Paris ». Le titre n’a évidemment pas été choisi au hasard.
Pour illustrer le poème, le réalisateur promène sa caméra sur le fleuve afin de saisir, au fil du courant et au fil des vers, toute la diversité des images de la vie qu’engendre la présence de cette eau mythique.
C’est un profond régal empreint d’une certaine nostalgie que de se laisser glisser sur la Seine à travers le Paris populaire d’une époque révolue pour partager un instant, en noir et blanc, le dur labeur d’un marinier ou d’un docker, la franche et naïve gaité d’un enfant heureux de se baigner ou la flânerie romantique d’un couple venu, le soir tombé, abriter son amour derrière les murs d’un quai.
Joris Ivens (1898-1989)
Pour que la balade soit inoubliable — et elle l’est —, Joris Ivens a choisi de faire dire le texte par Serge Reggiani.
Il a confié les images à André Dumaître qui a prêté son œil talentueux à des réalisateurs tels que, entre autres, Le Chanois, Allégret, Becker, Clouzot.
Pour la partition musicale il a fait appel à l’art subtil de ce compositeur, Philippe-Gérard, décédé il y a peu, dont les musiques ont fait les beaux jours d’Édith Piaf, Yves Montand, Jeanne Moreau ou Juliette Gréco, pour ne citer qu’eux.
Des acteurs ? Pas un seul !
« Il n’y a pas d’acteurs dans ce film, simplement des hommes, des femmes et des enfants qui aiment la Seine. » (Exergue)
La merveilleuse sensibilité qui émane de ce documentaire provient, à n’en pas douter, de la formidable synergie des talents qui ont participé à sa réalisation. Mais il me semble qu’une telle conjonction de mérites ne saurait suffire à elle seule à gagner pareille hauteur sans la magie créatrice d’une profonde sincérité partagée.
La réalisation ne pouvait qu’émouvoir le jury du Festival de Cannes 1958, autant qu’elle nous touche encore aujourd’hui malgré quelques inévitables rides, soixante années plus tard. Le palmarès ne se fit donc pas attendre, le Grand Prix du court-métrage, cette année-là, fut attribué à :
« La Seine a rencontré Paris »
Le court-métrage version intégrale
— Ouf ! Bonne nouvelle ! Il paraît que désormais, sur les îles désertes, on peut visionner les vidéos.
Il y a comme cela des jours où la poésie nous saute à la gorge sans prévenir, sans pitié.
Que tout à coup la vie décide de nous gratifier, par surprise, sans raison, de la volupté d’un instant exquis, rare, effroyablement court, qui se résume à l’accident heureux d’une insoupçonnable et magnétique rencontre, et nous voilà victime, foudroyée mais béate, d’un tel enchantement.
L’émotion qui nous enserre soudain est inénarrable, tant les images qui la composent s’entremêlent inexplicablement dans un fugace et retentissant désordre de souvenirs, de rêves et d’espérances que l’on croyait enfouis à jamais.
Alors, comme pour dominer le silence de notre saisissement, devenons-nous spontanément poète. Instinctif mais stérile poète des vers que nous n’avons pas écrits ; ces vers émus de nos grands aînés bercés par le génie, gravés dans notre mémoire et qui dispersent sur l’éphémère d’un si fragile instant le parfum de leur éternité.
Merci, Serge, de dire mes mots ! Merci, Charles, de les avoir, hier, écrits !
Merci Madame, belle inconnue, d’avoir ce matin traversé mon chemin !
« Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté… »
A une passante
La rue assourdissante autour de moi hurlait. Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, Une femme passa, d’une main fastueuse Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue. Moi, je buvais, crispé comme un extravagant, Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan, La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté Dont le regard m’a fait soudainement renaître, Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?
Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être ! Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !